nuits chaudes à Dakar

C'est extra ...

Cette touffe de noir jésus

Qui ruisselle dans son berceau

Comme un nageur qu'on n'attend plus ...

Bientot le départ

Vendredi 1er août, premier jour d'août, veille du départ au Sénégal, veille de cette rencontre tant attendue. Pour le moment, ce n'est qu'un rêve, rêve de paysage, rêve de découverte, rêve de rencontre comme ces deux pigeons posés face à face sur un balcon donnant sur la mer que Picasso semblent avoir amoureusement peint.

Qu'y a-t-il dans le vide qui puisse nous faire peur ? Une phrase de Pascal reprise par l'écrivain Yannick Enel dans son livre « Evoluer parmi les avalanches » publié en tant que roman. Il parle de phrases qui lui arrivaient, de phrases d'auteurs célèbres comme Thomas Bernhard. Ces phrases qui le traversent et qu'il retravaille pour la coucher sur le papier. Il parle dans un entretien à France Inter : « le vide est une jouissance. L'expérience du vide, de la solitude. L'élargissement poétique au cœur du vide ». Être libre, continue-t-il, c'est inventer de nouvelles formes de jouissance comme l'extase ou la joie érotique. Il veut, pour terminer, réinventer la littérature. Rien que cela.

Mort de l'actrice Marie Trintignant. Elle était tombée dans le coma suite à une dispute violente avec le chanteur Bertrand Cantat du groupe Noir Désir. Libé titre : Noirs Destins. On y voit son visage fin, fragile à la beauté parfaite, avec sa frange longue et régulière au-dessus de ses yeux rêveurs. Ce soir, elle est sortie de l'avalanche et n'a plus peur du vide.

Jour J

Samedi 2 août, jour du départ, j'ai le trac. Ce matin dans les rues de Grenoble, aux Galeries Lafayette, à la FNAC, à la librairie Decître pour un maillot de bain, un bracelet avec des étoiles bleues pour Michée, un carnet car celui-ci je l'aurai peut-être terminé d'ici la fin du voyage, tellement j’aurai des trucs à raconter. Ce soir, au Sénégal, à Dakar. Un long voyage vers Michée, l'inconnu, presque une inconnue. Peut-être suis-je fou de partir ainsi dans un pays que je ne connais pas vers une personne que je connais guère mieux. Premier pas d'une longue route. Grégory m'accompagne à la gare. Ça fait plaisir de le revoir ; on discute librement comme avant, décontracté. Grégory me laisse à la gare. Attente. Un enfant lance des mies de pain à un pigeon. On s'amuse à le voir picorer et faire sauter les miettes en l’air. Départ du bus le long de l'Isère. L'oiseau bleu. Tout va très vite 633 3536 Camille, c'est le numéro d'une Sénégalaise rencontrée à l'enregistrement des bagages. Billet pris à Look voyage (le dernier), je fais la queue. Un groupe de sénégalais attend aussi. De grosses valises qui débordent. Ils cherchent quelque chose. La femme déverse tout un sac en vrac dans la valise. Il y en a partout. Des CDs courent sur le sol. Des habits, des souliers, des soutiens-gorge sortent du sac. Fouillis indescriptible. L'organisation à l’africaine. On partage des bagages pour pouvoir passer à l'enregistrement. On fait comme si on était ensemble avec Camille qui me reproche mon sac mal rangé. Un comble ! Elle fait des études : un DEA en management des entreprises mais sûrement pas en organisation. On joue la comédie jusqu'à l'embarquement et même dans l'avion où on prend des places voisines mais pas côte à côte car elle veut allonger ses jambes. Elle se met à manger des bonbons en lisant une revue « Entrevue » je crois, ce qui est surprenant vu ses études. Bref, elle tient sa place même si elle a maigri de 18 kilos en deux mois et demi. Un grand moment quand j'aperçois par le hublot les trois Becs et Couspeau entourant la route du col de la Chaudière. Puis, le Ventoux superbe. On a commencé à descendre dès la fin du Vercors car on fait escale à Marseille. Ça continue par les Dentelles, la montagne Sainte-Victoire, les Alpilles. Les raffineries comme un Beaubourg s'étalant sur des kilomètres avant l'étang de Berre qu’on rase et les pistes de l’aéroport où quelques Canadairs jaune et rouge se mélangent aux gros avions. Le bazar à l'arrivée des passagers à Marseille. Camille veut toujours ses deux places pour pouvoir s'allonger. Elle simule un mal au ventre du à une opération. Caprice de petite fille. Ça s'arrange. On lui dit que c’est complet. Elle s’incline enfin. On se sépare, chacun à l'autre bout de l'avion. Elle n'a pas arrêté de me parler à l'escale de sa vie, elle a perdu tragiquement son frère, de ses études, elle me présente ses diplômes car j’avais un doute, de sa copine qu'elle veut me présenter. Le vol se poursuit. C'est plus calme à part le pleur d’un bébé et le bruit de fond des moteurs. Le commandant de bord cite les villes survolées : Barcelone en ce moment puis Valence, Malaga, Rocher de Gibraltar, le Maroc, Titouan, Rabat, Marrakech, Agadir, Zouarat, l’île Datar, le Sénégal enfin avec Saint-Louis puis Dakar. Côté couloir, moi je ne vois que du bleu, le coucher de soleil orange sur une mer de nuages. La nuit.

Dans la chaleur de Dakar ... C'est extra !

Les lumières de Dakar. La chaleur, les lettres lumineuses Léopold Sedar Senghor, la navette, les bagages, la foule, la pancarte blanche, Michée, enfin, son visage magnifique, ses yeux de braise dans la nuit, « Jean-Pierre », me dit-elle en m’embrassant. Le taxi, traversée de Dakar, les vieux quartiers pauvres, des marchands la nuit, le lycée, l'université, l'ambassade de Mauritanie. Nuit noire, plus d'électricité. Son studio dans le noir. Au balcon avec le chauffeur. Une bougie enfin que Michée a allumée. Des bisous dans la nuit. De chaud, ça devient brûlant, nos deux corps nus dans la nuit. Enfin, l'électricité, le ventilo, la lumière. Caresses sur le lit, sur sa couche sous les pales du ventilo. C'est un rêve dans ses bras, ses seins gonflés, son sexe brûlant. Le tourbillon m'emporte que la nuit tropicale n’arrive pas à calmer. Nuit de caresses incessantes, de désirs montants en nous comme des vagues d'un océan déferlant sur nos corps. Au petit matin, elle est là devant moi nue, bras et jambes écartées comme une fleur, comme une offrande...

À l'université, Elle a cours à 10 heures, elle se bichonne, se maquille et se met sur son 31 : jupe violette, chemisier rayé. Elle est splendide. Elle veut me faire visiter et me laisse à la bibliothèque fermée à cette époque de l'année mais elle sait montrer patte blanche. De toute façon, une porte n'est jamais fermée en Afrique bâtiment récent au plafond bleu On s'affaire dans les rayons pour ranger les livres c’est calme bruit doux et régulier des ventilateurs.

Dior Mbengue 656 040 02 Dakar Faculté des lettres et sciences humaines première année

devant la bibliothèque, une splendide fille, belle plante noire que je ne résiste pas à photographier. Elle s'est approchée de moi par curiosité, je suppose. Que cherchent telles en me laissant son adresse ensuite ? Je ne le saurai jamais. Des moutons et une bergère filent dans la rue. Qu'étudient-ils ?

J'attends Michée à côté du grand baobab à l'entrée de la Faculté des sciences juridiques. Je la retrouve en retard par la corniche. Beaucoup de chopes d'artisans et d'ateliers de sculpteurs sur bois : magnifiques statuettes en bois d'ébène, un Africain au sexe dressé. Entrée dans le village d'artisans : des cases d'artisans qui ne font pas que présenter leurs objets. Ils accostent et on ne peut pas s'en débarrasser. Pas cher madame, pas cher Monsieur, combien tu veux. Groupe de trois statuettes : les trois sages du bonheur ou les trois singes du bonheur : celui qui ne voit pas, celui qui n'entend pas, celui qui ne parle pas.

Marchandages jusqu'à épuisement des vendeurs on poursuit dans les ruelles du village saoulé par la multitude des cases, de marchands de statuettes, de tableaux, de bijoux, de tissus, de vêtements qui vous hèlent en passant, pêcheurs lançant son filet en espérant faire une bonne prise; les trois singes, des bracelets restent dans le filet. À pied toujours, la Cour des Comptes où Michée me présente un magistrat surpris en train de faire sa prière M. Ly, un musulman de l’ethnie peul, très simple et sympa il pourra peut-être nous accompagner pour une visite de Dakar. Retour au studio : bisous et caresses sur le lit, fellation et cunnilingus m'achève dans le bonheur sans atteindre l'extase. Je m'endors profondément dans la chaleur étouffante de notre alcôve sur le balcon, l'appel à la prière de la mosquée toute proche comme un chant lancinant de lamentations qui s'élèvent dans la nuit, les passants qui traînent leurs pieds dans des rues envahies par le sable, un homme portant sur sa tête tout un monticule de matelas, un autre, des objets posés sur un casier, les voitures klaxonnant, les taxis jaunes passant dans la rue défoncée de trous, l'air doux et tiède de cette nuit dakaroise.

Restaurant les Délices, c'est un restaurant camerounais que connaît Michée. Taxi jaune, on marchande la course comme d'habitude et Michée lui demande s'il connaît le restaurant. Il affirme que oui. Nous voilà partis dans les rues sombres de Dakar, les places où se tiennent encore des marchés sauvage, des échoppes encore ouvertes, des gens réunis sur le trottoir, des hommes allongés qui se reposent ou dorment. Le quartier du restaurant, on tourne en rond. Visiblement, le chauffeur ne connaît pas. Michée le lui reproche. Il ne parle pas beaucoup. Il faut demander à quelqu’un. Il ne s'arrête pas. On téléphone dans un bar : pas de restaurant les Délices. Le chauffeur est parti sans doute agacé de brûler tout son carburant pour la somme qu'on lui a promise. Un autre taxi. Il nous conduit au mini restaurant. En fait, c'est le restaurant camerounais que l'on recherchait. Michée s'est trompée. Il ne s'est jamais appelé les Délices ! Pauvre chauffeur à qui Michée reprochait de ne pas trouver un restaurant imaginaire ! On rentre. Tables aménagées en terrasse sous deux manguiers. Très agréable dans la douceur de cette nuit. Carpes braisées, brochettes de filet, accompagnés de plantin, sorte de grosse banane cuite comme des frites font notre délice. Un taxi nous ramène dans la nuit où une pluie fine semble tenter la terre sans jamais l'assouvir.

Le restaurant imaginaire

Mardi 5 août, lever tôt, anniversaire de Michée, Bisous, caresses mais pas plus loin enfin si une fellation, la première et je fais de même pour elle en lui suçant sa chatte. C’est doux et elle aime ça. Elle se prépare après ces ébats amoureux.

Le soir, Michée fait la cuisine et ajoute encore de la chaleur à cette fournaise qui règne quand on rentre. Un réchaud dans le coin. Pas de gazinière. Pas de machine à laver non plus. Tout à la main. Contraste avec la maison de sa soeur superbe et vaste demeure à étages. Mobilier en bois sculpté dans un salon immense, dessin de la famille Dackam, des parents de Michée au fusain. Presque des photos.

Chez les Dackam

Lundi 4 août, départ dans les rues de Dakar où tout se vend sur les trottoirs, les tissus, les fruits, quincaillerie, bazar en tout genre. Cuisine à même la rue, on se réunit autour d'une marmite. En dehors sur le trottoir, au milieu d'une avenue. Un homme dort sur le terre-plein central au milieu d'une avenue. Les voitures passent, klaxonnent, soulèvent la poussière. Il remonte simplement sa chemise pour ne pas être dérangé. A Syntel, un autre monde où la clim apaise cette chaleur de la ville qui monte. Îlot tranquille et frais au milieu de cette fournaise. On achète une puce pour le mobile de Michée. Ce n'est pas fini ensuite car il faut le débloquer. Trop cher ici, on part chercher moins cher ailleurs. Palais présidentiel, superbe bâtisse blanche et son garde en uniforme rouge à l'entrée. Le centre mais qui ne contraste pas franchement avec la périphérie. Des bâtiments plus neufs, des banques plus riches mais très vite on retrouve la vie grouillante de marchands, des marchés, des vendeurs de rue à deux pas du Palais. Ambassade du Cameroun, Michel veut me faire entrer dans son pays. Un symbole. Bureau du premier secrétaire costume derrière son bureau on le sent bien installé dans sa fonction, son pouvoir. Traditionnel. Il rejette le progrès ordinateur et Internet. Peur du changement, de se voir dépasser ? On parcourt encore les rues pour le déblocage face à l'hôtel de ville, téléphone du monde, trop cher, vendeur dans petites boutiques. Même prix, peur de se faire avoir. Retour à téléphone du monde. Il faut payer le prix. On n'y échappera pas malgré les talents incomparables de commerce de Michée. Après dans un salon de thé. Enfin un peu de fraîcheur des crêpes pour faire goûter à Michée. En ressortant de nouveau la chaleur, le bruit, la poussière, les vendeurs qui semblent des fourmis étalant leurs marchandises s'affairant haranguant les futurs clients. Marchands de cycles, je ne peux m'empêcher d'y amener Michée pour y admirer un splendide vélo jaune Coppi. Marchand de tableaux, vendeur de statuettes nous accostent. Deux superbes femmes africaines de profil, cheveux tressées et lèvres épaisses sculptées dans du bois brut. De 30 000, le vendeur nous propose 20 000 les deux en faisant trop pas avec lui. On tombe dans un marché-là, Michée lui dit cinglante, 5000 et pas plus. Le vendeur en est estomaqué, moi aussi Il rebrousse chemin. On discute avec Michée. On le rappelle « Attend » lui lance-t-elle il revient. On conclut à 6500 les deux il a le sourire malgré toute cette baisse. Il est très gentil. Sidy, il s'appelle. Retour par le transport rapide comme hier un baptême de l’air dans ces tagazous colorés brinquebalant, bruyant comme des casseroles qui bouillent à force de se charger de voyageurs serrés comme des anchois occupant tous les sièges mêmes les strapontins du milieu pour descendre c'est le système D, la débrouille, le système africain. Nulle porte n'est jamais fermée On bascule le siège et on peut sortir. Magie de l'Afrique.

Gorée, l'ile aux esclaves... Le point de non retour

Dimanche 3 août, départ pour l'île de Gorée. Taxi jaune, le chauffeur ne connaît pas bien. Il se trompe. Michée lui reproche de ne pas connaître. L'embarcadère, la foule. Des guides nous assaillent pour faire visiter l'île. L’un deux Ass est particulièrement collant. Je m'appelle Ass, me dit-il, comme l'as de pique, je te fais visiter et tout va bien se passer. On ne t’embêtera pas avec d'autres propositions de guides non officiels. Il me montre sa carte de guide. Michée fait la queue pour les billets du retour, elle me reproche d'avoir parlementé avec lui/ Il cherche à t’embobiner me prévient-elle. Elle va même prévenir un policier pour qu’il nous ennuie plus. Un peu gêné de voir l'attitude autoritaire de Michée. Ass devient moins agressif. Une paix se conclut. Il nous fera visiter l'île à un prix raisonnable. La foule, la chaleur dans la salle d'attente pour la chaloupe. Enfin, les portes s'ouvrent et nous délivrent de cette promiscuité difficile à supporter. Montée dans la chaloupe pleine comme un oeuf. On quitte le port, les gros bateaux. Traversée rapide. On aperçoit déjà l’île, la citadelle, les maisons colorées ocre, jaune. On accoste. ça grouille sur la plage. Des enfants nagent jusqu'à la coque de la chaloupe. Les vendeurs à la sauvette commencent à nous accoster. De véritables moustiques qui ne nous quitteront plus. Statue sur le sable. Une femme embrasse un esclave enchaîné. Douloureuse séparation. On parcourt des ruelles avec le guide et un groupe de Français qui s’est joint à nous. Les maisons des esclaves, une église, bénitier en coquillage. Une place où sont exposés des tableaux de peintures sur toile lavable représentant des femmes africaines plus ou moins figuratives très colorées. Une allée de baobab majestueux qui atténue tout juste la chaleur. Un point de vue un auteur pour un panorama de l'île des canons vestiges d'une époque, d'un passé militaire encore des tableaux de femmes africaines. Falaise des esclaves. Là, ou ont jeté à la mer les cadavres. Leurs sépultures c’était l’océan qui semble gronder depuis cette époque. Visite de la maison des esclaves, rose, un escalier en fer à cheval sépare les propriétaires, les hommes blancs de leurs esclaves noirs. En bas, les cachots, les cellules étroites, les sardines, sorte de barque où on entassait les esclaves. Discours de l'ancien guide, Joseph Ndiaye très émouvant il nous parle avec force et émotion de ces trois siècles de honte pour l'homme blanc où des hommes se sont crus supérieurs à d'autres hommes pour les rendre esclaves comme des choses sur lesquelles on a droit de vie ou de mort les souffrances endurées, les séparations douloureuses, départ sans retour, les maladies, les épidémies et quelquefois la mort pour des milliers d'entre eux on le ressent dans sa voix. Cellules pour les hommes, les femmes, les enfants, les handicapés, les récalcitrants, les jeunes filles. Le point de non-retour : couloir étroit qui mène à l'océan qui rugit sur les rochers mais l’ennemi c'était l'homme. La nature n'est pas hostile. Elle est. L'homme lui est un loup pour l'homme alors qu'on est tous frère. Quelle cruauté ! Pourquoi ? Pour son intérêt ? Qu'y avait-il dans le coeur de l'homme blanc ? Le noir était à l'intérieur. J'écris sur le livre d'or : plus jamais ça, j'ai mal pour les ancêtres, je pleure pour les frères de couleur. En sortant, les vendeurs n'arrêtent pas sous la paillote on mange le poisson mais il y a toujours le vendeur de stylos Montblanc ou le vendeur de pirogue en bois sculpté. Un bon prix pour toi, combien tu me donnes ? C'est pas cher à ce prix... Ils nous poursuivront jusqu'à la montée dans la chaloupe et même à l'arrivée à l'embarcadère. On prend un taxi en quittant le guide avec qui tout s'est bien passé, finalement très sympa. Le vendeur de Montblanc est toujours là. Quelle opiniâtreté. Pire que des moustiques ! Retour fatigué, exténué dans le studio. Seulement des caresses avec Michée qui ne veut plus faire l'amour car elle ne sait pas si notre relation sera durable « je ne sais pas ce qui m’a pris hier » me répète-t-elle avant de s'endormir profondément.