L'ouvroir de l'estomac

Le lecteur est un estomac... Dévorer des livres, ingurgiter une leçon... toutes ces métaphores disent clairement qu'un livre se mange.

Pourquoi? Parce qu'il existe une vieille croyance qui veut que nous "absorbons" le contenu du livre, que nous l'avalons pour devenir plus savant et, peut-être, plus sage.

Que mange Gargantua si ce n'est de la littérature ? Ce personnage est "un ventre" qui aime autant manger qu'apprendre, autant boire que connaître.

"Ce n'est qu'une histoire" disent les élèves; rien de l'histoire de Rabelais n'est véritable... Une histoire, certes, mais qui se veut un enseignement: c'est ce qu'est la littérature, un enseignement. Aussi quand nous lisons, nous apprenons.

Quoi? tout... A vivre, à aimer, à détester, à nous connaître aussi... nous apprenons même à apprendre (je pense par exemple à Don Quichotte qui nous apprend que les livres nous apprennent à nous tromper!).

Toute littérature est une Littérature à l'estomac comme l'a écrit Julien Gracq.

Et si elle est une "nourriture de l'esprit", sa disparition pourrait entraîner la disparition de l'esprit. De même si le langage disparaissait...

Pourquoi vouloir un appauvrissement de la langue ?

Moins il y a de mots pour dire les choses, moins on peut penser. Essayez par exemple de vous parler dans des langues différentes: vous verrez que vous n'y arriverez pas (c'est l'épisode de la Tour de Babel dans La Bible). De même si vous essayez d'avoir une vraie discussion sans parler : à part quelques signes que vous comprendrez, vous aurez du mal à vraiment vous comprendre. Il est difficile de comprendre ce dont on ne peut pas parler!

Il est certain que si les hommes ne peuvent plus réfléchir, ils sont encore plus contrôlables par d'autres: c'est ce que font les cochons de La ferme des animaux de George Orwell; ils modifient ce qui est écrit (les tables de loi) afin de maîtriser les autres animaux qui finissent par oublier et par croire que les nouvelles lois ont toujours été là.

Que font les dictateurs quand ils arrivent au pouvoir? Très souvent, ils brûlent les livres: c'est ce qu'on appelle un "autodafé".

Un autodafé célèbre, est celui que l'on retrouve dans Fahrenheit 451, écrit par Ray Bradbury, il y a un demi-siècle. Cette fois ce sont les pompiers qui ont pour mission de brûler les livres... jusqu'au jour où Montag décide de ne plus les brûler car il comprend qu'ils renferment une très grande force... la liberté!

«On ne brûle pas encore les livres, mais on les étouffe sous le silence. La censure, aujourd'hui, est vomie par tout le monde. Et, en effet, ce ne sont pas les livres d'adversaires, ce ne sont pas les idées séditieuses que l'on condamne au bûcher de l'oubli : ce sont tous les livres et toutes les idées. Et pourquoi les condamne-t-on? Pour la raison la plus simple : parce qu'ils n'attirent pas assez de public, parce qu'ils n'entraînent pas assez de publicité, parce qu'ils ne rapportent pas assez d'argent. La dictature de l'audimat, c'est la dictature de l'argent. C'est l'argent contre la culture (...).» (

Jean d'Ormesson, Figaro du 10 décembre 1992, article cité dans la préface à Fahrenheit 451).

Pourquoi met-on des écrivains en prison si les livres ne servent à rien?

Beaucoup trop d'élèves pensent que cela n'existe plus, qu'on ne met plus les écrivains en prison. Or, ce n'est pas vrai du tout! On estime qu'à travers le monde environ 300 écrivains sont en prison pour avoir osé écrire...

Pensons aussi que cela a existé en France (et pour de bonnes raisons) : les plus grands écrivains ont eu à lutter contre cela : que ce soit la prison, pour Voltaire ou l'exil, pour Victor Hugo.

Les élèves savent généralement qu'il existait la censure. Alors demandez-vous: pourquoi est-ce qu'on censure des livres?