1965 – 2017 / Du Plan Bernard au Plan Guide - Imaginer le Sud

Date de publication : 11 juil. 2017 09:05:42

Bernard Philibert, membre de LAHGGLO (Fontanil Citoyen) a assisté à une soirée organisée par la Maison de l'Architecture, mardi 04 juillet - 19h

Rappel historique

Depuis la Libération Grenoble est la ville française de plus de 100.000 habitants qui connait la plus forte expansion démographique: 90.000 en 1945, 116.000 en 1954, 159.000 en 1962. La reconstruction n'empêche pas la crise du logement, 47.000 logements seront construits de 1954 à 1965, doublant ainsi le parc existant. Mais Grenoble présente encore un sous-équipement chronique et une situation d'enclavement.

1958-1959 un nouveau dispositif législatif rend obligatoire la réalisation d'un plan d'urbanisme directeur dans les villes de plus de 10.000 habitants. Il donne à la planification urbaine les outils opérationnels à l'image des zones d'urbanisation prioritaires (ZUP) , ou des opérations de rénovation urbaine. 1959 le gaulliste Albert Michallon est élu maire de Grenoble. Il approuve le lancement des opérations d'urbanisation orchestrées par l'Etat qui a constitué un groupement d'urbanisme regroupant 14 communes considérées comme agglomérées (malgré des conflits de compétence).

1961 deux ZUP sont créées au sud. Celle de Grenoble prévoit 6400 logements sur 127 ha au nord de l'aérodrome Jean Mermoz, celle d'Echirolles la prolonge sur 78 ha pour 4000 logements.

Novembre 1962 l'architecte-urbaniste Henry Bernard est désigné par le ministre de la construction pour réaliser le plan directeur du groupement d'urbanisme de Grenoble , constitué par décret le 22 mars 1962 et regroupant 21 communes. Il a été grand prix de Rome en 1938 et remportera le concours pour la Maison de la Radio à Paris avant de construire le siège du Conseil de l'Europe à Strasbourg.

Selon Henry Bernard , sept verrous font obstacle à un développement urbain efficace de Grenoble « le relief (rocher de la Bastille) ; les rivières (Drac Isére, Romanche) ; les voies ferrées (nœud coulant de la ligne Grenoble – Savoie);les terrains militaires ; les cimetières ; et deux verrous invisibles : la nappe phréatique et les limites communales. »

juillet 1963 le plan directeur du groupement d'urbanisme est achevé. Il sera publié par le Préfet de l'Isère en février 1965 à la veille des élections municipales. Il s'articule autour de sept grands axes :

    • déplacement de la voie ferrée Grenoble – Montmélian
    • la réalisation d'une voie express le long du Drac (A480), de la rocade sud et d'un tunnel de 900m sous Bastille
    • le découpage du tissu urbain en maille dite contemporaine (environ 400m x 600m) , souvent déservies par des branches d'autoroutes urbaines , la circulation des piétons entre les immeubles se faisant sur des coursives suspendues à 6m du sol.
    • création du grand axe nord-sud de 2km de long et 200m de large. Il est constitué de 2 voies surélevées sur une dalle à plus de 6m du sol (voies transversales et parkings en souterrain) -déplacement au sud du Centre de Grenoble avec création d'un « centre urbain d'affaires » avec tours et autoroute urbaine pour les 500.000 habitants attendus
    • percement de la ville par « une vaste coulée sinueuse de verdure est-ouest, venant prolonger la vallée de l'Isère et restituer ainsi en site urbain le charme de la rivière domestiquée et presque invisible. »
    • création à la périphérie de la ville de deux plans d'eau, l'un à Seyssins par creusement du lit du Drac, et l'autre à Gières (de 2km de long), en supprimant la boucle de l'Isèrequi barre la vallée.

Commentaire de Jacques Joly (1938-1999, ancien vice-président de l'Université Grenoble2)

Cédant au fonctionnalisme ambiant par cet ample système de voirie, [le projet] ne tenait pas compte de l'existant ... Cette primauté de la plastique, des grands volumes rythmés, des jeuxde hauteurs et de verticalité, qui évoquent un étonnant mélange de conceptions classiques et modernistes, ... ,se retrouvait dans d'autres plans d'urbanisme de grandes villes de l'époque, à Paris notamment. Mais mis en confrontation avec la pauvre morphologie d'une ville moyenne de province, avec sa base sociale et les moyens dont elle disposait, cela confinait à la pure utopie.

Le 28 janvier 1964 la ville de Grenoble est retenue pour accueillir les Xèmes jeux olympiques d'hiver. Le premier avril 1964 un arrêté ministériel charge Henry Bernard de réaliser le programme d'urbanisme de la ZUP, et le plan de détail du quartier des Eaux Claires et du quartier Central Mars 1965 voit l'élection d'une nouvelle majorité dirigée par Hubert Dubedout. En mai 1965 H. Bernard envoie au nouveau maire de Grenoble une lettre dans laquelle il exprime son désaccord avec les nouvelles orientations. En aout 1965 H. Dubedout expose les divergences qui l'opposent au projet officiel. Le 28 janvier 1966 le conseil municipal de Grenoble décide la création de son propre atelier : l'agence municipale d'urbanisme (AMU) qui se substituera à l'atelier d'urbanisme piloté par l'Etat et H. Bernard. En mars 1966. Le conflit qui oppose l'Etat et la commune est finalement gagné par cette dernière par les risques qu'il fait courir à la tenue des jeux olympiques (et donc à l'image de la France). La collaboration de Grenoble et d'Henry Bernard se termine fin 1966. en février 1967 les 21 communes du groupement d'urbanisme créent le SIEPURG ; l'AMU devient agence d''urbanisme de la région grenobloise (AUAG) en incluant d'autres groupements d'urbanisme.

La loi d'orientation foncière du 25 décembre 1967 impose aux agglomérations les schémas directeurs d'aménagement et d'urbanisme (SDAU). En fin 1968 l'AUAG, qui regroupe alors 101 communes, publie un livre blanc remarqué. Elle devient l'AURG actuelle en 1973.

Bilans, débats et perspectives

Le plan Bernard aura permis la réalisation de l'hotel de police, de l'hotel de ville, du palais des sports, de l'anneau de vitesse, du crédit agricole, de la MC2, de la sécurité sociale, et de trois quartiers Malherbe, village olympique, et les Essarts. Au delà des conflits entre la ville et l'Etat on aura compris que l'urbanisme devait devenir interdisciplinaire et confronter l'architecte, l'ingénieur, le sociologue, l'économiste et le démographe. En citant encore Jacques Joly : "la forme [urbaine] ne créait pas la fonction et ce n'est pas parce que l'on créait une architecture de centre-ville que celui- ci allait naître spontanément"

On doit constater que les architectures futuristes des années soixante ont été un échec social et urbain partout dans le monde. Cela ne signifie pas forcément que les architectes-urbanistes ont tous répété la même erreur, cela veut dire qu'une forme urbaine, quelle qu'elle soit, doit être construite avec les futurs utilisateurs. On comparera ainsi le succès durable du site des Béalières à Meylan avec le manque d'enthousiasme de la seconde génération des habitants de la caserne Vauban à Fribourg (pourtant modèle de l'écoquartier).

L'AURG a ensuite présenté un document vu par les élus de la zone sud dans le cadre de la préparation du PLUi. Document actuellement non diffusé par la Métropole mais qui sera intégré au dossier soumis à enquête publique.

Ce Grenoble-sud / Echirolles constitue un échec malgré des atouts importants. 70Ha de foncier utilisable, des prix bien inférieurs à la moyenne grenobloise, des logements à la fois plus grands et moins chers, de nombreux espaces verts, 40.000 emplois déjà installés. Les professionnels présents ce soir là ont été unanimes sur les qualités et le potentiel de cette zone.

Pas un seul n'a parlé de sécurité , d'incivilités ou de délinquance. Le monde de l'urbanisme doit il étendre son interdisciplinarité à la psychologie sociale et à l'instruction civique ?

Certains universitaires ont évoqué la difficulté des programmations d'urbanisme dès le moyen terme.

Par exemple, quelles seront les conséquences de la voiture autonome dans vingt ans ? Doit on encore prévoir des parkings si votre voiture va se garer toute seule dans le silo du quartier quand vous la quittez ? Peut on commencer à réduire la largeur des voiries dans cette perspective ?