Marc Allemand

photographe de 1930 à 1960

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dé-PaTHoCRyPTaGe

poème cathartique en prose, par Joël

PRéaMBuLe

Dépathocrypter c'est voir et savoir. C'est discerner la part du miroir de celle des reflets. Non pour prétendre avoir raison, mais pour au moins raison garder. Toute coïncidence fortuite avec des êtres, des faits ou des lieux existants, ne peut être ici que possible ressemblance.

dé-PaTHoCRyPTaGe

En cette séance de 1954, la musique est moins à l'ordre du jour que la contractualisation des droits et des devoirs de chacun. Quelle place occuper dans le rang ? Être ou ne pas être dans le ton ? Comment trouver son propre style ? Qui sera le ou la n°4 de l'orchestre ?

Le GFo n'est pas encore un Quintet qu'apparaissent déjà les signes de sa future dislocation. Pourquoi ? Quand ? Comment ? Dépathocryptons les empreintes capturées par les foyers pathophores de la plaque pathosensible du génial alchimiste épicier photographe Marc.


H.

À peine sortie de son conservatoire natal, H. n'aura ni l’heur ni le temps de réfléchir. Auto-promue directrice artistique du GFo, elle sera vite débordée par un recrutement plus soutenu qu'il n'est raisonnable. Alors elle ne verra de recours qu'à perpétuer les valeurs traditionnelles d’un ordre musical et moral qu’on lui a enseigné universel et immuable, et dans lequel il n’y a que deux musiques: la bonne et la mauvaise.

Le dogme est démontrable. Si le bien et le mal existent, il faut les séparer par un mur purgatoire. Si le mur sépare quelque chose, c'est la preuve qu'il y a d’un coté le bien et de l’autre le mal. C.Q.F.D. Alors H. construira un mur d’enceinte autour du GFo, pour y enfermer tout ce qui pourrait "en dépit du bon sens" ne s’égarer que dans le mauvais. Pour dicter sa leçon et se simplifier la pédagogie, elle inventera le 11ème commandement: « Jamais H. tu ne contrarieras, c'est pour ton bien ! ». Un 11ème commandement qui deviendra vite le 1er, puis le seul, ad vitam aeternam.

C'est ainsi que dès les premières mesures, la stylistique GRAND-FoNTiste sera stricte, traditionaliste et apostolique, à l'instar de la baguette qui bat la mesure, du sabre qui castre les élans et du goupillon qui lessive les état d’âmes.

Malheureusement pour H., la musique, la vraie, est désespérément insaisissable pour qui veut l’écrire en séparant systématiquement les noires des blanches, les silences du bruit, les temps des contretemps, les bons points des fausses notes, la Grande musique de la pas–grande, c’est à dire la soi-disant Juste de la prétendue Fausse.

Malheureusement, la musique, la vraie, n’est pas faite du marbre des autels, elle est mouvante, vivante, versatile, polymorphe, ambivalente, mixte, hétéroclite, hybride, bigarrée, volubile, contradictoire, changeante, métissée et souvent contrapuntique.

Malheureusement, la musique, la vraie, est désespérément injouable pour qui veut se préserver de toutes ces hérésies sataniques que sont la nuance, la modulation, l’interprétation, ou pire . . l'improvisation.

Malheureusement, les partitions, les vraies, sont désespérément inclassables pour qui ne dispose que de deux pupitres: le tabernacle et le vide-ordures.

Alors le piège du manichéisme se resserrera autour de sa prisonnière en lui faisant croire qu'elle en est la Sainte gardienne. Et le GFo, qui ne sera gavé que du 11ème commandement, ne se nourrira jamais de l’art essentiel du jeu orchestral: l’épanouissement de l'harmonie du groupe, par l'écoute mutuelle, attentive et tolérante.

Plus H. insistera, plus son piège se refermera sur elle. Plus sa mission purificatoire sera difficile, plus elle la rendra elle-même impossible, séparant les filles des garçons, les légitimes des bâtards, les grands des petits, les saintes des putes, les chrétiens des païens, les reconnaissants des ingrats, les enfants-de-cœur des voyous, les propres des moches, les anges des démons, les normaux des cinglés, les civilisés des sauvages, les miséreux des rupins, les vertueux des pécheurs, les prévenants des fainéants, les blancs des de–couleur, les petits oiseaux des grands méchants loups, c’est à dire séparant, sans faillir, le Grain de l’Ivraie pour bénir le premier et bannir tout le reste.

Inexorablement, le mur se délitera tout en séparant ceux qui s'y enfermeront de ceux qui se feront la belle. Le Quintet se divisera entre les adeptes disciplinés de la "suite ordonnée" et les militants rebelles de la "fugue libérée", entre les pieux pour qui la "musique sacrée" s'exécute et les impies pour qui toute "sacrée musique" s’improvise.

Destin ô combien déprimant d’une directrice artistique sans orchestre, dont les spéculations pour gagner une reconnaissance réelle, ne feront qu’allonger la facture des ingratitudes virtuelles. Destin ô combien déprimant d'une compositrice décomposée, dont toute l'énergie dépensée pour écrire la moindre mélodie, ne fera qu'en détruire les plus simples harmonies.


R.

Les quelques traces très discrètes laissées par le régisseur en titre, confirment sa présence physique, autant que son retrait délibéré de la direction artistique. Il ne se chargera exclusivement, que des corvées inhérentes aux contingences logistiques, tâches auxiliaires et ingrates, en coulisse et sans gloire, et dont on ne lui témoignera jamais d’autant de gratitude qu’il y mettra d’abnégation. Ainsi R. assurera-t-il les charges nourricières du GFo pendant que H. en tiendra la baguette normative.

Malheureusement pour R., en choisissant d’éviter toute responsabilité dans la direction artistique, il en renforcera l'orthodoxie matriarcale univoque par l'exemplarité de son indéfectible et silencieuse loyauté. Il s'efforcera même, jour après jour, pour le meilleur et pour le pire, de colmater la moindre brèche dans un mur qui deviendra, inévitablement et malgré lui, celui des lamentations.

En choisissant d’éviter toute contrariété à la direction artistique, conformément au 11ème commandement, il renoncera définitivement à équilibrer l'orchestre autour de son libre arbitrage, à enseigner sa liberté de penser, à lui ouvrir le répertoire aux richesses de sa connaissance du monde réel. Il renoncera même à partager sa propre expérience d’instrumentiste. Saviez-vous que jeune, R. joua des cuivres ? Avez-vous déjà entendu R. un instrument à la main ? Le GFo lui, n’aura jamais ce bonheur–là.

Dès 1954, la messe est dite: au caté, à l’école, à la cure, à table, à confesse, au camp scout, tout comme à l'établi, on ne verra plus qu'une seule tête. Choix délibéré de R. ? Principe de précaution ? Position de repli stratégique ? Ces questions restent ici sans réponses faute d’indices. Les empreintes pathophoriques sont celles du pathos (du mot grec pathos: passions, émotions, etc.), or une telle sérénité n'émet que des pathons de trop faible énergie pour être capturés par les pathophores de Marc.


M.

Informée très tôt du tempo aléatoire de la ritournelle de "Knaus-Ogino", M. doit admettre la probabilité non nulle de l'arrivée d'une nouvelle portée sur la partition. Que ce soit le petit Jésus qui joue à pile-ou-face le sexe des petits anges ne la dérange pas. Et pourtant. Elle ignore encore à quel point cette divine fantaisie va déterminer profondément l'orientation de sa carrière.

La venue d'un petit frère supplémentaire ne perturberait en rien le répertoire déjà établi, et consoliderait durablement son statut de soliste auprès du monôme matriarcal. A l'opposé, la venue d'une petite sœur émanciperait le GFo par des exigences orchestrales mixtes, des harmonisations plus équilibrées, des antagonismes duaux plus féconds. M. s’ouvrirait vraiment au rôle de grande sœur, diversifiant ses pôles de complicité féminine.

Nous savons que la combinatoire chaotique des appariements chromosomiques lui feront, malheureusement pour elle, un cadeau bien empoisonné. Le quatrième petit ange sera masculin et M. sera pour longtemps encore isolée dans sa confortable unicité, pendant que la chambrée des mâles élèvera au cube ses problématiques promiscues.

La carrière de M., d'abord naturellement marquée par l'identification maternelle, ne saura plus se développer hors les limites du mimétisme fusionnel, de plus en plus réciproque de surcroît. Conformément au 11ème commandement, M. n’aura d’autre inspiration que d’exécuter à la perfection le rêve que H. s'est composé pour elle-même, et désormais pour elles-deux. Mais dès lors, qu’il lui sera difficile d’être à la fois la fille unique interprète de H., et la grande sœur accompagnatrice du GFo.

L’engagement de S. sera trop tardif pour desserrer le nœud gordien du piège dans le piège. D’autant que le ticket de l'impure petite sœur, n'aura pas l'heur de la placer du même coté du mur. Sauront-elles un jour, animatrices chacune de leur propre quartet, analyser l’une avec l’autre la tonalité des berceuses qu'on leur fredonnait naguère au pied de ce mur–là ?


J.

Est-ce l’échauffement de la laineuse barboteuse ou l’étouffement au petit LU qui inspira ce blues pleurnichard au vilain canard boiteux ? Bien avant de s'inventer un nom d'artiste, J. fut généreusement affublé d'un sobriquet: "Coin–Coin".

Coin–Coin rêvait de complicité filiale avec R. pour explorer avec lui les polyrythmies syncopées, les polyphonies enrichies, enfin tout ce qu'un fils néophyte boulimise d'apprendre de la science d'un père mélomane. Mais Coin–Coin ne comprendra pas tout de suite les règles en vigueur de la séparation des pouvoirs.

En attendant l'écho, et conformément au 11ème commandement, il exécutera très docilement l'intégrale GRAND-FoNTiste: l'agenouillé enfant de cœur jauni, le sage catéchumène blanchi, l’obéissant rangers bleu, le laborieux écolier gris, l’illuminé communiant blanc, le liturgique pionnier marron, le déçu militant rouge, l'aligné sapeur kaki... Alors, baptisé, calibré, tamponné, profilé, normalisé, estampillé, code–barré, extrudé, ... il se décidera enfin à déployer fièrement ses ailes au yeux de son mentor, mais ne pourra dérouler qu'un collier pour mouton au bout d'une laisse pour caniche. Pourquoi cette image le fera-t-elle tant pleurer ?

Sans ailes, il ne pourra s’envoler par dessus le mur, alors il s'évadera en creusant par dessous, et n'attendra plus personne. Il serrera les fesses en se taisant aussi fort que l’écho, aussi longtemps que la rétention de ses catabolites amères lui permettront de jouer sa musique sans appoggiatures trop dissonantes.

Faut-il en déduire que les tourmentes post-œdipiennes sont musicalement fécondes et que la terre est un bon durcisseur pour les ongles de guitariste ? Son autoproduction "SchiZo ma non troPpo" ne nous a pas convaincu sur ce point. Quant à la rumeur persistante de la préparation d’un nouvel opus JazZ, elle n'est pas non plus de nature à nous rassurer.


C.

Parti loin de la "pole position", second des garçons, premier des petits, coincé au 3ème pupitre, pour être entendu C. devra pousser sa musique très TRÈS fort, en jouant des coudes très TRÈS dur.

C. va manifester sa présence par un jeu énergique, à même de bousculer agressivement les habitudes. C. va jouer puissamment dans les registres percussifs: tambours, pistons, batteries, turbines, échappements libres. Il va se la lâcher explosive, sur un mode frappant, exceller dans les tempos pétaradants et s'épanouir dans les phrasés retentissants. Il va devenir le moteur du groupe, à combustion interne, à injection pulsée turbocompressée. Ça va secouer ! Ça va déménager ! Ça va coller au siège ! Ne le retenez plus !

Oui mais non ! C'est pas écrit là sur la Sainte Partition. La direction artistique n'a pas prévu de percussions, et ne lui offrira même pas les maracas.

Conformément au 11ème commandement, C. livrera avec fatalisme son interprétation du répertoire Grand-Fontiste: l'agenouillé enfant de cœur jauni, le sage catéchumène blanchi, l’obéissant rangers bleu, le laborieux écolier gris, l’illuminé communiant blanc. Il saura éviter les autres extrudeuses mais n'échappera pas à la plus kaki d'entre-elles.

C. ne rongera pas son frein bien longtemps. Pied au plancher, pugnace, opiniâtre, jamais plus il ne manquera ni d'opportunisme, ni d'opportunités, ni d'additif au carburant. Et que ce soit d'un coté du mur ou de l'autre, il saura jouer sostenuto dès lors qu’il sera rassuré de disposer d’instruments de belle tessiture et qui roulent à belle allure.

Si votre affiche n’attire pas les foules, si l’ambiance s’annonce morose et le public apathique, c’est C. qu’il vous faut, sur les pistes, aux percussions et aux volants.


S.

Encore virtuelle entre deux gonades marines italiennes et un ovocyte errant La-Pallicien, l’oreille absolue de la petite dernière serait-elle également prémonitoire ? Elle entend déjà que F. n’aura pas d'espace pour jouer, et qu’il n’aura pas trop d’un demi siècle pour apprendre à arpéger ses gammes. Alors pourquoi viendrait-elle compléter ce Quintet–là ? Que viendrait-elle y jouer ? Et pourquoi dans cet orchestre où tous les tickets poinçonnés au sceau de la légitimité sont déjà distribués ?

« Adieu ! » - devra-t-elle entendre de sa propre chaire, à l'age où d'autres chantent encore le "Petit Papa Noël". « Ton père ? Un italien qui eut de l'amour et du vin ! Ta vie ? Une chance d'être passée à coté du pipeau à siffloter les anges. Moi ? Je crois que je ne t'aime pas. Je ne m'aime pas moi-même. Souhaite-moi Bonne Chance ! ».

« Reste don' tranquille ! Mais vas-tu t' taire ? » - lui chantera-t-on très tôt dans une autre tonalité - « Tu n'es pas comme les nôtres. Tu es bâtarde, souillée par la pire des fausses notes. Il te faudra expier ton couac originel avant que, fatalement, tu ne dérapes dans les dissonances de tes partitions ataviques: la péripatétite aiguë, l’odaliscuité des harems, la prostitude enchantée. Que des compositions dépravées, aussi honteuses que sûrement congénitales ! Tel sera ton répertoire, ça s'entend déjà, c’est sûr ! ».

Quel accueil ! Et quel écueil, pour toi qui devra te construire dans l’angoisse de l'Abandon. Pardonneras-tu un jour au GFo d’avoir été si incompétent et si négligeant ? Pour ma part, je t'en demande pardon. Combien de temps encore, le 11ème commandement te frappera-t-il d'excommunication ? Et combien de temps encore faudra-t-il déserter les kermesses du GFo dont tu es si . . silencieusement exclue ? Je m'y sens si seul, si lâche et si déçu !

Aussi lucide qu’orpheline, c’est à dire doublement, multiplement, S. devine déjà que ce chœur–là sonnera grinçant. Mais il est des fugues courageuses qui évitent l’humiliation des huées: S. fera le mur, créera sa propre formation, écrira sa propre musique et un jour, invitera le GFo en guest-stars. On peut rêver . . ou pas.


F.

En ce temps-là, le petit Jésus chromosoma en XY au lieu d'improviser en XX, puis il se pencha sur ton berceau et dit: "Ainsi sois-tu F. !"

En XX, tu serais née petite sœur, explosant le binôme fusionnel matriarcal. Le GFo serait devenu un big-band mixte dans lequel tu aurais été la petite vedette attirant à toi les excès et les laxismes qu'on réserve quelques fois aux petites dernières, pour autant que les réserves d'amour soient encore généreuses.

En XY, tu seras un frère de plus, aligné dans le rang, plongé pieds et poings liés dans l'arène virile de la lutte pour ne pas s'écraser. En position de retardataire, tu exécuteras ta part du répertoire Grand-Fontiste, mais tu sauras vite contourner de loin les fourches caudines du 11ème commandement. Tu choisiras souvent d'ignorer les règles, de te rebeller en cachette ou de fuir en catimini. En somme, tu te débrouilleras pour exister, faute de pouvoir être.

Si tu avais eu le choix, lequel de ces deux sorts-là t'aurait paru le plus enviable ? Il y a 50 ans, l'XX peut-être ? Mais 50 ans plus tard . . ?

À peine poussé sur la scène de la GRAND FoNT, tu révélais nos impatiences en ravalant déjà les tiennes. 50 ans plus tard, le temps de maîtriser un peu nos instruments, nous savons toi et moi que lorsque le musicien projette sa musique vers les cieux, les sots baisent le bout de son instrument, pendant que les mélomanes explorent les constellations harmoniques qui s'arpègent à l’infini sur les portées immaculées de la grande partition cosmogonique. ( … !?! … Ouais je sais, elle est connue, mais en musique ce n’est pas plagier que de revisiter librement un bon vieux standard ... n'est-ce pas ?)

Une nouvelle vie fait pousser de nouvelles ailes. À toi de jouer désormais. Envole-toi ! Ne lis pas la partition. Laisse-toi porter par les vibrations. Libère tes chorus. Repousse le point d'orgue jusqu’à jamais. Nous avons tous besoin de ton groove. Tous !



De un ... . ... de deux ... . ... et un .. deux .. trois .. quatre ... ad lib !

Heureux Anniversaire !



PoSTaMBuLe

"À la GRANDe FoNTaine"


À la GRANDe FoNTaine, m’en allant promener,

j’ai trouvé l’eau si belle que je m'y suis baigné.

Il y a longtemps que je t’aime, jamais je ne t’oublierai.

Un nouveau petit frère, dans la cage enfermés,

nous sommes trois rossignols, sans ailes pour s'envoler ?

Il y a longtemps que je t’aime,

jamais je ne t’oublierai.

Chante petite sœur, ce chœur est ton foyer,

l’amour qu’on t’a promis, qui osera le voler ?

Il y a longtemps que je t’aime,

jamais je ne t’oublierai.