Mémoire de notre père, Jean-René Darsonval
par Jean-Claude
C’est un vieux grand-père qui voudrait conter à ses Chers petits-enfants et arrières-petits-enfants......, les divers moments qu’il a vécu pendant les soixante-dix-huit ans de son existence et ceux qui les ont précédés pour raison familiale, de telle façon que plus tard, se référant à ce récit, ils puissent avec justesse parler de l’époque de leurs grands-parents.
Argançon (Aube) et son vignoble
C’était en cette journée du 17 février 1921, jour de la Saint-Théodule, un enfant était sur le point de naître. Sa maman Susanne et son papa Léon avaient envisagés de se rendre en urgence dans le petit village d’Argançon. Ils quittèrent donc prestement leur domicile de Sainte-Savine, pour se rendre à la Gare de Troyes et prendre le train pour le village d’Arsonval–Jaucourt qui était la gare d’arrivée . Le village d’Argançon se trouvait encore à quelques kilomètres de ce lieu . L’état de la maman étant proche de l’accouchement, ce dernier transport en voiture à cheval jusqu’à ce village fut très pénible . Peu s’en fallut d’ailleurs que leur enfant naisse déjà dans le train. Il y eut grande précipitation pour aller chez son oncle Edouard et sa tante Clarisse. Et, dès leur arrivée il leur fallut faire appel à une brave femme du pays, grâce à laquelle cet enfant a pu voir le jour et pousser son premier crie ; malheureusement son état de santé était précaire, et il fut ondoyé “sur le champs” .
Le petit Jean-René naquit sous les regards de sa maman Susanne, de son papa Léon, de son grand-oncle Edouard et de sa grande-tante Clarisse, tous portant le beau et très ancien nom “DARSONVAL”. Mais, le petit Jean-René, n’étant pas en très bonne santé et faisant du rachitisme avec une déviation de sa petite colonne vertébrale. Il fut baptisé le vendredi 25 février. Il eu comme parrain René Darsonval, son oncle, de Sainte-Savine et comme marraine, Charlotte Maréchal, sa cousine du côté maternel, de Montigny-Montfort dans le département de la Côte d’Or. Ce fut, paraît-il ?, une joyeuse cérémonie, présidé par l’abbé Poirot, curé de ce village. ( Une petite anecdote en passant pour vous marquer l’ambiance familiale qui régnait, le soir de son baptême : Monsieur le curé avait été convié à fêter son baptême avec toute sa famille mais devait rentrer au presbytère avant minuit, car il devait être à jeun à partir de cette heure pour pouvoir dire sa messe le lendemain matin, selon les règles de l’Eglise, mais l’oncle Edouard qui était un gai luron, ne trouva rien de mieux que de retarder son horloge d’une heure et faire ainsi une bonne blague à l’abbé Poirot qui, en fait est bien reparti à minuit mais en réalité à une heure du matin).
C’était les Vendanges à Argançon
(De haut en bas, de gauche à droite)
Emile “Clément” Darsonval, Arthur Darsonval, Mme Gross Robert, Edouard Darsonval ; Clément Champagne, Jeanne Darsonval (femme d’Arthur), Florentine Paulet (mère d’Emile Darsonval), Robert Darsonval (garçon, fils d’Arthur Darsonval), Clarisse Poissenot (femme d’Edouard Darsonval), Madeleine Darsonval (fille d’Emile Darsonval et future femme de Gabriel Guerrapin à Dolancourt), Germaine Lhoste (femme d’Emile “Clément” Darsonval et mère de Madeleine Darsonval)
Donc, comme vous l’avez compris, ce petit Jean-René c’était moi, votre vieux grand-père. Peut-être allez-vous me demander pourquoi suis-je né à Argançon et non pas à Sainte-Savine où vous m’avez toujours connu et apporté votre grande affection!. Eh bien !, j’avais moi-même un papa qui comme moi maintenant aimait sa famille, avait fait des recherches généalogiques sur elle et était fier de porter un nom qui, dans la région Bar-sur-Auboise, avait une grande histoire familiale et locale. Et par sa naissance dans la maison de son oncle et de sa tante, dans ce petit village situé à proximité du pays natal de son père Jean-Baptiste Martial, il voulut marquer l’amour qu’il portait très haut pour tous ceux qui l’avaient précédé dans cette région. Son oncle et sa tante, vivaient en leur petite maison, au bord du Landion et aux pieds de quelques arpents de vignes. Son oncle Edouard était le frère de son père Jean-Baptiste Martial.
Léon et René Darsonval (enfant), Joseph Arsène Rousselot et Louise Angèle sa fille.
Jean-Baptiste Martial Darsonval et Louise Angèle Rousselot
Au moment de ma naissance et bien avant elle, mes parents habitaient à Sainte-Savine, lieu où mon grand-père, ce simple vigneron et tailleur de pierre dans les carrières d’Arsonval , avec le concours de son excellente et la laborieuse épouse, ma grand-mère Louise “Angèle” Rousselot, étaient venus s’installer pour y exercer la profession de marbrier. Ils venaient d’avoir abandonné la contrée ancestrale de leurs parents . Jean-Baptiste Martial en 1881 habitait rue de Vendeuvre, au n° 3 à Dolancourt, domicile de ses parents , et ce n’est qu’en 1895 qu’ils furent avec son épouse domiciliés au Pont-Neuf (Maison-Neuve) , n° 68 (écart) de Dolancourt (Aube).
Voilà ce que conte mon père sur son lieu d’habitation à Maison-Neuve :
“ Comme un sauvageons poussant, à son gré, dans la pierraille des coteaux dominant la vallée de l’Aube, je vécus, heureux sans le savoir, les nouvelles années de mon enfance.
Mes parents étaient venu habiter “ La Maison Neuve “ (appelée communément le Pont-Neuf, hameau composé de quelques maisons éparses, éloigné d’un kilomètre du village d’Arsonval.
Ils s’installèrent dans une ancienne ferme-relai, de l’âge des diligences, spacieuse, assez délabrée il est vrai, mais majestueusement assise au carrefour des routes Paris-Belfort et Brienne-le-Château.
Mon père, un robuste travailleur, bien campé, très doux de caractère, à la figure sympathique sous une abondante chevelure, exerçait le dur et peu lucratif métier de carrier, cultivant aussi quelques hommes de vigne pour sa boite de l’année. Portant en lui les caractéristiques d’une race d’hommes issue du vignoble, il était enjoué, agréable en conversation et doué d’une grande sensibilité.
Ma mère, jolie brune sans ostentation, au visage régulier et calme dénotant un esprit de décision remarquable, très expansive et férue d’un réel romantisme. Je la connaissais charitable, aussi, les chemineaux ou les pauvres hères ne frappaient, jamais en vain, à sa porte, protégée, néanmoins, en cas de danger, par deux danois bien racés.
Acceptant chrétiennement la médiocrité de notre situation, ma mère vivait courageusement et avec dignité, dans ce café, au milieu d’un monde de rouliers, de vignerons et de carriers, aimable avec tous, sans familiarité, mais dédaigneuse, par dessus, des plaisanteries égrillardes.
Voilà donc le cadre, où, en compagnie de mon frère plus jeune, je passai d’adorables moments.
Comment ne pas évoquer cette enfance joyeusement vécue dans un site idéal, impressionné que j’étais par les moindres événements de l’existence qui s’accrochent désespérément au cœur de l’homme.
O inoubliable souvenance du passé ! Ne vous reverrai-je plus glycines épanouies, suspendues, avec art, au linteau de ma fenêtre, harmonieux festons, couleur mauve printanière, décorant, si gentiment encore, l’entrée de notre vielle auberge ?
Ne t’entendrai-je plus tic… tac…. monotone de l’ancienne “comtoise”, au balancier de cuivre, dont bien souvent, dès mon réveil, j’écoutais la cadence, sans songer aux minutes de bonheur qui fuyaient à jamais ?
Oublierai-je enfin le retour de l’hirondelle, l’oiseau sacré de nos régions ? Je la vois, rapide, regagner fidèlement son nid, apportant une provision de clarté et de gaieté dans l’antique chambre-à-four demeurée sombre et triste durant sa longue absence.
Et vous, ô papillons légers ! voletant inconstants, de corolle en corolle, sur nos jardins en fleurs, au-dessus de nos champs ou de nos vertes prairies. O brillantes demoiselles ! gracieuses aviettes ! frôlant de vos ailes diaphanes les glas et les herbes de la rivière, dans quelles courses folles m’entraîniez-vous parfois, au gré de vos évolutions capricieuses, au sein d’une atmosphère saturée de soleil.
Et toi ! mon cher grillon, le gardien du foyer, ne t’ai-je pas assez pourchassé, près de notre grande cheminée, sans pouvoir te saisir ? J’enrageais ! Tu te cachais si bien ! Enfin, tout péril écarté, moqueur, derechef, tu “cri-crissais” à ton aise.
Mais, au cours des nuits d’été, un silence absolu, mystérieux, s’appesantissant sur la campagne endormie, on n’entendait plus au loin que le concert bruyant de la gent coassante et l’ululement plaintif du grand-duc ! Cela, voyez-vous, influait étrangement sur ma jeune âme et en éveillait la sensibilité.
Puis, sans faire pour cela l’école buissonnière (ma mère, toujours vigilante, ne l’aurait pas toléré), je gambadais facilement, par monts, par vaux, à la manière des chèvres folâtres dont on me confiait imprudemment la garde. Dans la contrée, à plusieurs lieues à la ronde, rien ne m’était inconnu, et, bien souvent, après de fatigantes équipées avec les gamins des environs nous allions nous désaltérer à la petite source Arlette. D’autre fois, en compagnie de mon grand-père maternel, nous visitions une source ferrugineuse, “ la Fontaine aux Oiseaux “, diamant limpide reposant dans son écrin, teinte de rouille, sous l’ombrage tutélaire des vieux chênes de l’immense forêt d’Orient ; cependant je préférais Arlette.
Pour les sources, je dois l’avouer, j’éprouvais une véritable attirance, je les aimais, je les recherchais. Tantôt, je les découvrais cachées dans le creux d’un vallon, tantôt, dans un bois, ou bien aux abords d’une côte verdoyante de vignes et leur gazouillement me comblait d’aise. Pourquoi ? Je ne sais ! simple orientation inconsciente d’une âme d’enfant, à l’âge où l’on s’ignore soi-même.
Rien ne semblait devoir troubler ce bonheur, quand, vint le jour où je dus quitter ces aimables parages. J’était âgé de douze ans. Mon père ayant décidé du départ, notre petite famille émigra définitivement vers la grande ville.”
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