DENIS BOLORI
LE PREMIER HOMME VOLANT A TROYES
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Nescire quid antea quam natus sis acciderit,
id est semper esse puerum. ( CICERON.)
Les auteurs anciens rapportent l'histoire des temps héroïques où la légende donnait des ailes aux hommes et droit de cité au séjour des dieux.
Tous ces récits que la fable inventa ne sont pas sans déceler un fond de vérité dans les tentatives que, de toute antiquité, des audacieux durent accomplir pour faire la conquête des cieux.
Toutefois, ce n'est qu'au IVe siècle avant notre ère qu' Architas de Tarente aurait lancé dans les airs le premier cerf-volant.
Plus tard, sous le règne de Néron, Simon le Magicien faisait, à Rome, des essais sur le vol qui lui valurent de venir s'écraser le crâne sur les dalles du Forum.
Au XIIIe siècle, Roger Bacon (2) , dans son traité de l'admirable puissance de l'art et de la nature, émit l'idée que l'on pouvait faire des machines pour voler dans lesquelles l'homme, étant assis ou suspendu au centre, tournerait quelque manivelle qui mettrait en mouvement les ailes faites pour battre l'air, à l'instar de celles des oiseaux.
Dans ce même traité, il donne la description d'une machine volante qui a beaucoup d'analogie avec celle construite par Blanchard au XVIIIe siècle.
A la fin du XVe siècle, Jean-Baptiste Dante, mathématicien à Pérouse, construisit des ailes artificielles qui permettaient à l'homme de s'élever dans les airs. On rapporte qu'il essaya plusieurs fois son appareil sur le lac de Trasimène et que ces expériences ne furent pas toujours couronnées de succès.
Dans une fête donnée à l'occasion du mariage de Bartoloméo Alviano (3), ce célèbre général vénitien qui contribua à notre victoire de Marignan (1515). Dante voulut offrir un spectacle inédit à la ville de Pérouse.
Au moyen de son appareil, il s'éleva très haut au-dessus de la place. Mais, le fer avec lequel il dirigeait l'une de ses ailes s'étant brisé, il tomba sur l'église Notre-Dame et se cassa une cuisse.
A cette époque, Léonard de Vinci (4), aussi célèbre par son merveilleux talent de peintre que par ses conceptions mécaniques, rechercha le moyen d'imiter le vol des oiseaux et l'on peut voir dans les manuscrits de la bibliothèque de l'Institut à Paris (5) le facsimilé des dessins de cet homme de génie sur les ailes artificielles, de même que d'autres figures donnant également le principe de l'hélicoptère (6) et du parachute.
Il n'est donc pas surprenant qu'en 1536 un horloger italien, " Bolori, ait fabriqué des ailes composées de ressorts combinés, et, après divers essais, ait risqué de prendre son vol de dessus la plateforme de la tour de notre cathédrale (7). Porté par ces ailes, il se balança dans les airs et dirigea son vol vers l'Est, mais un ressort s'étant rompu, il tomba dans la prairie de Foissy (8) " et se tua (9)" .
Grosley dit connaître ce fait par la tradition conservée au XVIIe siècle et constatée par des mémoires authentiques. D'autre part, le dernier des descendants de " Bolori " et de son nom, qui exerçait dans la rue Moyenne (10) à Troyes le métier de fripier vendeur, certifie l'exactitude de ce fait.
M. Le Clert, dans son rapport à la Société Académique de l'Aube du 17 juin 1910, précise que " Denis Bolori " était bien établi horloger dans notre vieille cité champenoise de 1515 à 1536 et qu'il est l'auteur de l'horloge de Rigny-le-Feron (11) (1530) qui porte son nom.
Si j'ai donné ce dernier renseignement, c'est pour deux motifs. D'abord pour souligner que Denis Bolori (12) n'est pas un mythe puisqu'il exerçait réellement sa profession dans notre ville à une époque bien déterminée, de 1515 à 1536, et ensuite pour me permettre d'établir un rapprochement entre ces dates et celles intéressant l'existence de Léonard de Vinci et de Jean-Baptiste Dante, de Pérouse.
Ces deux savants, précurseurs du vol de l'homme, vivaient donc à la même époque, habitant, l'un, la Toscane, l'autre, l'Ombrie, deux provinces voisines. Se sont-ils rencontrés ? Si non, ont-ils pu échanger leur sentiment sur cette passionnante question. C'est probable, attendu que le lac de Trasimène, au-dessus duquel expérimentait Jean-Baptiste Dante, n'est pas tant éloigné de Vinci (Florence), patrie de Léonard.
Quoi qu'il en soit, on peut estimer que les esquisses assez poussées de Léonard de Vinci, reflètent, avec toute la précision désirable, l'idée qu'on se faisait au début du XVIe siècle, des machines volantes dont elles établissent le fonctionnement avec une grande ingéniosité.
De ces différents exposés, il résulte que Denis Bolori est non seulement compatriote mais contemporain de ces hommes de génie. Serait-il donc surprenant que notre horloger, qui s'intéressait tout particulièrement aux expériences de vol, eût eu connaissance des dessins de Léonard de Vinci ou bien que son attention eût été attirée par la renommée des exploits accomplis sur le lac de Trasimène et à Pérouse.
De là, à concevoir et à exécuter un projet, dans l'esprit de ce qu'il avait vu ou de ce qu'il avait entendu rapporter par des témoins 20 oculaires de ces vols, il n'y avait qu'un pas, puisque la profession d'horloger donnait, à Bolori, suffisamment de connaissances mécaniques, pour mettre au point des ailes.
Et quel en était le mécanisme ?. Ne le trouvons-nous pas dessiné par l'illustre auteur de la " Joconde " ?
Aussi, désireux d'immortaliser par l'image ce vol célèbre, j'ai prié mon ami, Charles Favet, de s'inspirer des esquisses de Léonard de Vinci, afin de donner les ailes (13) qu'il convient à cet humble artisan, mort au champ d'honneur de la science !