Coupe des sphériques des Mines de Béthune
Le 15 août 1930
Coupe des sphériques des Mines de Béthune
Le 15 août 1930
TRIBUNE DE L'AUBE
Compte rendu du 27 août 1930
ASCENSION DU BALLON " L'AUBE "
En vue de la coupe des sphériques des Mines de Béthune organisée par l'Association Aéronautique de Nord de la France, L'AERO CLUB DE L'AUBE avait comme chaque année engagé notre ballon l'AUBE-1200 m3 conduit par notre valeureux pilote Léon Darsonval, j'avais été désigné pour l'accompagner dans cette épreuve et nous formions des voeux pour que le vent se maintienne fort, tout en souhaitant que l'atmosphère soit clémente.
Accompagnés de deux membres actifs de l'Aéro-Club de l'Aube, nous arrivions le 15 août à Bully-Grenay et procédions à l'arrimage de notre " perco "; terme pour désigner le ballon trouvé par les aérostiers militaires du camp de Satory et fidèlement conservé par la génération suivante, l'étymologie doit avoir pour creuset un café des environs du camp.
A partir de quinze heures, nous commençons le gonflement, en compagnie des autres concurrents; Ch. DOLLFUS, DUPONT, RAVAINE, etc..., souvent arrêtés dans ce travail par de fréquentes ondées.
Enfin, à 18 heures 30, l'AUBE est bien rebondi, la dernière main est mise à l'arrimage des agrès et des instruments de bord, puissamment aidés par nos amis les aérostiers de l'A. A. N. F.
Le pesage n'est pas des plus commodes, les rafales de vent couchent la grosse bulle de gaz maintenue par les poignes solides des gars du Nord; le président de l'organisation, M. Charles CROMBEZ donne les derniers ordres et à 18 heures 55 prononce le traditionnel " laissez montez ", tandis qu'emportés par un coup de vent nous saluons la foule amassée sur le terrain. DARSONVAL, sans doute pour provoquer les nues, ouvre un parapluie laissé dans la nacelle.
Nous prenons la direction EST, le terrain de départ disparaît promptement à nos yeux, nous sommes à 300 puis à 600 mètres, il est 19 heures 10.
Un examen rapide de la nacelle nous fait compter 220 kgs de précieux sable. Lens est légèrement au sud, passons entre DOURGES et COURRIERES et de leurs nombreux corons, coupons le canal de la Haute-DEULE laissant OSTRICOURT au nord, nous sommes toujours dans le pays du charbon et les nuages sans doute pour se mettre à l'unisson sont de la même teinte.
Il est 19 heures 25, altitude 900 mètres, nous perdons le sol de vue pour entrer dans la crasse noire, la pluie accompagnée de grêle commence à jouer du tambour sur la peau du ballon et nous alourdit, ce qui oblige le pilote à sacrifier rapidement du lest pour faire le contrepoids , la descente est mieux qu'enrayée et à 19 heures 40 nous atteignons 1.700 mètres, très loin à l'ouest nous apercevons une éclaircie de soleil qui nous fait augurer d'une amélioration de l'atmosphère, mais les nuages sont de plus en plus denses et la pluie,qui s'était calmée, reprend bientôt, cette fois très fine.
A 19 heures 50, nous ne sommes plus qu'à 600 mètres et il fait déjà très sombre, nous reconnaissons la grosse agglomération de Valencienne au Nord, un jeu important de lest nous fait prendre de l'altitude afin de passer si possible au-dessus de la barrière de nuages pleins d'eau, nous atteignons 2.600 mètres et continuons à monter, à ce moment nous sommes aspirés par une dépression se formant au-dessus de la forêt de Mornal et avons une direction sud-est, les écluses célestes sont ouvertes brusquement et en quelques secondes nous dégringolons tout en recevant une douche d'importance; la nacelle est inondée à 2.000 mètres, que doivent en penser les habitants du quartier bas. (Troyes).
Pris dans la bourrasque et les remous, Darsonval sans arrêt balance par dessus bord le contenu des sacs, la pluie redouble de violence, nous nous protégeons tant bien que mal contre les cataractes qui descendent le long des suspentes pour venir choir sur nos occiputs, peine perdue, il en tombe trop, Darsonval ruisselle de toutes parts et le signataire de ces lignes est sensiblement dans la même situation. Nous aurions été bien inspirés de nous mettre en caleçon de bain : la nuit est complète, il est 20 heures 40, malgré les jets de lest nous sommes à 400 mètres, nous ne pourrons dans ces conditions tenir encore longtemps, et nous décidons qu'à la ^première occasion favorable nous atterrirons, pour l'instant nous sommes au-dessus de la forêt de Mormal dont la condensation nous a été fatale, notre ballon est repris par un courant direction nord-est qui nous engage dans la vallée de la Sambre, la pluie se calme " L'Aube " suinte de partout et automatiquement nous montons, à 20 heures 50 à 1.500 mètres, nous arrêtons le mouvement ascendant par un léger coup de soupape, apercevons, Hautmont et Maubeuge et survolons de nombreux bois un peu au sud de Jeumont, le terrain n'est pas encore propice pour nous poser, le pilote me donne les dernières instructions pour l'atterrissage auquel nous sommes contraints, le guiderope est déroulé, la tache sombre d'un bois se présente devant nous; nous l'escaladons, un village est tout près à droite, plus loin, sur notre direction, une petite plaine se devine, c'est là que nous allons reprendre contact avec le sol, un bon coup de soupape, la nacelle touche terre, traîne un instant, le ballon se redresse, un bon en hauteur de quelques mètres, revient à nouveau à terre, Darsonval logé dans les cordages est à la manœuvre, donc rien à craindre, il ouvre rapidement le panneau de déchirure, " L'Aube " agonise dans un champ de blé sous une dernière rafale de vent, où sommes-nous exactement ? peu nous importe ! pour l'instant, notre préocupation est de nous mettre au sec au plus vite, le " papa Léon " est frigorifié, nous avalons le restant de café chaud de notre thermos et en route pour le village voisin.
La pluie a cessé, du reste nous ne pourrions pas être plus trempés, nous rencontrons de braves gens venus à notre aide et qui s'offrent immédiatement à nous donner des effets secs et l'hospitalité, ce sont M. et Mme Colinet, retraité des Douanes Belges, nous ne saurions trop les remercier de leur empressement avec lequel il nous fut possible d'être au coin d'un bon feu moins d'une demie heure après notre arrivée.
Où étions-nous ? à Montigny-Saint-Christophe-Hainaut, à 100 kilomètres à vol d'oiseau de notre point de départ, nous avions donc navigué à une moyenne de 50 kilomètres à l'heure environ.
Mon baptême de l'air est déjà vieux mais je n'avais pas encore reçu les signes sensibles, c'est fait ! j'en remercie les cieux, mais moins d'abondance n'aurait pas été nuisible.
Le lendemain nous apprenions que les autres concurrents partis après nous avaient rencontré également des conditions atmosphériques très mauvaises, pluie, neige, ouragan, qui les avaient forcés à l'atterrissage.
Nous prenons rendez-vous pour l'an prochain, en souhaitant que le ciel se montre cette fois, moins prodigue d'arrosage.
René COUDROT
Trésorier de l'Aé. C. A.