Quel est le lien entre Genève, la statue de Rousseau (sur l’île Rousseau à Genève) et la sculpture Amazone qui orne l’entrée du Cirque d’Hiver à Paris ? La réponse est James Pradier (1790-1852), l’un des plus grands sculpteurs du XIXe s.
Jean-Jacques dit James Pradier est en effet né à Genève en 1790, dans l’hôtel L’Ecu de France que tenait son père, à l’emplacement de l’actuel grand magasin Globus. Ses parents étaient des protestants dont la famille, française, s’était réfugiée en Suisse après la Révocation de l’Édit de Nantes (1685). James Pradier a vécu à Genève jusqu’à l’âge de 17 ans et y a commencé ses études artistiques en 1804 à l’Ecole publique de dessin, l’ancêtre de la Haute École d'art et de design. Repéré en 1807 pour son talent, il part poursuivre ses études à Paris, à l’école des Beaux-Arts, que fréquente déjà son frère et où il enseignera plus tard. Représentant de la tradition néoclassique, Pradier devient l'un des plus importants sculpteurs du XIXe siècle en France. Il a notamment réalisé des sculptures pour l’Arc de Triomphe, la place de la Concorde, l’église de la Madeleine et on lui doit les Victoires entourant le tombeau de Napoléon aux Invalides (1843-1852). Une salle entière du Louvre est aujourd’hui consacrée à James Pradier. Devenu une célébrité, ami de Flaubert et de Victor Hugo, Pradier fréquente de nombreux salons parisiens, côtoyant ainsi tous les milieux artistiques et mondains.
Photo: James Pradier. Image S.H.P.F
Œuvres pour Genève
A Genève, sa ville natale pour laquelle il a un profond attachement et dans laquelle il est revenu à plusieurs reprises, James Pradier a réalisé en 1835 la statue de Jean-Jacques Rousseau, sur l’ïle Rousseau, qui est devenue l’une des images de Genève, ainsi que plusieurs bustes de personnalités parmi lesquelles le général Dufour, Augustin Pyrame de Candolle (dans le parc des Bastions), Sismondi et Charles Bonnet. Le Musée d’Art et d’Histoire de Genève possède une importante collection de sculptures de James Pradier. Une rue et un square de Genève, dans le quartier de la gare, portent son nom.
Ile Rousseau. Statue de J.-J. Rousseau par Pradier. Photo Ville de Genève
Amazone au Cirque d’Eté…
Parmi ses œuvres parisiennes, Pradier a réalisé l’Amazone, l’une des deux sculptures en fonte se trouvant à l’entrée du Cirque d’Hiver Bouglione, version légèrement modifiée de celle conçue en 1841 pour le Cirque d’Eté. En 1840-1841, quand l’architecte Jacques Ignace Hittorff est mandaté par le directeur de cirque Dejean pour construire un cirque en dur aux Champs-Elysées (à l’emplacement de l’actuel théâtre Ma-rigny), il confie la réalisation de plusieurs décors extérieurs à James Pradier. Celui-ci va ainsi réaliser (en fonte de fer) les groupes « Enfant domptant un tigre » (acrotère gauche du fronton), « Enfant domptant une panthère » (acrotère droit du fronton) et la statue équestre « Amazone » (sommet du fronton). Pour celle-ci, Pradier prend pour modèle la célèbre écuyère Antoinette Lejars. Le Cirque des Champs-Elysées, aussi appelé Cirque de l’Impératrice puis Cirque d’été, fut le premier de forme polygonale et devint le modèle de tous les cirques en dur (y compris celui qui sera érigé à Genève par Théodore Rancy en 1880). Cela n’empêcha toutefois pas sa démolition en 1899, en raison des travaux d’aménagement de l’exposition universelle de 1900.
Note: selon certaines sources, c'est Pradier qui se serait proposé pour réaliser à titre gracieux l'Amazone, en échange d'un accès illimité et gratuit au cirque pour lui et ses invités (Pradier assistait semble-t-il régulièrement à des spectacles de cirque). Pascal Jacob. Paris en pistes. Histoire du cirque parisien, Ouest-France, 2013, p. 43
… et au Cirque d’Hiver
Quand en 1851 Dejean obtient l’autorisation d’ériger un deuxième cirque, au centre de Paris (à l’époque, les Champs-Elysées se trouvaient en périphérie et étaient peu fréquentés durant la mauvaise saison), il en confie à nouveau la réalisation à Jacques Ignace Hittorf. Pour ce qui sera le Cirque d’Hiver, Hittorf fait en partie appel aux mêmes artistes que pour l’ornementation du Cirque d’Eté, allant jusqu’à reproduire l’Amazone de James Pradier, dans une version modifiée. Située à gauche de l’entrée du Cirque d’Hiver et faisant le pendant au Guerrier à cheval de Francisque Duret et Astyanax-Scévola Bosio (à droite), l’Amazone de Pradier est toujours visible aujourd’hui. Pradier quant à lui n’eut pas l’occasion de voir l’ensemble du bâtiment achevé : il est mort en juin 1852, alors que le Cirque d’Hiver fut inauguré le 11 décembre (les travaux avaient commencé le 15 avril). D’autres ornements du Cirque d’Hiver (frises) sont l’œuvre d’élèves de James Pradier : Eugène Guillaume et Eugène-Louis Lequesne.
Paris, Cirque d'Hiver. Les statues sculptées par Pradier (à g.) et Duret (à dr.). Photo F. Beuret, 2015
Paris, Cirque d'Hiver. L'Amazone de Pradier
Clin d’œil
Terminons par Genève avec ce clin d’œil du hasard aux liens de Pradier avec le cirque : en 1976, d’après la statue en terre cuite de la Bacchante couchée (1822-1823) de James Pradier conservée au Musée d'Art et d'Histoire de Genève, la ville de Genève a réalisé une fontaine en bronze à la Place du Cirque, soit en face de l’ancien emplacement du Cirque Rancy (le « Cirque d’Hiver » des Genevois), démoli en 1955.
François Beuret, 2015
Sources principales :
Lapaire, Claude. James Pradier (1790-1852) et la sculpture française de la génération romantique. Catalogue raisonné. Milan: 5 Continents; Lausanne: SIK-ISEA Antenne romande, 2010
Siler, Douglas, 2002. Textes de la journée consacrée à Pradier au Musée d’Art et d’Histoire de Genève pour le 150e anniversaire de la mort de James Pradier (2002). Forum Pradier [en ligne]. http://www.jamespradier.com/Texts/150e.php
Articles (en ligne) du Dictionnaire Historique de la Suisse (DHS) et de Wikipédia