Le cirque de Plainpalais

De 1857 à 1955, la Suisse a eu un cirque en dur, le seul du pays. Il se trouvait à Genève, à côté de la Plaine de Plainpalais où s'installent aujourd'hui encore les cirques de passage dans cette ville. Ce bâtiment appartenait à la famille Rancy, grand nom du cirque français. Retour sur un point important et méconnu de l'histoire du cirque en Suisse.

Le cirque Rancy

Théodore, le plus célèbre membre de la famille Rancy, est né en France en 1818 de parents danseurs de corde. A 17 ans, un peu naïf et rêvant d'indépendance, il quitte sa famille, pensant rencontrer le succès en indépendant. Mais les choses ne sont pas si simples et il est obligé pour survivre de s'engager dans diverses troupes qui ne le satisfont pas. Finalement, il s'engage comme professeur de gymnastique dans un collège. Là, suite à la demande d'un élève, il met en place un cours d'équitation, alors qu'il ne connaît rien à cette discipline (même s'il a toujours été attiré par les chevaux, il a seulement été palefrenier pendant quelque temps)! Après le succès de ses cours qu'il étend aux bourgeois, Théodore Rancy se perfectionne à Paris auprès d'un spécialiste. En 1846, il fait ses véritables débuts d'artiste en tant que dresseur et écuyer au cirque Bastien Franconi dont la tournée l'emmène à Genève, Lausanne, Berne et Bâle. Repéré par le directeur des théâtres impériaux de St-Pétersbourg, Rancy est engagé ensuite durant trois ans au cirque et dans les manèges du tsar Nicola Ier (au XIXe s., l'aristocratie a de l'admiration pour tout ce qui vient de France; on parle même français dans les salons russes). De retour en Europe avec l'honneur de son titre "d'écuyer de sa Majesté l'empereur de Russie", Théodore Rancy fonde son propre cirque en 1856. Mais les affaires sont difficiles jusqu'en 1862 où il réalise enfin son rêve d'un grand cirque avec 75 chevaux et 115 employés. En 1869, Théodore Rancy participe, avec tout son cirque, aux fêtes d'inauguration du Canal de Suez à Alexandrie!

Théodore Rancy. Jacques Garnier, Théodore Rancy

et son temps, 1818-1892, Orléans, Chez l'auteur, 1975

Du bois à la pierre: le Cirque de Plainpalais

Comme d'autres cirques du XIXe siècle, dans les grandes villes où il reste longtemps, le cirque Rancy fait construire par un charpentier un cirque en planches. Après le départ du cirque, il est vendu aux enchères, à charge pour l'acheteur de le démolir, le bois devenant sa propriété. On dit que durant sa carrière, Théodore Rancy en a fait édifier jusqu'à 200! Malgré cela, le Cirque de Genève n'est pas construit par Rancy: en effet, il rachète en 1865 un cirque en planches édifié à côté de la Plaine de Plainpalais par une famille genevoise, la famille Guichard, en 1857.

Au printemps 1876, Théodore Rancy inaugure à Genève un deuxième cirque, toujours en planches, à quelques mètres du premier, mais cette fois sur la Plaine de Plainpalais. Les archives ne nous indiquent pas pourquoi Rancy a gardé deux bâtiments dans la même ville ni comment il les a utilisés. Par contre, dans ses notes, Th. Rancy indique qu'il faisait chaque année de bonnes affaires à Genève. C'est pourquoi en 1880, il démolit ses deux cirques en planches pour les remplacer par un seul, mais en pierre, toujours au bout de la Plaine de Plainpalais, à la Place du Cirque. Au bâtiment principal étaient accolées des écuries, la spécialité du cirque Rancy étant le dressage de chevaux. Une annonce de 1876 mentionne que les spectateurs "des loges et des premières peuvent visiter les Ecuries-Jardin pendant l'entracte" et que le bâtiment comporte un Buffet confortable. L'architecture extérieure était très semblable au cirque Médrano de Paris, construit en 1875 et démoli en 1971.

La possession d'un cirque fixe à Genève et d'un autre à Lyon (où il passait la saison d'hiver) n'empêche pas Théodore Rancy d'effectuer des tournées. Pendant ce temps, il loue son cirque de Genève pour des concerts, des concours de masques lors de l'Escalade (le "carnaval des Genevois", commémoration de la résistance à l'attaque des Savoyards le 12 décembre 1602), etc. Le 28 février 1881, il accueille des lectures de textes de Victor Hugo à l'occasion des septante-neuf ans de l'écrivain.

Si les sources ne mentionnent pas la durée des séjours de Rancy à Genève, ceux-ci étaient suffisamment longs pour que sa fille Sabine suive l'école dans cette ville. A ce sujet, Th. Rancy raconte que les camarades d'école de Sabine venaient souvent assister aux représentations auxquelles participait la jeune fille de 8 ans durant les congés. Or, ses camarades ne songeaient plus qu'à imiter leur amie et, dissipées, passaient leur temps à bavarder, si bien que la directrice de l'école demanda à Rancy de supprimer les numéros de sa fille pour rétablir le calme en classe!

Une figure centrale: le cheval

A quoi ressemblaient les spectacles présentés par Rancy à Genève? Dans ses notes, Th. Rancy indique que les Genevois appréciaient les numéros d'ours et de singes mais qu'ils aimaient surtout les numéros comiques riches en allusions à des personnes connues. On peut donc imaginer que Th. Rancy essayait de satisfaire les goûts du public genevois. Puisque sa spécialité était le dressage de chevaux, cet animal occupait une grande place dans les programmes. Cela est confirmé par la liste des numéros présentés au Cirque de Plainpalais le samedi 29 juillet 1876:

haute-école par Alphonse Rancy [fils de Théodore] – exercices équestres par Justin Rancy [fils de Théodore] – clown (Little Wheal) – haute-école par Marius Vidal – dressage en liberté par Théodore Rancy – trapèze par les frères Amiram – voltige équestre – grande pantomime "Le monstre" avec ballet.

La présence d'une pantomime n'est pas surprenante car ce genre était à la mode à l'époque. On sait que Rancy a présenté à Genève d'autres pantomimes comme "la Fête chinoise" et "le Carnaval sur glace". Le cheval occupait également une grande place dans ces pantomimes.

On peut imaginer que Genève a connu des parades en ville, musique en tête, car c'est ce que Rancy faisait habituellement lorsqu'il arrivait dans une ville avec son cirque.

Fin d'une époque

Après la mort de Théodore Rancy en 1892, le Cirque de Genève est exploité par sa veuve Olive et son fils Alphonse. En 1897, il est démoli et reconstruit pour respecter les normes de sécurité. Plus tard, il sera transformé en cinéma (l'écran coupait la salle circulaire en deux) avant de connaître le même sort que beaucoup de cirques en dur: il fut démoli en 1955, à une époque où l'on ne parlait pas encore suffisamment de protection du patrimoine. Avec ce bâtiment, remplacé par un immeuble, ont disparu le seul cirque en dur de Suisse et le lien entre Genève et un grand personnage du cirque du XIXe s. La ville de Genève avait su reconnaître l'honneur de la présence de cet homme dans sa ville: elle a offert en 1876 la Coupe de la ville à Théodore Rancy lors d'une soirée de gala.

A noter encore que le cirque Rancy (direction Alphonse Rancy, fils de Théodore) a effectué une tournée dans le Jura bernois en 1929, et que Sacha et Gilbert Houcke étaient les arrière-petits-fils de Théodore Rancy.

François Beuret

Source:

Informations et photos: Jacques Garnier, Théodore Rancy et son temps, 1818-1892, Orléans, Chez l'auteur, 1975

Montage réalisé avec des photos du Centre d'Iconographie Genevoise (CIG)