La femme à barbe de Genève
Au XIXe s. et au début du XXe s., « l’exhibition » de curiosités de la nature était à la mode dans les foires et dans certains cirques dont le plus célèbre représentant était Barnum : nains, géants, siamois, femmes à barbe, etc. Parmi ces dernières, l’une des plus célèbres, Clofullia, était genevoise. Engagée par Barnum, elle était d’ailleurs connue également sous le titre de « The Bearded Lady of Geneva » (« La Femme à barbe de Genève »).
Joséphine Boisdechêne était née le 25 mars 1831 dans une famille d’agriculteurs à Versoix, village du canton de Genève, au bord du lac Léman. Dès sa naissance, la petite Joséphine était atteinte d’hirsutisme (présence d'une pilosité de type masculin dans des zones normalement glabres chez la femme tel quel le visage, due à un problème endocrinien ou génétique). Le bas de son visage était recouvert d’un duvet de poils qui devint une barbe (de 5 cm. à 8 ans, de 15 cm. à 16 ans).
Peu à peu, la nouvelle de l’existence d’une femme à barbe se répandit aux alentours de Versoix et sans doute au delà car M. Boisdechêne (devenu veuf entre temps) commença à recevoir des propositions d’entrepreneurs de spectacle désirant exhiber sa fille. M. Boisdechêne déclina pendant longtemps toute offre mais il devenait de plus en plus difficile pour lui de subvenir seul aux besoins de ses enfants. Ainsi, en 1849, alors que Joséphine avait 18 ans, finit-il par accepter l’offre d’un entrepreneur de spectacle lyonnais dont l’histoire n’a pas retenu le nom. Accompagnée de son père et de son agent, puis de son père seul, Joséphine se produisit alors en Suisse et en France, probablement dans des foires et fêtes foraines. En France, elle rencontra son futur mari, le peintre Fortune Clofullia qui les accompagna dès lors en tournée, profitant de vendre ses tableaux dans les endroits où sa femme se produisait.
A Paris, celle qui était maintenant Mme Clofullia rencontra le futur empereur Napoléon III qui lui offrit un diamant qu’elle porta dans sa barbe. Certaines sources mentionnent qu’en remerciement, elle tailla désormais sa barbe de la même façon que celle de Napoléon III, d’autres que c’est parce qu’elle l’avait coiffée ainsi qu’il lui offrit un diamant, flatté de cette imitation. La présentation des « phénomènes » (« Freaks »), notamment sur les photographies, faisait l’objet d’une mise en scène propre à chaque type de curiosité : en ce qui concerne les femmes à barbe, elles étaient généralement présentées dans un décor bourgeois, bien habillées et portant des bijoux. Ces éléments avaient pour but de relever leur féminité et de souligner le contraste avec cet attribut masculin qu’est la barbe.
En 1851, Clofullia se produisit à l’Exposition universelle de Londres, comme l’atteste une gravure éditée à cette occasion. Bientôt, sa renommée devint encore plus grande car elle mit au monde un fils, lui aussi « barbu » dès la naissance (alors que son premier enfant, une fille morte en bas âge, n’avait pas été atteint d’hirsutisme). Ceci attira l’attention du « spécialiste ès exhibitions » qu’était P. T. Barnum (1810-1891). En 1853, il les fit venir aux Etats-Unis où il présenta Clofullia et son fils Albert surnommé «le petit Esaü» dans son American Museum à New York aux côtés d’autres « phénomènes », puis en tournée à travers les Etats-Unis1.
The Bearded Lady of Geneva mourut en 1875, et ne fit donc pas partie des séjours du cirque Barnum à Genève (1875 et 1902).
François Beuret
Sources:
Ouvrage de Robert Bogdan, La fabrique des monstres. Les Etats-Unis et le Freak show, 1840-1940, Alma Editeurs, 2013 (un paragraphe p. 212 est consacré à Clofullia)
Photos:
On trouve plusieurs photos sur le site de la Syracuse University Library
1. Information connue grâce aux photographes qui l'ont prise en photo dans différentes villes des USA.