Le comédien et homme de cirque Jean Richard (1921-2001) a présenté les éléphants du cirque Knie lors d’un gala à Genève. C’était en 1956.
Le nom de Jean Richard est resté dans les mémoires d’une part pour avoir incarné à la télévision durant plus de 20 ans (1967 à 1990) le commissaire Maigret avec son inséparable pipe, d’autre part pour avoir été à la tête de l’un des plus grands cirques français, le cirque Pinder-Jean Richard. Mais en 1956, lorsque Jean Richard se produit à Genève, de cela, il n’en est pas encore question. Jean Richard a alors la trentaine et est plutôt connu du public pour des rôles au cinéma (notamment dans Belle mentalité (1952), où il tient le rôle principal, Le portrait de son père (1953), Les deux font la paire (1955), où il a pour partenaires Roger Pierre, Jean-Marc Thibault ou encore Brigitte Bardot) et comme artiste comique dans les cafés-théâtres et cabarets. Il y joue le rôle d’un campagnard naïf au parler fleurant bon le terroir, le « gars de Champignol ». En 1955, Jean Richard a été à l'affiche de l'Olympia durant deux semaines avec son spectacle comique. Du côté du cirque, dont il est passionné depuis l’enfance, sa passion pour les animaux et le dressage ont amené Jean Richard à ouvrir au public en 1955 le zoo privé qu’il s’est constitué peu à peu dans sa propriété d’Ermenonville (Oise). Sa passion l’a aussi conduit à nouer des contacts avec des grandes familles de cirque (Medrano, Gruss, Knie) qui lui permettent de faire ses premières expériences dans la piste : ainsi, du 25 novembre au 15 décembre 1955, sur proposition de Jérôme Medrano, Jean Richard présente les six éléphants asiatiques de Rolf Knie au cirque Medrano à Paris (cirque stable à Montmartre, détruit en 1973). Ce numéro, qui comprenait la traversée de l'éléphant Yama sur deux câbles, était normalement assuré pour cet engagement à Medrano par le dresseur de Knie Georges Rusza. Voir la vidéo "Jean Richard présente les éléphants de Knie". Il s'agit alors de l'une des toutes premières expériences en piste de Jean Richard.
A Genève
Le 21 septembre 1956, Jean Richard présente à nouveau les éléphants de Rolf Knie, cette fois sous le chapiteau du cirque Knie à Genève, lors d’une représentation de gala. Jean Richard y présente 7 éléphants d’Afrique. Durant la tournée 1956 en effet, Rolf Knie propose pour la première fois en Europe un numéro d’éléphants africains, réputés difficiles à dresser.
Dans son livre Ma vie sans filet (1984), Jean Richard décrit ainsi cette expérience : « Les frères Knie, intéressés par mes dispositions de dompteur, m'offrirent l'occasion de présenter à Genève, dans le cadre de galas pour la Croix-Rouge, un extraordinaire troupeau de sept éléphants d'Afrique. Le dressage que les Knie avaient réalisé était une véritable prouesse. Il faut savoir que si l'éléphant d'Asie peut être assimilé à un animal presque domestique, l'éléphant africain est un animal sauvage, difficile, rebelle au dressage. Mais je remarquai vite que les spectateurs, malgré des annonces répétées sur l'originalité du dressage, n'y voyaient qu'un numéro ordinaire, oubliant qu'il s'agissait d'une race d'éléphants encore jamais présentée sur une piste. Petit pincement de déception pour un nouveau dompteur... » Jean Richard, Ma vie sans filet, Robert Laffont, Paris, 1984, p. 236
Rolf Knie et ses éléphants africains en 1956
Dans ce gala au profit du comité de la poliomyélite et du comité « Bien des aveugles », Jean Richard, qui y est annoncé comme « le grand comique du cinéma français », n’était pas la seule « personnalité » : le Genevois Jo Johnny (1919-2012), chansonnier et comédien, pilier du Casino-Théâtre et de la Revue de Genève, présentait les chevaux de Frédy Knie senior, la chanteuse Lys Assia, lauréate quelques mois plus tôt pour la Suisse de la première édition de l’Eurovision de la chanson, interprétait quelques-uns de ses succès. La piste de sciure se transformait en plateau de danse pour Lucette Genet, danseuse au Grand Théâtre de Lyon (Opéra) et danseuse de revue notamment. Quant à Sacha Solnia, comédien genevois interprète du détective Picoche dans les pièces radiophoniques de Radio Genève (future Radio Suisse Romande), il tenait le rôle de conférencier, ce qui devait être l’équivalent d’un animateur-présentateur. Il n’existe malheureusement pas de compte-rendu de cette soirée dans la presse genevoise.
Journal de Genève, 20.09.1956
Du Moulin Rouge au cirque Knie
Jean Richard n’a pas fait le déplacement à Genève uniquement pour la soirée de gala au cirque Knie : faisant d’une pierre deux coups, il s’est produit ce même soir du 21 septembre 1956, ainsi que la veille, au cabaret du Moulin Rouge. Cet établissement étant situé au bord de la plaine de Plainpalais où séjournait le cirque Knie, il ne lui était alors pas difficile de quitter l’un des lieux de spectacle pour se produire dans l’autre : il suffisait de traverser la route… Jean Richard figure dans le programme du Moulin Rouge comme « comique français », aux côtés d’attractions diverses aux noms évocateurs : Sexy Show, Miss Sex Appeal, etc.
Le cirque Jean Richard
Ses premières expériences circassiennes confortèrent Jean Richard dans l’idée de poursuivre dans cette voie. En 1957, soit quelques mois après le gala au cirque Knie à Genève, il réalise son rêve de partir sur les routes avec un cirque portant son nom, en association avec la famille Gruss. Puis ce sera dans les années 70 l’aventure du cirque Pinder-Jean Richard, la plus grande entreprise de cirque en France à cette époque, où se produisent les meilleurs artistes. Jean Richard reçoit, en 1980, le Grand Prix national du cirque et est fait chevalier de la Légion d'honneur en 1995.
Jean Richard s’est toujours senti soutenu par la famille Knie, comme il l’écrit dans son livre : « Il m’est arrivé de douter. Dans ces moments-là, je partais pour la Suisse retrouver le Cirque national et les frères Knie. Un bain de chaleur humaine et d’amitié. D’instruction aussi. » (Ma vie sans filet, p. 270).
Projet de séjour du cirque Jean-Richard à Genève
La bonne entente entre le cirque Knie et le cirque Jean Richard faillit prendre fin en 1981 lorsque ce dernier projeta un séjour de 10 jours à Genève, au mois de juin. Le grand cirque français avait déjà obtenu l’aval des autorités communales genevoises mais le cirque Knie fit pression auprès de Jean Richard pour qu’il renonce à son projet. Dans un article de La Suisse du 24.01.1981 intitulé « Knie-Jean Richard : la guerre des cirques », Rolf Knie déclare : « nous avons fait comprendre à Jean Richard qu’il ne devait pas venir entraver notre tournée en Suisse, sinon nous cesserons toute collaboration avec lui » (les deux cirques s’échangeaient en effet parfois des numéros). L’intervention du cirque Knie, qui craignait que la venue du cirque Jean-Richard ne lui fasse ombrage pour son traditionnel séjour d’automne à Genève, semble avoir porté ses fruits car on ne trouve aucune mention dans la presse genevoise de juin 1981 d’un séjour du cirque Jean-Richard.
François Beuret, mars 2016, complété août 2019
Sources :
articles « Jean Richard » sur Wikipedia et Circopedia
article "Débuts de Jean Richard à Medrano" sur le site circus-parade.com (2016)
Journal de Genève en ligne
Jean Richard, Ma vie sans filet, Robert Laffont, Paris, 1984
article de La Suisse, 24.01.1981
Mémorial du Conseil municipal, séance du 01.04.1981
La veille du gala, Jean Richard avait eu l’honneur d’être accueilli sur le tarmac de l’aéroport de Cointrin par l’un des éléphants africains du cirque, comme le relate un article du Journal de Genève du 21.09.1956 : « Un éléphant du Cirque Knie accueille Jean Richard à Cointrin. Arrivé de Bruxelles par l’avion de la Sabena, Jean Richard a été accueilli à sa descente d’avion par l’éléphant Tombo (1400 kg.) du Cirque Knie. »
Photo: Musée du Dr. Alain Frère