Entre le 3 et le 20 décembre de l’an du Seigneur 415, Lucien, prêtre du diocèse de Jérusalem, en poste à Caphargamala – aujourd’hui Bet Gimal ou Jemmala eut trois apparitions successives de Gamaliel lui enjoignant de faire des recherches pour découvrir la sépulture où il était enterré, avec son fils Abibas mort prématurément, Nicodème, grand notable comme lui converti au Christ en secret mais surtout avec Étienne le Protomartyr dont
Lucien résista beaucoup intérieurement, mais il finit par en parler à l’évêque Jean de Jérusalem. L’évêque ordonna que l’on fouillât au lieu révélé dans le songe. Après quelques temps, la quadruple sépulture fut retrouvée.
Lieu de la sépulture originaire d'Étienne (hypothèse Struss, fouilles de Jiljel, Beit Jimal, 1999)
on a retrouve non loin de cette belle structure circulaire, transformée au fil des siècles en un pressoir, un linteau de porte présentant l'inscription DIAKONIKON STEPHANOU PROTOMARTYROS.
il avait pieusement recueilli les restes, après la lapidation.
invention des reliques de saint Etienne (Cluny, 13e s.)
Quinze siècles passèrent.
Une fois la Basilique relevée, les Frères Dominicains eurent à cœur d'y faire refleurir la dévotion pour saint Étienne, interrompue depuis le sac de l'édifice lors de l'invasion Perse.
Au bout de quelques années, ils recevaient d'insignes reliques du Protomartyr: vos dons permettront de leur rendre enfin un écrin digne d'elles.
A l’ouverture du cercueil d'Étienne, un parfum céleste se répandit et soixante-treize malades du village furent guéris. Ses reliques furent alors transférées dans la liesse jusqu’au Mont Sion…
Un demi-siècle plus tard, le 15 janvier 460, la puissante impératrice Eudocie fit la dédicace d’une nouvelle église dédiée au Protomartyr, qu’elle avait fait construire à l’emplacement de notre actuelle basilique, et où elle fut inhumée quelques mois après. La basilique fut par la suite ruinée, lors du sac de la ville par les Perses.
Homélie pour la Saint-Étienne, 2003
Pourquoi Étienne meurt-il aujourd’hui ?
Une plaisanterie ancienne, à l’École Biblique, dit que chez nous, « Noël n’est que la Vigile de la Saint-Étienne ». Chaque 26 décembre, en effet le premier martyr du Christ est solennellement célébré dans la Basilique que l’impératrice Eudocie fit bâtir pour abriter ses reliques.
Et depuis plus d’un siècle, le 26 décembre est jour de « Messe consulaire » à la Basilique Saint-Etienne de Jérusalem. Ce jour-là, laïc et républicain, catholique ou franc-maçon, le Consul général de France à Jérusalem, en uniforme d’apparat, le plus souvent accompagné de son épouse, est accueilli à l’entrée de l’atrium de l’édifice impérial par le Père prieur en grande cape noire, apportant le bénitier.
Conduit à une place d’honneur préparée pour lui devant le chœur, il y entend la sainte Messe au cours de laquelle il est honoré d’encensements juste après les clercs et a le privilège de baiser l’Évangile après sa proclamation. « La France protectrice des Lieux saints » demeure une réalité vivante en Terre sainte.
Monseigneur et mes Pères,
Monsieur le Consul général, Madame,
Frères et sœurs, chers amis,
Pourquoi Étienne meurt-il aujourd’hui ?
Pourquoi Étienne meurt-il, sinon parce qu’il a parlé ? C’est en « poussant des cris » pour le faire taire et « en se bouchant les oreilles » pour ne pas l’entendre qu’ils se sont précipités sur lui pour le lapider (Actes des Apôtres 7, 57). Qu’a-t-il donc dit ?
On trouve dans les Écritures l’ensemble de son discours tel que Luc a voulu nous le transmettre.
À ses interlocuteurs hostiles, Étienne a osé rappeler :
Qu’à leur commun père Abraham, « Dieu ne donna aucune propriété dans ce pays, pas même de quoi poser le pied, mais » avant tout une promesse (Actes 7, 5), subordonnant ainsi clairement leur réussite sur la Terre à leur fidélité au ciel.
Que Moïse, le fondateur du culte véritable rendu au Dieu vivant, avait été instruit « de toute la sagesse des Égyptiens » (Actes 7, 22), disqualifiant ainsi dès l’origine tout isolationnisme religieux.
Que leurs ancêtres au désert commencèrent déjà à désobéir à ce Moïse, au point de sombrer dans l’idolâtrie (Actes 7, 42 et 53) et que, contrairement à ce que leurs cérémonies grandioses pouvaient laisser imaginer, Dieu ne se laisse enfermer dans aucun Temple fait de mains d’homme (Actes 7, 48-49).
C’est dans les cœurs que Dieu veut habiter, en les ouvrant à ce qui est vrai, et beau, et juste et bien !
Voilà ce qu’Étienne a dit, et qui excite ses assassins. Étienne meurt parce qu’il a parlé.
Mais au fond, pourquoi a-t-il parlé ? Le psalmiste nous répond : « J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé ». C’est parce qu’il a cru qu’Étienne a parlé. Qu’a-t-il donc cru ?
Étienne a cru :
Que le Dieu d’Abraham et de Moïse, le Dieu des consciences s’est manifesté dans le Juste, Jésus de Nazareth que ses persécuteurs venaient de faire mourir (Actes 7, 52).
Contre toutes les conceptions humaines d’un Dieu qui serait « tout autre que l’homme » à la manière dont par exemple cette colonne-ci est autre que cette colonne-là, Etienne a cru que le vrai Dieu est autre autrement : tellement transcendant qu’il peut être plus nous-mêmes que nous-mêmes, assez divin pour aller jusqu’à se faire humain !
Au-delà des images trop humaines de l’Absolu, qui servent à dominer les autres sous prétexte que « le Nom est ineffable » ou que « Dieu est grand », Étienne a cru que Dieu exprime sa puissance avant tout par sa patience. Et même : par sa Passion, la douloureuse et victorieuse passion de son Fils unique. « Seigneur Jésus reçois mon esprit ! » Au moment de mourir, Étienne voit Jésus debout à la droite de Dieu, il proclame le Messie d’Israël et le Sauveur de l’humanité, mort en Croix par amour !
Amour : le grand mot est lâché : si Étienne a parlé, s’il a cru, frères et sœurs, c’est d’abord parce qu’il a aimé. Aujourd’hui, Étienne meurt d’amour.
D’amour pour ce Dieu si proche qu’il est né hier comme un petit d’homme : la naissance au ciel de saint Étienne, le premier martyr, répond à la naissance sur terre du Verbe de Dieu, premier-né avant toute créature !
Étienne meurt aussi d’amour pour les hommes, qu’il servait depuis que les apôtres lui avaient imposé les mains ; et à qui il offrait son seul trésor : leur Sauveur !
Il meurt enfin d’un amour inconditionnel. Étienne sous les pierres prie pour ses bourreaux comme Jésus sur la croix: « Seigneur ne leur impute pas ce péché » !
Étienne meurt donc pour avoir aimé, pour avoir cru, pour avoir parlé.
Frères et sœurs, cela eut lieu ici, à Jérusalem, il y a deux mille ans ! À Jérusalem, nous y sommes aussi ! Alors depuis son éternité bienheureuse, Étienne le protomartyr nous pose ce matin la seule vraie question. Ce n’est pas « pourquoi Étienne est-il mort hier ? » c’est : « pourquoi vivez-vous aujourd’hui ?»
Par votre baptême, vous avez été institués témoins de Jésus. Dans ce pays à ma suite, témoignez !
Croyez ! Croyez en Jésus, Verbe de Dieu, Dieu lui-même, venu dans la chair, qui est le fondement de toute paix ! Car seule la foi en un Dieu fait homme garantit le respect absolu de toute personne humaine, quels que soient son âge, sa condition, sa nation ou sa religion.
Parlez ! Par votre vie de tous les jours, à l’occasion dans une conversation, dites que Jésus est venu « proclamer la paix, pour vous qui étiez loin et pour ceux qui étaient proches ». Aujourd’hui plus que jamais, rappelez à Jérusalem que Jésus, des peuples divers, « n'en a fait qu'un, détruisant le mur qui les séparait, supprimant en sa chair la haine » (Épître aux Ephésiens 2, 14).
Aimez ! Commencez par respecter la personne même de vos contradicteurs et priez pour vos ennemis! Sachez leur parler, sachez les écouter et puis aussi vous taire. Vous êtes chargés de leur dire, pas de les faire croire. Le Dieu vivant et vrai n’est pas un Dieu à annexer, ni à imposer, il est un Dieu à partager…
Frères et sœurs, telle fut la foi d’Étienne aux premiers jours de l’Église.
Telle est notre foi aujourd’hui : aux lieux mêmes où des générations de chrétiens ont vénéré les reliques de saint Étienne.
26 décembre 2oo3
fr. Olivier-Thomas Venard OP