Fernando Aínsa, Brève introduction au monde austral (extrait)
Frontières, Lyon, PUL, 2003
Vers l’ouest, la terre est bonne, mais elle est entourée de fils barbelés et nous n’y avons pas accès. Cette terre appartient à don Miguel Irralde et à sa famille, et un chemin qui part de la route conduit à El Casco, la grande maison dans laquelle ils vivent.
Depuis notre plus jeune âge, nous savons qu’il y a quatre points cardinaux. Cependant, il nous est difficile de penser à l’est, même si c’est de ce côté de l’horizon que le soleil se lève chaque matin.
Diriger ses pas vers ce dernier point ? Nul ne s’y risque. Tout n’est que grandes dunes, étendues de sable, et plages désertes qui s’étendent sur des kilomètres, jusqu’à d’autres villages lointains où – d’après ce que racontent ceux qui s’y sont aventurés – il y a des palmiers.
Vers les quatre points cardinaux, des fils barbelés, la côte, une route, la lagune et les dunes délimitent notre bande et l’isolent sans lui laisser beaucoup d’espace pour respirer, bien que, aux dires de quelques-uns, grâce à ces barrières naturelles, c’est le reste du monde qui se sépare de nous, et non l’inverse.
Mais en réalité, si le monde est rempli de paysages et d’hommes différents – comme cela semble être le cas en réalité – il nous est plus facile de nous l’imaginer en le regardant depuis la mer.
La terre nous oblige à penser à ce que nous ne voulons pas, alors que l’eau nous permet de rêver à ce que nous souhaiterions.
Traduction : Sophie Gaillet
Soledad Cruz Guerra, Hamlet à la douane (extrait)
Frontières, Lyon, PUL, 2003
Voilà pourquoi les vieilles croyances sont de retour à Cuba. Tout allait bien. Tu suivais l’école jusqu’au diplôme universitaire, tu avais un travail, un médecin si tu tombais malade, une retraite pour tes vieux jours, et même un enterrement gratis quand tu mourais. Ce n’était pas parfait, mais tu avais cela. Et tu ne pensais pas à la démocratie, merde, parce que tu profitais de tous les droits que n’avaient pas tes parents. Au final, mes parents ont vécu dans une prétendue démocratie, ils n’ont pas pu étudier et deux de mes frères sont morts par manque de soins médicaux. Ce sont des vérités impossibles à cacher. Autre vérité: le peuple ne se contente pas d’un gouvernement qui les maintienne en vie (…).
Traduction : Mélanie Debiais-Thibaud