Y Dossiers - Le p'tit noir

Pour souffler un peu après leur dernière enquête, Meuledor invite Secoulit au restaurant.

À la terrasse d'un troqué parisien dans la rue de la butte aux cailles les deux partenaires dégustent un sandwich baguette au bouillon de poule. Ils sont assis face à face à une table de bistro dont la surface suffirait à peine, à une mouche pratiquant le patinage artistique, pour faire un double axel. 

Tout en mordant de tous ses chicots dans la masse spongieuse de son sandwich, Secoulit pelote l'entrejambe de Meuledor avec ses talons aiguille en le regardant d'un air lubrique.

Meuledor, qui apprécie grandement cette séance d'acupuncture, affiche un sourire béat d'une insondable niaiserie. Il redescend un instant de son nirvana pour laper sa tasse de café.

Soudain, une illumination le foudroie: Non seulement il se trouve dans un état d'excitation peu commun, mais de plus, le café est d'un noir insondable! Il ne peut même pas voir le morceau de sucre au fond de la tasse. Il en informe aussitôt sa partenaire Secoulit qui s'était glissée sous la table.

Se pourrait-il que ce breuvage nous cache quelque chose ? 

 Secoulit confirme que le café noir agit très puissamment sur le métabolisme humain. Elle connaît d'ailleurs un jeune noir de 24 ans que l'on ne peut raisonnablement taxer d'impuissant et qui agit très fortement sur son propre métabolisme, tous les jeudis de 14 à 21 heure.

Meuledor est parcouru par un frisson d'horreur en pensant à ces milliards d'humains qui boivent leur express tous les matins sans se rendre compte des conséquences. On est en train de modifier le métabolisme humain! Peut-être même que des êtres intelligents (pour le moment), sont contaminés au-delà de la galaxie.

Devant l'évidente urgence de la situation, Meuledor approfondit son analyse méthodique en se penchant sur sa tasse. Secoulit, quant à elle, se penche sur un jeune éphèbe qui vient de s'asseoir à une table voisine.

Les neurones de Meuledor fonctionnent à plein rendement pour aborder les questions philosophiques fondamentales :

Le café est-il noir partout ou seulement en surface ? Y a-t-il complot ?

À l'aide de deux cuillères, il essaie d'écarter la surface pour en voir le fond, mais le liquide se referme aussitôt. Il questionne Secoulit, assise sur les genoux de l'éphèbe. Elle lui explique alors que les molécules de café sont d'une extrême vélocité car, subissant elles-mêmes les effets qu'elles génèrent, leur métabolisme atomique est perturbé.

 

Mais Meuledor ne désarme pas. Pour avoir les molécules par surprise, et pour savoir ce qui se cache en dessous, il soulève vivement la surface du café à l'aide de la cuillère.

Des gouttes de café brûlant sont projetées sur un petit groupe de militants de Greenpeace prenant leur petit-déjeuner à une table voisine. Constatant la chute de gouttes brunes, ils regardent aussitôt le ciel couvert puis se lèvent précipitamment et courent vers le centre de décontamination le plus proche, afin de nettoyer ces gouttes de pluies acides.

Meuledor sait que le café est très fort. Il ne parviendra pas à le vaincre de cette manière. Il envisage de congeler le café pour ensuite aller regarder à l'intérieur du glaçon noir. Il hèle sa coéquipière pour obtenir son avis.

De la table voisine Secoulit, avec son esprit scientifique, lui rétorque que le café brûlant ne se laisse pas facilement congeler. Par contre, elle connaît un jeune Inuit de 22 ans qui est très long à dégeler.

Puis elle reprend aussitôt l'exploration du corps nu de l'éphèbe, allongé sur la table de bistro. Son intimité est préservée par un groupe d'une quinzaine d'hommes serviables faisant, autour du couple, une haie humaine impénétrable à la vue des passants.

Meuledor réfléchit intensément.

Secoulit halète fébrilement.

"Il faut observer le café de l'intérieur!" se dit Meuledor. Il se lève d'un bond et se précipite au comptoir du café pour commander une bassine de café brûlant et un masque de plongée. Par crainte, on le sert immédiatement. Il met le masque sur ses yeux et, sans hésiter, plonge la tête dans le liquide noir en ébullition pour en observer le fond. Trois minutes plus tard il remonte en surface, le visage brûlé au troisième degré. Les lèvres boursouflées, il murmure au serveur qui le fixe d'un air hagard.

"Bien fûr, ve n'y avais pas penfé! Fi la furface est noire, elle ne laiffe pas paffer la lumière et donc, ve ne peut rien woir!"

Il téléphone aussitôt à la société FBI pour demander à son chef Skipper de lui livrer du gros matériel pour sa prochaine expérience qui, n'en doutons pas, permettra de lever le voile noir de ce mystère.                 

                                                                                  

                                                                                        Fin de la 1ere partie.

Le p'tit noir (Suite)

"L'apocalypse"

Résumé de l'épisode précédent:

À l'occasion d'un déjeuner en tête-à-tête avec Secoulit, Meuledor découvre que le café, vendu impunément à la terrasse des troqués du monde entier (et peut être de la galaxie), modifie le métabolisme humain.

Meuledor entreprend aussitôt une série d'expérience pour répondre aux questions fondamentales:

- Le café est-il noir en dessous de sa surface ?

- Y a-t-il complot ?

Secoulit, quant à elle, est occupée à suspecter un jeune éphèbe nu sur une table de bistro.

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Meuledor rejoint Secoulit qu'il a laissé quelques minutes seule à la terrasse du café. Autour de la table de Secoulit, il y a maintenant une centaine d'hommes de tous âges dont les regards convergent vers le centre.

Ne pouvant accéder à la vue de sa partenaire, Meuledor la joint avec son téléphone portable. 

Entre deux râles, elle l'informe qu'elle est sur une grosse affaire à rebondissements multiples.

Meuledor est obligé d'interrompre la conversation car le matériel envoyé par son chef Skipper arrive dans un camion benne.

À l'aide d'une grue télescopique, le chauffeur décharge le matériel commandé par Meuledor au beau milieu de la chaussée. Il y a là, une piscine préformée de 10 mètres sur 15, du matériel de plongée et des projecteurs sous-marins.

Meuledor rejoint le patron du café pour lui demander de remplir la piscine de café bouillant. Aussitôt une armada de serveurs, fait la navette entre le bar et la piscine installée au milieu de la rue. Pour améliorer le rendement, des passants sont réquisitionnés et c'est bientôt une cohorte de plusieurs centaines de personnes qui se dirigent vers la piscine en tenant chacun une tasse de café brûlant.

Midi. Cette activité fébrile paralyse toute la rue et un concert de klaxons commence. Les badauds se regroupent autour de la piscine pendant que Meuledor enfile sa combinaison de plongée et ajuste ses bouteilles d'air. 

Les commentaires commencent à fuser. "Une expérience scientifique serait en cours pour lutter contre un danger qui menacerait le métabolisme humain. Le café en serait la cause !"

Tout à côté, la foule s'est agrandie autour de Secoulit et son éphèbe. Des barrières métalliques délimitent une zone circulaire de 50 mètres autour de la table de Secoulit. À l'entrée de cette zone protégée, un garçon de café vend des tickets qui permettent d'assister au spectacle.

12h14. Un mouvement de panique ne tarde pas à exploser. Dans les troqués voisins, plus personne ne commande de café. L'information se répand comme une traînée de poudre.

12h45. Dans tout Paris, plus personne ne consomme du café.

13h. On constate une forte baisse de productivité, due à la somnolence, dans tous les domaines d'activité. L'économie française est en danger.

15h12. Les travailleurs français émergent de leur sieste. La totalité des standards téléphonique de France sont saturés. Des manifestations s'organisent. Sur Internet, des forums internationaux (en langue française) sont mis sur pied.

15h58. Aux bourses de Paris, New York, Tokyo, Londre, Berlin, le cours du café s'écroule. 

16h. Armé d'une torche électrique étanche, Meuledor plonge dans la piscine de café brûlant pour voir si le café est noir en dessous de la surface.

16h01.Au-dessus de la foule entourant Secoulit, un chapiteau bariolé a été dressé. Des enseignes lumineuses au néon clignotent à l'entrée. Dans la rue, un studio de télévision mobile, armé d'antennes paraboliques, retransmet les investigations de Secoulit, via satellite, dans tous les pays du monde. À l'arrière du chapiteau, les visiteurs épuisés ressortent sur les genoux.

16h34. Tous les pays producteurs de café crient leur indignation face à la coalition mondiale qui met leur économie en péril. Cuba décrète l'état d'alerte maximum et lance un ultimatum aux pays capitalistes, rejoint aussitôt par le moyen-orient et ce qu'il reste de la Russie.

17h03. Meuledor ressort de la piscine de café. Pour lui, tout est clair, le café est noir, aussi bien dessus que dessous. Il n'a donc rien à cacher et le danger n'est pas important, tant que l'on ne dépasse pas les huit litres quotidiens. Par son portable, il informe Secoulit que l'affaire est classée.

Un garçon de café lui amène une note de 128 mètres de long correspondant aux 983 659 cafés qu'il a commandé.

21h03. Dans son appartement, Secoulit pianote sur le minitel rose.

21h16. Meuledor s'endort, heureux du travail accomplit.

21h17. En divers points du globe, des missiles nucléaires s'élancent dans les airs en direction des capitales ennemies.                                                                            

                                                                                                                    C'est la FIN

Texte : Skar. 

Illustrations : Nicolas Malherbe