FORT DE ROMAINVILLE
L'administration du Militärbefehlshaber in Frankreich (MBF, Commandement militaire allemand installé à Paris), en charge de la zone occupée, qui a pris possession du fort de Romainville(18), près de Paris, a décidé d'en faire un camp d'internement où les premiers détenus, généralement des étrangers, arrivent dès le 1er novembre 1940. Près de 7000 personnes y furent détenues avant d'être déportées ou exécutées.
À partir de mars 1942, sont internées à Romainville les personnes sous le coup d'une détention de sûreté (Sicherheitshaft). Cette détention s'applique aux personnes ayant commis ou préparé des actes dirigés contre le Reich, la Wehrmacht, l'ordre et la sécurité en France occupée, mais elle peut aussi être préventive.
D'août 1942 à octobre 1943, 209 otages choisis parmi les prisonniers juifs ou communistes y sont retenus avant d'être exécutés au mont Valérien. Quand la politique d'exécution des otages est abandonnée en 1943, le camp a été, avec Compiègne, un lieu de regroupement, en particulier de plus de 3000 femmes, avant la déportation vers les camps nazis.
L'entrée du Parti communiste dans la lutte armée contre l'occupant qui se manifeste par des attentats et des sabotages marque l'intensification d'une politique répressive des autorités allemandes, fondée sur la prise et l'exécution de personnes expiatoires(19) choisies parmi les détenus ; Il s'agit d'impressionner la population par des exécutions regroupées et massives(20).
Dans un courrier du 30 août(21), le Sturmbanfürher(22) BOEMELBURG(23) définit les différentes catégories de prisonniers parmi lesquels les prisonniers dits expiatoires (Sühneperson) :
La désignation des prisonniers expiatoires est faite par la section IV qui décide également de leur installation et de leur transfert à Romainville.
Le commandant du camp de Romainville et la section II/3 reçoivent une copie de la décision de transfert, dans laquelle il est expressément question des prisonniers expiatoires. Pour parler clairement on qualifie de prisonniers expiatoires les hommes qui sont désignés pour une exécution, suite à une mesure expiatoire.
Après un transfert d'un prisonnier expiatoire à Romainville, la section II/3 dispose de sa liberté d'action. La section est priée de faire part à la section IV de la liquidation du prisonnier expiatoire se trouvant à Romainville et qu'elle lui avait livré.
D'autre part, la section II/3 est priée de ne jamais remettre en liberté un PE se trouvant à Romainville, mais de rendre compte à la section IV qui a conduit le prisonnier à Romainville, si elle renonce à la personne en question.
Le 24 août 1942 René LE PAPE est transféré au fort de Romainville. Une fiche d'entrée(24), un document normalement utilisé pour les prisonniers de guerre, est établie. On n'y trouve ni le lieu, ni la date de l'arrestation, faite six mois plus tôt par la police française. L'auteur de la fiche est un Feldgendarm (FG), car le fort restait sous contrôle de la Werhmarcht, même si la sécurité du Reich (police SiPo/SD) y prend le pas sur l'armée régulière pour l'administration des prisonniers
Ces fiches, sans doute destinées aux prisonniers de guerre, sont manifestement détournées de leur usage initial (avec certainement une faute d'orthographe Gefangenname pour Gefangenhame ou Gefangennehmung). Le numéro d'enregistrement 763 se retrouve sur le registre manuscrit des internés.
Par contre le timbre humide apposé sur la fiche est rédigé en français.
Le 11 septembre, soit quelques jours avant l'ordre d'exécution de 116 otages, un document en allemand, en forme de réquisitoire(25), établit les raisons de la désignation de René LE PAPE comme personne expiatoire . En voici une traduction partielle :
Motif de la désignation comme personne expiatoire :
LE PAPE était déjà membre du syndicat communiste en 1936 et avait rejoint le PCF en 1935.
Au début de 1936, il a été, en raison de sa formation politique, nommé à la rédaction de l'Humanité et rétribué comme titulaire.
À l'Humanité, il était encharge des questions économiques et sociales, jusqu'à la dissolution du Parti.
Selon les enquêtes officielles et de son propre aveu, il était déjà, en novembre 1940, fonctionnaire pour les affaires syndicales à la direction illégale d'arrondissement de Tours.
Il a, jusqu'au moment de son arrestation dans la région de Tours, engagé dans les usines et les entreprises locales, des membres pour un syndicat communiste, et a, pour sa part, publié illégalement le journal syndical Le Métallurgiste
Lors de son arrestation, on a trouvé dans l'appartement de volumineux rapports de gestion du PCF illégal, à partir desquels ressortent ses fonctions de fonctionnaire(26) important du PCF illégal.
(18) Voir Les oubliés de Romainville : Un camp allemand en France (1940-1944) de Thomas FONTAINE aux Edition Tallandier, 2005, 144 p.
(19) Annie LAGARDE-FOUQUET (Voir en fin de document Remerciements) choisit de conserver la traduction française littérale du mot allemand Sühneperson : personne expiatoire, car les Allemands n'utilisent jamais le mot Geisel : otage. Plusieurs traductions récentes utilisent le terme victime expiatoire. Si le statut de victime est incontestable, cette traduction n'est pas correcte car elle ne rend pas compte de l'état d'esprit de l'époque.
(20) 98 personnes sont fusillées en octobre 1941 à Nantes, à Châteaubriant et à Souges, près de Bordeaux, 95 en décembre au mont Valérien
(21) L IV (Gestapo) - Note à l'attention de la section II/4 (BdS) - Objet extension du champ de compétence concernant le camp de sécurité de ROMAINVILLE
(22) Sturmbannführer était un grade paramilitaire du parti nazi, utilisé dans plusieurs organisations, telles que la SA, la SS, la NSKK et le NSFK
(23) Karl BOEMELBURG (1883-1946), chef de la Gestapo en France, mort dans un accident de voiture sans avoir été jugé, fut le chef de la Gestapo en France pendant la Seconde Guerre mondiale. Il avait autorité notamment sur la section IV J, chargée de la déportation des Juifs, dont Alois BRUNNER fut le responsable.
(24) Document communiqué par le Bureau des lieux de mémoire et des nécropoles Réf. 0548_PU3_1
(25) Document communiqué par le Bureau des lieux de mémoire et des nécropoles Réf. 0548_PU4_1 (non reproduit)
(26) En allemand Funcktionär - en français on parle de permanent