Lundi 4 Mai 2020 - Christophe Prudhomme est médecin au Samu 93
La France manque de médecins. Nous avons toujours dit que cette situation a été sciemment créée pour accélérer les restructurations et les fermetures de services. L’exemple des maternités de proximité est éclairant. Dans un premier temps, l’argument de leur fermeture était la sécurité ; puis, depuis quelques années, la justification est la pénurie médicale.
Pourtant, il existe des médecins en France qui sont appelés les praticiens à diplôme hors union européenne (Padhue). Pour les plus chanceux, ils exercent à l’hôpital dans des conditions révélées de manière brutale par le film Hippocrate et qui confinent à de l’esclavage. Mais pour d’autres, il n’existe aucune place et ils restent exclus de tout travail dans le système de santé. Une petite porte transitoire s’est ouverte avec la possibilité d’être employé comme aide-soignant, mais uniquement de manière transitoire pendant l’épidémie. La reconnaissance de leur diplôme constitue un véritable parcours du combattant, s’étalant souvent sur de nombreuses années. Sous couvert de vérification de leurs compétences, ils sont maintenus dans une situation de main-d’œuvre à bon marché dans les hôpitaux.
Les instances représentatives de la profession, notamment le Conseil de l’ordre des médecins, ne veulent pas voir arriver des praticiens qu’ils considèrent comme des concurrents potentiels. Leur logique est simple : tout ce qui est rare est cher. Je suis rare donc je suis cher et je peux facilement demander des dépassements d’honoraires. La crise actuelle révèle crûment cette situation. Nous manquons de médecins. Il y en a de présents sur le territoire, mais le choix a été fait de les laisser végéter dans des tâches subalternes. Il est urgent que, dans ce domaine, la politique change et que le bien collectif soit privilégié, et non les intérêts catégoriels de quelques-uns.
Lundi 4 Mai 2020 - Aurélien Soucheyre
Portrait. Première aide-soignante à avoir été élue députée, Caroline Fiat est retournée aider au CHU de Nancy, face au Covid-19, pendant un mois. Depuis 2017, l’élue France insoumise se bat contre la casse de l’hôpital public. Elle espère que les citoyens qui applaudissent aux fenêtres seront toujours là après la crise.
Elle ne voulait pas que ça se sache. La première aide-soignante à avoir été élue députée est retournée à l’hôpital pendant un mois pour prêter main-forte face au Covid-19. « Je ne souhaitais pas en parler. D’abord, parce que c’est normal : quand on est soignant, on le reste à vie. Ensuite, parce que ce ne sont pas les parlementaires qu’il faut mettre en lumière, mais ceux qui soignent tous les jours pour un salaire de misère et ont redoublé d’efforts face au coronavirus », insiste l’insoumise Caroline Fiat. Oui, mais voilà, le préfet de Meurthe-et-Moselle était tout content que deux élues de son département, dont la sénatrice radicale Véronique Guillotin, remettent la blouse. Alors il l’a annoncé.
Une parlementaire qui ne lâche rien
« Du coup, j’accepte de témoigner, et de porter un peu la voix des soignants dans la période », mesure la députée. Elle n’a jamais cessé de le faire depuis son élection. Dès juillet 2017, elle tonne dans l’hémicycle pour alerter sur la situation intenable dans l’hôpital public. Elle prend à témoin le gouvernement, lutte contre chaque coupe dans le budget de la Sécurité sociale, et mène une mission parlementaire qui appelle à un plan massif pour changer la donne dans les Ehpad. Un combat permanent. « J’ai prêché dans le désert. Ils n’ont jamais écouté. Mais ils savaient. Toutes les vidéos de mes interventions ressortent aujourd’hui, et ça me rend d’autant plus furieuse. J’ai hâte de recroiser Édouard Philippe qui a dit que la France n’a pas pris de retard contre le coronavirus. Eh ben si, chéri, t’as pris du retard. Quand on délocalise la production sanitaire, quand on maltraite les stocks, quand on a une situation de crise à l’hôpital, faut pas sortir de l’ENA pour savoir que ça va être très tendu avec une épidémie », dénonce-t-elle.
Prête à affronter une deuxième vague
Puis elle félicite les personnels. « Tout tient grâce à eux, à leur dévouement et leur professionnalisme, malgré les manques. Ils ont monté les lits à une vitesse prodigieuse, alors qu’ils sont en lutte depuis un an contre la casse de l’hôpital public. Le gouvernement peut se gargariser, mais ce sont les petites mains qui ont tout fait », rappelle celle qui vient de passer un mois au CHU de Nancy, en service réanimation Covid-19. « Les collègues ont été super, ils ont mis de côté le fait que j’étais députée, et ils m’ont appris tout ce que je ne savais pas. Pour le reste, c’est comme le vélo. S’il y a besoin de moi pour un deuxième vague, j’y retourne. » Et tant pis si cela fait beaucoup d’être députée en même temps. « Je ne suis pas magicienne ! Mon groupe m’a beaucoup soutenue. Sandrine, Grégory et Fabien, les collaborateurs qui travaillent avec moi, ont vraiment assuré. Quand je dormais un peu et qu’il y avait urgence, ils se disaient ‘‘que ferait Caro ?’’, et comme on se connaît bien, ça a roulé. »
Pour une union nationale, mais en actes
Rarement applaudie par les députés LaREM dans l’hémicycle – qui ont snobé la minute de silence qu’elle avait demandé pour une infirmière poignardée dans un hôpital psychiatrique –, Caroline Fiat l’est tous les soirs à 20 heures, depuis les fenêtres. « Ça fait chaud au cœur pour les soignants. Mais j’espère qu’une fois la crise passée, les Français seront toujours avec nous, et qu’ils viendront manifester pour l’hôpital. » Car il ne faudra rien lâcher devant Macron. « Je l’ai entendu citer le programme du Conseil national de la Résistance. Mais moi, je veux des actes. Les belles paroles, ça va ! Le président ou le ministre de la Santé, Olivier Véran, cela fait des lustres qu’ils ont mon portable et qu’ils savent ce que je propose. Je n’attends plus rien d’eux. L’union nationale, je suis pour, mais celle qu’ils proposent, c’est qu’on les admire aller droit dans le mur, donc non merci ! »
« Nous sommes des soignants, pas des commerçants »
Caroline Fiat défend un tout autre système de santé que celui prôné par l’exécutif. L’ancienne aide-soignante en Ehpad, qui s’est fait « jeter » par le groupe Korian, récuse formellement le terme de « clients » pour les malades. « Ce sont des patients, un point c’est tout. Et nous sommes des soignants, pas des commerçants. Tant qu’un gouvernement voudra transformer le soin en marchandise, il continuera de fermer des lits, de massacrer l’hôpital, d’augmenter la maltraitance et la souffrance au travail. Ils regardent tellement la calculette qu’ils ne savent plus gérer. Quand on a une pièce à changer dans une voiture, on le fait de suite, on n’attend pas que tout brûle, car ça coûte plus cher », accuse-t-elle.
Un mandat passionnant... et frustant
L’élue, qui ne ménage pas les députés médecins de la majorité qui connaissent les conséquences de leurs votes, ne comprend pas leur aveuglement. « Je ne sais pas pourquoi ils n’écoutent pas. Parce que je suis aide-soignante ? Parce que je suis insoumise ? C’est vrai qu’être la première députée aide-soignante met une grosse pression. J’ai sans cesse envie de démontrer que ce n’est pas une faiblesse, mais un atout. Le mandat est passionnant, et frustrant. Sans doute parce que je suis du côté des ‘‘Gaulois réfractaires’’, des ‘‘fainéants’’, et de ceux qui font vraiment tourner le pays. Mais ce n’est pas fini ! », lance-t-elle.
Jeudi 30 Avril 2020 - Collectif
Plus de 330 infirmier.e.s, aide-soignant.e.s, médecins, psychologues, etc. invitent à construire un mouvement populaire pour faire advenir un « monde d'après » plus juste, sans attendre un « après-crise ».
Nous sommes des soignant.e.s et professionnel.le.s de la santé d’horizons divers. Bouleversé.e.s et en colère, nous décidons de nous lever et de crier haut et fort « Bas les masques ! » Nous disons stop aux mensonges, à l’hypocrisie et au cynisme du gouvernement !
Nous lançons un appel à tous nos collègues professionnel.le.s de santé et du médico-social qui partent travailler la boule au ventre.
Un appel aux « travailleurs et travailleuses essentiel.le.s », aux « premier.e.s de corvée », qui sont exposé.e.s pour faire tourner la machine.
Un appel à toutes les personnes qui n’en peuvent plus de cette gestion de crise calamiteuse, de ce qu’elles endurent depuis des années, d’un système économique, politique et social désastreux.
Retrouvons-nous dès maintenant pour construire un mouvement populaire. Partout, nous devons nous organiser sans attendre un « après-crise » illusoire. Sans cela, les perspectives sont sombres.
L’endettement des États aujourd’hui servira de justification aux politiques d’austérité de demain. Ces mêmes politiques qui ont déjà broyé nos services publics et nos systèmes de santé, d’éducation et de justice. Au prétexte de l’état d’urgence sanitaire, des mesures seront mises en œuvre au service de la surveillance généralisée, du tout sécuritaire faisant infuser dans les esprits la peur, le repli et la stigmatisation.
Alors construisons ensemble dès aujourd’hui des lendemains heureux. L’avenir sera ce que nous déciderons d’en faire ! Le « monde d’après », nous le voulons juste, centré sur l’intérêt du plus grand nombre et non sur la recherche du profit au bénéfice de quelques-uns.
Face à la crise actuelle, nos objectifs prioritaires sont clairs :
Les actions que nous proposons, pour le moment, sont simples :
Sortons de l’isolement et retrouvons-nous (sur les réseaux sociaux dans un premier temps). Partageons nos témoignages, nos idées, nos actions. Organisons-nous pour construire un grand mouvement populaire !
« Bas les masques ! » n’est affilié à aucun parti, aucun syndicat, aucune organisation préexistante. Ça n’est pas un collectif figé et délimité, mais une initiative plurielle ouverte à tous et toutes. N’hésitez pas à la diffuser partout autour de vous !
Jeudi 2 Avril 2020 - Stéphane Guérard
Entretien. Professeur de médecine à la Pitié-Salpêtrière et cofondateur du Collectif inter-hôpitaux, André Grimaldi décrit l’idéologie qui a mis à genoux l’hôpital public. Et énumère toutes les alertes qui ont été ignorées...
Mardi, Emmanuel Macron a plaidé pour un « principe de justice à l’égard de tous les choix passés ». Comme le président, diriez-vous que l’épidémie à laquelle nous faisons face était imprévisible et que ces choix ne peuvent pas être questionnés ?
André Grimaldi. On ne pouvait effectivement pas prévoir ce coronavirus. Mais la survenue d’une épidémie était, elle, envisageable et envisagée depuis longtemps par de nombreux infectiologues et médecins. Des plans ont même été bâtis ces dernières décennies. La preuve : la France s’était dotée de centaines de millions de masques pour faire face au virus H1N1, en 2009. Dire qu’il nous était impossible de prévoir un certain nombre de mesures est donc faux. Le véritable problème, c’est que l’on a affaibli notre système de santé jusqu’à nous démunir face à une éventuelle pandémie.
Qui sont les responsables de cet affaiblissement ?
André Grimaldi. Cette inflexion politique remonte à la fin du XX e siècle, quand, à l’échelle mondiale et au sein de l’Organisation mondiale du commerce, s’est instillée l’idée que, si la santé relevait bien des compétences des États, son mode de gestion devait rejoindre celui des entreprises. Cette idéologie a été ensuite partagée, à droite comme à gauche. L’hôpital public s’est retrouvé à suivre le modèle commercial des cliniques privées, qui ne relèvent pas du service public et cherchent les activités les plus rentables, en travaillant à flux tendu. C’est tellement vrai que, en 2009, la loi Bachelot, qui met en place la gouvernance d’entreprise dans les hôpitaux, adopte la terminologie du commerce. On parle désormais de conseil de surveillance, de directoire… Le directeur n’est plus un médecin mais peut venir de n’importe quel secteur privé. Pour cette idéologie, les lits, les stocks de matériel…, c’est de l’argent perdu. On est passé d’un « hôpital de stocks » à un « hôpital de flux ».
Des inflexions sont-elles intervenues depuis dix ans ?
André Grimaldi. Après la crise de 2008, les déficits des banques sont devenus ceux des États. Il fallait donc assainir les dettes publiques. L’État ayant plus la main sur l’hôpital public que sur la médecine libérale de ville, les majorités successives, sous Sarkozy comme sous Hollande, ont contraint le budget du public, en diminuant les remboursements de la Sécurité sociale. Quelque 800 millions d’euros d’économies ont été demandés aux hôpitaux chaque année. Au début, cela s’est traduit par des réorganisations. À la fin, par la diminution du nombre de lits et de personnels. Le modèle, c’est celui de la médecine industrielle. Les activités programmées, standardisées et techniques sont payées à l’acte. Cela fonctionne très bien pour la prise en charge en ambulatoire de la cataracte, de la coloscopie, de la pose de pacemaker ou de prothèse de hanche. Autant d’actes normés, standardisés et chiffrés. Ce modèle convient parfaitement aux cliniques privées qui cherchent la rentabilité. Mais pas à l’hôpital public.
Y a-t-il eu des symptômes avant-coureurs de la crise actuelle ?
André Grimaldi. Bien sûr. Avant le coronavirus, l’hôpital public a dû faire face à plusieurs phénomènes de saturation. La première a trait à l’explosion du nombre de consultations sans rendez-vous aux urgences. Résultat : des patients qui se retrouvent pendant des heures dans des couloirs sur des brancards, parce qu’il n’y a plus de lits ni de personnels suffisants pour prendre les en charge. Ce phénomène a culminé à l’automne dernier avec l’épidémie de bronchiolite. Un phénomène pourtant attendu et programmé chaque année. Mais, pour la première fois, faute de lits et de personnels, une quarantaine d’enfants ont dû être transférés des hôpitaux parisiens vers des établissements à 200 kilomètres de là (lire notre édition du 13 décembre). La bronchiolite 2019 n’était pourtant pas plus grave que celle des années précédentes. Mais les services ont été débordés. Or nous sommes au cœur des missions de l’hôpital : la réanimation et la pédiatrie. Cette situation a conforté la colère et les revendications au sein des établissements. Comme ses prédécesseurs, la ministre de l’époque, Agnès Buzyn, a répondu par un sparadrap : l’octroi d’une prime pour les infirmières de l’AP-HP… Et, en même temps, elle faisait voter un budget de la Sécurité sociale prévoyant de nouvelles économies.
Y a-t-il eu d’autres alertes ?
André Grimaldi. Oui, avec une autre épidémie, qui démontre que notre système est totalement inadapté. Une épidémie qui tue lentement, sans bruit : les maladies chroniques. Vingt millions de Français sont touchés. Le modèle industriel de la médecine programmée et standardisée ne marche pas pour ces maladies car elles demandent une prise en charge globale, sur le temps long. Le plan santé 2022 présenté l’été dernier était censé mieux organiser la prise en charge de ces pathologies grâce à la médecine de ville et à l’hôpital-entreprise. Mais ni l’une ni l’autre ne peut faire face. Aujourd’hui, en guise de « rupture », on parle d’un service hospitalier qui comprendrait non plus seulement les établissements publics, mais aussi les hôpitaux privés lucratifs et non lucratifs. On mélangerait ainsi les personnels de ces établissements, qui relèvent du droit privé, avec ceux de la fonction publique… Les propos récents du premier ministre sur la fin du statut des agents des hôpitaux publics résonnent encore plus fort aujourd’hui. Il s’agit là que d’une évolution de l’idéologie à l’œuvre ces trente dernières années.
Jeudi 2 Avril 2020 - Diego Chauvet
Les parlementaires communistes ont pu dresser un constat alarmant, mis en exergue par la pandémie du coronavirus, et élaborer une proposition de loi pour y remédier.
Depuis février 2018, les parlementaires communistes, députés et sénateurs, effectuent un tour de France des hôpitaux. En deux ans, ils ont pu visiter et rencontrer les personnels de quelque 150 établissements publics dans le pays. Ce qu’ils y ont entendu, ce qu’ils ont pu constater, prend une résonance toute particulière, alors que vient d’éclater une crise sanitaire historique. « Avant de commencer ce tour de France, nous avions effectué des visites dans nos départements respectifs, explique la présidente de la commission des Affaires sociales du Sénat, Laurence Cohen. Ce que nous avons constaté ensuite n’a fait que confirmer au plan national les situations locales. » Selon la parlementaire communiste, les soignants, et tout particulièrement les urgentistes, « tiraient la sonnette d’alarme ». « Ils nous expliquaient clairement qu’en cas d’épidémie de grippe plus importante ou d’épisodes de canicule, ils n’avaient plus les moyens de faire face. Ils nous répétaient tous qu’ils n’étaient plus assez nombreux, et qu’il n’y avait plus assez de lits. »
« On a cassé l’outil pour des considérations comptables »
Ce tour de France des hôpitaux a confirmé également que cette situation alarmante est bien le produit des politiques menées. « La gestion actuelle par Emmanuel Macron est en cause, mais le problème remonte bien plus loin dans le temps, assure Laurence Cohen. C’est le résultat de choix politiques continus depuis trente ans. » Des décisions qui sont toutes allées dans la même direction : « Réduire le nombre de lits, le nombre de personnels. Au lieu de partir des besoins de la population, on a cassé l’outil pour des considérations comptables, dénonce la sénatrice. Par exemple, lorsque l’on constate un manque de médecins, on “fédère les moyens”. Ce qui signifie que l’on éloigne les hôpitaux des populations qui en ont besoin, et par la même occasion, on multiplie les déserts médicaux. » Lors de leur tour de France, les parlementaires n’ont pas seulement rencontré les personnels soignants. « Nous avons eu également des entretiens avec les directions d’hôpitaux. Et au bout d’un moment, 90 % de ceux que nous avons rencontrés ont fini par nous exposer les problèmes. » Impossible pour les dirigeants de structures hospitalières de maintenir leur réserve… Laurence Cohen dénonce à partir de ces constats, les politiques conduites lors des quinquennats précédents : celle de Marisol Touraine comme celle de Roselyne Bachelot. La « réhabilitation » dont cette dernière bénéficie, à propos des commandes de vaccins contre la grippe A en 2009, ne doit pas faire oublier la loi à son nom, qui a créé des groupements hospitaliers sur les territoires, au détriment des hôpitaux publics de proximité.
Grâce à leur tournée, les parlementaires communistes ont préparé un projet de loi, « plus que jamais valable ». Ils proposent 100 000 créations de postes dans les hôpitaux publics, et 300 000 sur trois ans dans les Ehpad. « Nous avons remis cette proposition de loi à Agnès Buzyn, en mains propres, dit Laurence Cohen. Nous y faisons des propositions sur tout ce qui est mis en exergue par la crise du Covid-19 , y compris sur la question de la pénurie des médicaments. » Les déclarations d’intention du président ne rassurent pas l’élue. La note de la Caisse des dépôts et consignations, datée du 26 mars, sur un plan pour l’hôpital public, révélée le 1er avril par Mediapart, n’incite pas à l’optimisme : son orientation semble clairement néolibérale.
Mercredi 1 Avril 2020 - Rosa Moussaoui
« En Lombardie, des signaux d’alerte ont été délibérément ignorés », témoigne d’Italie le Dr Giorgio Binda, médecin libéral à Chiasso.
« À 5 kilomètres de Côme et 40 kilomètres de Milan, nous faisons face ici à une situation critique. Les patients atteints du Covid-19 défilent chaque jour dans mon cabinet. En Lombardie, la situation a d’abord été sous-évaluée, banalisée, nous en payons les conséquences aujourd’hui, avec une propagation fulgurante du coronavirus.
Pourtant, dès le début du mois de janvier, il y avait des signaux d’alerte, avec la multiplication de cas très suspects de pneumonie grave, surtout à Bergame. Malgré les premiers tests positifs, en février, les autorités et même certaines directions d’hôpitaux ont continué à délivrer des messages rassurants. Nous avons perdu un temps très précieux, nous avons laissé l’épidémie s’ancrer, prendre de la force. L’argument économique a pesé lourd dans ces choix, il y a eu des pressions, avec des pouvoirs économiques qui exhortaient à continuer le travail, les affaires, à mener une vie normale. Mais il n’y a pas d’équilibre possible ici : la priorité, ça ne peut pas être le sauvetage de l’économie. Le premier critère d’évaluation, c’est la santé. En Europe, c’est maintenant la loi du chacun pour soi qui règne et c’est hélas cohérent avec toute l’histoire de cette Union européenne. Ce test est décisif : si l’UE ne nous aide pas à affronter cette crise sanitaire, elle aura perdu tout sens, toute raison d’exister. Oui, c’est une guerre. Elle sera longue et terriblement éprouvante, nous devons y jeter toutes nos forces. »
Jeudi 26 Mars 2020 - Lina Sankari
[Mise à jour le 29 mars 2020] Les soignants de la Grande Île se portent au chevet de 38 pays du monde en lutte contre le Covid-19. En Italie, leur expertise dans la gestion des crises d'épidémie sanitaire est engagée dans le combat depuis plusieurs jours. La France a à son tour donné son accord dans un décret à paraître sous peu afin que la Martinique, la Guadeloupe, et plus généralement l’Outre-mer, accueillent les médecins caribéens. Le département d’État américain relance sa critique du programme cubain.
On était plus habitué à les voir se déployer dans des pays en développement. Ils ont débarqué, le 22 mars, sur le tarmac de l’aéroport de Milan en blouse blanche, le visage dissimulé par un masque sanitaire, mais avec force drapeaux cubains et italiens, en symbole de la coopération. À la demande de la Lombardie où le Coronavirus a déjà fait plus de morts que dans l’ensemble de la Chine, 37 médecins cubains, parmi lesquels des généralistes, des pneumologues, des spécialistes des maladies infectieuses et des soins intensifs, ainsi que 15 infirmiers sont arrivés en renfort des équipes médicales locales. « (Notre) patrie est l’humanité et nous allons donc là où il faut aller : notre formation médicale n’est pas seulement scientifique mais liée à l’humanisme », a expliqué le docteur Carlos Ricardo Perez Diaz, directeur de l’hôpital Joaquin-Albarran de La Havane. Comme dans les 37 pays où ils sont déployés pour lutter contre le coronavirus, les médecins arrivés en Italie ont une expérience dans l’urgence sanitaire, dont celle du traitement du virus Ebola, en 2014. Une expertise qui a aussi conduit une quarantaine de députés français de tout bord à écrire au Premier ministre pour demander leur aide. La France ayant donné son accord dans un décret à paraître sous peu, la Martinique, la Guadeloupe, et plus généralement l’Outre-mer, accueilleront à leur tour les médecins cubains. « Cuba a valeur d’exemple, avec quelques 150 hôpitaux, plus de 95 000 médecins actifs et plus de 85 000 infirmiers. Les cubains ont développé des polycliniques...En fait, à Cuba, la santé est une culture au même titre que l’éducation et c’est gratuit pour tout le monde », a fait valoir Michel Nédan, président de l’Association Martinique-Cuba.
Une molécule qui s’exporte
La Grande Île avait déjà fait parlé d’elle en début d’épidémie. Depuis 2003, la Chine bénéficie en effet d’un transfert de technologie pour l’interféron alfa 2b, un antiviral produit par l’entreprise cubano-chinoise ChangHeber. Le médicament avait été utilisé contre des virus présentant des caractéristiques similaires à celles du Covid-19. Selon la revue Prescrire, la molécule, qui dope le système immunitaire, est toutefois lourde d’effets secondaires qui ne peuvent être supportés par tous les patients (dépression, comportements suicidaires…). Elle permet cependant de limiter les complications et la multiplication des symptômes. En Chine, l’interféron alfa 2b a été administré à 1 500 patients qui, depuis, ont guéri. Une quinzaine de pays ont en outre demandé à Cuba le droit d’utiliser le médicament. Le développement de l’interféron alfa 2b illustre le degré d’avancement de l’industrie biotechnologique cubaine, malgré le blocus états-unien.
Des médicaments abordables
Lorsque les barbudos font leur entrée à La Havane, en 1959, la moitié des 6 000 médecins cubains quittent le pays, exposant dangereusement la population. La santé est érigée en priorité, avec la nationalisation des entreprises pharmaceutiques. En 1981, le plan Frente biologico (« front biologique ») débouche sur la création du Centre de génie génétique et de biotechnologie, qui produit des médicaments abordables pour le marché intérieur et une cinquantaine de pays : 569 des 857 produits figurant sur la liste cubaine des médicaments sont ainsi fabriqués dans le pays. Depuis 1999, l’École latino-américaine de médecine a formé annuellement des milliers d’étudiants de 24 pays d’Amérique latine. Quatre cent mille travailleurs de la santé ont en outre participé à des missions dans 164 pays, notamment en Ukraine en 1986, après l’accident de Tchernobyl, où 26 000 mille personnes, dont une majorité d’enfants, ont été traitées. En 2018, l’exportation de services médicaux rapportait 6,3 milliards de dollars et a confirmé son rôle de moteur de l’économie cubaine. La somme est réinjectée dans le système de santé publique, gratuit pour tous, comme le stipule la Constitution.
Une campagne virulente de Washington
L’arrivée au pouvoir de gouvernements ultraconservateurs sur le continent américain a depuis forcé 9 000 médecins à quitter, entre autres, le Brésil de Bolsonaro et la Bolivie de la présidente autoproclamée Jeanine Anez, fermant les yeux sur l’amélioration des indicateurs sanitaires. Washington déploie depuis des années une campagne virulente contre Cuba, dont les médecins ne seraient qu’une « main-d’œuvre esclave » servant de relais de propagande. Des critiques relancées ces derniers jours par le département d’État américain auxquelles s’est empressé de répondre le directeur adjoint de la communication de la diplomatie cubaine Juan Antonio Fernandez : « La pandémie nous menace tous. C’est le moment de pratiquer la solidarité et de venir en aide à ceux qui en ont besoin ». Qui plus est, le médecin travaillant à l’étranger obtient « des bénéfices supérieurs à ceux qu’il peut obtenir à Cuba », contrecarre le docteur Michael Cabrera, sous-directeur de l’Unité centrale de coopération médicale, notant que les soignants signent un contrat, perçoivent 300 à 900 dollars par mois pour les besoins de base en plus de leur salaire. La chercheuse américaine Julie Feinsilver mesure la contribution des soignants cubains : en 2010, ils avaient prescrit un traitement à plus de 85 millions de patients, réalisé plus de 2,2 millions opérations, et multivacciné plus de 9,2 millions de personnes. « Notre pays ne largue pas de bombes sur d’autres peuples. Les dizaines de milliers de scientifiques et de médecins de notre pays sont là pour sauver les vies », rétorquait en son temps Fidel Castro.
Mercredi 15 Janvier 2020 - Alexandre Fache . www.humanite.fr
Plus de 1 200 médecins hospitaliers ont menacé, hier, de démissionner de toutes leurs fonctions administratives si le ministère n’engageait pas des négociations sur les salaires et le budget. Un coup de force inédit.
Ils sont déterminés, fatigués, et pour certains, très émus. À l’image des avocats qui ont jeté leurs robes noires devant Nicole Belloubet, ministre de la Justice, la semaine dernière, pour protester contre la réforme des retraites, plus de 1 200 médecins, chefs de service hospitaliers ont décidé, eux aussi, de remiser symboliquement leurs blouses blanches pour dénoncer l’asphyxie de l’hôpital public. Un étranglement financier dont la cause est bien connue : l’austérité imposée via l’Ondam (Objectif national de dépenses d’assurance-maladie), sorte de budget de la santé, dont la progression, chaque année, depuis dix ans, est deux fois inférieure à l’évolution des besoins. Résultat : 8,5 milliards d’euros d’économies sur cette période, soit 800 millions par an, qui « remettent en cause la qualité des soins et menacent la sécurité des patients », alertent les professionnels dans une lettre adressée à la ministre de la Santé, Agnès Buzyn .
La démission collective, nouvelle étape après la grève du « codage »
Mardi, une vingtaine de ces praticiens, les blouses encore sur le dos, sont venus expliquer leur démarche dans les locaux de la faculté de médecine de la Pitié-Salpêtrière, à Paris (13e arrondissement). « Si nous menaçons aujourd’hui de démissionner de toutes nos fonctions administratives, on ne changera rien à nos soins et à l’accueil des patients », précise le Pr Stéphane Dauger, chef de service de réanimation pédiatrique à l’hôpital Robert-Debré (Paris 19e). Cette menace constitue une nouvelle étape après la décision prise par plusieurs centaines de cadres hospitaliers, il y a trois mois, de pratiquer la grève du « codage », c’est-à-dire de ne plus transmettre informatiquement les éléments nécessaires à la facturation des actes réalisés à l’hôpital. « Il s’agissait de bloquer le système (…) pour alerter nos directions et le ministère, explique Stéphane Dauger. Mais ce geste politique fort, totalement inédit, ne nous a pas permis d’être entendus. Il fallait aller plus loin. »
« Pas entendus » sur leurs revendications (revalorisation significative des salaires, hausse de l’Ondam de 600 millions, en plus des 200 promis en novembre, fin de la tarification à l’activité), c’est sûr. Mais la grève du « codage » n’est pas pour autant passée inaperçue… « Certaines directions ont essayé de forcer les secrétaires à transmettre les codes dans le dos des médecins. Dans d’autres, on assurait que cet arrêt du codage allait mettre en péril l’accès à des traitements coûteux. L’intimidation est allée assez loin », constate le Dr Sophie Crozier, neurologue à la Pitié-Salpêtrière. « Pas plus tard que ce lundi, Martin Hirsch, le directeur de l’AP-HP, a expliqué que les financements à venir ne seraient donnés qu’aux structures reprenant le codage. On est donc bien dans des mesures de rétorsion », témoigne aussi le Pr Xavier Mariette, chef de service de rhumatologie de l’hôpital Bicêtre (Val-de-Marne).
Pas de quoi toutefois faire plier les médecins, qui assurent n’être qu’au « début de leur mouvement ». S’ils demandent à être reçus par Agnès Buzyn, pour que celle-ci engage des « négociations » sur le budget et les salaires, les professionnels se sont d’ores et déjà donné rendez-vous le 26 janvier, avec les collectifs en lutte (Inter-Hôpitaux, Inter-Urgences…), pour discuter de nouvelles formes de mobilisation. « Vous allez encore entendre parler de nous », assurait, hier, le Dr Olivier Milleron, cardiologue à l’hôpital Bichat (Paris 18e). Car la crise est profonde, autant que le ressentiment de ces médecins. « À Marseille, 50 chefs de service ont proposé leur démission, soit 25 % des effectifs, et même 80 % en pédiatrie », indiquait le Pr Jean-Luc Jouve, chirurgien à La Timone. « Car comment expliquer à une famille, cinq minutes avant l’intervention prévue sur un enfant, que celle-ci est annulée, faute de moyens ? C’est déjà arrivé 60 fois dans notre service de réanimation pédiatrique… »
Au bord des larmes, la Pr Agnès Hartemann, diabétologue à la Pitié, a sans doute livré le témoignage le plus émouvant. « En traversant mon hôpital pour venir vous parler, je me suis souvenue de l’honneur que c’était de devenir chef de service. Sauf que, aujourd’hui, j’ai l’impression de venir à un enterrement… » Pour cette spécialiste, qui gère l’accueil de patients victimes de complications graves (abcès, gangrènes…), la transformation de l’hôpital en entreprise ne passe pas. « On nous demande, graphiques à l’appui, de “produire du séjour”, plutôt que de soigner. C’est insupportable. »
Lundi 13 Janvier 2020 - France Culture
Quelles conséquences pourrait avoir la démission collective de 1000 médecins et chefs de structures qui menacent de quitter l'hôpital ? Faut-il un nouveau plan hôpital ? Pour en parler, Guillaume Erner reçoit Agnès Hartemann, chef de service de diabétologie à La Pitié Salpêtrière à Paris. Elle est membre du collectif Inter-Hôpitaux et fait partie des 1000 signataire médecins chefs de service ou de structures hospitalières prêts à démissionner si des négociations avec la ministre de la santé, Agnès Buzyn, ne sont pas engagées rapidement.
Dimanche 29 Décembre 2019 - Charlie Hebdo .fr