Matthieu Montalban, maître de conférences et chercheur au GREThA, est aussi membre des Économistes atterrés.
Vendredi 11 Décembre 2020 - Thomas Lemahieu
Dans l’industrie pharmaceutique, sur fond d’externalisation générale, les start-up, comme Moderna au départ, se concentrent sur leurs brevets et ne promettent de gains qu’à moyen terme avec des prix forts sur leurs produits ou un cours de Bourse élevé… Les explications de Matthieu Montalban, maître de conférences et chercheur au GREThA (université de Bordeaux).
Dans la « course aux vaccins » contre le Covid-19, les start-up des biotechnologies, comme BioNTech ou Moderna, se détachent. Quelles sont ces nouvelles entreprises sans usine dans l’industrie pharmaceutique ?
MATTHIEU MONTALBAN Ce n’est pas du tout nouveau, attention ! Les entreprises de biotechnologies existent depuis la fin des années 1970. Et depuis les premières, elles fonctionnent sur ce mode : elles ont une technologie en développement, elles ont des espoirs d’en faire un produit et, comme elles ont peu de capitaux et que la phase de recherche et développement (R&D) dure très longtemps dans le cas d’un médicament, elles font appel à des capitaux-risqueurs. Très souvent, ce sont des chercheurs du public qui font une découverte et qui choisissent de lancer leur entreprise privée. Ce modèle a été très développé aux États-Unis à la suite de diverses évolutions réglementaires à la fin des années 1970 et au début des années 1980 : le Bayh-Dole Act et les changements dans le régime de la propriété intellectuelle décidés par la Cour suprême, qui ont permis la brevetabilité du vivant, du génome ou de tout organisme biologique à partir du moment où il peut être manufacturé, mais aussi le Small Business Innovation Research (Sbir) Act, qui a accordé des aides fiscales aux petites entreprises. Tout cela a créé l’environnement du « spin-off », cette forme d’entreprise issue d’un laboratoire public où l’on développe une recherche, avant de passer dans le privé, avec des fonds apportés par des capitaux-risqueurs et/ou des grands groupes pharmaceutiques. Au bout d’un certain temps, la start-up fait une introduction en Bourse ou est rachetée.
Moderna est en Bourse, et le cours de ses actions flambe depuis le début de la pandémie. Son patron, le Français Stéphane Bancel, prophétise une croissance exponentielle, lui permettant de dépasser Sanofi ou Pfizer dans les dix ans. Qu’en pensez-vous ?
MATTHIEU MONTALBAN Il met peut-être la charrue avant les bœufs. Mais ce n’est pas du tout impossible que Moderna devienne une très grande entreprise. En dix ans, ils ont fait des levées de fonds assez considérables. Avec autant de financements, on peut devenir très gros, car tout l’argent est investi dans la recherche pour la société, il n’y a pas de dividendes dans ces entreprises pendant très longtemps, c’est 100 % de dépenses ! Dans les biotechs comme dans les plateformes numériques, une fois qu’on a un produit qui marche, cela peut croître très vite. Si certaines entreprises de biotechnologies font un peu exception en se développant seules – cela a été le cas de la première, Amgen, qui est devenue aujourd’hui un des 10 ou 15 premiers groupes pharmaceutiques au monde –, il faut voir que la pharma, c’est un secteur où il y a énormément d’acquisitions et d’accords, pas exclusivement en capitaux, mais commerciaux, de marketing ou de production, entre les groupes…
« Pas de dividendes dans les biotechs », dites-vous. Y a-t-il des rachats d’actions ?
MATTHIEU MONTALBAN Non plus, du moins tant qu’elles ne réalisent pas de bénéfices ! Tant qu’elles sont en période de développement, qu’elles n’ont pas de produits terminés et vendus, les entreprises de biotechnologies ne font pas de profits, et elles ne peuvent pas en redistribuer ni sous cette forme, ni sous une autre… En revanche, elles rachètent leurs actions quand elles parviennent à réaliser des profits importants. Il y a en fait un cycle de vie des entreprises : quand elles sont start-up avec un actionnariat concentré autour de quelques capitaux-risqueurs et ne réalisent pas de profits, tout le cash est réinvesti, puis quand elles auront des profits suffisants et seront cotées avec un actionnariat plus diffus et flottant, elles vont d’abord commencer par racheter leurs actions, et quand elles seront assez matures, elles distribueront aussi du dividende.
Ce qui fait une différence nette avec les Big Pharma : selon un calcul de l’économiste Mariana Mazzucato, Pfizer, par exemple, a brûlé 117,5 milliards d’euros en dix ans dans des rachats d’actions…
MATTHIEU MONTALBANOui, le discours critique ne voit pas ça. Il y a une financiarisation de long terme qui existe pour les petites sociétés. Ceci dit, ce n’est pas du tout un problème pour leur développement : il n’y a pas de parasitisme de la finance sur les petites sociétés en croissance, ce n’est pas vrai ! Ces start-up sont lancées par des ingénieurs, des biologistes, des chercheurs. Les capitaux-risqueurs mettent leur nez dans leurs plans, bien sûr, mais ils acceptent la division du travail et laissent l’innovation aux scientifiques : quand on sait qu’il peut y avoir une forte croissance potentielle, pas besoin d’exiger des dividendes, les cours de Bourse vont augmenter, ça va spéculer et c’est ça qui permettra, au bout du compte, de vendre ses parts au prix fort. Du parasitisme financier, il y en a pour Big Pharma, c’est sûr, mais eux, ils croulent sous les profits et ils peuvent vraiment le supporter ! En fait, dans le secteur pharmaceutique, les grands groupes accumulent des montagnes de cash qu’ils redistribuent à leurs actionnaires ou investissent dans les biotechs… On peut raconter ce que l’on veut, mais dire que verser des dividendes au bout d’une vingtaine d’années, c’est du court-termisme, ce n’est pas sérieux ! En revanche, au niveau agrégé, comme la redistribution aux actionnaires par les grands groupes dépasse de beaucoup les levées de fonds, il y a bien un parasitisme net et un gaspillage.
Précommandes massives, subventions publiques, financements pour la production et la logistique… Dans la « course aux vaccins » contre le Covid-19, l’action des États n’est-elle pas déterminante ?
MATTHIEU MONTALBAN Oui, bien sûr, et c’est très important de le souligner quand on entend l’industrie pharmaceutique évoquer les risques et les dépenses qui seraient à la charge du privé… Les États ont engagé des dépenses énormes sur les vaccins. Moderna a obtenu des subventions considérables de l’administration Trump. Plus globalement, aux États-Unis, les National Institutes of Health (NIH), qui constituent l’agence gouvernementale pour la santé, ont vu leurs budgets augmenter de façon phénoménale depuis des décennies – c’est sans commune mesure par rapport à ce qu’on a fait en France avec l’Inserm ou le CNRS. Et une partie de ces subsides publics ont pu être utilisés pour développer des innovations qui ont fini dans les entreprises privées. C’est très souvent oublié, alors que c’est central ! Dans le secteur pharmaceutique, l’écosystème est toujours public-privé. Il y a les relations étroites entre le monde hospitalo-universitaire et les entreprises. Il y a les aides qui existent : aux États-Unis, dans le cas des médicaments orphelins, c’est-à-dire dédiés aux maladies rares, un crédit d’impôt représentant 50 % des coûts de R&D est accordé aux entreprises. C’est considérable ! En France, les sociétés de biotechnologies bénéficient, pour se financer, du crédit d’impôt recherche (CIR). Enfin, il y a également les fonds de capital-risque public : en France, la Banque publique d’investissement (BPI) joue également ce rôle.
Une forme de parasitisme réside également dans le système du brevet, qui peut être le seul actif des sociétés de biotechnologies, alors que les recherches ont souvent été menées dans le secteur public. N’est-ce pas ce modèle économique là qui est aujourd’hui en question ?
MATTHIEU MONTALBAN Oui, mais ceci est lié au fait que, dans un régime capitaliste, si vous êtes une entreprise privée, il vous faut un retour sur investissement si vous voulez faire de l’innovation. Les brevets sont là pour ça. Avec les effets bloquants sur la recherche, les mécanismes d’appropriation qui existent, c’est indéniable ! Dans un régime socialiste, on pourrait faire autrement : à Cuba, par exemple, ils ont des sociétés publiques de biotechnologies et ils ont réussi à développer des innovations très intéressantes sans passer par le capital-risque. Alors, évidemment, étant donné que le secteur pharmaceutique implique une collaboration public-privé très étroite – on le voit, en particulier, pour les essais cliniques –, on peut tout à fait imaginer des formes alternatives de financement et d’organisation qui laisseraient moins de place à la propriété privée des moyens de production. Je suis très critique sur le secteur, et en particulier sur l’utilisation des profits faite dans les grands groupes, mais je ne peux pas nier aussi que certaines biotechs arrivent à faire des innovations qui marchent.
Les premiers ministres hongrois, Viktor Orban, et polonais, Mateusz Morawiecki, en septembre, à Lublin. © Omar Marques/Getty Images/AFP
Jeudi 10 Décembre 2020 - Gaël De Santis
Alors que s’ouvre, ce jeudi, un sommet européen, le fonds de relance de l’UE fait l’objet d’un veto de la Hongrie et de la Pologne, qui développent un projet européen national-libéral concurrent de l’axe Paris-Berlin.
Au moment où elle semblait devenir un colosse, l’Union européenne (UE) se découvre des pieds d’argile. Pis, ses appuis s’écartent de plus en plus entre Est et Ouest, entraînant une paralysie, alors que s’ouvre, ce jeudi, un sommet des chefs d’État et de gouvernement. L’épidémie de Covid-19 avait semblé relancer le projet européen. Pour aider les États, notamment du Sud, à faire face à la crise économique, un plan de relance inspiré par une proposition franco-allemande a été adopté fin juillet, Next Generation EU. La Commission empruntera 750 milliards d’euros pour accorder des prêts et subventions à ses États membres. Cette décision fera presque doubler le budget communautaire (il est de 1 074 milliards d’euros hors plan de relance pour les années 2021-2026). Certains y ont vu un « saut fédéraliste » avec la création d’une dette commune, une première. Ce sera certainement davantage un moyen pour la Commission de contraindre les États requérants à adopter sur le long terme une politique austéritaire.
Quelle qu’en soit l’issue, la crise est grave
Cinq mois plus tard, où en est-on ? Loin du compte. Les discussions s’enlisent car les fonds du plan d’aide ne seront versés qu’aux pays respectant l’État de droit. Une mesure qui fait bondir et la Pologne de Mateusz Morawiecki et la Hongrie de Viktor Orban.
À la mi-novembre, les deux dirigeants de ces pays de l’Est, parmi les principaux bénéficiaires actuels des dotations de l’UE, ont menacé de mettrte leur veto à Next Generation EU, si la clause de sauvegarde de l’État de droit était maintenue. Depuis, l’Allemagne, qui assure la présidence tournante de l’UE, tente une médiation. Mardi, le premier ministre polonais estimait qu’une solution ne serait peut-être pas trouvée jeudi ou vendredi, et qu’il faudrait peut-être convoquer un autre sommet extraordinaire. Mercredi, le vice-premier ministre, Jaroslaw Gowin, laissait entendre qu’une solution avait été trouvée.
Quelle qu’en soit l’issue, la crise est grave. Deux visions de l’Europe s’affrontent ici, celle d’une Europe intégrée et celle d’une Europe réduite à n’être qu’une zone de libre-échange. La Pologne et la Hongrie sont partisanes de cette dernière. Alors que l’UE a fait mine de se construire en opposition aux régimes autoritaires, Varsovie et Budapest sont à l’avant-garde d’une dérive autoritaire.
Des positions ultraconservatrices
Aussi, depuis des années maintenant, les deux capitales sont dans le viseur du Parlement européen pour leurs positions ultraconservatrices qui cadrent mal avec le récit d’ouverture et de démocratie lié à l’Europe : abolition des frontières avec l’espace Schengen et Erasmus, promotion des droits des individus, etc. En 2017, une procédure se fondant sur l’article 7 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (Tfue) a placé la Pologne sous surveillance du fait de sa réforme du système judiciaire. Une même procédure a été ouverte en 2018 contre la Hongrie, concernant le respect des libertés académiques et de la presse.
Tout en se battant bec et ongles pour bloquer les rares mesures anti-dumping social au sein de l’UE afin de faire de leur main-d’œuvre à bon marché un avantage compétitif, les deux capitales se montrent peu respectueuses des droits des migrants. Elles ont freiné des quatre fers sur la répartition automatique entre pays de l’UE des exilés venus de Méditerranée.
Les deux gouvernements conservateurs ont remis en cause, chacun à leur manière, l’indépendance de la justice en changeant la composition de la Cour suprême. La Pologne s’en prend au droit élémentaire à l’interruption volontaire de grossesse, tandis que certaines municipalités pratiquent une discrimination contre les personnes homosexuelles. La Hongrie, elle, mène une croisade contre l’inscription de la notion de « genre » dans le droit européen. Par le passé, elle s’en est prise aux médias indépendants ou publics. La Pologne lui emboîte le pas : la compagnie nationale pétrolière a annoncé le rachat de vingt journaux locaux ; une reprise en main au nom de la « repolonisation » de la presse indépendante, dont certains des actionnaires sont étrangers.
Autre élément fondamental du projet polonais d’UE : le refus d’une Europe de la défense, notamment défendu par Paris. Partisan d’une politique antirusse, Varsovie refuse toute autonomie stratégique européenne et cherche à arrimer strictement l’UE à une Alliance atlantique sous domination états-unienne.
L'Allemagne a besoin de l'UE
De l’autre côté, on a autour de la France, de l’Allemagne et de la grande coalition au Parlement européen, avec des nuances, les partisans d’une « économie sociale de marché hautement compétitive », inscrite dans les traités. Un projet de moins en moins populaire tant il masque mal le libéralisme de ses promoteurs, mais qui appelle à une plus forte intégration européenne, faite de législation commune, de coordination des politiques économiques dans un sens libéral et, dans une certaine mesure seulement, de transferts financiers aux régions les plus en difficulté.
Cette plus grande intégration pourrait faire un pas de géant avec l’adoption du Fonds de soutien. Pendant longtemps, Berlin y était réticent, refusant les trop importants transferts financiers entre États. Mais la chancelière a dû s’y résoudre. Il faut dire que les exportations pèsent pour 47 % du PIB allemand (en 2019). L’Allemagne a besoin d’un bloc européen promouvant le libre-échange et doit en payer le prix pour maintenir sa cohésion. De plus, près de la moitié de l’export allemand est à destination de pays de l’UE, qu’elle ne peut laisser s’effondrer. En politique extérieure également, l’Allemagne a besoin de l’UE pour contrebalancer les velléités de Washington contre la Russie et la Chine, avec lesquelles elle partage des d’intérêts économiques et industriels communs.
Un même logiciel libéral et austéritaire
Face aux différentes visions de l’UE, celle-ci semble se désagréger. Pour sortir de la division avec la Hongrie et la Pologne, certains comme Clément Beaune, secrétaire d’État français aux Affaires européennes, vont jusqu’à préconiser que le fonds de relance soit le fruit d’une coopération intergouvernementale à 25, ne comprenant donc pas toute l’UE. Ce ne serait pas une première : l’Initiative européenne d’intervention promue et conçue par le président Emmanuel Macron comme un embryon d’« Europe de la défense » ne regroupe que treize des vingt-sept États de l’UE.
Tout le problème est que ces deux camps partagent un même logiciel libéral et austéritaire. « Ni le modèle autoritaire, ni le modèle néolibéral ne sont capables de faire face à la crise existante. Pour sauvegarder l’État de droit, la liberté de la presse, l’égalité hommes-femmes, il faut battre l’autoritarisme ; pour faire face au changement climatique et social, une troisième alternative doit être sur la table. Nous devons trouver un terrain commun et une majorité dans la société », estime Martin Schirdewan, coprésident du groupe de la Gauche unitaire européenne au Parlement européen
Mohammed Bakri
Vendredi 21 Août 2020 - Jonathan Cook
Quand l’acteur palestinien Mohammed Bakri a réalisé un documentaire sur Jénine en 2002 – filmé immédiatement après que l’armée israélienne eut achevé de saccager cette ville de Cisjordanie, laissant la mort et la destruction derrière elle – il a choisi un narrateur inhabituel pour sa première scène : un jeune Palestinien muet.
Jénine a été isolée du monde pendant près de trois semaines pendant que l’armée israélienne rasait le camp de réfugiés voisin et terrorisait sa population.
Le film de Bakri, « Jénine », montre le jeune homme se hâtant silencieusement entre les immeubles détruits, utilisant son corps nerveux pour bien illustrer les endroits où les soldats israéliens ont abattu des Palestiniens et où leurs bulldozers ont fait s’effondrer les maisons, parfois sur leurs habitants.
Il n’était pas difficile d’en déduire une signification plus large par Bakri : quand il est question de leur propre histoire, les Palestiniens n’ont pas droit à la parole. Ils sont les témoins silencieux de leurs propres souffrances et maltraitances, et de celles de leur peuple.
L’ironie, c’est que Bakri a lui-même subi le même sort depuis Jénine, il y a 18 ans que Jénine a été libérée. Aujourd’hui, on se souvient peu de son film, ni des crimes choquants qu’il a enregistrés, sauf de ces batailles juridiques sans fin afin de le maintenir hors des écrans.
Depuis, Bakri est bloqué dans les tribunaux israéliens, accusé d’avoir diffamé les soldats qui ont mené l’attaque. Il a payé un prix personnel élevé. Des menaces de mort, la perte de travail et des frais juridiques interminables qui l’ont presque ruiné. Le verdict, pour le plus récent des procès intentés contre lui – cette fois soutenu par le ministre de la Justice israélien – est attendu dans les semaines à venir.
Bakri est une victime particulièrement importante de la guerre menée depuis si longtemps par Israël contre l’histoire palestinienne. Mais il en existe d’autres exemples, innombrables.
Depuis des décennies, ce sont des centaines d’habitants palestiniens dans le sud de la Cisjordanie qui luttent contre leur expulsion alors que les autorités israéliennes les présentent comme des « squatters ». D’après Israël, les Palestiniens sont des nomades qui ont construit imprudemment des maisons sur des terres dont ils se sont emparés à l’intérieur d’une zone de tir de l’armée.
Les demandes reconventionnelles des villageois ont été ignorées jusqu’à ce que la vérité soit récemment exhumée des archives d’Israël.
Ces communautés palestiniennes sont, en réalité, indiquées sur des cartes antérieures à Israël. Des documents officiels israéliens présentés à un tribunal le mois dernier montrent qu’Ariel Sharon, un général qui s’était fait politicien, a conçu une politique qui consistait à établir des zones de tir dans les territoires occupés afin de justifier les expulsions massives de Palestiniens, comme ces communautés dans les collines d’Hébron.
Les habitants ont eu la chance de voir leurs réclamations vérifiées officiellement, même s’ils sont toujours dépendants d’une justice incertaine de la part d’un tribunal de l’occupant israélien.
Les archives d’Israël sont scellées à la hâte précisément pour éviter tout danger que des documents puissent confirmer une histoire palestinienne depuis si longtemps mise sur la touche et ignorée.
Le mois dernier, la Cour des comptes israélienne, organisme de surveillance, a révélé que plus d’un million de documents archivés étaient toujours inaccessibles, alors qu’ils avaient dépassé leur date de déclassification. Néanmoins, certains sont passés à travers les mailles du filet.
Par exemple, les archives ont confirmé certains des massacres à grande échelle de civils palestiniens perpétrés en 1948 – l’année où Israël a été établi en dépossédant les Palestiniens de leur patrie.
Lors de l’un de ces massacres, à Dawaymeh, près de l’endroit où des Palestiniens luttent aujourd’hui contre leur expulsion d’une zone de tir, des centaines d’entre eux ont été exécutés, alors même qu’ils n’opposaient aucune résistance, afin d’inciter l’ensemble de la population à fuir.
D’autres dossiers ont corroboré les affirmations des Palestiniens selon lesquelles Israël avait détruit plus de 500 villages palestiniens lors d’une vague d’expulsions massives, cette même année, pour dissuader les réfugiés de tenter de revenir chez eux.
Des documents officiels ont également réfuté l’affirmation qui prétend qu’Israël avait supplié 750 000 réfugiés palestiniens de rentrer chez eux. En réalité, comme le révèlent les archives, Israël a occulté son rôle dans le nettoyage ethnique de 1948 en inventant une histoire pour se couvrir, selon laquelle ce sont les dirigeants arabes qui ont ordonné aux Palestiniens de partir.
La bataille pour l’éradication de l’histoire palestinienne ne se déroule pas simplement dans les tribunaux et les archives. Elle commence dans les écoles israéliennes.
Une nouvelle étude d’Avner Ben-Amos, professeur d’histoire à l’Université de Tel Aviv, montre que les élèves israéliens n’apprennent presque rien de vrai sur l’occupation, bien que beaucoup d’entre eux auront à l’appliquer bientôt comme soldats dans une armée prétendument « morale » qui règne sur les Palestiniens.
Dans les manuels de géographie, les cartes suppriment ce qui est appelée la « Ligne verte » – la frontière qui délimite les territoires occupés – afin de présenter un Grand Israël longtemps souhaité par les colons. Les cours d’histoire et d’éducation civique esquivent toute discussion sur l’occupation, les violations des droits de l’homme, le rôle du droit international, ou les lois locales de type apartheid où les Palestiniens sont traités différemment des colons juifs qui vivent de façon illégale tout à côté.
À la place, la Cisjordanie est connue sous les noms bibliques de « Judée et Samarie », et son occupation en 1967 devient une « libération ».
Malheureusement, l’effacement par Israël des Palestiniens et de leur histoire se répercute à l’extérieur chez des mastodontes du numérique comme Google et Apple.
Les militants de la solidarité palestinienne ont passé des années à se battre pour que les deux plates-formes incluent des centaines de communautés palestiniennes de la Cisjordanie absentes de leurs cartes, sous le hashtag #HeresMyVillage. Les colonies de peuplement juives illégales, quant à elles, sont favorisées sur ces cartes numériques.
Une autre campagne, #ShowTheWall, a fait pression sur les géants de la technologie pour qu’ils indiquent sur leurs cartes le tracé du mur d’acier et de béton, long de 700 kilomètres, qui sert en réalité à Israël à annexer le territoire palestinien occupé en violation du droit international.
Le mois dernier, des groupes palestiniens ont lancé une autre campagne, #GoogleMapsPalestine, exigeant que les territoires occupés portent la mention « Palestine », et pas seulement la Cisjordanie et la bande de Gaza. La reconnaissance de l’État de Palestine par les Nations-Unies remonte à 2012, mais Google et Apple refusent de les suivre.
Les Palestiniens affirment à juste titre que ces entreprises reproduisent le genre de disparition des Palestiniens bien connu des manuels scolaires israéliens, et qu’elles maintiennent une « ségrégation cartographique » qui reflète les lois de l’apartheid israélien dans les territoires occupés.
Les crimes actuels de l’occupation – démolitions de maisons, arrestations de militants et d’enfants, violence des soldats, et expansion des colonies de peuplement – sont documentés par Israël, tout comme l’étaient ses crimes antérieurs.
Des historiens à l’avenir pourraient bien un jour tirer de l’oubli ces documents des archives israéliennes et faire connaître la vérité. Que les politiques israéliennes n’étaient pas motivées, comme Israël le prétend aujourd’hui, par des préoccupations sécuritaires, mais par un désir colonial de détruire la société palestinienne et de faire pression sur les Palestiniens pour qu’ils partent de leur patrie, et les remplacer par des juifs.
Les leçons pour les chercheurs à venir ne seront pas différentes de celles apprises par leurs prédécesseurs, qui ont découvert les documents de 1948.
Mais en vérité, nous n’avons aucun besoin d’attendre toutes ces années. Nous pouvons comprendre ce qui, à l’heure actuelle, arrive aux Palestiniens – simplement en refusant de participer à cette conspiration pour les contraindre au silence. Il est temps d’écouter.
Lundi 4 Mai 2020 - Pierre Barbancey
La procureure de la Cour pénale internationale estime qu’une enquête peut être ouverte sur des crimes présumés commis dans les territoires palestiniens occupés.
Ce 30 avril restera sans doute dans les annales historiques des Palestiniens. Ce jour-là, la procureure de la Cour pénale internationale (CPI), Fatou Bensouda, expliquait officiellement dans un document de 60 pages qu’elle était convaincue « qu’il existe un fondement raisonnable pour ouvrir une enquête dans la situation en Palestine en vertu de l’article 53-1 du Statut de Rome, et que la portée de la compétence territoriale de la Cour comprend la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, et Gaza (“Territoire palestinien occupé”) ». En clair, la Palestine peut saisir la cour de La Haye afin de poursuivre Israël pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Il appartient maintenant à une chambre préliminaire, composée de trois juges, de se prononcer sur la question. En tout état de cause, au vu du déroulé de ce dossier, il est fort probable qu’ils suivront l’avis de la procureure. « C’est un pas considérable, car les réponses aux questions de savoir si la Palestine (qui a pourtant ratifié le Statut de Rome) était considérée comme un État pour la CPI et qu’est-ce que recouvrent les Territoires palestiniens, ont été étayées », se félicite M e Gilles Devers, partie prenante pour les victimes palestiniennes.
Confronter Israël à ses pratiques coloniales
Lorsque, le 1 er janvier 2015, le gouvernement palestinien dépose une déclaration en vertu de l’article 12-3 du Statut de Rome, reconnaissant la compétence de la Cour pénale internationale (CPI) pour les crimes présumés commis « sur le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, le 13 juin 2014 », un processus est déclenché, dépassant évidemment la simple question juridique. Pour la première fois, les Palestiniens veulent se donner les moyens de confronter Israël à ses pratiques coloniales. La procureure de la CPI se devait donc de procéder à un examen préliminaire, notamment pour déterminer si la Cour était compétente sur les faits. Ce qui était reconnu presque cinq plus tard. Le 20 décembre 2019, Fatou Bensouda annonçait que tous les critères permettant l’ouverture d’une enquête étaient remplis, mais, « compte tenu des questions juridiques et factuelles liées à cette situation », demandait à la chambre préliminaire de se prononcer sur la compétence territoriale de la CPI.
Les États-Unis s’opposent à la Cour pénale internationale
Dès le mois de décembre, Israël est monté au créneau. « Ce que la CPI a fait, c’est du pur antisémitisme et nous ne fléchirons pas », annonçait Benyamin Netanyahou, n’hésitant pas à faire croire que la Cour pénale internationale « affirme que les juifs n’ont pas le droit de s’installer dans le foyer national juif. Ils disent que les juifs n’ont pas le droit de vivre sur la terre des juifs, sur la terre d’Israël. Eh bien, nous répondons : honte à vous ! ». Parallèlement, six pays (Allemagne, Autriche, Brésil, République tchèque, Hongrie et Ouganda) rejoignaient les États-Unis pour faire valoir que la CPI n’avait pas le pouvoir de poursuivre Israël. L’an dernier, Washington avait menacé la CPI, coupable de vouloir incriminer des ressortissants américains.
Netanyahou et Gantz pourraient être poursuivis
« La position de la procureure correspond à une position anti-israélienne typique, influencée par l’Organisation de la coopération Islamique et le mouvement BDS » (Boycott, désinvestissement et sanctions) », s’est étranglé le ministre israélien des Infrastructures nationales, Yuval Steinitz, pour qui Fatou Bensouda « a reformulé les règles du droit international, inventant un État palestinien, alors que le processus de paix israélo-palestinien n’est pas encore terminé » (sic). Son inquiétude est autre : en cas d’ouverture d’enquête de la CPI, Benyamin Netanyahou et Benny Gantz, qui entendent se partager le gâteau du pouvoir, pourraient tous les deux être poursuivis pour leurs rôles respectifs dans les faits dénoncés.
Israël a vu tous ses arguments s’effondrer
Malgré ses soutiens juridiques impressionnants (les ténors des barreaux israéliens et même une équipe de juristes conduite par Robert Badinter), Israël a vu tous ses arguments s’effondrer. L’un d’entre eux, et non des moindres, visait à démontrer que les questions palestiniennes ne relèvent pas du droit international, mais du droit israélien, ce qui reviendrait à considérer que toute la Palestine historique serait sous la juridiction d’Israël. Non, ce n’est pas vrai, vient de déclarer la procureure de la Cour pénale internationale.
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Protestation des villes arabes d’Israël
Le Comité des autorités des villes arabes d’Israël a décidé de lancer une grève générale à partir de mardi, pour protester contre l’attitude du gouvernement qui ne leur donne pas les moyens suffisants pour lutter contre le coronavirus. Le nombre de cas dans les communes arabes est bien plus élevé que dans les villes juives. « Le gouvernement continue de nous abandonner et ne lève pas le petit doigt pour nous », proteste le député communiste (Liste unie) Youssef Jabareen. Les dirigeants arabes ont annoncé qu’ils ne rouvriront pas les écoles.
Mercredi 1 Avril 2020 - Marc de Miramon
Tests inaccessibles, systèmes de santé défaillants, mesures de confinement impossibles à appliquer : en dépit des faibles taux de contamination officiels, le continent cumule toutes les difficultés pour lutter contre la maladie.
Il s’agit du parent pauvre de la pandémie mondiale de coronavirus, dans tous les sens du terme : celui où le nombre de contaminations s’avère le plus faible (officiellement, le chiffre oscille autour de 4 000), mais aussi celui où les mécanismes de détection – hospitalisations, tests – comme les capacités d’accueillir et de soigner les malades potentiels demeurent les plus précaires. En dépit de ces handicaps structurels, les réponses gouvernementales se durcissent chaque jour un peu plus, à l’instar du confinement des populations au Nigeria dans les mégalopoles de Lagos ou d’Abuja, où s’entassent des dizaines de millions d’habitants vivant dans des conditions d’hygiène et d’accès à la santé publique déplorables.
Au Sénégal, où un couvre-feu a été décrété la semaine dernière et où la capitale Dakar accueille un des très rares dispositifs médicaux (l’antenne de l’Institut Pasteur) en capacité de réaliser des tests de contamination au Covid-19, les autorités paraissent bien démunies pour faire face à l’épidémie. « Le gouvernement a pris des décisions qui vont dans le bon sens, comme la sensibilisation aux mesures d’hygiène de base pour limiter la propagation du virus, la fermeture des établissements scolaires, les limitations de déplacement et l’interdiction d’un certain nombre de rassemblements », constate Félix Atchadé, médecin membre du Parti de l’indépendance et du travail (PIT), de retour d’une mission sanitaire en Casamance. « Ensuite, il y a la question de la préparation des structures sanitaires à l’accueil des patients atteints par le coronavirus, prévient-il. Et là, le Sénégal a un énorme problème, comme tous les pays d’Afrique subsaharienne. La plupart des patients atteints d’insuffisance respiratoire ne pourront tout simplement pas être pris en charge. Dans les deux principaux hôpitaux du secteur de Ziguinchor, qui regroupe une population estimée entre 1 et 1,5 million de personnes, il n’y a qu’un seul respirateur en état de fonctionnement. Ensuite, il y a la question de la formation d’un personnel qui est essentiellement préparé à des interventions de routine. Or là, nous sommes confrontés à une épidémie spécifique, où les processus de réanimation exigent des réponses bien particulières. »
Les autorités ont décidé de maintenir les élections législatives
L’insuffisance des structures sanitaires, l’absence de laboratoires pour effectuer des tests et la pénurie de respirateurs artificiels se constatent sur l’ensemble du continent, où les pays les plus touchés demeurent pour le moment l’Afrique du Sud, l’Algérie, le Maroc ou le Sénégal. « La population perçoit très clairement le danger. Mais la réalité africaine est cruelle : la pandémie nous guette et le confinement est pratiquement impossible. Les gens sont pauvres, vivent au jour le jour et ont l’impérieux besoin de sortir pour s’alimenter. Comment leur demander de choisir entre mourir de faim en se confinant à la maison ou prendre le risque de mourir du coronavirus en sortant pour gagner leur pain. À Kinshasa, une ville de près de 12 millions d’habitants, il n’existe qu’une cinquantaine de respirateurs », assure le docteur Denis Mukwege (1), médecin, prix Nobel de la paix en 2018, qui dirige une structure hospitalière en République démocratique du Congo. La pénurie de respirateurs est encore plus criante au Mali, où une poignée d’appareils s’avèrent disponibles à l’échelle d’un pays déjà ravagé par un conflit civil et aux conséquences de la « guerre contre le terrorisme », à laquelle participe la France. En dépit d’une situation sanitaire catastrophique, les autorités maliennes ont décidé de maintenir les élections législatives de dimanche dernier, marquées par l’enlèvement par un groupe armé de Soumaïla Cissé, chef de file de l’opposition malienne. Le président de la Guinée-Conakry, Alpha Condé, a également refusé d’ajourner son calendrier électoral du 22 mars dernier, prévoyant l’adoption d’une nouvelle Constitution ouvrant la voie à un troisième mandat, et le renouvellement de l’Assemblée nationale, provoquant la consternation de son opposition interne et de la communauté internationale.
« Au Burkina Faso, nous voyons l’épidémie se propager dans les zones rurales comme urbaines. Nous craignons qu’elle ne poursuive sa course plus loin, au nord, dans les régions affectées par le conflit. Dans la ville de Djibo, qui a vu sa population doubler en raison de déplacements internes au cours des derniers mois, il serait impossible aux habitants de vivre à distance les uns des autres alors même que l’accès à l’eau et au savon est limité », rappelle Patrick Youssef, directeur régional pour l’Afrique au Comité international de la Croix-Rouge (Cicr). Lequel insiste sur l’effet « dévastateur de la pandémie sur les populations et les systèmes de santé », si « des mesures ne sont pas prises immédiatement pour contenir le virus ».
Des conséquences sociales et alimentaires liées à la pandémie
Timide, la prise de conscience chemine au moins dans le discours officiel. Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a ainsi fait part hier de sa « très grande préoccupation pour les pays en développement, et notamment pour les pays africains », appelant à une « aide massive et immédiate » à tous les pays en développement, dans le cadre du G20. S’ajoutant à ces difficultés médicales et sanitaires, l’Afrique risque aussi de se retrouver en première ligne, dans les conséquences sociales et alimentaires liées à la pandémie. La plupart des pays du continent équilibrent leurs budgets nationaux grâce aux exportations des matières premières, dont les cours sont en chute libre à cause du ralentissement de l’économie mondiale. Et une autre flambée, celle des denrées alimentaires massivement importées de l’extérieur, pourrait provoquer, comme lors de la crise économique de 2008, de nouvelles émeutes de la faim.
(1) Le Monde, 28 mars 2020.
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