L'ostéopathie écartelée : entre illusion des spécialisations et vocation universelle
L'ostéopathie contemporaine présente un visage doublement paradoxal. D'un côté, on observe une multiplication d'ostéopathes se présentant comme "spécialistes" de populations particulières - nourrissons, sportifs, femmes enceintes - avec ces étiquettes qui fleurissent sur les plaques professionnelles et les sites internet. De l'autre, une absence troublante de considération pour les personnes âgées, pourtant premières concernées par les troubles musculo-squelettiques. Cette segmentation à géométrie variable interroge la cohérence même d'une discipline qui se veut fondamentalement holistique.
Un phénomène récent aux motivations troubles
Cette tendance à la spécialisation apparaît comme un phénomène essentiellement commercial. Dans un marché devenu saturé, certains praticiens cherchent à se démarquer en surfant sur des niches portenses : la parentalité inquiète, la performance sportive, ou le bien-être périnatal. Pourtant, rien dans le tronc commun de formation ne justifie réellement ces distinctions. Plus révélateur encore : les populations souffrant de troubles chroniques - comme les seniors - ne bénéficient pas du même engouement "spécialiste". Faut-il y voir un désintérêt pour les pathologies complexes ou simplement l'absence d'un marché suffisamment lucratif ?
Les dangers d'une balkanisation professionnelle
Cette fragmentation comporte plusieurs risques majeurs :
Elle entretient une confusion chez les patients, laissant croire à des compétences particulières là où il s'agit souvent de simple repositionnement marketing
Elle menace l'unité fondamentale de la profession, créant des sous-catégories aux frontières floues
Elle détourne l'attention des véritables enjeux de formation et de recherche clinique
Elle révèle une dissonance croissante entre le discours holistique affiché et les logiques commerciales sous-jacentes
Le piège de la spécialisation gériatrique
Face à ce constat, la tentation serait de créer une nouvelle sous-spécialité en "ostéopathie gériatrique". Mais cette solution apparente ne ferait qu'aggraver le problème de fond en validant définitivement le modèle de fragmentation. La véritable réponse ne réside pas dans l'ajout d'une nouvelle case spécialisée, mais dans un retour exigeant aux principes fondateurs :
Réaffirmer que tout ostéopathe doit être compétent pour accompagner chaque patient, quel que soit son âge
Renforcer la formation initiale sur les spécificités du vieillissement sans créer de cloisonnement
Promouvoir une approche véritablement adaptative centrée sur l'individu dans sa globalité
Vers une clarification nécessaire
Plutôt que de cultiver ces pseudo-spécialités, la profession gagnerait à :
Expliciter clairement les limites de ces appellations marketing
Renforcer la formation continue couvrant l'ensemble des tranches d'âge
Recentrer la communication sur la qualité du parcours thérapeutique plutôt que sur des segmentations artificielles
Développer une recherche clinique rigoureuse sur l'efficacité de l'approche ostéopathique à tous les âges de la vie
Conclusion : retrouver l'unité perdue
L'avenir de l'ostéopathie ne passe pas par un émiettement en micro-spécialités dont la pertinence clinique reste à démontrer, mais par une réaffirmation de sa cohérence professionnelle fondamentale. Le véritable test pour notre discipline ne sera pas sa capacité à se fragmenter en niches commerciales, mais bien à incarner pleinement sa vocation première : être l'art de soigner chaque être humain, à chaque étape de son existence, avec une égale attention et compétence.
C'est dans ce retour exigeant aux sources - bien plus que dans la course aux étiquettes spécialisées - que réside l'avenir d'une ostéopathie fidèle à ses principes. Une ostéopathie qui traite réellement l'individu dans sa totalité... et la totalité des individus, sans exclusive ni préférence mercantile.