L'ostéopathie dans la prise en charge des troubles temporo-mandibulaires
Les troubles temporo-mandibulaires (TTM) représentent un ensemble de conditions douloureuses et dysfonctionnelles affectant l'articulation temporo-mandibulaire (ATM) et les structures musculo-squelettiques associées. L'ostéopathie, médecine manuelle holistique, est de plus en plus sollicitée dans leur prise en charge. Cette revue critique examine les bases théoriques, les preuves scientifiques et les limites de l'approche ostéopathique des TTM. Bien que des études suggèrent un bénéfice potentiel sur la douleur et la mobilité mandibulaire, la qualité méthodologique des recherches disponibles reste inégale. L'ostéopathie semble agir via des mécanismes biomecaniques, neurophysiologiques et psychologiques, mais son efficacité spécifique nécessite une validation plus robuste. Son intégration au sein d'une prise en charge pluridisciplinaire semble prometteuse.
Mots-clés : Ostéopathie, troubles temporo-mandibulaires, ATM, douleur orofaciale, médecine manuelle, revue critique.
1. Introduction
Les troubles temporo-mandibulaires (TTM) sont un problème de santé publique aux étiologies multifactorielles (biopsychosociales), comprenant des douleurs myofasciales, des dysfonctions articulaires internes (déplacements discaux) et de l'arthralgie. Les approches thérapeutiques conventionnelles incluent la physiothérapie, les attelles occlusales, la pharmacothérapie et les interventions psychologiques. L'ostéopathie, système de diagnostic et de traitement manuel fondé sur une philosophie holistique de l'organisme, propose une approche alternative ou complémentaire. Cet article synthétise les preuves concernant son application dans les TTM.
2. Principes ostéopathiques appliqués aux TTM
L'ostéopathie considère le corps comme une unité fonctionnelle. Pour les TTM, cela implique de ne pas se limiter à la mâchoire mais d'évaluer l'ensemble des structures en relation :
L'unité du corps : Recherche de dysfonctions somatiques à distance (colonnes cervicale et dorsale, ceinture scapulaire, bassin) pouvant influencer la biomécanique de l'ATM via des chaînes musculaires et fasciales.
L'interrelation structure-fonction : Une dysfonction biomecanique de l'ATM (structure) altère sa fonction (mastication, phonation), et vice-versa.
La capacité d'auto-guérison : Le traitement vise à lever les restrictions de mobilité pour permettre au corps de retrouver son équilibre (homéostasie) et de s'autoréguler.
3. Techniques ostéopathiques utilisées dans les TTM
Le traitement est personnalisé et peut combiner :
Techniques structurelles : Manipulations articulaires à haute vélocité et basse amplitude (HVLA) sur l'ATM, les vertèbres cervicales et thoraciques pour améliorer la mobilité.
Techniques myofasciales : Étirements, inhibitions et massages des muscles masticateurs (masséters, ptérygoïdiens, temporaux) et cervicaux (sternocléidomastoïdien, trapèze) hypertoniques.
Techniques fonctionnelles: Techniques douces visant à relâcher les tensions et à améliorer la microcirculation et le drainage lymphatique au niveau de la région oro-faciale.
4. Revue des preuves scientifiques
a. Données cliniques :
Une étude randomisée contrôlée de 2021 (Cuccia et al.) a montré qu'un protocole de traitement ostéopathique (incluant techniques structurelles et myofasciales) combiné à des soins habituels était significativement plus efficace pour réduire la douleur et améliorer l'ouverture buccale que les soins habituels seuls chez des patients souffrant de TTM.
Une revue systématique de 2018 (Franco et al.) a conclu que les thérapies manuelles, incluant l'ostéopathie, pouvaient être bénéfiques pour la douleur et la fonction mandibulaire, mais a souligné le risque de biais et l'hétérogénéité des études.
Les preuves concernant les techniques purement crâniennes restent anecdotiques et manquent de validation rigoureuse.
b. Mécanismes d'action proposés :
Biomécanique : Restauration de la mobilité articulaire de l'ATM et des articulations cervico-thoraciques, réduction des tensions myofasciales.
Neurophysiologique : Modulation de la douleur via des mécanismes descendants inhibiteurs, stimulation des mécanorécepteurs articulaires et musculaires, réduction de l'hypertonie sympathique.
Psychologique : Effet contextuel (relation thérapeutique, attention portée au patient) et réduction de l'anxiété souvent associée aux douleurs chroniques.
5. Limites, critiques et défis
Hétérogénéité des pratiques : Le contenu d'un "traitement ostéopathique" varie considérablement d'un praticien à l'autre, rendant complexe l'évaluation de son efficacité spécifique.
Manque de standardisation : Difficulté à créer des protocoles de recherche standardisés en double aveugle, notamment pour les techniques subtiles.
Preuves limitées : Si les résultats sont encourageants, le nombre d'études de haute qualité (randomisées, contrôlées, en double aveugle) reste insuffisant pour établir des recommandations fermes. Les preuves sont plus solides pour les techniques musculo-squelettiques que pour l'approche crânienne.
Risque de dilution : L'approche holistique, bien que pertinente, peut parfois conduire à une prise en charge trop diffuse, négligeant le foyer principal de la dysfonction.
6. Conclusion et perspectives
L'ostéopathie représente une option thérapeutique pertinente et prometteuse dans la prise en charge pluridisciplinaire des TTM, notamment pour ses composantes musculo-squelettiques et myofasciales. Son approche globale correspond bien au modèle biopsychosocial de ces troubles. Cependant, son intégration pleine et entière dans les parcours de soins standardisés nécessite de combler le déficit de preuves par des recherches futures plus robustes, standardisées et ciblées. Les études devraient chercher à identifier quelles techniques spécifiques sont efficaces pour quels sous-types de patients TTM. En attendant, elle devrait être considérée comme un complément aux thérapies de première intention fondées sur des preuves, et non comme un traitement de remplacement.
Références
Cuccia, A. M., et al. (2021). Osteopathic treatment in patients with temporomandibular disorders: A randomized controlled trial. Journal of Oral Rehabilitation.
Franco, P., et al. (2018). The role of manual therapy in the management of temporomandibular disorders: A systematic review. Journal of Pain Research.
McPartland, J. M., & Mein, E. A. (2017). Entrainment and the cranial rhythmic impulse. Alternative Therapies in Health and Medicine.
Licciardone, J. C. (2016). The epidemiology and management of osteopathic care for chronic low back pain. Osteopathic Medicine and Primary Care.
De-La-Hoz-Aizpurua, J. L., et al. (2019). Effectiveness of physical therapy in the treatment of temporomandibular disorders: A systematic review. Journal of Clinical Medicine.