La pratique de l'ostéopathie en France soulève une question épineuse de concurrence, en particulier entre les kinésithérapeutes-ostéopathes, qui sont des professionnels de santé reconnus, et les ostéopathes exclusifs, dont le statut est différent. Cette situation engendre une forme de concurrence que beaucoup considèrent comme déloyale, impactant à la fois les professionnels et les patients.
D'un côté, on estime qu'environ 10 000 kinésithérapeutes pratiquent également l'ostéopathie en France. Ils bénéficient d'une double casquette qui leur confère une légitimité et une crédibilité importantes auprès du public et des autorités de santé. Leur formation initiale en kinésithérapie, reconnue et encadrée par l'État, leur apporte un socle de connaissances médicales solide. L'ajout d'une formation en ostéopathie leur permet d'élargir leur champ de compétences et d'attirer une patientèle en quête de cette approche spécifique. Cependant, la pertinence pour un kinésithérapeute, dont la formation est d'obédience médicale et scientifique, de se former à une discipline que certains au sein de leur profession jugent charlatanesque et dont le caractère médical est contesté, tout en la revendiquant, mérite d'être questionnée. Il est d'autant plus pertinent de souligner que, selon diverses études, une part significative (50-60%) des techniques couramment utilisées en kinésithérapie, en dehors des exercices actifs et de l'éducation thérapeutique, ne repose pas sur des preuves solides d'efficacité. De plus, 20-30% des techniques auraient des preuves partielles ou contradictoires, laissant seulement 10-30% (selon les domaines) s'appuyer sur des études robustes. Dans ce contexte, l'argument d'une formation "scientifique" en kinésithérapie comme justification d'une critique de l'ostéopathie apparaît nuancé.
Pascale Mathieu, la présidente de l’Ordre des masseurs-kinésithérapeutes (CNOMK), a exprimé son inquiétude face aux "dérives de l’ostéopathie", allant jusqu'à déclarer : "On a créé un monstre". Cette déclaration, relayée par Egora.fr, mérite une analyse critique. Si la présidente de l'Ordre pointe du doigt des pratiques dangereuses et appelle à un recensement de ces cas, qu'elle qualifie de "dingueries", il est important de noter que son point de vue est celui d'une représentante d'une profession potentiellement en concurrence avec l'ostéopathie exclusive. Son initiative de créer un "BOT" pour recenser les "dingueries ostéo" sur les réseaux sociaux, bien que louable dans son intention de protéger les patients, pourrait être perçue comme une démarche partiale, axée sur la mise en évidence des dérives sans nécessairement offrir une vision équilibrée de la pratique ostéopathique dans son ensemble. Il est d'autant plus frappant de constater que, si elle souhaite activement recenser les incidents liés à une profession qui n'est pas la sienne, elle ne semble pas plaider pour la création d'un registre similaire pour les incidents qui surviennent annuellement dans sa propre profession, contrairement à ce qui existe par exemple aux États-Unis. Cette absence de réciprocité interroge sur la cohérence de sa démarche. De plus, son argumentaire semble parfois généraliser des cas isolés à l'ensemble de la profession, ce qui pourrait induire un biais de perception. Il est également pertinent de noter que l'Ordre des kinésithérapeutes ne remet pas en question la pratique de l'ostéopathie par ses propres membres, ce qui soulève une interrogation sur la cohérence de leur démarche.
Il est d'autant plus paradoxal de constater que cette même profession de kinésithérapie, si prompte à critiquer l'ostéopathie, ne manifeste aucun intérêt similaire pour la chiropractie, une profession pourtant jumelle de l'ostéopathie mais jouissant d'une réputation souvent perçue comme plus médicale et davantage axée sur des preuves scientifiques. Cette sélectivité dans la critique interroge sur les motivations réelles derrière l'appropriation de l'ostéopathie par un nombre significatif de kinésithérapeutes.
De l'autre côté, les ostéopathes exclusifs exercent une profession qui, bien que de plus en plus répandue et recherchée, ne bénéficie pas du même niveau de reconnaissance légale en tant que profession de santé. Leur formation, dispensée par des écoles privées, est soumise à des normes de qualité définies, mais ils ne sont pas inscrits au répertoire des professions de santé. Cette absence de statut officiel a plusieurs conséquences. Premièrement, leurs actes ne sont généralement pas remboursés par la Sécurité sociale, ce qui peut constituer un frein pour certains patients. Deuxièmement, ils peuvent être perçus comme moins légitimes ou moins fiables par une partie du public, malgré la qualité de leur formation et de leur pratique.
Cette disparité de statut crée une concurrence déloyale. Les kinésithérapeutes-ostéopathes peuvent attirer des patients en mettant en avant leur qualité de professionnel de santé et la possibilité, dans certains cas, d'un remboursement. Les ostéopathes exclusifs, quant à eux, doivent souvent compenser cette absence de reconnaissance par une communication axée sur la spécificité et l'efficacité de leur approche.
De plus, la confusion peut régner dans l'esprit des patients. Face à des professionnels se présentant tous comme "ostéopathes", il peut être difficile de distinguer ceux qui sont également kinésithérapeutes de ceux qui ne le sont pas, et de comprendre les implications en termes de remboursement et de reconnaissance de leur formation.
Un paradoxe notable vient complexifier cette situation. L’inscription des ostéopathes au Répertoire Partagé des Professionnels de Santé (RPPS) marque une avancée importante dans l’histoire de notre profession. Elle témoigne d’une reconnaissance croissante de leur rôle au sein du système de soins, en tant qu’acteurs de terrain, engagés dans la prise en charge, la prévention et l'accompagnement des patients. Mais cette reconnaissance reste incomplète, et ce manque d’aboutissement pénalise l’ensemble des acteurs : ostéopathes, patients, institutions. Aujourd’hui, une situation paradoxale demeure : les ostéopathes exerçant en double compétence (kinésithérapeutes, médecins...) sont reconnus comme professionnels de santé à part entière, tandis que les ostéopathes en exercice exclusif ne le sont toujours pas, bien qu’ils soient enregistrés au RPPS et soumis à des exigences comparables. Cette distinction crée une dualité injustifiée, qui divise artificiellement une même profession, pourtant unie par les mêmes compétences, les mêmes responsabilités, et le même engagement envers les patients.
Il est frappant de constater que le conseil de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes, tout en dénonçant les "dérives" de l'ostéopathie, ne semble pas remettre en question la pratique de l'ostéopathie par ses propres membres. Cette position interroge sur la cohérence de leur démarche. Ne serait-il pas plus pertinent de s'assurer que les kinésithérapeutes pratiquant l'ostéopathie respectent des normes d'exercice rigoureuses, plutôt que de cibler principalement une profession non réglementée ?
Pour des raisons éthiques et de clarté pour les patients, le législateur devrait sérieusement envisager d'interdire l'exercice simultané de deux professions distinctes par un même professionnel. Le cumul des titres de kinésithérapeute et d'ostéopathe peut créer des conflits d'intérêts et une confusion préjudiciable pour le patient. Un professionnel exerçant deux rôles est tenté de privilégier l'une ou l'autre approche en fonction de considérations financières (notamment le remboursement des actes de kinésithérapie) plutôt que du réel besoin du patient.
Cette situation de concurrence déloyale, le paradoxe statutaire, la position paradoxale de la kinésithérapie vis-à-vis de l'ostéopathie et de la chiropractie, les critiques de la présidente de l'Ordre des kinésithérapeutes, les considérations éthiques liées à la double pratique, et le positionnement du conseil de l'ordre soulèvent des questions importantes sur la nécessité d'une régulation de la double pratique. Une reconnaissance plus claire et un encadrement plus strict pourraient permettre de garantir une meilleure information aux patients, une concurrence plus équitable entre les praticiens, et une pratique plus éthique au service du bien-être des patients. Cette démarche pourrait, à terme, se traduire par une meilleure qualité des soins ostéopathiques et une protection accrue des patients.