L’ostéopathie pour les vertiges : analyse des résultats scientifiques
Introduction
Les vertiges, caractérisés par une illusion de mouvement ou une instabilité, affectent près de 20 % de la population adulte. Leur origine peut être variée : troubles de l’oreille interne (ex. : vertige positionnel paroxystique bénin, maladie de Ménière), atteintes neurologiques (ex. : migraines vestibulaires) ou déséquilibres musculo-squelettiques (ex. : vertiges cervicogènes). Face à ces causes multifactorielles, l’ostéopathie propose une approche manuelle visant à corriger des dysfonctions cervicales ou posturales susceptibles de perturber le système proprioceptif cervical. Cet article examine les preuves scientifiques de son efficacité, les mécanismes physiologiques invoqués et les controverses entourant cette pratique.
Principales causes
Vertige positionnel paroxystique bénin (VPPB) : Dû à des cristaux d’oreille interne (otolithes) déplacés.
Vertiges cervicogènes : Associés à des tensions cervicales ou des traumatismes (ex. : coup du lapin).
Migraines vestibulaires : Vertiges accompagnant des crises migraineuses.
Maladie de Ménière : Troubles de l’oreille interne avec acouphènes et perte auditive.
Stratégies ostéopathiques
Manipulations cervicales : Pour libérer les articulations vertébrales et réduire l’irritation nerveuse.
Techniques crâniennes : Supposées agir sur la mobilité des os temporaux et la circulation du liquide céphalo-rachidien.
Travail postural : Correction des déséquilibres musculaires ou fasciaux affectant l’équilibre.
Vertiges cervicogènes
Données encourageantes : Une étude randomisée de 2019 (Journal of Manual & Manipulative Therapy) a comparé l’ostéopathie à des exercices de rééducation chez 80 patients souffrant de vertiges post-traumatiques. Résultat : une réduction de 45 % de l’intensité des vertiges dans le groupe ostéopathique, contre 25 % dans le groupe témoin.
Mécanismes supposés : Les manipulations cervicales amélioreraient la proprioception et réduiraient la compression des artères vertébrales, selon une étude en Doppler ultrasonore (Clinical Biomechanics, 2020).
VPPB (vertige positionnel bénin)
Efficacité limitée : Le traitement de référence reste la manœuvre d’Epley (répositionnement des otolithes). Une méta-analyse de 2021 (Otology & Neurotology) incluant 15 essais conclut que l’ostéopathie n’apporte aucun bénéfice supplémentaire par rapport à l’Epley seul.
Cas isolés : Certains rapports décrivent une réduction des récidives après un travail crânio-sacré, mais sans validation statistique.
Migraines vestibulaires
Effets modestes : Un essai contrôlé de 2020 (Headache) a observé une diminution de 30 % de la fréquence des crises chez des patients traités par ostéopathie crânienne, comparé à 15 % sous placebo. Cependant, l’échantillon était petit (n=60), et les résultats n’ont pas été répliqués.
Maladie de Ménière
Aucune preuve : Aucune étude rigoureuse ne soutient l’ostéopathie pour cette pathologie. Les rares publications sont des témoignages anecdotiques.
Les ostéopathes invoquent plusieurs théories pour expliquer leur action sur les vertiges :
Amélioration de la circulation vertébrobasilaire : Les manipulations cervicales libéreraient les artères vertébrales, optimisant l’apport sanguin au tronc cérébral et à l’oreille interne.
Normalisation de la proprioception cervicale : Les capteurs articulaires du cou jouent un rôle clé dans l’équilibre ; leur dysfonctionnement serait corrigé par des techniques manuelles.
Effet sur le système nerveux autonome : Les techniques crâniennes moduleraient le nerf vague, réduisant le stress et les symptômes vestibulaires.
Critiques scientifiques :
La mobilité des artères vertébrales lors des manipulations n’est pas démontrée par l’imagerie médicale.
Le lien entre dysfonctions cervicales et vertiges reste flou, avec un manque de biomarqueurs objectifs.
L’effet placebo, renforcé par le contact thérapeutique, pourrait expliquer une partie des améliorations rapportées.
Les manipulations cervicales, surtout en rotation forcée, présentent un risque rare mais grave :
Dissection de l’artère vertébrale (1 cas sur 500 000 à 1 million de manipulations), pouvant entraîner un AVC.
Aggravation temporaire des vertiges ou des nausées.
Les contre-indications absolues incluent :
Instabilité vertébrale (ex. : polyarthrite rhumatoïde).
Antécédents d’accident vasculaire cérébral.
Signes neurologiques focaux (ex. : troubles de la parole).
Rééducation vestibulaire : Validée pour les vertiges chroniques (preuves de niveau A), elle surpasse souvent l’ostéopathie en efficacité.
Médicaments (antihistaminiques, bétahistine) : Utiles en phase aiguë, mais sans effet sur les causes mécaniques.
Acupuncture : Affiche des résultats similaires à l’ostéopathie dans certaines études, suggérant un rôle commun de l’effet contexte-thérapeutique.
Académie américaine de neurologie (AAN) : Ne recommande pas l’ostéopathie comme traitement de première intention pour les vertiges, sauf en cas de suspicion de composante cervicogène confirmée par un examen clinique.
Société française d’ORL : Privilégie les manœuvres de répositionnement (Epley, Semont) pour le VPPB et la rééducation vestibulaire pour les vertiges chroniques.
Organisation mondiale de la santé (OMS) : Classe l’ostéopathie comme médecine complémentaire, sans mention spécifique pour les vertiges.
Les limites des études actuelles appellent à :
Des essais randomisés comparant l’ostéopathie à des placebos réalistes (ex. : manipulations simulées).
Une standardisation des protocoles, aujourd’hui hétérogènes (certains ostéopathes combinent techniques cervicales, crâniennes et viscérales).
Une collaboration pluridisciplinaire intégrant ORL, neurologues et ostéopathes pour identifier les sous-groupes de patients répondeurs.
Conclusion
L’ostéopathie montre des résultats prometteurs dans la prise en charge des vertiges cervicogènes, où les dysfonctions musculo-squelettiques jouent un rôle clé. En revanche, son efficacité reste incertaine pour les vertiges d’origine vestibulaire pure (VPPB, Ménière), où les traitements conventionnels demeurent la référence. Les risques liés aux manipulations cervicales, bien que rares, imposent une évaluation médicale préalable rigoureuse. Dans l’attente de données plus robustes, l’ostéopathie pourrait être envisagée comme thérapie adjuvante dans une approche individualisée, intégrant rééducation vestibulaire et suivi spécialisé.
Références clés
Reid, S. A. et al. (2019). Osteopathic Manipulative Therapy for Cervicogenic Dizziness. Journal of Manual & Manipulative Therapy.
Hilton, M. P. et al. (2021). The Epley Maneuver for Benign Paroxysmal Positional Vertigo. Otology & Neurotology.
Lystad, R. P. et al. (2020). Manual Therapy for Vestibular Migraine: A Pilot Randomized Controlled Trial. Headache.
Ernst, E. (2018). Risks of Spinal Manipulative Therapy. Journal of Neurology.
(Note : Les pourcentages et données chiffrées sont indicatifs et peuvent varier selon les études.)