L'Ostéopathie intrapelvienne
Introduction
L’ostéopathie, thérapie fondée sur des manipulations manuelles, gagne en popularité pour traiter la lombalgie. Parmi ses techniques controversées figure le toucher rectal ou vaginal, utilisé pour manipuler le coccyx ou les structures pelviennes. Bien que présenté comme une solution holistique, cette pratique soulève des questions scientifiques, éthiques et sécuritaires.
Andrew Taylor Still, fondateur de l'ostéopathie en 1874, établit une discipline centrée sur l’équilibre structurel du corps via des manipulations externes. Ses techniques, exclusivement non invasives, ciblaient les articulations, les muscles et les fascias, sans jamais recourir à des manipulations internes des cavités rectales ou vaginales. Pour Still, l’intervention ostéopathique devait libérer les « blocages » mécaniques par des ajustements précis, mais toujours respectueux des barrières anatomiques naturelles.
C’est bien plus tard, avec des figures comme Jean-Pierre Barral, que ces méthodes intimes émergent. Dans Manipulations de la prostate (2004), ce dernier décrit des techniques rectales pour traiter des dysfonctions pelviennes, s’éloignant radicalement de l’approche stillienne. Barral justifiait ces pratiques par une vision élargie des chaînes fasciales, reliant le bassin à des zones distantes comme la colonne vertébrale – une théorie absente des écrits originels de Still.
En 2007, le décret n°2007-435 a redéfini les compétences des ostéopathes exclusifs (non médecins/kinés) : les touchers pelviens (rectaux ou vaginaux) leur sont interdits, réservés aux professionnels de santé habilités (médecins, kinésithérapeutes, sages-femmes). Cette loi répondait à des préoccupations éthiques et sécuritaires, notamment le risque d’abus ou de diagnostics erronés. Les kinésithérapeutes-ostéopathes peuvent exceptionnellement les pratiquer, sous prescription médicale, dans des cas précis (rééducation périnéale, coccygodynies).
Malgré ces restrictions, L’Express révèle en 2023 une recrudescence de ces techniques, notamment pour des maux de dos ou des migraines. Certains ostéopathes contournent la loi en invoquant une approche « globale » du bassin, promettant de soulager des douleurs chroniques. Des patientes témoignent de séances intrusives :
Une femme décrit un toucher vaginal justifié par un « désalignement utérin » supposé causer ses lombalgies.
Un homme rapporte des manipulations rectales sans consentement éclairé.
Ces pratiques s’appuient sur des théories non validées scientifiquement, comme l’idée qu’un « blocage pelvien » affecterait la posture.
a. Un manque de validation scientifique
Aucune étude solide ne prouve l’efficacité des manipulations pelviennes en ostéopathie pour des pathologies extra-génitales. L’Académie de médecine française et l’Ordre des kinésithérapeutes dénoncent des pratiques ésotériques, risquant de retarder des diagnostics sérieux (endométriose, cancers, etc.).
b. Des traumatismes psychologiques
Les témoignages recueillis par L’Express soulignent des violences psychiques : patients culpabilisés (« Votre bassin est verrouillé »), sentiments de honte, voire syndromes post-traumatiques. Une patiente résume : « Je me suis sentie violée, pas soignée. »
c. Une régulation défaillante
Bien que l’Ordre des médecins interdise ces actes, les contrôles sont rares. Certains praticiens utilisent des euphémismes (« approche interne ») pour éviter les poursuites. La frontière entre ostéopathie et charlatanisme s’amincit, alimentant la méfiance du public.
Les défenseurs de ces techniques invoquent la liberté thérapeutique et l’héritage de Barral. Cependant, même parmi les ostéopathes, des voix s’élèvent :
« Ces méthodes discréditent notre profession », alerte un enseignant en école d’ostéopathie.
D’autres rappellent que les écoles n’enseignent plus ces gestes depuis 2007, les réservant à des formations privées, souvent opaques.
Les défenseurs des techniques pelviennes invoquent parfois une filiation avec Still, arguant que l’ostéopathie a toujours été « exploratoire ». Cet argument est historiquement infondé : Still, fervent méthodiste et rigoriste, rejetait toute intrusion dans les orifices naturels, associant ces gestes à la médecine allopathique qu’il critiquait. Comme le rappelle un historien de l’ostéopathie : « Still voyait le corps comme une machine sacrée à réparer de l’extérieur, jamais à violenter de l’intérieur ».
Andrew Taylor Still, médecin américain du XIXe siècle, concevait l’ostéopathie comme une médecine respectueuse de l’intégrité corporelle, centrée sur l’équilibre musculosquelettique sans recours à des manipulations invasives. Or, le toucher rectal, en plus de son absence de légitimité scientifique, représente une rupture radicale avec cette éthique. La communauté ostéopathique dans son ensemble devrait condamner cette pratique, non seulement pour protéger les patients, mais aussi pour préserver la crédibilité de la discipline.
Conclusion
Les touchers rectaux ou vaginaux en ostéopathie incarnent une pratique dangereusement déconnectée de l'ostéopathie et de la médecine factuelle. Face aux risques physiques, aux enjeux éthiques et à l’absence de preuves, une réglementation plus stricte s’impose. Les patients méritent des traitements transparents, fondés sur la science, et non sur des traditions douteuses. La communauté médicale et ostéopathique doit condamner ces méthodes, privilégiant l’éthique et la sécurité des soins.Enfin, un retour aux fondamentaux stilliens pourrait clarifier les limites de la discipline : l’ostéopathie, conçue comme une médecine manuelle non invasive, perd son essence lorsqu’elle emprunte des techniques risquées, étrangères à sa philosophie originelle. Still, s’il avait été témoin de ces dérives, aurait sans doute rappelé que la main de l’ostéopathe est un outil de libération, non de pénétration.
Références
Références :
Barral, J.-P. (2004). Manipulations de la prostate. Elsevier Masson.
Décret n°2007-435 relatif aux actes et aux conditions d’exercice de l’ostéopathie.
L’Express (2023). « Des touchers vaginaux et rectaux pour un mal de dos : l’inquiétant essor de l’ostéopathie pelvienne ».
Un traitement d'ostéopathie confondu avec une agression sexuelle