L’ajustement de la vertèbre atlas (C1) est une intervention fréquemment promue par certains chiropraticiens et vertébrothérapeutes comme une solution miracle pour divers troubles musculo-squelettiques, neurologiques et même systémiques. Cette pratique repose sur l’idée qu’un désalignement de l’atlas perturberait la transmission nerveuse, la circulation sanguine ou la biomécanique globale, engendrant des symptômes variés. Cependant, cette approche soulève des interrogations scientifiques quant à son efficacité, sa justification anatomophysiologique et ses risques potentiels. Cet essai examine de manière critique les fondements théoriques, les preuves cliniques et les controverses entourant cette technique.
L’atlas (C1) est la première vertèbre cervicale, supportant le crâne et permettant une grande amplitude de mouvement. Son intégrité est cruciale pour la stabilité cervicale et la protection des structures neurovasculaires (artères vertébrales, moelle épinière). Certains praticiens affirment qu’un "désalignement" (subluxation) de l’atlas peut :
Comprimer les nerfs spinaux, perturbant l’influx nerveux.
Altérer le flux sanguin vertébrobasilaire.
Dérégler la posture globale via des chaînes musculaires ascendantes.
La chiropratique traditionnelle postule que des subluxations vertébrales (désalignements supposés) perturbent l’homéostasie corporelle. L’atlas, en raison de sa position stratégique, serait un point clé pour rétablir cette harmonie. Cependant, cette notion de subluxation comme entité pathologique n’est pas validée par l’imagerie médicale moderne (Raymond et al., 2018).
Plusieurs méthodes sont utilisées pour "réaligner" l’atlas :
Ajustement chiropratique manuel (manipulation HVLA – High Velocity Low Amplitude).
Méthodes instrumentales (ex. : Activator).
Thérapies alternatives (AtlasPROfilax®, basée sur des vibrations).
Les praticiens promouvant l’ajustement de l’atlas lui attribuent des bénéfices larges et souvent disproportionnés :
Soulagement des migraines et céphalées.
Amélioration des troubles posturaux (scoliose, bassin asymétrique).
Régulation de la tension artérielle.
Effets sur l’anxiété et la fatigue chronique.
Cependant :
Aucune étude randomisée contrôlée de haute qualité ne valide ces allégations (Ernst, 2009).
Les migraines et céphalées peuvent temporairement s’améliorer après manipulation cervicale, mais l’effet est souvent non spécifique et de courte durée (Chaibi et al., 2017).
Les revues systématiques (Cochrane, 2016) concluent à un manque de preuves pour l’efficacité des manipulations vertébrales sur des conditions non musculo-squelettiques.
La région cervicale haute est une zone à risque en raison de la proximité de l’artère vertébrale. Les manipulations de l’atlas peuvent entraîner :
Dissection de l’artère vertébrale, menant à un AVC (Cassidy et al., 2008).
Lésions médullaires (rare mais documenté dans des cas de manipulation forcée).
Aggravation d’instabilités préexistantes (ex. : malformation d’Arnold-Chiari).
Le "désalignement" de l’atlas n’est pas identifiable radiologiquement de manière fiable (Hutting et al., 2013).
Les tests chiropratiques (palpation, analyse posturale) manquent de reproductibilité scientifique.
L’idée qu’un réalignement de l’atlas puisse "décomprimer" les nerfs spinaux est contestable :
Les racines nerveuses cervicales sortent latéralement et ne sont pas compressées par un simple déplacement mineur.
Aucune preuve histologique ou électrophysiologique ne corrobore cette hypothèse.
Les variations de flux sanguin attribuées à un "mauvais positionnement" de l’atlas ne sont pas démontrées par des études Doppler (Thomas et al., 2020).
Les améliorations rapportées par les patients relèvent probablement d’effets placebo ou de mécanismes non spécifiques (relaxation musculaire).
L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) reconnaît la chiropratique mais insiste sur la nécessité de pratiques fondées sur des preuves.
En France, l’Académie de Médecine met en garde contre les manipulations cervicales non justifiées (2021).
L’ostéopathie et la chiropratique sont encadrées légalement, mais certaines techniques (comme AtlasPROfilax®) restent marginales et non validées.
L’ajustement de l’atlas est une pratique ancrée dans des théories non vérifiées, promue avec des revendications thérapeutiques excessives et peu soutenues par la science. Si certaines manipulations cervicales peuvent apporter un soulagement symptomatique dans des cas spécifiques (ex. : douleurs mécaniques), leur application à des pathologies systémiques ou neurologiques manque de rigueur empirique. Les risques associés, notamment vasculaires, imposent une évaluation prudente et un recours raisonné. Une approche pluridisciplinaire, intégrant médecine factuelle et thérapies manuelles ciblées, semble préférable à des interventions non fondées sur le "réalignement" de l’atlas.
Cassidy, J. D., et al. (2008). Stroke, 39(1), 317-320.
Ernst, E. (2009). Chiropractic spinal manipulation for back pain. BMJ, 339.
Hutting, N., et al. (2013). BMC Musculoskeletal Disorders, 14(1), 1-8.
Raymond, J., et al. (2018). The Spine Journal, 18(1), 171-179.