Marcynéma et les quarante Rencontres

Jean-Luc Chemorin (octobre 2010) 

Ce récit égrène quarante années de rencontres parsemées d'anecdotes au détour desquelles le lecteur se surprend à croiser des personnages qui ont laissé une trace sur le grand écran. C'est la vision d'un des bénévoles de la première heure.


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Préface

 

Au cœur du Brionnais roman, Marcigny s'enorgueillit des gibbosités de sa Tour du moulin et des colombages de sa maison de bois, toutes deux édifiées au XVe siècle. Lorsque, vers la fin de l'année, les jours se font plus courts, cette bourgade accueille une Rencontre de cinéma.


 

Cette manifestation compte un public toujours plus important. Cinéphiles et simples amateurs viennent de diverses régions, principalement de cette contrée qui s'étend de Chalon-sur-Saône, berceau de la photographie, à Lyon, celui du cinéma. L'exceptionnelle longévité des Rencontres cinéma de Marcigny s'explique par la convivialité de la formule, la diversité de la programmation autour d'un thème, la qualité des copies projetées, la fidélité du public et la passion des organisateurs bénévoles.


 

L'intention n'est pas de retracer ici l'histoire des Rencontres cinéma de Marcigny ; pas davantage d’ailleurs d'en dresser un bilan objectif. Le propos est celui d'un des bénévoles de l'aventure qui, ne sachant pas qu'elle allait s'inscrire dans le temps, n'a gardé au fil des années que quelques notes et documents. Le récit de cette aventure singulière qui, en remontant à ses origines, traverse un demi-siècle de cinéma, invite à égrener des années émaillées d'anecdotes au détour desquelles le lecteur se surprendra à croiser quelques célébrités qui ont laissé leur empreinte sur le grand écran.


 

L'approche se veut "impressionniste" dans le sens où, pour chacune des Rencontres, elle ne retient que quelques scènes, quelques déclarations, quelques impressions... ces impressions qui restent aujourd'hui encore dans un coin de la mémoire.

1971 : 1re rencontre
Essais cinématographiques - Cinéma expérimental

« Marcigny se nomme ainsi parce qu’à son emplacement, il y a très longtemps, s’étalait une mare sur laquelle glissaient des cygnes ». Dans la cour de la communale, écoliers en blouse grise et en culottes courtes, nous colportions une version bien à nous sur l’origine de la dénomination de notre bourgade. Nous avancions une explication sur tout. Ainsi, nous propagions la raison pour laquelle la place entourée de platanes, proche du poilu de pierre dressé en l’honneur des soldats morts au combat, portait un nom qu’aucune plaque émaillée ne révélait. Autrefois un étang s'étalait là. La population décida de le combler. La poterie y déversait alors des tombereaux de scories et les habitants y engloutissaient tous les déchets qu’ils pouvaient transporter. Nous retenions uniquement l'apport d’excréments. Il nous semblait logique que la place porte le nom de Cambronne !


 

Moi, j’habitais Borchamp. Nous disions que le quartier portait ce nom car situé au bord des champs, à la limite sud du village. L'explication de l'origine du mot est sans aucun doute moins contestable que les précédentes.


 

À la fenêtre de la pièce où trônait la cuisinière à charbon, je collais mon nez contre la vitre, dans l’épaisseur de laquelle les bulles de gaz de sa genèse dessinaient des chimères. Je rêvassais en laissant courir mon regard sur la verte colline qui s’étalait face à moi. S’y détachait le blanc de la robe des charolaises mastiquant avec application leurs bols de graminées gluants de salive. Ce fut l’un des premiers plans fixes de mon enfance, à moi, fils "du Médée" et "de la Fanny". Chez nous, l’article s’utilise même devant les diminutifs et les prénoms. Je me souviens que cet écart de langage rendait perplexes les petits Parisiens venant en vacances dans le Brionnais. Lorsque nous disions que nous allions voir « la Martine », ils croyaient que nous nous rendions à Milly, autre village de Saône-et-Loire, terres du célèbre poète romantique.


 

Même devant les surnoms l’article est souvent de mise. Et ici les surnoms ne manquent pas. Pour moi, depuis l’époque à laquelle j’allais en classe avec pour goûter une carotte tirée de la terre alluvionnaire du jardin de mon père, glissée dans mon cartable en carton-bouilli, je porte celui de Pinpin. Ce surnom évoque bien entendu le lagomorphe que certains élèvent, pour améliorer l'ordinaire, dans des clapiers au fond des jardins et que d’autres chassent dans les garennes environnantes.


 

Il n’est donc pas étonnant, en ce 29 décembre 1971, de me voir accueillir au Foyer-Cinéma par un « V’là l’Pinpin ! ».


 

Depuis avant-hier le club des jeunes organise ce que la presse locale présente dans l’édition de ce mercredi sous le titre de « Première rencontre cinématographique ». Cela suppose qu’après le thème de cette année, "Essais cinématographiques - Cinéma expérimental", il y en aura d’autres mais est-ce pour autant la naissance d’une manifestation pérenne ?  Pas sûr !


 

En attendant, je découvre sur l’écran les étapes d’une autre naissance. Liette, décoratrice, est enceinte de son deuxième enfant. Elle prépare son accouchement avec son mari Clément. Elle explique les transformations qui s’opèrent sur son corps. Ce film, De mère en fille, tire son inspiration du propre journal de grossesse de la réalisatrice québécoise Anne-Claire Poirier. À la fois fiction et document, l’hybridation des genres aboutit à un film coup de poing qui me colle au siège. Vivement 17 heures pour l’hommage à Charlot…


1972 : 2e rencontre
Cinéma et guerre

Il y a quatre ans, François Missoffe, ministre de la Jeunesse et des sports, voulait mettre en place une politique tenant compte des aspirations de ceux qu’il appelait « les inorganisés ». Il lançait l’opération "mille clubs des jeunes" en direction des zones rurales et urbaines. Selon lui, il fallait « créer un équipement léger destiné à un nombre de jeunes et donner à ces jeunes un sentiment de communauté et d’appropriation en leur faisant monter eux-mêmes leur local. »


 

Durant ces quatre années s'est créé le club des jeunes de Marcigny avec Paul Jeunet comme président fondateur. Les événements de mai 1968 ayant marqué les esprits, la municipalité s'est montrée méfiante vis-à-vis de ce nouveau venu dans les associations marcignotes. En 1969, sous la pression des jeunes, avec l'accord de la paroisse, un premier local fut mis à la disposition du club dans le bâtiment de l'école privée Sainte Véraise, rue des Abergeries.


 

Les « inorganisés » ne désarmant pas, des camions déchargèrent un jour, quelques tonnes de matériel conditionné en paquets de trente kilos et une notice de montage fut remise au maire. Ce dernier fit placer des dés de fondations dans un petit terrain vague, ancien lit de la Loire, tout près du cimetière. Les jeunes s'organisèrent en équipes, chacun selon ses capacités, sous la conduite d'un des leurs : Pierre Gagneau qui devint pour l'occasion l'un des chefs de chantier. Grâce au jeu de panneaux et de poutrelles, une maisonnette sortit de terre. Les modules au toit arrondi abritaient quelques pièces équipées de cloisons amovibles. Ce bâtiment "Mille clubs" fut inauguré courant 1970 par le député Paul Duraffour, le maire Jean Chizallet et l'inspecteur Jacquinet de la direction départementale de la jeunesse et des sports.


 

Depuis un peu plus d'un an, à la tête du club des jeunes, se trouve un nouveau président qui ne plait pas davantage à la municipalité. C’est "Coco", encore un surnom ! Le sobriquet n'a rien de moqueur ; il n'a pour origine ni la noix du palmier, ni les feuilles du coca et ne désigne pas davantage un membre du Parti communiste français. Il s'agit du diminutif de Jacques.

J'ai toujours connu Jacques Charmont sous cette dénomination. Avec ce Coco-là, étudiant à Dijon, j'ai partagé le même étage d'un bâtiment de la cité universitaire Montmuzard. Il a du caractère ! Toujours prêt à débattre, il est entier dans ses opinions, ce qui ne l'empêche nullement de faire preuve d'humour, convaincu, dit-il, qu'« il faut bien rigoler, mais il est dommage qu'on n'ait pas que ça à foutre ! ». Ainsi, je le revois lors de cette soirée que nous avions passée au théâtre de Dijon. S'y produisait Jean Ferrat, ce chanteur debout à la voix chaude et au vibrato régulier qui commençait enfin à être connu. À l'issue du tour de chant, nous étions deux ou trois étudiants postés à la sortie des artistes. Ce soir-là, Coco sortait pour support d'autographe le couvercle circulaire et coloré d'une boîte à fromage représentant un fou du roi. Gentiment, l'auteur de La Montagne signait, sourire aux lèvres, comprenant bien entendu, l’allusion au premier couplet de sa chanson La Voix lactée, SGDG, couplet dans lequel il fredonne : « Avant que mes chansons ne fassent des recettes / J'étais un paria du monde des affaires / Il paraît qu'à présent, c'est fou ce qu'on m'achète / Je suis considéré autant qu'un camembert ».


 

En ce 26 décembre 1972, Coco et ceux qui l'entourent ouvrent la 2e Rencontre. Un patronage est assuré par la ville de Marcigny, Le Courrier de Saône-et-Loire et "Jeunesse et sports" ; des affiches sont dessinées à la main par Coye (surnom de Jean-Pierre Collier !), les dortoirs du petit séminaire de Semur sont aménagés, les projecteurs 16 mm sont installés au fond du Foyer avec à leurs pieds les boîtes du film allemand Signes de vie d'un dénommé Werner Herzog. C'est parti pour trois jours !

1973 : 3e rencontre
Cinéma d’animation

Les vacances scolaires de Noël 1973 s'annoncent froides ! La bise souffle dans les rues de Marcigny. Mes doigts engourdis serrent bien mal le pinceau qui me permet d'étaler la colle, confectionnée d'un mélange d'eau et de farine, dont je barbouille l'immense porte de grange du père Renard, rue de la Paillebotte. Est-ce bien nécessaire d'apposer encore des affiches de la troisième Rencontre à quelques jours du début de celle-ci ? Ce qui est sûr, c'est que je suis en train d'attraper la crève ! Mais bon ! C'est Paul qui l'a décidé et je reconnais ne rien pouvoir refuser à Paul !


 

C'est avec Paul, et son jeune frère Michel, que j'ai connu les premiers ciné-clubs à Marcigny, même si les séances d'alors n'en portaient pas le nom. Il y a tout juste une dizaine d'années, le curé de l'époque, Henri Badin nous proposait de visionner, entre nous, les films qu'il louait alors pour les séances publiques du samedi et du dimanche. Nous nous retrouvions le jeudi, en fin d'après-midi, sur les sièges de bois de la salle paroissiale qui portait l'enseigne Le Foyer. C'est ainsi qu'adolescent, je découvrais le vocabulaire d'une langue nouvelle : "plan", "contre-plongée", "travelling"... et cette langue me plaisait car, inconsciemment, je sentais que, grâce à elle, je pourrais aller au-delà de l'écran. Œil pour œil d'André Cayatte m'apprenait l'ellipse d'un scénario. Je faisais de nouvelles connaissances, autres que les acteurs les plus célèbres. Avec Le Général della Rovere je découvrais, aux côtés de Vittorio De Sica, Hannes Messemer et Anne Vernon ; je m'intéressais au réalisateur Roberto Rossellini et au néoréalisme italien. Le Dialogue des carmélites conduisait à échanger sur les personnages de religieuses incarnés par Jeanne Moreau, Adila Valli et Pascale Audret aux côtés d'un Pierre Brasseur essayant de donner corps à un commissaire du peuple. La présence de Jean-Louis Barrault nous renvoyait à la réalisation de Marcel Carné, Les Enfants du paradis et l'histoire tout entière au roman de Georges Bernanos. Une multitude de fenêtres à moi !

Un viron à Lyon, dans la 2CV du curé, nous transportait chez des distributeurs de films. Dans les bureaux de Cinédis, Pathé, Gaumont, Athos, Loye et Leitienne, nous planions entre les piles de boîtes métalliques. À la lecture de l'étiquette collée sur leur tranche, nous ne nous doutions pas toujours que de l'une d'elle pouvait sortir Marcel, l'ouvrier campé par Robert Dhéry achetant La Belle américaine à sa femme ; que dans une autre Le Guépard veillait jalousement sur la valse de Claudia Cardinale et de Burt Lancaster. En ouvrant une troisième, allions-nous surprendre ce jeune homme en quête de mariage, imaginé par Pierre Étaix dans Le Soupirant ? Aux murs, le papier peint cachait ses motifs sous un habillage d'affiches. L'une d'elles interrogeait : Qu'est-il arrivé à Baby Jane ? Une autre sur fond rouge nous signalait le déchaînement de O.S.S. 117, héros du romancier Jean Bruce alors que d'une autre encore Le Monocle noir nous surveillait.


 

C'est aussi avec Paul que j'ai fréquenté ensuite le ciné-club du lycée Jean Puy à Roanne, lycée que nous regagnions chaque jour grâce aux trajets réguliers assurés par les cars Gilbert entre les départements de la Saône-et-Loire et de la Loire. Ce fut alors pour moi la découverte de "La Nouvelle vague". Nous n'avions point l'aplomb d'Antoine Doinel de Truffaut mais nous nous faisions entendre. Sur les bancs lycéens, Paul et moi confectionnions, entièrement à la main, notre propre journal qui cheminait de bureau en bureau durant les cours de physique-chimie !


 

Et puis, Paul a créé à Marcigny, son propre ciné-club : "Cinéma différent II". Il présentait alors toutes les trois semaines environ des séances de courts métrages qui peu à peu trouvèrent leur public. Ce fut particulièrement vrai en novembre 1966 lors d'une journée entière de projection à Semur-en-Brionnais et à Pâques 1967 avec trois soirées consacrées au cinéma surréaliste illustré par les films d’Eric Duvivier. Avec l'abandon des courts métrages, "Cinéma différent II" devint "Ciné-club travelling" et la programmation donna la part belle au cinéma polonais.


 

C'est Paul encore qui me fit porter l'habit militaire que j'avais pourtant heureusement évité dans la vie car exempté de caserne suite aux activités estudiantines de mai 1968. Parmi ses réalisations tournées en 8 mm, L'Itinéraire, film sur l'armée et la guerre, me conduisit à patrouiller, treillis sur le dos et fusil à la main, dans les rues de Marcigny.


 

C'est Paul, enfin, qui, voyant la chute de la fréquentation, remit en cause la forme ciné-club et donna naissance à la formule « Rencontre ».


 

Cette troisième édition lui donne raison. Le public applaudit la danse des papiers découpés du court métrage Le Merle de Norman Mac Laren. Cet Écossais qui a rejoint l'Office national du film du Canada provoque encore des applaudissements lorsque les chiffres de Rythmétic refusent de s'additionner et quand la pixilation place face à face un homme en quête de repos et un siège facétieux dans Il était une chaise.


 

Ce public, en grande majorité composé de jeunes, vient de Roanne et de Saint-Étienne et même de beaucoup plus loin puisque nous côtoyons des Parisiennes et des Montpelliérains.

1974 : 4e rencontre
Fantastique – Science-fiction

La vie professionnelle me fixe, loin de Marcigny, en Anjou. Là, je flâne avec nostalgie sur les bords de Loire. Les eaux qui défilent devant moi charrient un peu de mon Brionnais. Elles ont caressé les nageuses de plus en plus rares au port d'Artaix, cogné les piles du pont de Chambilly et rafraîchi les châtrons de Baugy. Là où je suis, elles accueillent l'onde de La Maine qui, après avoir lavé les pieds du château du roi René, se jette dans la Loire. Je m'assieds sur le fond d'une barque retournée sur la berge et sors de ma poche une lettre reçue ce jour.


 

« Mézoargues, le 31 mars 1974

  Mon cher Pinpin, »

 

C'est Michel qui m'écrit... non pas le frère de Paul mais Michel Bories, le fils de la secrétaire de mairie. C'est mon plus vieux pote ; ça c’est sûr, je ne peux pas avoir plus ancien ! Nos berceaux se trouvaient côte à côte à l’époque où les mamans de Marcigny devaient encore obtenir une dérogation afin d’accoucher à la maternité de Charlieu dans le département limitrophe. Nous alimentions sans le savoir ce que les démographes allaient nommer la génération du baby-boom.


 

« Bonnes réunions autour de Paul au mas Saint-Michel mis à disposition grâce à Alain Goillon près de Tarascon. Nous sommes une quinzaine à plancher sur le devenir des Rencontres de cinéma. L'affluence des tâches et les problèmes d'organisation nous conduisent à créer le Comité national des rencontres cinéma de Marcigny. CNRC, tu vois que ça fait un beau sigle, ça commence par CNR comme le Conseil national de la résistance et en résistance nous y sommes ! Y'a du boulot pour sortir les gens de leur écran de télévision. Comme dit "le Paul", il faut que la Rencontre soit une fête du cinéma, qu’elle donne du plaisir sans bêtifier et propose des films rares et inédits. Va falloir relever le défi car le pari est audacieux ».


 

De l'audace, Michel en a souvent. Il ne laisse pas sa place. Pour plaisanter, je soutiens que dès la maternité, né quatre jours avant moi, il avait immédiatement fait jouer ses droits d’aînesse. Il avait tout de suite repéré le circuit du lait enfin accessible aux nourrissons après les années de restrictions. Résultat : il a toujours été plus costaud que moi qui suis resté malingre. Je ne lui en ai jamais voulu et la vie nous a réunis plus d’une fois. Ainsi, âgés de 18 ans, nous avons constitué le bureau de la Classe 67. Nous regroupions toutes les filles et tous les garçons du même âge et nous "faisions les conscrits". Cette coutume nous a permis de "porter la cocarde". Les garçons arboraient à la boutonnière un insigne de tissu aux trois couleurs nationales et allaient en offrir un à chacune des "conscrites". Tour à tour ces dernières recevaient les garçons de leur âge et c’était l’occasion de faire une boum. Nous avons aussi organisé des voyages, des bals comme la nuit des 18 ans remplissant la salle des fêtes de Marcigny, sans oublier le banquet de la classe au Restaurant du champ de foire chez Boussand. J’étais le président de cette classe et Michel l’actif secrétaire. Cette place de secrétaire, il l'assure aussi au club des jeunes depuis sa création.


 

La lettre poursuit : « Nous avons imaginé la constitution de notre comité avec des membres-correspondants dans divers points de France. Les parisiennes Christine Lemoine et Isabelle Thibault, rencontrées l'an dernier, seront nos correspondantes sur la capitale. Comme tu es actuellement vers Angers, je t'ai proposé pour représenter les Pays de Loire. En tant que secrétaire du club des jeunes, je garde les relations avec ce dernier et je représente la Bourgogne au CNRC. Paul est le responsable national bien entendu. Enfin tu vois, on s'organise pour continuer les Rencontres dans de bonnes conditions. Il va falloir voir comment faire entrer des subventions et comment se répartir les diverses tâches. »

1975 : 5e Rencontre
Crimes 

Au sens large du terme, et indépendamment de tout système juridique précis, un crime est un manquement grave à la loi. Un vol, simple délit correctionnel, peut devenir un crime selon diverses circonstances aggravantes. Je ne sais dans quelle catégorie entre le cambriolage effectué dans les locaux de la FFCC (Fédération française des ciné-clubs), toujours est-il qu’une très grande partie de tous les films 16 mm en dépôt ont disparu. Cela nous ennuie vraiment car, en cours d’année, il nous faut revoir la programmation envisagée pour la Rencontre de décembre prochain.

 

Heureusement Paul active la piste du Gœthe Institut (de Lille). Il sollicite un prêt de films auprès de sa représentante à Lille, Ursula Lehmann. Alors que le cinéma allemand contemporain est pratiquement inconnu en France, nous découvrons un film inédit : L'Angoisse du gardien de but au moment du pénalty. À partir du roman de Peter Handke, Wim Wenders nous plonge dans l’angoissante errance d’un footballeur. C’est un moment fort de la Rencontre.

 

Autre moment fort est l'incident relevé lors de la soirée officielle de cette 5e Rencontre. Dans une salle assez remplie est projeté le film Punishment Park. Le réalisateur Peter Watkins capte le spectateur avec une uchronie qui développe les conséquences possibles d’un état d’urgence aux USA pendant la guerre au Viêt-Nam. Sur l'écran, des pacifistes, des déserteurs, des communistes et des activistes noirs, jugés dangereux pour la sécurité intérieure des États-Unis, ont à choisir entre la prison ou un séjour dans le désert californien. Là, ils sont lâchés à pied dans les étendues arides, sans vivres et sans eau, sous une chaleur accablante. Traqués par des policiers, ils doivent parcourir quatre-vingts kilomètres pour sortir du camp et gagner leur liberté. Les images, d'un réalisme étonnant, deviennent insoutenables. Dans cette reconstitution, le président Nixon montre ce que pourrait être un aspect de la face sombre de la démocratie américaine. Dans la salle, c'en est trop pour une poignée de conseillers municipaux connus pour avoir été politiquement proches du CDR, ce fameux Comité national de défense de la République, né le 22 mai 1968 en réaction aux événements d'alors. Outrés par les images du film, des notables marcignots quittent les lieux dans un claquement de sièges, entraînant dans leur fuite le maire de Marcigny et l'abbé de la paroisse.

 

Cet incident illustre la relation du genre "Je t'aime moi non plus" qui existe entre la municipalité et le club des jeunes depuis la création de ce dernier. Il est difficile pour des élus de repousser une partie de leurs administrés. Il faut pourtant se rendre à l'évidence : en prenant le chemin de la faculté, certains jeunes ruraux ont perçu les échos du porte-voix de Dany-le-rouge. Nos élus locaux ne sont pas les seuls à n'avoir rien compris aux revendications d'une jeunesse qui voulait en finir avec cette "société de cons... de cons... de consommation." La chanson lancée il y a peu par Gainsbourg et Bardot n'est pas dans leur culture sinon je les entendrais bien la fredonner à notre encontre avec pour paroles : « Je t'aime / oh, oui je t'aime / moi non plus / je vais je vais et je viens / entre tes bobines / et je me débine. »

 

La chanson est tout autre dans les colonnes de la presse locale et nationale. Le critique Jacques Grant n'estime-t-il pas dans la revue Cinéma que « les idées de sélection des organisateurs de Marcigny se prêtent aux travaux et aux discours les plus positifs sur le cinéma. On peut regretter peut-être que […] les débats ne soient pas plus nombreux. […]. Les Rencontres de Marcigny prouvent que le cinéma d'auteur, tel qu'il est, peut fonctionner autrement que comme élément de discours dominant. Tout dépend de l'utilisation qu'on en fait. »


1976 : 6e Rencontre
Cinéma direct, la vie à l'improviste ?

Au cours de son assemblée extraordinaire du 3 janvier, le club des jeunes constate que la gestion de l'association ne peut plus être assurée, faute de combattants. En conséquence, les activités du club sont suspendues et le local ferme.

 

Le 3 avril, le CNRC (Comité national des Rencontres cinéma) assiste à l'autodissolution du club des jeunes. Une assemblée constitutive crée une nouvelle association qui prend le nom résultant de l'alliance du mot Marcigny et du mot cinéma : "Marcynéma". C'est un terme créé, il y a un an, par Henri Lehalle et Michel Bories, pour désigner le bulletin interne du CNRC que le même Michel lançait alors. C'est encore avec lui que je rédige les statuts de cette nouvelle association loi 1901. Nous prévoyons un conseil composé d'un collège de membres locaux, « résidant à Marcigny et dans son canton » et d'un collège de membres régionaux « permettant à l'association un rayonnement national. » L'élection du bureau proclame Paul Jeunet président, Michel Bories vice-président, Jacques Charmont (Coco) secrétaire, Philippe Chapuis trésorier et Alain Giraud délégué administratif.

 

Avec pour thème « La vie à l'improviste », la Rencontre débute le 29 octobre. Pour la première fois, elle ne se tient pas entre Noël et jour de l'An. La programmation propose un cinéma en prise directe avec le vécu et vise à poser la question : y a-t-il un moyen privilégié de décrire la réalité au cinéma ? Voilà pourquoi cette année, nous avons non seulement des films qui collent totalement au thème mais aussi d'autres radicalement opposés à ce genre. Pour la première fois aussi le spectateur peut dialoguer avec des réalisateurs dont Patrice Enard et Alain Massonneau venus présenter leurs films inédits.

 

C'est totalement à l'improviste que le 30 octobre, au deuxième jour de la Rencontre, la Loire quitte son lit et coupe la route du Donjon. Comment regagner notre restaurant habituel situé près du canal à Chambilly ! Avec la prudence d’un Charles Vanel et d’un Yves Montant conduisant le camion du Salaire de la peur, certains avancent lentement leur véhicule sur la route submergée. Peine perdue, au bout de quelques mètres, les garnitures de freins, les bas de caisse et pour certains, l’intérieur même de la voiture, en deviennent plus trempés que Gene Kelly dans Chantons sous la pluie. Nous organisons alors une caravane d'automobiles empruntant le seul circuit routier autorisé : Marcigny, Vindecy avec passage de la Loire grâce au pont de Bonnant, Bourg-le-Comte, Chambilly (où nous pouvons prendre notre repas à onze francs !), et, pour le retour direction Artaix, Melay, pont d'Iguerande et Marcigny. 

 

La bonne ambiance ne tombe pas à l'eau pour autant. Le public réclame à deux reprises la projection du court métrage Les Aventures de Riri le spermatozoïde, au générique duquel figure un directeur de la photographie du nom de Jean-Pierre Jeunet. Plus sérieusement, le film du Cinéma Novo brésilien, Terre en transes, nous livre toute la fougue d'un de ses chefs de file, Glauber Rocha. Il n'est pas facile à suivre mais j'éprouve encore davantage de difficultés à emboîter le rail des longs et très lents travellings de Chantal Akerman nous faisant gravir les étages de son Hôtel Monterey. Dans le genre "films difficiles", je préfère l'hypnose et le désemparement que me procure Fata Morgana. Les infinis panoramiques de Werner Herzog sur les dunes de l'erg saharien et les musiques de Mozart et Léonard Cohen me transportent.


1977 : 7e Rencontre
Cinéma et pouvoir

Femme, Écologie, Tiers monde, Luttes, Route, Ruralité, Folie, Armée, Enfance... parmi tous ces thèmes lancés lors de l'assemblée générale, le conseil d'administration du 9 avril retient celui de « Pouvoir ».

Paul se plonge dans les catalogues de différentes cinémathèques. La subvention de mille deux cents francs versée par la municipalité l’oblige à jongler avec des locations de films peu onéreuses, tout en préservant une qualité de programmation. Comme toujours, il doit donner une large place aux films puisés dans le répertoire de la cinémathèque nationale de l'Ufoleis (Union française des œuvres laïques d'éducation par l'image et par le son). Il obtient des prêts gratuits auprès d'organismes comme l'Office national du film du Canada, riche en films d'animation et la cinémathèque du ministère de l'Agriculture. De ce fait, le court métrage garde toute sa place dans le programme.

Durant cette Rencontre, au rayon fanzines de notre petite librairie installée au Foyer, j'aborde un grand jeune homme en train de feuilleter un bulletin d'Amnesty International. En se présentant, son visage s’empourpre : « Gilles Colpart, critique à La revue du Cinéma. » Il souligne sa satisfaction de découvrir une programmation qui laisse la part belle aux courts métrages.

Pendant ce temps, dans la cabine de projection, Jean Jeunet signale tout son embarras à son fils Paul. Il doit projeter un film venu tout droit du Caire par valise diplomatique et les trois heures de projection totalisent plus de vingt bobines. Or, aucune de ces bobines ne porte un numéro d'ordre. Que faire ? Le père propose au fils de projeter les bobines dans l'ordre dans lequel elles se trouvent à l'intérieur du colis et puis... « on verra bien... »

C'est avec la crainte de voir à tout moment apparaître le mot « Fin » en cours de projection que Paul suit cette magnifique fresque historique qu'est Saladin. Cette grande épopée s'inscrit dans l'histoire de l'Égypte du XIIe siècle avec comme personnage central Saladin, fondateur de la dynastie ayyoubide, qui étend son empire jusqu'à la Syrie musulmane. Principal adversaire des Francs, il se lance dans la reconquête de Jérusalem. Le film a l'intérêt de ceux qui invitent à plusieurs niveaux de lecture et qui sont soignés tant sur le fond que sur la forme : la composition des batailles, l'irruption de la violence dans le plan, la célébration de la période dominée par Gamal Abdel Nasser, l'exaltation de l'unité arabe... Et ce film, achevé en 1963, est toujours inédit. Nous assistons ici à sa première projection en France. Ceci explique la présence dans la salle de Rui Nogueira, grand écrivain sur le cinéma qui a travaillé avec Éric Rohmer et Jean Eustache et qui a collaboré avec Henri Langlois, fondateur de la cinémathèque française. Ayant un projet de livre, il rassemble des données sur le réalisateur du film, le quinquagénaire égyptien Youssef Chahine.

 

Cette séance, comme d’autres, confirme un succès public sans précédent. Pour l'une d'entre elles, les deux cent quarante-cinq places de la salle du Foyer ne sont pas suffisantes, il faut s'asseoir dans les allées. Ce public jeune vient de Charolles, Paray-le-Monial, Digoin, Charlieu, Roanne et ailleurs. Et puis, en dehors des trois débats organisés dont celui avec Amnesty International et un autre sur les travailleurs immigrés, la Rencontre devient un vaste lieu d'échanges permanents entre spectateurs...


1978 : 8e Rencontre
Le droit à la différence

(Intérieur jour, salle de réunion, conseil d'administration de Marcynéma)

Coco : « Je ne suis pas d'accord, même en modifiant le titre de la Rencontre, minorités et marginalités au cinéma par celui du droit à la différence, on reste dans un thème "parisianisant" ».

Paul : « C'est grave ce que tu dis Coco ! (Un lourd silence s'installe sur la quinzaine de personnes assises autour de la table.) Ça veut dire que le racisme, la folie, la drogue, l'antimilitarisme, l'autonomie culturelle... ethnique ou raciale, tout ça c'est du parisianisme ! Dans notre pauvre Brionnais, il ne faudrait pas effaroucher le peuple avec ces questions ? »

Coco (se mordillant la lèvre inférieure) : « Non, mais avec ce thème vous faites prendre un risque à Marcynéma et si cela continue, on va se marginaliser ».

Paul : « Qu'est-ce que ça veut dire se marginaliser ? L'expression des opinions non reconnues ou peu connues comme les objecteurs ou Amnesty International l'an dernier gênerait quelqu'un ? Excuse-moi mais il me semble entendre là un discours déjà entendu il y a quelque temps lorsque seul, face à l'ancien maire et à son adjoint devenu le maire d'aujourd'hui, on m'accusait d'attirer les chevelus à Marcigny ».

Coco : « Déconne pas, je te dis... »

Paul (se balançant sur sa chaise) : « Arrête Coco, tu es en contradiction avec toi-même. Tu disais il y a peu qu'il ne faut pas partir du principe de vouloir attirer à tout prix les gens de Marcigny ».

Coco : « N'empêche que si nous frisons le pseudo-intellectuel et le snobisme avec nos thèmes, on va couper la Rencontre de ses racines. L'expérience artistique nous concerne tous car c'est une des dimensions clés de l'existence humaine ».

Paul : « Mais tu parles comme si nous étions dans l'échec ! L'an dernier toutes les séances de l'après-midi et du soir ont fait salle pleine et tous les spectateurs ne venaient pas de Paris ! Nous n'avons hébergé au plus fort du week-end que 70 personnes. Qui étaient les 150 à 180 autres ? Les séances du matin… pas une n'avait moins de 80 personnes ! Les séances commerciales à Marcigny ou Roanne n'en font pas toujours autant ! Notre association gagne du terrain. Le nombre des membres actifs est passé de 37 à 51 entre les deux Rencontres... »

Michel : « Côté finances, c'était pas terrible jusqu'à maintenant mais nous venons de doubler notre acquis en moins d'un an. »

Coco : « Oui, mais nous n'avons pas le public local. Pour ne pas le rebuter, choisissons un thème plus facile comme le rire ».

Jean-Louis (Beaujard), tout en grattant le fourneau de sa pipe à l'aide d'une allumette : « Remarque, à défaut d'élargir le public local, essayons d'élargir encore le public régional ».

Paul (baissant d'un ton l'intensité de sa voix) : « Oui, mais si se mettre à la portée des gens du terroir ça veut dire leur offrir la même chose que ce qu'ils ont en tournant le bouton de la télé, (il élève à nouveau très nettement la voix) pas d'accord ! Et même si on faisait ça, on se couperait encore plus. Regarde, Coco, le ciné-club qu'on a fait cette année avec un grand classique de Renoir : on a eu deux personnes ! C'est un marginal ça, Renoir ? Et, à Noël dernier, on n'a eu personne de Marcigny avec les dessins animés. Pas un seul Marcignot adulte non plus pour la nuit du cinéma avec les comiques burlesques ! »

Coco : « Mais si j'ai bien compris, on veut de la décentralisation. Il faut s'en donner les moyens et développer tout de même, à côté de la rencontre annuelle, une sorte de composante permanente sur place. En raccourci, je pense qu'il faut créer un ciné-club dans le Brionnais... (Philippe tente de prendre la parole mais Coco la garde) ... et j'ajoute qu'au moment des Rencontres il faudrait engendrer une véritable animation en ville et non pas rester à ce fruit sec de vente de fanzines ».

Paul (montant sur ses grands chevaux) : « Un ciné-club ! Tu n'y penses pas ! Celui des filles de Saint-Julien s'est cassé la gueule, l'itinérant de La Clayette, c'est pas mieux !... Et la vente de fanzines, c'est peut-être un gadget, mais ça ne coûte rien, ça permet à des gens de s'exprimer ».

Coco (les lèvres pincées) : « Reconnais que le conseil municipal a versé une subvention de

1200 francs et ceci dans un temps de rigueur financière ; la menace a pourtant pesé lourd à certains moments de ne pas l'avoir. Je suis de ceux qui ont défendu au conseil la promotion de la culture à l'échelon local ».

Paul (coude sur la table, paume de sa main droite au front) : « Oui, c'est grâce à toi que la subvention a pu être reconduite et ton boulot est efficace mais quelques centaines de francs ne valent pas la peine de modifier quoi que ce soit de nos options. Notre but n'est pas de doubler les salles commerciales de Roanne ni la télé. Il faut se méfier de la démagogie culturelle qui voudrait qu'on programme des films pour des gens qui se fichent pas mal du cinéma. Notre but est plus que jamais de permettre une approche du cinéma d'une façon différente. Non ! Les Rencontres avec ce but-là ne sont pas mortes... »

 

Pas mortes en effet, le samedi 28 octobre, l'ouverture de la Rencontre est diffusée en direct de la place des Halles de Marcigny par le journal télévisé régional. Dimanche soir, nouveau direct sur FR3. Cette journée me permet d'apprécier le fait de ne pas avoir un frère jumeau en découvrant l'inquiétant film de Robert Mulligan, L'autre. Délivrance de John Boorman est tout aussi inquiétant et sa projection a lieu à guichet fermé. Avec François (Roux) je refuse à regret du public et nous fermons les grilles d'accès à la salle. Le lundi 30, encore beaucoup de monde... Le mardi 31, la journaliste Anne Andreu enregistre son émission télévisée nationale Ciné-Regards et souligne « l'héroïsme » de Marcynéma « dans une région culturellement défavorisée. » Au soir du mercredi 1er novembre, nous comptons le nombre record de deux mille cinq cents spectateurs sur cette Rencontre.


1979 : 9e Rencontre
Cinéma américain années 50 - Cinéma allemand années 70

Donner à ce rendez-vous annuel de Marcigny le nom de "Rencontre", c'était écarter le terme de "festival" qui certes désigne une série de représentations mais qui sous-entend souvent compétition avec remise de prix. Point de cela à Marcigny ! Gilles Colpart le comprend lorsqu'il écrit dans la revue Cinéma 78 : « On ne vient pas à Marcigny comme à un festival : on s'y rencontre. Quasi unique en son genre, cette manifestation exceptionnelle malgré ses imperfections est un exemple-phare ne suscitant plus qu'un désir : qu'elle fasse des émules ! ».

 

Le thème de cette année ne cache donc pas une compétition entre une ancienne équipe américaine au palmarès conséquent et une jeune équipe allemande aux joueurs peu connus.  

Nous enregistrons cependant un léger changement de public au cours de la Rencontre. Des spectateurs sont présents dès les premières projections de films américains. La salle est en fête lors de la soirée mêlant courts métrages, bandes annonces, vieilles réclames démodées et le western-comédie de Raoul Walsh La Blonde et le shérif.

De nouveaux spectateurs arrivent manifestement pour le deuxième temps de la Rencontre afin de découvrir ce qui est désormais la carte de visite de Marcynéma : le cinéma allemand. Ce public applaudit, debout dans la salle alors que défile sur l'écran le générique final de Paula Paülander, film inédit de Reinhard Hauff.

 

J'apprécie aussi tout particulièrement le jeu de la comédienne Margit Carstensen dans Nora, film de R. W. Fassbinder tiré de la nouvelle d'Ibsen La Maison de poupées. Piégée entre son mari et un collègue de ce dernier pour une sombre histoire de dettes, elle n'en finit pas de virevolter dans un décor de vitres et de miroirs, de voilages et de paravents. 

 

Voilà une bonne Rencontre tant pour la qualité globale des films projetés que pour le nombre de spectateurs. Nous atteignons à nouveau une fréquentation comparable à celle de l'an dernier en cumulant deux mille cinq cents personnes sur l'ensemble des séances. Ce n’est pas rien !

 

Satisfaction donc mais, loin de se reposer sur nos lauriers, dès la fin de la Rencontre, nous dressons un bilan afin d'apporter quelques améliorations à ce rendez-vous. Chacun des membres du conseil d’administration y va de son constat accompagné de conseils :

1980 : 10e Rencontre
Films allemands, films français dont l’intégrale de l’œuvre de Paul Vecchiali en sa présence

6°C à l'extérieur, "ça sent la neige". En ce 26 décembre, les Marcignots détracteurs de la Rencontre se sentent envahis par « une faune d'intellos, de pseudo-marginaux et de nouveaux jeunes », faune habituellement attendue pour la Toussaint. Christian Beullac, ministre de l’Éducation nationale, plus soucieux des affaires de l'industrie et du tourisme que du rythme annuel des scolarisés dont son ministère a la charge, laisse désormais champ libre aux académies pour fixer les périodes de vacances scolaires. L'absence de dates communes à tout l’hexagone pour les vacances de Toussaint ne permet pas de regrouper notre public venant de Bretagne, du Midi, de Paris et d'ailleurs. Nous fixons donc à nouveau la Rencontre sur une période comprise entre Noël et Jour de l'An.

 

20°C dans la salle du Foyer et la température monte encore. À l'issue de la projection du film La Machine, le débat de la soirée inaugurale s'engage avec l'invité d'honneur Paul Vecchiali. Comme souvent sur le sujet de la peine de mort, les esprits s'échauffent. Un représentant du comité pour la révision du procès de Christian Ranucci conteste certaines interprétations du film qui font apparaître le condamné comme coupable. Sur un ton atrabilaire, Paul Vecchiali, mèche rebelle s'échappant de l'épaisse chevelure et retombant sur le front qu'il plisse par instant, s'exclame : « Se servir de l'erreur judiciaire dans le débat contre la peine de mort est un argument lâche et fallacieux ! ».

Vecchiali, moustache élégante s'écartant jusqu'aux commissures des lèvres, présente d'emblée sa vraie nature. Son propos est vif et sincère. C'est un cinéaste solidaire qui pense le métier de façon collective. Pourquoi, par exemple, laisser durant un tournage du matériel non utilisé pendant des jours alors qu'il pourrait être prêté à de jeunes cinéastes gênés financièrement pour réaliser leur projet ?  Pourquoi ne pas mettre sur pied une maison de production permettant à ces mêmes cinéastes de faire connaître leurs réalisations ? C'est ce qui l'a conduit à créer Diagonale, sa propre maison de production. Une partie de son "écurie" l'accompagne à Marcigny et trois jeunes réalisateurs présentent leur premier long métrage : Gérard Frot-Coutaz (Beau temps mais orageux en fin de journée), Jean-Claude Biette (Le Théâtre des matières) et Jean-Claude Guiguet (Les Belles Manières).

 

Cinéaste engagé plutôt que militant, Vecchiali nous fait comprendre qu'il préfère le doute aux certitudes et le combat à la résignation. Le CNC (Centre national du cinéma) lui refuse l'avance sur recette ? Qu'importe, il sort « 50 000 balles de sa poche » et se lance dans la réalisation de Femmes, femmes dont le premier plan-séquence est un véritable morceau d'anthologie. Pas étonnant qu'il lui ait fallu trois jours de tournage pour enregistrer ce plan. Pour lui qui filme souvent dans l'urgence afin de réduire les coûts de réalisation, trois jours, c'est une éternité ! Mais le résultat est là, Hélène Surgère et Sonia Saviange vivent les rêves de gloire de deux comédiennes ratées, enfermées dans leur appartement tapissé de photos de stars des années 1930.

Même galère financière pour Vecchiali lorsqu'il veut réaliser Corps à cœurs, film dont nous avons apposé l'affiche dans la salle : sur un fond noir tranche une silhouette blanche, arrosoir à la main, dans laquelle s’inscrit l’image des personnages incarnés par Nicolas Silberg et Hélène Surgère, égérie du cinéaste.

 

Marcynéma veut donner au public la possibilité d'échanger avec les invités et ceci non seulement au cours des débats mais aussi au moment des repas pris au restaurant Prioris à Chambilly. Le but est amplement atteint grâce à la disponibilité dont fait preuve Paul Vecchiali et ses cinéastes. Il nous fait là un beau cadeau de dixième anniversaire. J'en oublie les films allemands pourtant bien présents dans la programmation : Les Passions d'Erika, inédit de Ula Stockl, Ferdinand le radical d'Alexandre Kluge, Personnalité réduite de toute part de Helke Sander...

 

Cette Rencontre a quelque chose d'historique d'autant plus que nous y projetons pour la première fois un film classé X ! Il s'agit bien d'un film et non d'un enregistrement d'ébats de corps suants dans une rythmique mécanique. Il s'agit bien d'un "classé X" d'après la loi tombée au moment de sa sortie en 1974 !

La lumière s'éteint progressivement dans la salle... le public retient son souffle... mais à peine la première image atteint-elle l'écran qu'une voix hurle : « Stop ! Stop ! On arrête tout ! ».

C'est Paul Vecchiali qui bondit dans le couloir donnant accès à la cabine de projection. Il demande à Jojo (Fongarnand) qui est aux commandes de reprendre la projection à partir de la fin de la bande amorce car la bande-son doit laisser entendre un coup de feu avant que n'arrive la première image. C'est un détail important pour comprendre ce porno politico-polar qu'est Change pas de main.

Vraiment, Vecchiali se montre capable de toucher à tous les genres même s'il affirme que le porno n'est pas un genre puisque « sa seule et unique fonction est de pervertir les autres genres. »

 

Certainement doué d'une influence sur le public, comprenant probablement la nature féminine, Vecchiali est un homme sensible. Il me touche encore avec son court métrage Maladie dans lequel il retrouve le journal de son père, dix-huit ans après la mort de celui-ci. Ce journal relate, sur sept années, l'évolution de la maladie qui va l'emporter. La voix au timbre bressonien lit les pages de texte montrées à l'écran ; les lettres des mots soigneusement calligraphiées sur les premières pages se cabossent peu à peu et le tracé des lignes devient incertain au fil des années... Rien de plus et l'émotion éclate...

1981 : 11e Rencontre
Les hors-la-loi au cinéma

Sur fond lumineux bleu ciel et rose bonbon, Antenne 2 distille sur le petit écran l'ennuyeuse Nuit des César. Catherine Deneuve, Yves Montand, Alain Resnais, François Truffaut... les visages habituels défilent sur la scène de la salle parisienne du palais des congrès... Roman Polanski, accompagné de Romy Schneider, annonce la remise de la statuette compressée distinguant le film d'animation. Ça, c'est nouveau. Le court métrage Le Manège remporte le trophée. Jean-Pierre Jeunet, membre du conseil d’administration de Marcynéma "césarisé" ! Je rêve en ce 31 janvier 1981 !

 

Parmi les livres soigneusement alignés dans la vitrine du libraire, une couverture attire l'attention : une nageuse nue aux seins rebondis et bouche ouverte surgit de l'onde grise et verte dans un éclat de traits bleus. J'entre dans la boutique afin de feuilleter Les Olympiades truquées. La lecture me transporte au XXIe siècle parmi un peuple anesthésié par les spectacles sportifs dont il ne peut plus se passer. Les résultats devant être à la hauteur des attentes, le pouvoir médical fabrique les nouveaux Dieux de l'Olympe. L’ouvrage est signé : Joëlle Wintrebert, par ailleurs journaliste à L'Echo des Savanes ! Le roman d'un membre du CA de Marcynéma en grande diffusion ! Je rêve en ce mois de mars 1981 !

 

Sur Antenne 2, le compte à rebours commence. Un fin pinceau électronique entreprend de révéler le portrait du nouveau président de la République. Un apex crânien à la Yul Brynner laisse deviner la réélection de Valéry Giscard d'Estaing. Mais le pinceau poursuit sa chute en se cognant contre les montants de la lucarne ; apparaît le visage de François Mitterrand. Mais alors ? Vive l'alliance du peuple et de l'art cinématographique et place au développement de cet art en zone rurale, promesses de campagne du candidat socialiste ! Je rêve en ce 10 mai 1981 !

 

Le numéro trente-deux du bulletin interne de Marcynéma est dactylographié. Je place la matrice de papier glacé sur le rouleau de la machine à alcool qui permet de tirer un nombre suffisant d'exemplaires à expédier à tous les membres du CA. Sur les feuilles crachées à chaque tour de manivelle, je relis les bonnes nouvelles : l'acteur Raymond Bussières a décidé de venir durant les cinq jours de la 11e Rencontre afin d'y présenter A cheval sur le tigre. Alain Corneau a donné son accord pour présenter Série noire. Noël Simsolo viendra, accompagné de Pierre Clémenti, pour son film Cauchemar. Même si Bertrand Tavernier se désiste à cause de la sortie de son prochain film Coup de torchon... je rêve en ce mois de septembre 1981 !

 

Dernière réunion préparatoire de la Rencontre et probablement dernière réunion dans notre étroit local car le maire Jean Chizallet nous propose un petit appartement dans l'immeuble communal rue de Précy. Parmi les vingt longs-métrages prévus pour décembre, des morceaux de choix comme Le Grand sommeil de Howard Hawks, La Tête contre les murs de Georges Franju, Robin des Bois de Michael Curtiz... Autre bonne nouvelle : dans le cadre du budget 1982, l'État va créer cinq cents postes de permanents audiovisuels, mis à disposition des associations et un demi-poste serait alloué à Marcynéma. Je rêve en ce mois de novembre 1981 !

 

19 au 23 décembre : la chaîne de télévision FR3 Bourgogne assure deux jours de retransmission en direct de Marcigny. Hélas, la plupart des invités prévus font faux bond. Même Noël Simsolo, qui a effectué le déplacement à Marcigny, nous quitte sans pénétrer dans la salle de cinéma. "Môssieur" retourne à Paris, offensé par le fait que la chambre qui lui a été réservée à l'hôtel Saint-Antoine ne possède pas de baignoire ! Il se fait immédiatement reconduire à la gare de Roanne en prenant soin de s’installer sur la banquette arrière du véhicule ! Je cauchemarde devant ce parisianisme dédaigneux.

1982 : 12e Rencontre
20 films rares à déguster

« Du fait de l'exemplarité de votre manifestation, je suis très sensible aux efforts que vous entreprenez depuis une dizaine d'années pour décentraliser la diffusion du cinéma et animer une commune rurale. Je soutiens depuis toujours votre manifestation et je vais attirer l'attention de M. le ministre de la culture sur les difficultés rencontrées par votre association. »

Paul Duraffour, député de Saône-et-Loire.

 

« J'ai bien enregistré les préoccupations de l'association des rencontres cinématographiques de Marcigny ».

Jacques Blanc, député de la Lozère.

 

« J'ai bien pris connaissance de vos soucis d'organisation de votre Rencontre et je les transmets à mon ami Jack Ralite ».

Georges Marchais, secrétaire général du PCF.

 

« Sachez que je soutiens votre expérience de cinéma. Elle est formidable, excitante, essentielle ! ».

Bertrand Tavernier, réalisateur.

 

« Votre travail est essentiel et le CNC vous soutiendra désormais en vous octroyant une subvention ».

Pierre Viot, directeur du CNC (Centre national du cinéma).

 

« La décentralisation, c'est assurer à chaque citoyen français, là où il habite, la présence de toutes les formes d'art et de culture et lui garantir le droit au cinéma, le droit à la lecture, et le droit aux spectacles. Je veillerai au développement de votre association dans un avenir proche ».

Jack Lang, ministre de la culture.

 

« Marcigny, c'est un accueil cordial, une manifestation importante par sa signification dans une zone rurale. Le travail est exemplaire et vous pouvez être fiers du succès obtenu ».

E. Pommier, directeur régional des affaires culturelles, Bourgogne.

 

« Je signe votre appel demandant un poste d'animateur permanent à Marcynéma afin de répondre aux demandes formulées par les associations et créer un véritable service d'animation audiovisuelle dans la région ».

André Billardon, président du conseil général de Saône-et-Loire.

 

...bien d'autres encore signent cette pétition adressée au ministère de la Culture : D.Y. Yanneck, réalisateur, Catherine Alméras, comédienne, Vincent Toledano, critique à Télérama, Claire Clairvel, productrice, François Ode, réalisateur, Gaston Haustrate, rédacteur en chef de la revue Cinéma, J.P. Piquemal, président de la FFCC (Fédération française de ciné-clubs), les responsables des  festivals ou rencontres de Strasbourg, Valence, Thonon, Perpignan, Saint-Étienne... et des centaines de spectateurs anonymes.

 

Malgré ces soutiens, Paul décide de ne pas renouveler les Rencontres sous la forme actuelle. Depuis trois ans leur organisation devient trop lourde. Elle exige d’assurer beaucoup de messages téléphoniques et épistolaires pour contacter les éventuels intervenants. La recherche et la location des films devient un véritable parcours du combattant. Le bénévolat a ses limites.

 

Ce douzième rendez-vous est-il le dernier ? Sommes-nous condamnés à vivre misérablement comme Les Marginaux de l'excellent film de l'indien Mrinal Sen qui ouvre la Rencontre ? Cette dernière sera-t-elle maudite, à l’image du village de La Malédiction d'Arkham, film fantastique de Roger Corman que nous projetons cette année ? En attendant, nous nous retirons à Farrebique, comme nous y invite Georges Rouquier, en nous disant que demain, Le Soleil se lèvera encore ; c’est le titre du film de l’italien Aldo Vergano qui nous l’assure…

1983 : 13e Rencontre
Passion

Exotique passion de la jeune Nivernaise incarnée par Emmanuelle Riva pour l'architecte japonais de Hiroshima mon amour ; passion refrénée du mari campé par Tom Ewell pour Marilyn Monroe en séduisante voisine à la robe vaporeuse excitée par la bouche de métro dans Sept ans de réflexion  ; passion amoureuse de Gary Cooper et Barbara Stanwyck sur fond de champs pétroliers dans Le Souffle sauvage de Hugo Fregonese ; obsessionnelle passion du cinéaste Russ Meyer pour les  nymphomanes vengeresses aux fortes poitrines dans ses parodies sociales du puritanisme américain Super Vixens et Méga Vixens ; amusante passion pour Laurel et Hardy curistes ou bricoleurs... mais aussi passion déclarée du critique Gilles Colpart présentant son dernier ouvrage sur Billy Wilder ;  passion  assumée du distributeur Jean-Pierre Jackson qui dédicace son livre sur le cinéma érotique à Hollywood… toutes ces passions et bien d'autres ont leur place, cette année, dans la Rencontre jugée captivante, excitante, en un mot « passionnante ! » par la majorité des deux mille deux cents spectateurs (total cumulé) qui défilent durant quatre jours dans la salle du Foyer-cinéma.

 

Alors, pourquoi cette conférence de presse en pleine Rencontre avec pour seul décor un pot de chrysanthèmes dont on connaît le traditionnel usage funéraire en ces jours de Toussaint ? Je m'assieds à la table installée sur la scène du Foyer afin d'assurer le secrétariat de cette conférence. À ma gauche Paul, le visage fermé et la tête appuyée sur son bras, à ma droite le vice-président Michel, l'œil sombre et l'air renfrogné. Dans la salle, une cinquantaine de personnes : quelques fidèles des Rencontres, des journalistes dont ceux de la télévision régionale et Jean Chizallet, maire de Marcigny. Ce dernier est le seul présent de la vingtaine de personnalités départementales et régionales qui ont été invitées.

Paul brosse un bref historique des Rencontres. Il développe les ambitions de Marcynéma, grandissantes depuis trois ans. Il insiste sur la nécessité d'obtenir enfin une personne permanente pour garantir l'organisation de la Rencontre devenue de plus en plus lourde au fil des années. Ce poste permettrait de développer les activités : nuits du cinéma, réalisation de films, enseignement dans les écoles... tout ce que pourrait proposer un véritable centre d'animation audiovisuel. Paul souligne les promesses électorales non tenues en matière de décentralisation. Le débat s'instaure.

Un spectateur : Une précision s’il vous plait avant d'aborder la question principale ; que représente la production de Marcynéma ? 

Paul : Il s'agit de films réalisés en 16 mm ou en Super-8 par des membres de Marcynéma. Les derniers en date sont les dessins animés de Félix (surnom de Michel Livet) et de mon frère : Tape-moi que j'pique présenté au festival d'Annecy et Rêveries dont la projection a été dix fois redemandée au festival de Grenoble. 

Un journaliste de l'hebdomadaire La Renaissance : On peut regretter l'arrêt des Rencontres à cause de l’absence d'un poste de permanent mais n'avez-vous pas été trop gentils avec les gens qui nous gouvernent ? 

Paul : Le pouvoir a souvent la tentation de favoriser ses petits copains. C'est peut-être le cas. Ce qui est certain, c'est que les aides vont essentiellement vers les grandes vitrines culturelles. Pourquoi pas ! Cela peut même continuer ainsi mais je demande qu'on n'étouffe pas les manifestations plus modestes telles que la nôtre ! 

Jean Chizallet : Je comprends votre amertume mais vous souffrez de la petite taille de notre commune et du contexte actuel. Nous qui voulons rouvrir une salle permanente de cinéma à Marcigny et rencontrons aussi beaucoup de difficultés. 

... « Marcigny, c'est fini », « La dernière séance », « La fin de Marcigny » : dans la tête des journalistes quittant la salle, trotte le titre de leur prochain article.

1984 : 14e Rencontre
Peurs

Consolation ! Jack Lang, ministre de la culture, augmente de façon importante la subvention allouée à Marcynéma afin « de lui permettre d'organiser les Rencontres dans de meilleures conditions. »  Cela permet d'engager Chantal Augagneur au poste de secrétaire et attachée de presse.

 

Inquiétude ! La Fédération française des ciné-clubs à laquelle nous sommes affiliés ne remplit plus, depuis quatre ans, son rôle vis-à-vis de Marcynéma et n’intervient plus dans la Rencontre. Nous sommes contraints de la quitter pour nous affilier à l'Oroleis (Office régional des œuvres laïques d’éducation par l’image et le son) de Lyon !

 

Panique ! La salle de justice de paix de la mairie accueille un conseil d'administration de Marcynéma survolté. Les membres fondateurs frisent l'apoplexie dans un concours de jeux de mots et une cascade de fous rires. Pierre-Yves Bautier et Coco se querellent sur l'utilisation des subventions exceptionnelles. Et pendant ce temps-là, Tonio Cauterruci, Claude Thévenet, Jacques Roger et bien d’autres s'excitent autour du choix du thème...

 

Fierté ! Les films produits par Marcynéma voyagent dans l'Hexagone. Paul et son frère ont réalisé Les années brunes, un film sur le cinéma nazi, pour une rencontre au ciné-club de Roanne. Avec Alain Goillon, les frères Jeunet montent Marcigny Passion. Ils sont ainsi retenus, hors compétition, au festival de Clermont-Ferrand. Un autre film, A propos de témoignages, réalisé par Alain et Paul, traite de la torture. Ce film coproduit par Amnesty International est présenté au festival de La Rochelle et à l'école de journalisme de Lille. Sa sortie sur les écrans est prévue en complément de programme d'un film sur les prisons mais la commission de censure ne lui donne pas le visa d’exploitation et ceci à cause d'un plan !  

 

Confort ! Le Foyer-cinéma fait peau neuve. Exit les vieilles tentures murales de plastique jaune aux plis censés apporter un confort phonique ! Jojo (NDLR : surnom de Georges Fongarnand), tout nouveau lieutenant, chef de corps du centre de secours de Marcigny, dirige les travaux de restauration. Aidé par son épouse, par le projectionniste Jean Jeunet, par Michel Jeunet et par Didier Thévenet... il tend aux murs un tissu ignifugé et repeint les panneaux d'Isorel dur au bas des murs. Une petite cabine, adjacente à la cabine de 35 mm, isole désormais les projecteurs 16 mm.

 

Soutien ! Dix commerçants de Marcigny prennent en charge le tirage des cinq mille programmes de la Rencontre. Le visage horrifié d'Anthony Perkins dans Psychose illustre les affiches.

 

Affolement ! L'accueil et le suivi des spectateurs durant la Rencontre montrent des faiblesses. L'absence des chocolats glacés Miko est regrettée par certains consommateurs à la buvette. Nous devons revoir le planning des tâches à effectuer.

 

Satisfaction ! Allégé par rapport aux années antérieures, le programme de la Rencontre propose, sur quatre jours et demi seulement, quinze longs-métrages et vingt-cinq courts-métrages. La salle se remplit pour Répulsion de Roman Polanski, Psychose d'Alfred Hitchcock et Dracula, prince des ténèbres de Terence Fisher. Et puis... petit miracle... parmi les mille huit cents spectateurs, le nombre de Marcignots de vieille souche augmente notablement par rapport aux années antérieures.

 

Mais alors ? Après une période de doute, l’association Marcynéma aurait-elle trouvé un deuxième souffle comme l'aurait dit Jean-Pierre Melville ? Le vice-président Michel est catégorique :

« On est parti de rien ; lors de la 10e Rencontre on a passé la vitesse supérieure ; aujourd'hui on ne se pose plus la question de savoir s'il y aura une 15e Rencontre. J'affirme qu'on ira s'inscrire dans le troisième millénaire en assurant une 30e Rencontre en l'an 2000 ! »

1985 : 15e Rencontre
Du sourire aux larmes...

Douze années de vie angevine ne sont pas parvenues à rompre mes liens avec Marcigny. Ma profession me conduit à revenir résider en Saône-et-Loire. Installé au pied de la roche de Solutré, grimpée chaque week-end de Pentecôte par le "tontonnesque" président de la République, je me rapproche de la terre de mes racines ; la terre des rendez-vous avec ces amis à la fois conciliants et querelleurs, qui parlent sans s'écouter, qui lancent des débats sur le capitalisme et le socialisme, qui s’enflamment sur le cinéma et la télévision, qui rejettent les pubs de La Cinq, chaîne de Berlusconi et qui ergotent sur la meilleure façon de choisir le thème d'une Rencontre...

 

J'abandonne cependant la rédaction du bulletin interne de l'association et un trio, composé de notre affichiste Jean-Louis Beaujard, Coco et Chantal, prend la relève. Avec le 51e numéro entre les mains, je goûte au plaisir de découvrir les articles, comme n’importe quel autre lecteur du conseil d'administration de l'association.

Chantal rapporte à sa façon le déroulement du dernier conseil sous le titre : « Les seize samouraïs ou le thème de la Rencontre ». La lecture est plaisante mais, à mon avis, elle a visionné trop de films japonais. Je lis : « Décor dépouillé pour la réunion des fidèles, seize bustes alignés autour du tapis vert, un soleil éclatant entre par le shoji ouvert. Instant solennel, le shogun se lève pour la lecture des thèmes proposés. Il cite rapidement : guerres, Amériques, villes, Bergman, ciné et BD, errance et route, ciné et histoire, du sourire aux larmes. Il allume, hiératique, son cigare et, pointant ses yeux brillant de malice, il annonce à l'assemblée qui attend la dernière proposition : "le jeune cinéma anglais". La parole est aux samouraïs, ils discutent, argumentent et sabrent rapidement Bergman, histoire, BD, errance. Pour le reste c'est l'expectative. Le chef, son bol de saké à portée de main, entreprend alors la lecture des titres se rapportant à chacun des thèmes restants. Une ambiance inhabituelle règne dans la pièce, aucun rire, aucun jeu de mots, juste le frottement des pinceaux sur le papier. Les fidèles du shogunat semblent somnoler. Certains interviennent, calmes, sérieux, disciplinés. Boraï, le vieux maître d'armes du dojo, a quelques problèmes avec les titres étrangers. Que leur arrive-t-il ? Le chef cuisinier a-t-il raté le poulet laqué à midi ? Le riz était-il trop cuit ? Non, les samouraïs ne dorment pas, ils se concentrent, font le vide avant le combat... c'est un complot ! Le shogun s'assied, maintenant c'est à eux de jouer. Chacun donne son avis. Le dernier à parler est Pinpinsho, un maître calligraphe qui vient de laisser son art pour un autre "do". Sa maîtrise lui permet de rivaliser avec le shogun, la passe d'armes est rapide, à peine quelques échanges de sabres nets et précis. Le chef militaire qui connaît parfaitement la voie des armes se rallie aux positions de Pinpinsho. Sur les seize samouraïs présents, douze se rangent derrière le maître calligraphe, trois restent pour l'Angleterre, un seul s'accroche à la ville. De mémoire de nippon, on n'avait jamais vu ça ! Le shogun battu par un simple soldat...  Pour la 15e fête de la dynastie, allons donc du sourire aux larmes ! »

 

Pendant la Rencontre, Chantal, encore elle, s'habille à la Françoise Hardy lors de la soirée apothéose consacrée aux années 60.  La frange bien taillée au ras des yeux, ses brillants cheveux noirs aux pointes couvrant les épaules, la mini-jupe serrée à la taille, elle découvre ses longues jambes en s'asseyant parmi les 260 spectateurs qui remplissent la salle pour la projection du film tourné par Tony Richardson en 1963, Tom Jones. Les quadragénaires perdent la moitié de leur âge devant les bandes annonces présentées par le collectionneur Jacques Chevalier. Avec les scopitones, ancêtres des clips, ils révisent les déclinaisons latines de Jacques Brel, suivent Boby Lapointe en Aragon et Castille, fredonnent avec Les Chaussettes noires et Johnnyyyyy... Ni le turc Sevin Kayi Anch qui fait découvrir le son du saz lors de son concert, ni le réalisateur Peter Todd venu présenter Cœurs captifs de Michael Radford en hommage au cinéma anglais n'en croient leurs oreilles !... O yeah ! 

1986 : 16e Rencontre
Dérives

Au cours de la soirée officielle, sous les lustres de la mairie de Marcigny, Paul rappelle que l’association Marcynéma est née il y a dix ans. Le conseil d'administration s'est doté, depuis, d'un « collège national » complétant le « collège local » et le « collège régional » ; ce sont donc vingt-quatre membres bénévoles qui l'administrent. En comptant la période vécue sous l'égide du club des jeunes, il dresse le bilan de quinze années d'existence :

« Un total cumulé de quarante-cinq mille spectateurs, quatre cents courts métrages et trois cent soixante longs métrages projetés avec l'organisation non seulement de la Rencontre annuelle mais aussi celle de week-ends, de nuits du cinéma, de stages de visionnement bien implantés depuis trois ans à Anzy-le-Duc. A ces projections, il faut ajouter les productions Super 8, les réalisations 16 mm et vidéo, les échanges avec diverses associations, la constitution d'une petite vidéothèque qui enrichit un début de collection d'affiches, de photos et de revues de cinéma ».

 

Entouré de Paul Duraffour député-honoraire, Jacques Rebillard conseiller général, Henri Robillard conservateur du musée de la Tour du moulin, le maire Jean Chizallet se souvient qu'il était premier magistrat de la commune en 1970. Il souligne « le mérite des pionniers de l'époque, les frères Jeunet, Jacques Charmont, Michel Bories, Philippe Chapuis et félicite chaleureusement l'ensemble du groupe actuel pour cette réussite de décentralisation en matière de cinéma. »

 

Chapeau bas ! Même l'église Saint-Nicolas a déposé le toit de son clocher à ses pieds le temps d'embellir sa coiffe d'ardoises.  Le public répond encore présent cette année avec une fréquentation en augmentation de 9 % par rapport à l'année précédente.

C'est l'occasion de voir le premier long métrage de cinéastes devenus célèbres depuis. Alice n'est plus ici de Martin Scorsese date de 1974 et Éric Rohmer a réalisé Le signe du lion il y a vingt-sept ans déjà !

Grande fresque historique et mystique, Andreï Roublev, n'est pas le premier film d'Andreï Tarkovski mais c'est le premier film du cinéaste projeté aux Rencontres.

 

Les Joyeux débuts de Butch Cassidy et le Kid de Richard Lester, le concert New-Orléans du groupe Virginia Creepers Band, la descente aux enfers de Diane Keaton et Richard Gere dans A la recherche de Mister Goodbar de Richard Brooks, la démesure de Brazil de Terry Gilliam font oublier les menaces qui planent sur les ciné-clubs.

 

Les vidéo-clubs permettent désormais l'accès à moindre coût aux films et à des catalogues donnant la part belle aux Rocky, Rambo et compagnie. Après la Fédération Jean Vigo et la FFCC (Fédération française des ciné-clubs), l'Oroleis reste la dernière fédération de ciné-clubs en fonction et elle connaît de graves difficultés.

 

Pas drôle tout ça, même Coluche a joué une bien mauvaise blague en s'écrasant sous un camion ; heureusement, il paraît que le nuage de combustibles radioactifs échappé de la centrale nucléaire de Tchernobyl en république socialiste soviétique d'Ukraine a bien voulu s’arrêter à nos frontières !

1987 : 17e Rencontre
Films français des années 80 – Films soviétiques contemporains

Élégant dans sa veste noire passée sur une chemise claire au col ouvert, l'homme, de belle taille, pénètre dans les murs érigés par les architectes clunisiens à l'époque de l'abbé Hugues. Son regard balaie lentement l'élévation à trois étages, s'accroche aux piliers cruciformes et retombe en glissant sur les pilastres cannelés. À la croisée du transept, sous la coupole sur trompes, il s'agenouille sur la dalle. Entre les épaisses moustaches en accent circonflexe et un bouc finement taillé, ses lèvres chuchotent on ne sait quelle prière. Aurait-il imaginé, il y a seulement quelques mois, se recueillir un jour dans la basilique de Paray-le-Monial ? Non, c'était impensable !

 

Le réalisateur Constantin Lopouchanski vient d'un pays dans lequel la création cinématographique s'est longtemps heurtée au tout puissant Goskino, comité d’état de l’URSS pour la cinématographie en Union soviétique. Il a dû attendre des années avant de réaliser Lettres d'un homme mort. Il est vrai qu’avec cette histoire d’un scientifique qui se retrouve bloqué dans le sous-sol délabré d'un musée avec sa femme mourante et qui décide d'écrire à son fils disparu, le cinéaste jette sur l'holocauste nucléaire un regard qui ne correspond pas au schéma habituellement dicté par la guerre froide. Lopouchanski, élève de Mikhalkov et de Tarkovski, bénéficie de la Glasnost, transparence de la vie politique prônée par Mikhaïl Gorbatchev dans le cadre de la Perestroïka qui tourne le pays vers le libéralisme.

Accompagné de Nicole Portal, journaliste à Jeune cinéma et à France URSS Magazine, et de Marie Ivanova, professeur de russe à Roanne et interprète pour l'occasion, Lopouchanski se fait parfait ambassadeur de la génération des cinéastes de l'Est qui ne demandent qu'à être découverts. Au cours des débats, il répond subtilement et sans détours aux questions posées :

« Oui, au niveau de la création cinématographique et de bien d'autres domaines, mon pays sort d'une période très conflictuelle. Les cinéastes se voyaient imposer des sujets et nous n'avions même pas le champ libre pour monter nos films. Aujourd'hui, l'artiste a davantage de liberté pour concrétiser ses projets. Nous pouvons faire nôtre le conseil de Tarkovski qui disait Si tu veux être libre, sois libre. La censure a été abolie par l'union des cinéastes qui partage désormais le pouvoir avec le Goskino. En dehors de la pornographie et de l'antisoviétisme, il reste peu de sujets tabous. Même l'Afghanistan et les hôpitaux psychiatriques en Estonie peuvent être abordés. Malgré le rapport au nucléaire depuis l'explosion de Tchernobyl, mon film a pu être présenté cette année à Cannes. Il bénéficie même d'une très grande diffusion en URSS avec un tirage de mille deux cents copies alors qu'autrefois, on n'en aurait pas été tiré quarante. Oui, nous sommes vraiment en période de changement et pour moi ce changement résulte de la pression sociale. Bien sûr il y a des résistances à ce mouvement de fond. Des léninistes et staliniens s'inquiètent devant cette transmutation mais je crois que cette transmutation est devenue inévitable. »

 

Et le communisme vu du côté français ?

Yeux rieurs, sourire aux lèvres et grande décontraction dans son blouson de cuir, Jean-Michel Barjol en présente un aspect dans son quatrième long métrage Petit Joseph. La petite sœur du gamin de sept ans s'appellera-t-elle Elisa, comme l'unique fille du roi du conte d'Andersen Les cygnes sauvages ou Elsa parce que le grand-père, incarné par Jean-Marc Thibault, trouve que ça rappelle Aragon ? Ce n'est pas la principale question de ce film tendre et amer sur la famille, sur l'enfance et la vie en HLM. Le public, toujours plus nombreux sur cette Rencontre, tombe sous le charme, comme il tombe dans l’ambiance nostalgique du documentaire qui l'accompagne : Aux temps des châtaignes. Barjol devient un homme définitivement sympathique. À l'avenir, il faudra de nouveau l'inviter à Marcigny !

1988 : 18e Rencontre
Balade européenne

Chaude journée pour une période de Toussaint !

En sortant du restaurant Prioris à Chambilly, le soleil invite à une promenade digestive. Les arbres ont laissé choir leur feuillage et pourtant les berges du canal semblent adopter un air printanier. Michel Bernault entraîne Marguerite Gonon et Jean-Michel Barjol dans une flânerie le long du chemin de halage.

Petit chignon monté en arrière de la tête d'où sort un bouquet argent de cheveux fous, robe chasuble en lainage resserrée par une ceinture nouée à la taille et sac à main dansant à chaque pas contre les genoux, Marguerite Gonon se déclare « Forézienne depuis 1388 » ! Cette Docteur ès Lettres, ingénieur au CNRS (Centre national de la recherche scientifique), qui se faisait appeler Christine dans la Résistance, s’investit dans l’analyse de textes juridiques, d’actes de vente et de testaments datant du Moyen-Age. Elle en déduit l'état d'esprit et la façon de vivre des gens de cette époque.

Jean-Michel Barjol, de nouveau à Marcigny, avec son habituel blouson de cuir noir sur les épaules, évoque le tournage du film Le Forez qu’il a réalisé l’an dernier avec le témoignage de Marguerite Gonon. C’est l’occasion pour la médiéviste de conter la vie de ses ancêtres qui « ont travaillé la terre, creusé des étangs et érigé des chapelles » et la condition des paysans de son village qui « vivaient d'une façon médiocre mais non misérable », échangeant grâce à un patois « qui n'a pas changé depuis le XIIe siècle. »

 

Michel Bernault jubile intérieurement en aspirant dans le tuyau coudé de sa pipe pincée entre ses incisives. À Marcynéma, il est notre cinéphile historien. C'est lui qui dernièrement est allé rechercher dans les réglementations en vigueur pour faire évoluer les statuts de l'association ; c'est lui qui vient de dénicher un ouvrage italien à la Mostra de Venise évoquant, entre autres, les interventions du réalisateur Paul Vecchiali à Marcigny ; c'est lui qui est sur le point de créer une association chalonnaise pour le cinéma ; c'est lui enfin qui animera l’après-midi le débat d’après projection.

 

Chauds marrons pour une ambiance conviviale !

Tonio, l'un des plus jeunes de notre équipe, même si je ne dois pas oublier la génération montante de nos propres enfants, porte sur lui une nature de bon vivant. Les joues pleines, un petit menton émergeant d'une large gorge, les yeux malicieux, "le rital", comme il se nomme en souriant, prend désormais toute sa place dans l'association. Délégué administratif au bureau de Marcynéma, il assure avec Paul le service d’information sur les Rencontres par voie postale et par Minitel. Toujours partant lorsqu'il s'agit de se retrouver entre copains, il a, en ce jour médian de la Rencontre, la bonne idée d'organiser une "pause marrons chauds". Cette dégustation est une allusion directe au court métrage Aux temps des châtaignes que Jean-Michel Barjol présente à nouveau cette année et cette fois-ci dans sa version complète. Le petit vin gris de Mailly accompagne les tôles de châtaignes passées au four ; il délie si bien les langues qu'on se croirait un jeudi matin à la foire aux bestiaux de Saint-Christophe-en-Brionnais. Ursula, venue présenter les films allemands du programme, trinque avec Éric Barge, réalisateur du court métrage Peine perdue. Lionel Charpy, président de l'association française du cinéma d'animation, narre avec beaucoup de gentillesse, à Michèle Jeunet et à Marie-Chantal Roux, ses expériences de décorateur acquises chez René Laloux et Paul Grimault. Jacques-Rémy Girerd, "césarisé" cette année dans la catégorie film d'animation avec son court métrage Le Petit cirque de toutes les couleurs, berce son bébé dans les bras ; et, tenant en même temps un verre de vin, il menace involontairement l’enfant d’une douche alcoolisée. Malgré la barrière de la langue, le berlinois Christian Ziewer venu avec son film inédit La mort du cheval blanc en explique les faits historiques : « C'est une fresque qui relate une révolte de paysans allemands en 1525 et c'est le début de la Renaissance, la découverte de la planète... l'homme commence à prendre conscience qu'il existe en tant qu'individu dans un système chrétien et en dehors de celui-ci. Le conflit social va rejoindre le spirituel... »

Et se décortiquent les châtaignes...

 

Chaude poursuite de deux réalisateurs !

Comment la souffrance du metteur en scène devient celle de Racine : le film de la hongroise Maria Koleva me laisse perplexe et j'ai l'impression que son message un peu "intello" ne trouve pas écho dans le public. Nerveuse, le visage mangé par d'énormes lunettes rondes à monture en écaille, la réalisatrice explique l'expérience menée avec l’acteur et metteur en scène Antoine Vitez nommé administrateur général de la Comédie française depuis juin.  Elle montre tout à la fois des tournages au conservatoire, son approche de l'homme et de son époque, les liens entre sexe et création, la culture française actuelle... Elle évoque sept heures de film mêlant la vraie vie et le théâtre d’aujourd’hui ceci grâce à des séquences tournées il y a dix ans…

Jean-Michel Barjol lâche : « Ouai ! Tes propos sont comme ton film, c'est un peu confus tout ça ! »

Piquée au vif, Maria Koleva rétorque qu'elle a voulu faire une œuvre dans laquelle l'opérateur n'est qu'un acteur au milieu des autres...

Jean-Michel : « Il n'empêche que ton film n'est pas bon pour ne pas dire plus... »

Maria : « Parce que tu te crois bon cinéaste avec ton What a Flash que nous avons vu hier ? Un bordel non maîtrisé oui, avec des murs peinturlurés et des pauv' mecs avachis... »

Jean-Michel : « Non mais attends Maria, je peux te réexpliquer le contexte de cette expérience qui remonte au début des années 1970 et qui a consisté à enfermer pendant 72 heures des per... »

Maria menaçant de ses poings son interlocuteur l'interrompt : « Expérience ? Mais quelle expérience ?  Est-ce qu’elle vaut la mienne ? »

Jean-Michel : « Mais tu sais... Pierre Vassiliu, Bernadette Lafont, Tonie Marshall, Diane Kurys... tous ces gens du spectacle voulaient alors le pouvoir et je leur ai dit, je vous le donne... »

Maria gesticule de plus belle et se précipite sur Jean-Michel : « Tais-toi ! Mes films... »

Impossible, pour nous spectateurs, de comprendre la suite des propos. Jean-Michel Barjol cherche à échapper aux menaces et sort précipitamment de la salle de projection par une porte latérale, talonné par Maria. Le duo réapparait par une autre issue. Ainsi se met en place une course-poursuite digne des films de Keaton et Charlot...

1989 : 19e Rencontre
Femme / femmes

La "der des ders" terminée, Clofulia, cinéma mobile de l'Allier, passa de temps en temps à Marcigny. Ses bobines tournées à la manivelle donnèrent le goût du cinéma aux habitants. Aussi on se mit à projeter dans un local aux Abergeries puis à l’hôtel de la Paix logé dans l’ancien édifice religieux bénédictin du XIe siècle, tout près de l’église. Plus tard, un autre bâtiment religieux, l'ancien couvent des Ursulines abritant l'école primaire, vit son théâtre devenir le Family cinéma tandis que le garage d'Émile Nomblot, situé rue des Dames, afficha temporairement Le bon cinéma.

 

Pour le remplacer, le curé Ducreux alla battre la campagne afin de collecter suffisamment de dons pour que soient dressés dans la cour de la cure un grand bâtiment de briques rouges à huit trous. Ainsi, à l'époque où Léon Blum s'époumonait dans des duels politiques, est né Le Foyer, cinéma paroissial flambant neuf, avec son entrée rue des Dames. Le Bossu, film de René Sti, avec Robert Vidalin dans le rôle de Lagardère et Josseline Gaël dans celui de la jeune Aurore, émerveilla les premiers spectateurs. Mais, dès la deuxième séance, le film Violettes impériales fut interrompu par une panne de projecteur. Les séances hebdomadaires s'installèrent malgré tout et, à la messe du dimanche matin, du haut de sa chaire, le curé rappelait à ses ouailles : « Vêpres à deux heures et demie et séance de cinéma à trois heures et demie ».

 

Durant l'Occupation Alain Mondet, gérant du théâtre de Paray-le-Monial, traversait la ligne de démarcation pour assurer les projections au Family Cinéma. Sur l'écran, les actualités Pathé provoquaient des sifflements dès qu'elles rapportaient l'avancée des troupes allemandes. Les autorités d'alors obligèrent d'apposer à l'entrée du cinéma l'affiche annonçant au public l'interdiction de manifester sous peine d'occasionner la fermeture de la salle.

L'occupant parti, le Family dut fermer ses portes. Au début des années 1950 s'installa à sa place le cinéma Vox en accueillant sur son petit écran de toile Pierre Fresnay sous les traits de Monsieur Vincent. L'affable père Breton "patron des lieux" engagea Gaby Renoit et Bébert Aubry comme projectionnistes alors que Ginette Lefol puis Lili Charmont et Marie Guillalot déchiraient le talon des billets CNC à l'entrée et, plateau d'osier à la taille, vendaient caramels, bonbons acidulés et esquimaux à l'entracte.   

 

Au Foyer, Jean et Maurice Jeunet puis Jojo Fongarnand assurèrent les projections alors que les enfants du patronage, dont je fus, s'occupaient du contrôle des entrées et des ventes aux entractes.

 

Durant deux décennies Vox et Foyer cohabitèrent à la grande satisfaction d'un public rural désireux de se divertir. Puis la fréquentation devint de moins en moins régulière et, en décembre 1973, la jeune Églantine de Jean-Claude Brialy ferma définitivement le Foyer-cinéma. Cinq ans plus tard, le projecteur du "cinéma laïc" s'éteignait sur le déshabillé de femmes aux mœurs plus légères.

 

Ainsi, depuis avril 1978 les seules activités cinématographiques que connait le chef-lieu de canton sont celles organisées par Marcynéma. Le fait d'entretenir cette flamme cinéphile explique sans doute la volonté du conseil municipal de vouloir « doter à nouveau la commune d'un équipement cinématographique digne de ce nom et d'une salle enfin confortable. » (extrait des délibérations du conseil municipal du 05/01/1988, adoptées par le conseil municipal du 24 mai 1988 par 17 voix sur 19).

 

Ce 25 mars 1989 nait officiellement l'Association pour le développement du cinéma à Marcigny. La nouvelle salle ouvre le 5 octobre 1989. Nous y pénétrons un peu émus de quitter "notre vieux Foyer", sous la conduite de Lucie Chassort, présidente de l’association Marcigny grand écran et du maire Chizallet qui a été porteur du projet. Avec ses cent soixante-treize fauteuils au tissu bleu-vert, le Vox rénové assure un bon confort fessier. Sa cabine de projection n'est pas trop grande mais son équipement flambant neuf est un atout acoustique indéniable.

 

Après tout, rien n'est trop beau pour accueillir sur le nouvel écran de ravissantes femmes, thème oblige, comme Laura, Baby Doll, Lolita, L'Entraineuse fatale et La Femme au portrait. Et planent les fantasmes à la vue de la longue chevelure bouclée de Gene Tierney dans le film d'Otto Preminger, de la langoureuse posture de Caroll Baker sur la balançoire d’Elia Kazan, de la sensuelle sucette de Sue Lyon dans le Stanley Kubrick, de la longue robe de satin noir moulant Marlène Dietrich sur les images de Raoul Walsh et du reflet de Joan Bennet dans la vitrine contemplée par Edward G. Robinson dans le film de Fritz Lang !

 

Après tout, rien n'est trop beau pour accueillir, sur la scène du Vox au parquet nouvellement raboté et poncé la blonde Kate et son groupe chauffant littéralement la salle aux rythmes de la Country Music, la non moins blonde Ursula Lehmann présentant avec une pointe d'accent germanique la réalisatrice Verena Rudolph et son film inédit Francesca,  Béatrice Romand venue, non pas pour ses rôles dans les films de Rohmer, mais pour accompagner le réalisateur Philippe Cogney dont elle produit le film Florimont et aussi Catherine Legros, coiffée à la Louise Brooks, assurant timidement les dédicaces de ses livres de dessins aux messages féministes.

1990 : 20e Rencontre
La fête !

« Paul, permets-moi ce soir, Au nom de tous les miens, c’est-à-dire de La Petite bande de Marcynéma, de retracer Le Grand chemin que tu as parcouru. Ce que j’évoque ici n’est ni L'Itinéraire d’un enfant gâté, ni le fruit d’une Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon, c’est simplement L’Histoire de Paul, c’est aussi Notre histoire, La Vie et rien d’autre. »

 

Feutre gris vissé sur la tête, bouche collée au micro, du haut de la scène de la salle des fêtes de Marcigny, j'adresse mon discours à Paul avachi dans le fauteuil de metteur en scène que nous venons de lui offrir à l'occasion des 20 ans de Marcynéma.

 

« Il était une fois dans l’ouest de la Saône et Loire, dans Le Pays bleu au Soleil rouge qu’est le Brionnais, un Garçon vers lequel allaient tous les Rouges baisers de Maman. Très vite, il prit Le Chemin des écoliers qui passait toujours (Always en VO) devant Le Boucher et La Maison des Bories. Il croisait Un jour, un chat, un autre jour Un chien andalou, d’autres fois Un homme et une femme… Qu’importe, le petit Paul ne se voyait pas dans Un monde fou, fou, fou, Marchant pas à pas marchant, Un sac de billes dans une poche, un Yoyo dans L’Autre, il rêvait sans se faire de Mauvais sang d’un Voyage en grande Tartarie ou autre Vol au-dessus d’un nid de coucou. Mais quoi d’étonnant ? Ne disait-il pas : La Gloire de mon père est de faire tourner La Machine à images, chaque Week-end (et non Un week-end sur deux !) au cinéma Le Foyer. Quant à mon frère Michel, il fait Les 400 coups en disséquant postes de radio et projecteurs… »

 

Dans la salle, parmi les invités attentifs, je remarque Jean-Charles Lyant, écrivain qui aime jouer avec les mots, affichant un sourire dès qu'il débusque un titre de film dans mon propos.

 

« Plus tard, Le Môme va connaître Les Lumières de la ville et le Macadam. Nous arrivons en effet à un Épisode où, lorsque Le Jour se lève et qu’il fait 37°2 le matin, Paul se rend à l’Arrêt d’autobus pour rejoindre le lycée Jean Puy à Roanne. Ni Zozo, ni Loulou, il n’y prend pas de Zéro de conduite, n'en retire pas une Psychose mais nourrit une véritable Obsession pour l’écran Géant. Celle-ci le poursuit en faculté, partout, même dans Le Grand restaurant universitaire où ce n’est pas La Grande bouffe. Là, pour une bouchée de Riz amer, Les Galettes de Pont Aven et une gorgée de Diabolo menthe, c’est La Poursuite infernale des idées qui l’obsèdent. Peu importe l’Histoire d’O du Prof de chimie, le Théorème, Le Cercle rouge et La Diagonale du fou des mathématiques, Le Grand bleu des cours de peinture, Les Oiseaux et Le Blé en herbe du naturaliste, peu importe, Paul, Capitaine courageux fait toujours Bande à part et, dans Le Cerveau jaillit La Bombe dont il gardera La Fièvre du samedi soir : Il pense que, Pour une poignée de dollars, on peut donner Rendez-vous à tous, pour des Rencontres. »

 

Et aujourd'hui nous en sommes à la 20e ! Elle a bien débuté. Nous avons déjà eu le passage de Jean Charles Tacchella, accompagné de son épouse et actrice Ginette Mathieu. Il a répondu avec courtoisie et sincérité aux questions posées après la projection de son film Le Pays bleu.  Lionel Charpy, président de l’Afca (Association française du cinéma d’animation) est à nouveau des nôtres pour présenter un hommage au cinéma d’animation. Nul doute que cette 20e Rencontre connaitra une belle clôture avec Le Festin de Babette du Danois Gabriel Axel et le film La Citadelle qui sera projeté en présence de son réalisateur algérien Mohamed Chouikh.

 

Pour l'instant, je poursuis mon propos sur Paul...

 

« Neuf semaines et demie plus tard, il trace La Règle du jeu à ses Camarades, Cousins, cousines et, décide de faire cela sur La Terre brionnaise. Drôle d’endroit pour une rencontre diront certains, qu’importe L’Affaire est dans le sac et elle dure encore ! Cela étant dit, il a fallu Vivre sa vie… L’Aventure c’est l’aventure et, Paul a alors devant lui Les Années lumières et Les Années difficiles. Le voilà face au Destin d’un hommeSissi, face à son destin ! N’est-ce pas Paul ? Alors que tu Recherche(s) Susan, désespérément, tu trouves Michèle, Une femme douce, d’après les Deux ou trois choses que je sais d’elle. Tu en fais Une femme mariée et, Le Mariage du siècle n’est pas un Feu de paille puisqu’il donnera un Tandem : Les enfants terribles ».

 

J’aperçois dans l’auditoire, qui occupe le parquet de la salle des fêtes, les enfants en question : Olivier et Fred se rapprochent déjà du gâteau d'anniversaire des Rencontres...

 

« Entre temps, tu quittes ton Domicile conjugal pour aller apprendre soi-disant La Meilleure façon de marcher durant Les Grandes manœuvres dans les casernes lyonnaises. Mais, tu n’es pas Le Fou de guerre et tu ne te vois pas comme Le Petit soldat avec Le Vieux fusil. Puis tu enseignes dans Les Écoles du côté de Régny et de Roanne, toujours en Classe tous risques, sans craindre Les Risques du métier. Tu dis enfin : Au revoir les enfants et tu vas t’occuper d’audiovisuel à L’École normale de Saint-Étienne où tu es encore. Tout cela n’a jamais émoussé ta Passion. Tu as toujours su nous la communiquer sans Faux semblants ; nous vivons avec toi ce qui est à nos yeux La Plus grande histoire jamais contée durant Les Temps modernes : C’est La Grande évasion des tournages, Nos plus belles années de ciné-club, Les Amis du plaisir, La Ronde des Rencontres… Aux temps des châtaignes, entre Un été en pente douce et Un été meurtrier, quel plaisir de retrouver La Commune de Marcigny et Les Verts pâturages pour Une partie de campagne ! Avec Vincent, François, Paul et les autres (nous dirons que Tous les autres s’appellent Ali !), quels Rêves, c’est Jour de fête, Le Feu sacré, que dis-je ? Les Feux d’artifices, L’Empire des sens, L'État de choc !… Tu as mené Marcigny sur Les Sentiers de la gloire, désormais, Toute la ville en parle ! A bout de souffle, j’arrête là, Promis, juré, et, Ne nous fâchons pas, Paul ne fais pas L’Ours et ne prends pas La Mouche, mais, Ce soir ou jamais, au-dessus des Cris et chuchotements, en Tenue de soirée, j’en fais L’Aveu : tu es notre Local Hero » !

 

Un héros en effet : la salle applaudit Paul et trois orchestres, Texas Monkeys, Banana Spleen, Capozzo Quintet, envoient tour à tour des airs de rock et de jazz : c'est la fête !

1991 : 21e Rencontre

Portraits

Mine réjouie de Jean-Pierre Jeunet : au Théâtre des Champs-Elysées, l'humoriste Smaïn lui remet son deuxième César pour le court-métrage Foutaises qu'il nous a présenté l'an dernier.

Grise mine des plus jeunes que compte le conseil d'administration de notre association : ceux-ci menés par Fabrice Beaujard et Tonio (Antonio Cauterucci), auxquels se joignent Jef (Jean-François Solé) et Phil (Philippe Duclairoir) se sentent mal intégrés dans Marcynéma. Pour eux, le clan des "barons", joli terme emprunté à l'histoire du gaullisme pour nommer les plus anciens d'entre nous, flotte dans le passé et semble peu ouvert à la nouveauté. Ils aimeraient faire évoluer la formule des Rencontres vers une programmation moins chargée en films pour laisser davantage de temps aux discussions, balades et "petites bouffes". Ont-ils complètement tort ? Il est vrai que nous, lesdits barons, avons nos prises de bec, notre humour à gros rires, nos certitudes et nos petites habitudes. Nous savons bien qu'au conseil d'administration, lors du choix d’un sujet, une majorité peut être favorable aux thèmes "Grands espaces", "Angleterre" ou "Désirs" et qu'en fin de compte Paul sort de ses cartons une liste bien taillée pour une Rencontre qu'il intitule "Portraits". Et, Paul ayant compulsé tous les catalogues de location de films et activé son réseau de connaissances dans le milieu du cinéma, c'est avec évidence que tout le conseil se rallie au thème annoncé. Pour autant Paul ne reste pas sourd aux propositions faites et il fait entériner celle des jeunes : consacrer une soirée à des vidéos internationales et à des films vidéo d'Écoles des Beaux-arts. Les vidéos, c'est une première aux Rencontres.

 

Ce qui n'est pas une première à Marcigny, c'est la projection de quelques bobines de Gérard Courant, bobines extraites de ce que certains appellent « le plus long film du monde ». Ce critique de cinéma, habitué des Rencontres, a eu, il y a 14 ans, une idée aussi bonne que simple. À l'image du photomaton dans lequel nous avons tous tiré nos portraits afin de fournir des photos d’identité demandées par notre lycée ou autres écoles, il "invente" le "cinématon". Avec sa caméra Super-8, il cadre serré une personne et enregistre un plan fixe et muet qui dure les quelques minutes de dévidement du chargeur. Depuis qu'il a filmé sa concierge le 7 février 1978 Gérard a "mis en boîte" des centaines de têtes : Joseph Losey, Jean-Luc Godard, Nagisa Oshima, Henri Laborit, le professeur Choron... Le 159e cinématon est celui de Paul. Gilles Colpart, lui, a eu droit à deux prises espacées dans le temps. Sur la première prise, il colle l'oreille à un poste transistor et se rase sur la deuxième comme il le ferait devant une glace. Joëlle Wintreberg, elle aussi, a pris l'objectif pour un miroir ; elle essaie, face caméra, une multitude de chapeaux de toutes formes et de toutes couleurs. Sur le même principe, Gérard Courant filme divers groupes rassemblés sous un prétexte précis. Il nous projette un Portrait de groupe qui rassemble les organisateurs, des invités et quelques participants à la dernière Rencontre. Je me souviens de l'enregistrement de cette séquence alors que nous sortions d'un repas pris au Tournebride chez les Munoz à Semur-en-Brionnais.

 

Sur cinq jours de projection avec quinze longs métrages et vingt courts métrages, cette 21e Rencontre m'apporte une révélation : Matador me jette au visage le rouge sang de la mort et celui de la passion. Ce Pedro Almodovar est un auteur à suivre...

Les Larmes amères de Petra von Kant confirment tout le bien que l'on peut penser de Fassbinder : un décor unique, un tableau de Poussin omniprésent, Morgit Carstensen et Hanna Schygulla sublimes ; ce grand Rainer Werner sait toujours jouer avec l'espace et le temps !

My Beautiful Laundrette de Stephen Frears mérite aussi des palmes, à l'image des très académiques remises par madame le sous-préfet de Charolles à Paul, victime d'une amicale conspiration associative. 

1992 : 22e Rencontre
Allemagne, tours, détours... 

« En s'écroulant, le cinéma conformiste allemand entraîne dans sa chute le fondement économique d'une attitude intellectuelle que nous rejetons. […] Le cinéma de papa est mort. Nous croyons au Nouveau Cinéma ! » Ces deux phrases ouvrent et concluent un texte écrit par des jeunes cinéastes allemands à l'occasion d'un festival du court métrage en 1962. Connu sous le nom de manifeste d'Oberhausen, il est à l'origine d'un renouveau radical du cinéma en RFA (République fédérale allemande).  Les jeunes réalisateurs se plaçaient alors en rupture avec le cinéma allemand traditionnel qui n'avait guère évolué depuis les années 1930. Ils ouvraient la voie de la scène internationale à des Fassbinder, Schloendorff, Reitz ou autre Wenders. En projetant leurs films dès 1972, Marcigny peut se vanter de compter parmi les tout premiers écrans à avoir accueilli ce "nouveau cinéma".

 

Avec l'aide de la fidèle Ursula Lehmann, du Goethe institut de Lille, la 22e  Rencontre est l'occasion de faire le point sur l'évolution de ce cinéma. Les remarques vont bon train suite à la projection du film Les Désarrois de l'élève Törless de Volker Schloendorff et de Lili Marleen de Rainer Werner Fassbinder. Les films inédits que sont Yasemin du Hambourgeois Hark Bohm et Entre les rails de Wolfgang Staudte ne laissent pas indifférents. Au cours des tables rondes portant sur « Le rêve américain » et sur « De la guerre à l'après-guerre », les propos s'animent avec Heike Hurst, auteur d'une thèse sur le jeune cinéma allemand, Achim Haag, auteur d'un livre sur Fassbinder, Mathias Allary, réalisateur, Jacques Grant et Daniel Sauvaget, journalistes et critiques. Gilles Colpart et Jean-Charles Lyant canalisent les échanges.

Ces échanges sont souvent vifs et c'est bien là l’un des intérêts de la Rencontre. Dans la formule « rencontre cinéma » il y a ceux qui privilégient le mot "cinéma" et ceux qui préfèrent donner la priorité à la "rencontre" ; il y a aussi tous ceux qui essaient de trouver un équilibre entre les deux. La remarque du général de Gaulle qui reconnaissait la difficulté de gouverner un pays dans lequel il y a autant de sortes de fromages s'applique ici. Marcigny a toujours été une terre sur laquelle les gens se divisent. Le dernier référendum demandant d'approuver la ratification du traité de Maastricht pour l'Union européenne ne vient-il pas de scinder l'électorat en deux blocs égaux ? 523 voix pour, 522 voix contre... il est difficile de couper plus équitablement un nombre impair de suffrages exprimés !

 

Je reconnais amplifier l'équivoque dans les rangs de Marcynéma en créant un "nouveau courant". Ce "courant" répond au sigle MGM, allusion directe au studio de la Métro Goldwyn Mayer dont nous ne nous lassons pas d'entendre les rugissements du lion Léo qui ouvre chacune des productions du studio américain. C'est aussi une allusion à la campagne présidentielle de 1988 qui inspira au publicitaire Jacques Séguéla le slogan « Génération Mitterrand » car notre MGM à nous se traduit « Mouvement Génération Marcynéma ». Ce mouvement est une plaisanterie montée avec Dominique Blanc, Tonio et Michel (Bories). Nous entretenons cette plaisanterie en avançant des propositions pour dynamiser l'association. Moins sérieusement, nous nous présentons comme mouvement dissident mais... restant fidèle au président Paul !  Cela ne nous empêche pas de réclamer lors d'une réunion une suspension de séance au nom du groupe MGM et de faire sortir la totalité du conseil d'administration laissant Paul seul dans la salle ! Notre délire n'ayant pas de limite, nous allons jusqu'à proclamer des prises de positions dans le domaine audiovisuel français : « Non aux publicités qui coupent les films à la télévision et aux films qui coupent les pubs ! », « Oui pour connaître sans attendre l'avenir de la Cinq en prenant contact avec le maire d'Artaix (Arte ?) ! »

1993 : 23e Rencontre

Flics et hors-la-loi

Superbe bagnole ! La longue américaine blanche brille de tous ses chromes. Le chauffeur, visage fermé, pose sa main droite sur le levier de vitesse et démarre en trombe provoquant, dans un crissement bref, un jet de gravillons devant les pompes de la station-service du Maxi-Marché. Immédiatement la voiture franchit le panneau annonçant Marcigny puis les flancs clairs de ses pneus droits viennent se blottir dans le caniveau à la hauteur de la Quincaillerie Perrier. La capote baissée laisse découvrir le visage des trois passagers. Comme le chauffeur, deux d'entre eux portent des lunettes noires cachant leur regard ; leurs cheveux, noués en catogan, s'échappent du feutre pour glisser sur la nuque. En poussant les lourdes portières du véhicule, ils posent leurs derbys blancs sur le trottoir. Costume sombre aux fines rayures claires, ils pénètrent dans la boutique sous le regard médusé du commerçant dont le visage s'empourpre à la pensée d'un hold-up.  Le plus petit, à l'allure de gigolo, retire son cigare des lèvres dans des volutes de fumée blanche et demande... un rouleau adhésif. Le plus costaud, très typé mafioso, sort avec élégance un portefeuille de la poche intérieure de son costume et règle le commerçant. Au grand soulagement de ce dernier, les deux hommes sortent et... réparent un accroc de la capote de la belle américaine sous les yeux amusés du passager resté dans la confortable limousine, hilare dans son blouson Lacoste. La large voiture repart. Elle passe devant le Café de la Loire de Suzanne débaptisé par la volonté de plaisantins nocturnes et bricoleurs : un « G » a été glissé parmi les lettres de l'enseigne indiquant désormais le Café de la Gloire. Ces plaisantins sont connus dans nos rangs, ce sont eux qui roulent dans la Chevrolet Bel-Air. Il s'agit de Jean-Lou (Jean-Louis Beaujard) et Franco (Franck de Palma) qui déposent, devant les escaliers du Vox, José Giovanni, invité d'honneur de cette 23e édition.

 

Présent durant toute la Rencontre que les affiches créées par Jean-Lou annoncent sous le thème « Flics et voyous » (!), José Giovanni est d'une gentillesse et d'une disponibilité appréciées par tous les participants. Au repas, au cours des trajets entre le restaurant et le cinéma, durant les pauses, dans les débats… jamais il ne repousse les questions de ses interlocuteurs. Ainsi, autour d'un banc scellé à proximité de l'entrée du cinéma, l'homme, qui en son temps a échappé à l'exécution capitale à la faveur d'une grâce présidentielle méritée, est intarissable sur l'écriture de ses romans et de ses films : après avoir tenu un journal intime en prison, il écrit Le Trou qu'un éditeur croyait être de la main de Malraux. Il enchaîne la rédaction d'un autre roman Le Deuxième souffle puis celle de Classe tous risques et enfin de La Scoumoune. Autant de pages devenues des films grâce à Jacques Becker, Jean-Pierre Melville, Claude Sautet et Giovanni lui-même.

Tour à tour les yeux plantés dans le regard de son interlocuteur ou cherchant je ne sais quelle inspiration dans les nuages, il conte de sa voix aux intonations fluettes ses tournages avec Jean Gabin, Jean-Paul Belmondo, Alain Delon... et avec celui qui « était comme [son] frère, Lino Ventura ». Il ponctue son propos en poussant la pointe de la langue contre la muqueuse de la joue, le temps d'apprécier l'impact de ses paroles sur l'auditoire ou de rechercher une nouvelle anecdote. Il narre par le détail le tournage d'une scène de son film Les Égouts du paradis dans laquelle Francis Huster a quelques difficultés dans la conduite d'un véhicule sur un chemin accidenté...

Tout à coup un hululement à la Johnny Weissmuller nous sort du récit. Paul, sur le seuil du Vox, nous rappelle à grands gestes le début imminent de la prochaine séance. Il va être difficile de quitter l'univers du "polar" pour se plonger dans Le Mal du pays de Walerjan Wrobel qui conte l’histoire d'un jeune fermier polonais réquisitionné par les occupants allemands. Heureusement, son réalisateur Rolf Schübel est là, accompagné de son producteur et de son distributeur, le débat sera sans doute intéressant...

1994 : 24e Rencontre

Jeux d'acteurs

« Le maire a les yeux rouges ce soir. Et le conseiller général. Et le vice-président de l'association invitée. Le pot d'honneur à la mairie de Marcigny a triste mine. En ce dernier jour des Rencontres internationales de cinéma de Marcigny, le projectionniste est mort.

Et tous ces ex-jeunes de l'Association ont le cœur gros. Jean Jeunet était ce magicien qui leur a fait découvrir le cinéma dans les années soixante. C'étaient des séances mémorables dans Le Foyer de la paroisse fermé aujourd'hui. Il était aussi le père de deux des leurs et c'est sans doute grâce à lui qu'ils sont là aujourd'hui, à défendre leur Association de cinéma dans les méandres des pouvoirs publics.

Et c'est un peu de leur enfance qui s'estompe, dans cette salle grise où le kir côtoie les cacahuètes, où le maire s'emmêle dans son émotion, où le conseiller général garde la tête froide : « Il faudra voir à exposer clairement vos projets en direction de la jeunesse de la région... » à eux qui furent de ces jeunes il y a vingt-quatre ans. Ils étaient alors des copains. Paul, Michel, Pinpin et les autres. Du même village, Marcigny, deux mille habitants au cœur de la Bourgogne verte, dite le Brionnais.

Le même genre de famille, modeste, comme on dit.

[...] »

 

Les yeux me picotent à la lecture de cet article en pleine page du journal Libération de ce 3 novembre 1994. Il y a des journalistes qui viennent de Paris et qui nous regardent comme on regarde un poisson rouge dans un bocal sans comprendre la provenance de l'oxygène qui traverse ses branchies. Et puis il y a les autres. Annick Peigné-Giuly qui signe ce reportage en fait partie.  Envoyée spéciale sur la Rencontre, elle a compris notre histoire, notre état d'esprit, nos passions et nos doutes. Rien n'échappe à son article illustré d'une large photo de Georges Charlia et Louise Brooks dans Prix de beauté : les expériences de « décentralisation en milieu rural », la difficulté à « raccrocher les wagons avec les Marcignots et les Marcignotes », « la promotion d'un cinéma de qualité sous toutes ses formes », les soucis de subventions...

 

« Des conditions matérielles modestes qui n'empêchent pas, cette année, une affiche aussi classe que les autres : Charulata de Satyajit Ray, Queen Kelly, un von Stroheim de 1928, Une si jolie petite plage d'Yves Allégret (1948), Les Yeux de la momie (Ernst Lubitsch, 1918) ou Le Dernier des hommes (Murnau, 1924) entre autres. Une programmation fluide où les films se trouvent tout seuls des correspondances insoupçonnées.

Deux réalisateurs sont venus présenter leur œuvre. Jean-Claude Guiguet, Le Mirage. Et Gérard Mordillat pour En compagnie d'Antonin Artaud, un film produit par Arte. « Nous avions une image de découvreurs qui se perd un peu aujourd'hui », explique Paul Jeunet. « Nous avons montré des films inconnus, créé quelques chocs esthétiques. Mais, depuis dix ans, il y a de moins en moins de films à découvrir... » Des points de suspension qui n'altèrent pas l'envie de fêter dignement le centenaire du cinéma l'an prochain. « On ne veut pas que le cinéma ait l'air d'un musée. Nous organiserons un dimanche à la campagne avec les cinémathèques régionales. » Les Rencontres auront tout juste vingt-cinq ans. »

1995 : 25e Rencontre

100 ans de cinéma - 25 ans de Marcynéma

Durant un quart de siècle, nous avons projeté plus de cinq cents longs métrages dont un bon nombre d'inédits et des milliers de courts métrages ; nous avons reçu trois distributeurs, quatre comédiens, neufs critiques de cinéma, douze écrivains, trente-huit réalisateurs dont quelques étrangers ; nous avons provoqué des débats, proposé des concerts et monté des expositions ; nous avons intéressé des journalistes locaux, régionaux, nationaux et des reporters de la télévision ; nous avons attiré des milliers de spectateurs mais peu de Marcignots. Cependant, cette fois ça y est ! Oui, ça y est ! La vague Marcynéma submerge le chef-lieu de canton !

 

A l'occasion de cette 25e Rencontre et pour son centenaire, le cinéma s'expose dans toute la ville. Les couloirs de la mairie se parent d'immenses affiches créées par des dessinateurs de bandes dessinées. Le Vox placarde des documents illustrant les années d'existence de la Rencontre. Sous la charpente du XVe siècle du musée de la Tour du moulin s'accrochent des panneaux illustrant les différentes phases de réalisation d'un film d'animation. Tout près, se concertent les marionnettes des Deux alpinistes de Krebs et Grolleron et tourne Le manège, principal décor du film césarisé de Caro et Jeunet. Dans la vitrine de leur magasin, des commerçants exposent les objets devinettes censés évoquer des films dont les titres sont à reporter sur le bulletin du jeu-concours. Un parquet, nom donné en Saône-et-Loire à une baraque de bois couverte d'une bâche de toile, est monté sur la place Reverchon et laisse admirer des affiches résumant un siècle de cinéma.

Les collégiens s'emparent de l'événement. Le nouveau principal Roger Martin ouvre grand les portes de son établissement. Un praxinoscope géant est installé dans la médiathèque. Lionel Charpy, ayant participé à la réalisation du film Le Roi et l'oiseau de Paul Grimault, explique le montage d'un dessin animé aux élèves. Ces derniers se déguisent et transforment, l'espace d'un instant, les escaliers du Vox en marches cannoises gravies par une Betty Boop s'enivrant des effluves du Chanel n° 5 d'une Marylin plus vraie que l'actrice disparue...

 

Sur le grand écran du Foyer Cinéma ouvert le temps d'une séance nostalgique, Paul projette un montage réalisé à partir de films tournés par Philippe Guinard, commerçant marcignot. Les anciens revivent des manifestations locales de 1958 à 1967 : courses cyclistes remontant la rue des Roches, fêtes du 14 juillet sur le champ de foire, moto-cross au terrain du Fugot, tournois de sixte en Borchamp, concours hippique national sur la route du port d'Artaix... Ils s'émeuvent à la vue sur l'écran d'une personnalité locale ou d'un parent disparu. Puis La 3e image, film réalisé par Catherine Gros et Paul, retrace l'aventure des Rencontres en y apportant un œil neuf. Enfin Gérard Courant propose quelques Cinématons.

Le cinéma circule dans la ville grâce aux airs joués par le Réveil musical, fanfare locale qui pour l'occasion a mis à son répertoire des musiques de films. Et s'envolent les notes de Tous les matins du monde et de Huit et demi...

 

Marcynéma ne peut fêter son quart de siècle sans évoquer un des cinéastes découverts lors des premières Rencontres, l'allemand Wim Wenders. Avec ses films, le cinéma parle du cinéma : Tokyo Ga rend hommage au japonais Yazujiro Ozu et Nick's Movies nous rapporte les derniers moments de Nicholas Ray.

Nous tenions à fêter le centenaire de l'invention des frères Lumière avec la participation des cinémathèques qui, partout en France, œuvrent pour le 7e art.  Sept répondent à notre appel. Le directeur de la cinémathèque de Grenoble présente une chronique sur les banlieues Hé, tu m'entends ; celui de Toulouse un film rare de 1936 réunissant Raimu et Michel Simon : Les Jumeaux de Brighton. La cinémathèque française rend hommage à son père fondateur avec Citizen Langlois. L'institut Lumière n'hésite pas à présenter deux films : Symphonie pour un massacre de Jacques Deray et La Dame d'onze heures de Jean Devaivre. La cinémathèque Corse a franchi les eaux de la Méditerranée avec Charles Aznavour, Raymond Pellegrin et Jean-Louis Trintignant dans Horace 72. La cinémathèque de Saint-Étienne mise sur Le Voleur de Bagdad de Berger, Powell et Whelan. La cinémathèque du ministère de l'Agriculture présente son domaine de prédilection avec Le Cinématographe agricole. Tous les directeurs de cinémathèque se retrouvent avec Gérard Alaux, directeur des actions patrimoniales du CNC, lors de la table ronde animée par Michel Bernault et Gilles Colpart sur la conservation du patrimoine cinématographique.

De retour à Marcigny Jean-Pierre Jackson, journaliste, producteur, distributeur, spécialiste du cinéma japonais présente quelques films cultes allant de La Proie nue, chasse à l'homme signée Cornel Wilde, à La Guerre des monstres, film fantastique du maître japonais du genre Ishirō Honda.  

De son côté, Serge Bromberg, collectionneur passionné de cinéma, distributeur, restaurateur de films rares, nous montre les films insolites et jubilatoires des grands David Griffith, Jacques Tourneur et autre Max Linder. Lionel Charpy, lui, rend hommage au cinéma d'animation avec les meilleures découvertes de ces dernières années.

 

Enfin, sous la baraque foraine, une grande fête réunit cinéphiles et simples amateurs, Marcignots et autres publics devant Tramp, Tramp, Tramp, film burlesque et muet d'Harry Edwards accompagné en direct par le Trio Roberto Tricari de Montpellier. Comme aux premiers temps du cinématographe...

 

Avec deux mille trois cents spectateurs présents à Marcigny sur cinq jours, c'est vraiment la fête du cinéma. Le groupe Jazz d'échappement la clôture en musique.

1996 : 26e Rencontre

Les coups de cœur de Bernard Chardère

« Jusqu'à maintenant, nous avons essentiellement invité des créateurs de cinéma, donnons cette année la parole à ceux qui vouent leur vie à l'amour de cet art. »

Paul propose une inflexion dans la manière de construire le programme de la Rencontre. En donnant carte blanche à Bernard Chardère, nous lui abandonnons le choix des films qui seront projetés.

Nous accueillons ainsi un homme à la fois distant, avec d’épaisses lunettes à la Godard, et jovial, aux cheveux ébouriffés comme Tim Burton.

Fondateur de Positif en 1952, Bernard Chardère est accompagné par l'une des plus célèbres signatures actuelles de la revue, Michel Ciment, par ailleurs président de l'association des critiques de cinéma.

Fondateur en 1959 de la société de production Les Films du Galion, Chardère nous apporte deux de ses réalisations : Autrefois les canuts et La Ricamarie.

Fondateur en 1959 de la revue Premier plan, auteur de livres sur les frères Lumière et les débuts du cinéma, il se déplace aujourd'hui avec son compagnon de route Raymond Chirat, lui-même grand historien du cinéma et coauteur avec Maurice Bessy d'une Histoire du cinéma français.

Conservateur de l'Institut Lumière de Lyon qu'il a autrefois dirigé, Chardère a aussi fait appel à Thierry Frémaux actuellement à la tête de l'Institut et à Freddy Buache, créateur de la cinémathèque suisse et auteur, lui aussi, d'un grand nombre d'ouvrages sur le cinéma.

 

En installant la petite librairie Marcynéma dans l'allée du Vox, Juju et Fanny (Hugon) se frottent les mains : ils étalent une grande variété de bouquins dont certaines parutions introuvables.

Cette année, les habitués de la Rencontre côtoient un public nouveau qui s’explique par "L'effet Chardère et sa bande". Le nombre d'entrées journalières aux séances est très stable car si certains cinéphiles nous quittent le dimanche, un public Marcignot prend le relais. Ce dernier découvre Horizons perdus tiré du roman éponyme de James Hilton. Le plus cher des films tournés dans les années 1930 est présenté sur copie restaurée par l'Américan Film Institute. La restauration a coûté elle-aussi une fortune mais le résultat est là.

 

La Rencontre se termine par une soirée irlandaise avec un film et un concert : le film de 1934, L'homme d'Aran de Robert Flaherty, saisit le spectateur avec la scène de la violente tempête tournée sans trucage ; le concert celtique, assuré par Ardagh et ses musiciens, enchante la salle du Café du marché.

 

Nous vivons cette année encore une belle Rencontre grâce à la présence de professionnels confirmés. C’est la satisfaction au sein même de Marcynéma où les "anciens" se montrent toujours très actifs. Les plus jeunes de notre bande, regroupés depuis quatre ans dans le MJD (Mouvement des jeunes dissidents), plaisanterie montée en réponse à la fondation du MGM, reconnaissent leur discrète participation. Ceci est dû à l'absence Frédéric (Jeunet), membre majeur du groupe, qui gamberge loin de l’hexagone. Les yeux portés par les déferlantes du Pacifique sur les brisants australiens, il nous écrit :

« La salle est obscure. Un filet de lumière vient caresser nos têtes et briller de mille feux sur l'écran magique. Les crépitements du projecteur se marient à la musique et aux voix des acteurs. Les spectateurs s'enfoncent dans leur siège face à leurs rêves. Rêves et amitiés... le bonheur de se retrouver autour d'une passion partagée. Les bons mots de Pinpin, l'affiche de Jean-Lou, la librairie de Juju, la buvette d'Olivier et Jacques, les sourires accueillants de Françoise, Michèle, Dominique et Ray, la poinçonneuse de Chantal et Jef, les projos de Tonio et Alain, les rires de Raphaëlle et Franco, les calembours de Bob, les discours du président, les Miko de Bories... les discussions au petit déjeuner chez Suzanne, le public fidèle et passionné... tout ce qui fait Marcynéma... cette année je n'y suis pas mais je ne peux m'empêcher de penser à mes Rencontres adorées, la tête en bas, perdu dans la belle Sydney. »

1997 : 27e Rencontre

Duos & débats

Depuis sa naissance placée sous la dualité des Lumière, le cinéma se joue des duos, couples, doubles, sosies, remakes, jumeaux, paires...

 

Paires : des yeux rien que des yeux, c'est ce que je sélectionne avec les frères Jeunet. Nous découpons des clichés pour en extraire le seul regard d'un acteur ou d'une actrice. Vingt photos sont ainsi réparties dans des vitrines de magasins marcignots. Mettre un nom sur chacun des regards, c’est le défi demandé à tout participant à notre jeu-concours « T'as d'beaux yeux, tu sais ? » 

 

Dualité : du 29 octobre au 2 novembre, la programmation propose la cohabitation de grands classiques du cinéma et de films moins connus. Ainsi, Une partie de campagne de Jean Renoir avec Sylvia Bataille et Georges Darnoux et La Femme aux deux visages de George Cukor avec Greta Garbo et Melvin Douglas côtoient des films japonais présentés par le distributeur Jean-Pierre Jackson : Baby Cart, le sabre de la vengeance de Kenji Misumi, L'Ange rouge de Yasuzo Masumura et Portrait d'un criminel, drame social de Hideo Gosha.     

 

Couple : l'homme et la femme marchent lentement. Elle, de petite taille, sourire timide aux lèvres, robe simple passée sous un manteau léger, se fond dans l'ombre de son mari. Lui, front dégarni, cheveux argentés, joues anguleuses, larges oreilles, veste ocre sur pull à col roulé bleu pâle n'est pas beaucoup plus grand. Malgré sa discrétion naturelle, l'an dernier déjà nous l'avions remarqué venu alors en spectateur. Aujourd'hui, il est notre invité d'honneur ! À la fois acteur et réalisateur Pierre Trabaud a cette modestie des gens qui trouvent naturel d'assurer consciencieusement leur travail. Il lui est difficile de se mettre en avant et pourtant quels agréables moments procure-t-il lorsqu'il rapporte des anecdotes de sa vie d'acteur dont les ambiances de plateau de la comédie Antoine et Antoinette que Jacques Becker a tournée en 1946 !  Bien plus tard, Trabaud s'est essayé à la réalisation avec Le voleur de feuilles dans lequel il joue aussi auprès de Denise Grey et Jean-Pierre Darras. Notre déception est aussi grande que la sienne en découvrant un film aux couleurs délavées. La copie 35mm s’est dégradée avec le temps.

 

Duo : rencontre de Pierre Trabaud et José Giovanni dans le hall du Vox. Nous connaissions l'attrait du réalisateur de Dernier domicile connu et Deux hommes dans la ville pour les courses en montagne mais nous ne savions pas que rois, dames, fous, cavaliers, tours et pions sur soixante-quatre cases pouvaient le passionner. José Giovanni profite d'un moment de liberté laissé par le championnat d'échecs qu'il dispute à Bourbon-Lancy pour venir saluer « la bande de Marcynéma » et son ami Pierre Trabaud. Cette marque d'amitié nous touche profondément. Pierre Trabaud, saisi par cette visite surprise, tombe dans les bras de José Giovanni. Les spectateurs présents dans le hall du cinéma vivent un grand moment d'émotion.

1998 : 28e Rencontre

Rêves – Révoltes

« La presse ment », « L'intox vient à domicile », « Pas de rectangle blanc pour un peuple adulte », « Le fascisme ne passera pas ! »... Faut-il ressortir les slogans placardés dans les facs il y a trente ans ? Faut-il reprendre les pochades les illustrant et encore ancrées (encrées !) dans ma tête ? Les années ont passé et les vieux démons rôdent toujours. Des journalistes abandonnent une liberté de penser qui devrait s'imposer dans une démocratie adulte.  Des partis républicains contractent d'étranges alliances avec le Front national de Jean-Marie Le Pen pour sauvegarder des présidences de région. Faut-il alors rappeler qu'existent encore des hommes et des femmes refusant tout compromis et toute corruption ? C'est un peu ce que nous faisons dans cette 28e Rencontre...  

 

Krzysztof Zanussi dialoguiste, scénariste et brillant cinéaste polonais de la génération de Andrzej Wajda et Andrzej Munk nous présente sa dernière réalisation Le Grand galop, film inédit en France. Dans la Pologne d'après-guerre, la police communiste surveille sans répit les dissidents, telle l'extravagante tante Idalia qui transmet à son neveu Hubert la passion du cheval et l'esprit de résistance aux autorités en place. A l’issue de la projection, Zanussi, détenteur du New-York Film Critics Circle Award pour l'ensemble de son œuvre, expose avec calme et détermination les brisures de son pays.

Pierre Carles lui aussi veut inciter à la réflexion. Sa venue à Marcigny sent le soufre. Il y a quatre ans, pour répondre à une commande de la chaîne cryptée Canal Plus, il réalise un court reportage sur les relations entre télévision et pouvoir. Censuré, le film n'est jamais sorti sur le petit écran. Pierre Carles décide alors de réaliser un long métrage sur cette affaire. Il reprend comme point de départ une conversation amicale et complice entre François Léotard, alors ministre de la défense et Étienne Mougeotte, directeur des programmes de la chaîne privée TF1. Pour que le film soit diffusé, le journal Charlie Hebdo a lancé cette année une souscription. Avec les six cent mille francs collectés, il espère bien commencer des projections courant novembre. Ce 31 octobre, quatrième jour de la Rencontre, devant une salle du Vox bondée, c'est donc en avant-première que le film Pas vu pas pris est projeté. Au cours du débat, l'atmosphère est électrique. Pierre Carles, longue silhouette enveloppée d'une chemise rouge et d'un pantalon noir, fusille du regard le moindre contradicteur. À la limite de la mauvaise foi, il généralise la fausse impertinence des journalistes d'aujourd'hui. Il renvoie dos-à-dos le milieu politique et les médias. Serge Halimi intervient en connaissance de cause. Plume dans Le Monde diplomatique, ses écrits, comme ceux de Bourdieu, font polémique. Il se montre ici plus pondéré tout en pointant du doigt les manquements du "contre-pouvoir" que devraient être pour lui les médias. A l'issue du débat, c'est avec gentillesse qu'il dédicace Les nouveaux chiens de garde, son dernier livre sur le sujet. Fred (Jeunet) en profite pour lui tendre le cahier dans lequel il consigne des autographes puis rabat la couverture cartonnée, content d'avoir ajouté une signature à sa collection. Il n'a pas autant de chance avec Pierre Carles qui l'écarte de la main, prétextant ne pas vouloir « entrer dans le jeu du vedettariat ». Voilà bien le geste d'une personne intransigeante !

 

La gentillesse d'une fille à papa qui en fait n'en est pas une, console Fred. La fille est Sophie, le papa est Jacques Tati. La scénariste Sophie Tatischeff est venue nous présenter le film qu'elle vient de réaliser : Le comptoir de Marie transporte une partie du public. La chanteuse Maurane s'y révèle étonnante actrice et l’attachante "fille de Mr. Hulot" proclame son amour pour « les petites gens qui se prennent les pieds dans les fils de la vie. »

1999 : 29e Rencontre

Portraits de groupes

Pendant cinq jours nous allons partager les joies, les tracas, les tristesses, les amours, les petites et les grandes aventures des familles, des clans, des bandes, des syndicats, des communautés, des tribus, des gangs...

 

Le public se montre friand de grands classiques du cinéma. Les films de Lubitsch restent des valeurs sûres et Si j'avais un million, réalisation de 1932, ne fait pas exception. Sa projection confirme aussi la fréquentation régulière des séances du matin. Orson Welles, interprétant dans son propre film La soif du mal un chef de police locale d'une ville à la frontière du Mexique, entre dans la catégorie des auteurs faisant toujours déplacer les cinéphiles.

 

Le public se montre tout aussi friand de films turcs inédits : Pizza mixte, polar d'Umur Turagay, Les Grenouilles, portrait de femme de Sérif Gören et Cheval, mon cheval de Ali Özgentürk, dramatique histoire d'un paysan descendu à Istanbul pour donner une éducation à son fils. Ce dernier présent à Marcigny apparaît très engagé et souhaite voir son pays se libérer du joug des traditions religieuses et de l'oppression des fortunés. C'est une belle occasion de plonger dans la culture turque en découvrant un cinéma mal connu alors qu'il y a dix-sept ans déjà Yol recevait la Palme d'or à Cannes. Au cours d'un débat Faruk Günaltay, responsable d'Eurimages, fonds d'aide à la production et à la diffusion du cinéma européen, signale qu'une nouvelle génération de réalisateurs turcs émerge. Ils viennent d'Allemagne où ils ont fait leurs études ou bien de l'une des dix-huit écoles de cinéma que compte la Turquie : « Notre industrie cinématographique change et notre démocratie laïque évolue. Nous avons de moins en moins de censure politique mais nous subissons encore de grandes contraintes économiques ».

 

En première mondiale l'ambitieux film Chittagong, dernière escale, en présence de son réalisateur Léon Desclozeaux attire autant de monde que la projection amicale du film Les Passagers que son réalisateur Jean-Claude Guiguet nous a lui-même apporté.

 

Au recensement de cette année, Marcigny quitte la catégorie des communes de plus de deux mille habitants. La baisse démographique révélée dès 1982 avec deux mille cinq cent quarante-trois habitants se confirme avec pour cette année 1999 : 1999 âmes !

Cependant Marcynéma maintient son taux de fréquentation à plus de mille cinq cents spectateurs. Le nombre d'entrées "enfants" reste stable malgré la volonté de proposer à eux aussi des films venus d'autres horizons comme le Kazakhstan et l'Iran. Dans son restaurant, "la Renée" a servi un nombre record de quatre cent soixante-dix repas en cinq jours... et puis la reconnaissance des autorités locales s'affirme. Le maire André Perrier déclare sa fierté devant les cinéastes, les musiciens et le vice-consul de Turquie constatant « que Marcigny est devenue un lieu privilégié d'échanges culturels grâce aux Rencontres. » 

2000 : 30e Rencontre

Le cinéma fête la musique

Même si à juste titre les mathématiciens ne sont pas d'accord, nous avons bien l'impression d'entrer dans le troisième millénaire et nous fêtons ça en musique et en chansons ! Le micro étant sorti, je le tends à quelques personnes.

 

« De tous les festivals dans lesquels j'assure les projections je trouve que Marcigny est l'un des plus agréables. La salle est bien équipée avec le système Dolby-stéréo. Je me prépare à projeter Psychose dans les conditions souhaitées par Alfred Hitchcock. Lors de la sortie du film en 1961, il signalait que la projection devait s'effectuer à huis-clos. J'attends que les portes du cinéma se ferment et je lance le projecteur ».

Dominique Pernias, forézien, projectionniste aux Rencontres.

 

« J'ai connu l'existence de ces Rencontres dans les colonnes de la revue Cinéma 75 et j'y viens régulièrement depuis. La programmation est excellente, faite avec sérieux par une équipe qui ne se prend pas au sérieux. Je suis curieuse de voir le concertiste Jean-Luc Perrot accompagner au piano en direct le film d'Ozu, Gosses de Tokyo. Et puis, sous chapiteau, se tiennent des concerts dont celui du quartette de jazz lyonnais Poopoolala's Gang. Le Groupe de musique accompagné du guitariste américain Tom Pike peut être bien aussi ».

Claude B., enseignante nivernaise.

 

« C'est la première fois que je viens à Marcigny. Dans les festivals, il est peu commun de voir des animations entre les séances... ici je trouve ça plutôt sympa, comme ce petit concert donné par le Brass Band de Chalon-sur-Saône qui se produit sous le kiosque du village ».

Hervé  G. de Riorges dans la Loire.

 

« Quoi donc ? La Rencontre de cinéma ? Non j'connais pas. Mais j'vois une chose, c'est qu'avec le parquet qu'ils ont monté vers le monument aux morts, ils nous prennent des places qui seraient plus utiles au marché. Vous dites que c'est pour faire jouer des orchestres ? faudrait savoir si c'est du cinéma ou de la musique qu'ils veulent faire ! »

Micheline C., volaillère de l'Allier sur le marché de Marcigny.

 

« Je suis un fidèle des Rencontres. J'ai même eu l'occasion d'y présenter Hazal de Özgentürk, il y a quinze ans. Cette année j'apprécie les comédies musicales. J'ai revu avec plaisir Fred Astaire dans Tous en scène et Gene Kelly dans Chantons sous la pluie. Et puis il y a tous ces films dont la partition est signée d'un grand compositeur. Je pense en particulier à la musique d'Herrmann pour Psychose et à celle de Pino Donnagio dans Pulsions ».

Yildirim K. de l'association La bobine de Chalon/Saône.

 

« La Rencontre est une manifestation intéressante en elle-même et pour ses animations annexes. Faire défiler le public dans les rues derrière l'harmonie municipale pour rendre un hommage au poète gastronome Joseph Berchoux qui vient de donner son nom à la place près de la poste, c'est inattendu et je trouve ça drôle ! Regrouper des productions de peintres et sculpteurs locaux dans une exposition à l'office du tourisme, c'est une bonne idée aussi. »

Josette B., marcignote.

 

« J'ai de l'affection pour les membres de Marcynéma. Beaucoup n'habitent plus ici. C'est un groupe d'amis dispersés qui reviennent fidèlement à Marcigny afin d'organiser les Rencontres. Cette animation fait travailler le commerce local. Je peux vous dire que loin d'ici, j'ai eu l'occasion d'être pointé comme étant le maire de "la ville du festival de cinéma" ! »

André Perrier, maire de Marcigny

2001 : 31e Rencontre

Rêves américains

Le 31 octobre 2001 à huit heures, vingt-huit minutes et trente-deux secondes, un bipède de la famille des Hugon, merveille de la nature capable de gérer l'hébergement des personnes accueillies dans les dortoirs de l'école agricole d'Anzy-le-Duc, s'installe dans le hall du cinéma Vox à Marcigny et compte un à un les tickets-restaurant à distribuer aux spectateurs de ce jour désireux de prendre le repas chez "la Renée". À la même seconde, au guichet du cinéma, à deux pas de lui, son épouse Françoise étale comme par magie sur le comptoir les cartes donnant droit, suivant leur coloris, à un certain nombre d'entrées moyennant quelques francs sonnants et trébuchants. Au même instant, au premier étage du 50 rue de la Tour, dans le gîte de Catherine et Jean-Pierre Ricol, François Causse, spécialiste du cinéma américain feuillette un exemplaire de son ouvrage sur Sam Peckinpah en vue de présenter La Horde sauvage à 20 heures 30.

Toujours à huit heures, vingt-huit minutes et trente-deux secondes, le balai tenu en main par Bob gratte la moquette de la salle de projection et pousse moutons et acariens dans la pelle promptement saisie par Jef. Une minute plus tard le tout est jeté dans une poubelle. Le président de Marcynéma, à la tête de l'association depuis sa création, s'affaire dans le local de stockage des boîtes de films. Paul Jeunet n'aime pas : constater un retard dans la livraison des précieuses bobines, traîner les lourds sacs de bobines jusqu'à la cabine de projection, se casser les reins, transpirer et sentir son tee-shirt coller à la peau. Paul Jeunet aime : acheter les quotidiens du matin, feuilleter toutes les pages et les survoler rapidement, repérer les articles sur la Rencontre, les découper et tout replier enfin. La femme de Paul, Michèle, enseignante originaire de l'Ardèche, a toujours été d'une nature volontaire et déterminée. Michèle Jeunet n'aime pas : voir les débats s'enliser dans de stériles querelles, être par quelqu'un effleurée de la main, avoir trop de cartes-tarifs différentes à proposer aux spectateurs. Michèle Jeunet aime : admirer les costumes des danseurs de comédies musicales, se placer dans les tout premiers rangs de la salle pour les déguster, fouiller dans son sac à main, saisir son paquet de clopes et fumer enfin. Comme chaque jour, Dominique (Blanc) et Jacques (Roger) se postent à l'entrée de la salle de projection armés d'une lampe torche et d'une poinçonneuse afin d'accueillir les habitués du matin. Les spectateurs arrivent trois minutes plus tard. Chouette, c'est une nuée de spectatrices cinéphiles qui tombent du ciel et l'une d'elle, aux allures de Marguerite Duras, disparaît dans la salle engloutie dans son fauteuil. Après quelques instants, Laird Boswell, professeur à l'université de Madison-USA, se trouve face au public auquel il présente un film. Nous sommes bien le 31 octobre 2001, Les Amants de la nuit de Nicholas Ray défile sur l'écran. Dans les jours à venir, la Rencontre continuera à vivre son fabuleux destin mais ça, pour le moment, elle n'en sait rien. Pour elle, la vie tranquille suit son cours avec ses bénévoles et son fidèle public...

 

Oui ! les lignes ci-dessus sont inspirées du monologue prononcé en voix off par André Dussollier sur les premiers plans du film classé en tête du box-office national depuis sa sortie le 25 avril dernier. Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain, phénoménal succès de Jean-Pierre est une heureuse surprise. A croire que le public aime retrouver au cinéma un peu d'humour, de fraîcheur et de gentillesse.

Ce film si personnel nous conduit loin des tracas du monde et de l'affaissement, le 11 septembre dernier, du World Trade Center à New-York... Lorsqu'en avril nous avions arrêté le thème « Rêves américains » nous ne pensions pas coller ainsi à l'actualité. Notre affichiste Jean-Louis (Beaujard) avait alors prévu un graphisme sur New York, ses buildings, sa baie et ses bateaux et… un avion dans le ciel. Mais lorsque le 11 septembre sont lancés deux boeings contre les tours de Manhattan, même si les buildings dessinés sur l’affiche ne sont pas les tours jumelles, il n’est plus question de laisser l’aéroplane sur l’affiche. Jean-Louis efface alors ce qui pourrait traduire une référence de bien mauvais goût.

2002 : 32e Rencontre

Histoire / Histoires (entre deux guerres)

Mardi 29 octobre. Une affichette apposée au guichet du Vox donne les tarifs des entrées désormais exprimés en euros : 13 € pour trois séances, 35 € les douze, le forfait comprenant toutes les projections et l'hébergement est à 75 € pour les étudiants et scolaires.

 

Très digne dans son costume-cravate, ventre rebondi, Raymond Chirat arrive sourire aux lèvres. Nous lui devons la programmation de cette année. Il fait faux bond au festival de son ami Chardère qui se tient à Saint-Denis pour assurer l'animation de notre Rencontre. Le célèbre historien du 7e art "se pourlèche les bobines" en ouvrant la Rencontre avec Le Cardinal d'Otto Preminger projeté sur copie neuve.

 

Mercredi 30 octobre. Plus jamais je ne pourrai me coiffer en me regardant dans la glace sans penser à cette femme dont le coup de peigne emporte, dans Pluie noire du japonais Shohei Imamura, une belle touffe de ses longs cheveux. Les radiations rongent son corps. Ce film en noir et blanc m'émeut. Sans jamais montrer l'explosion atomique, il révèle toute l'horreur de l'arme nucléaire. Il place définitivement les hommes qui l'admettent et qui la défendent dans la catégorie la plus basse de la classification des êtres vivants.

 

Jeudi 31 octobre. La journée est consacrée aux grands classiques avec un hommage à Jean Renoir. La Règle du jeu est un film dont je ne me lasse pas. Je suis surpris par L'Homme du sud, film moins connu réalisé aux États-Unis. Celui qui garde les faveurs du public reste La Grande Illusion dans lequel Gabin, Fresnay et von Stroheim s'affrontent dans une subtile compétition de cabotinage.  Nous aussi, ne sommes-nous pas quelque peu cabotins en éprouvant du plaisir à nous revoir sur les images d'Alain (Goillon) qui projette 30 ans de Rencontres qu'il a tourné à Marcigny ?

 

Vendredi 1er novembre. Voilà vingt-deux ans que Paul nous promet la venue de Bertrand Tavernier à Marcigny ! Les tournages, les sorties de films, les causes à défendre ont toujours écarté le cinéaste de la Bourgogne au moment de la Toussaint. C'est avec beaucoup de curiosité que nous accueillons le grand Bertrand, chapeau sur la tête et longue écharpe blanche glissant le long de son plastron. D'emblée l'homme séduit par sa simplicité : « Avec trois projections vous avez voulu me rendre hommage mais c'est aussi un hommage à Jean Cosmos avec lequel j'ai écrit ces trois films. »

Il sait se mettre en avant pour défendre, s'il en était besoin, les trois films vus aujourd'hui :

« Oui, Capitaine Conan montre que le fantassin m'intéresse davantage que le général. Je suis plus à l'aise avec les gens simples qui souffrent et qui prennent des risques qu'avec un bienheureux châtelain. »

De sa voix forte, Tavernier précise ses intentions : 

« Avec Laissez passer, j'ai voulu faire un film sur l'esprit de résistance. Plus que la biographie de ces deux hommes de cinéma que sont Jean Aurenche, le scénariste et Jean Devaivre, l'assistant réalisateur, j'ai voulu montrer que des personnages aux parcours différents, durant un conflit, pouvaient être reliés, sans qu'ils le sachent, par la même volonté, celle de s'opposer. »

Tavernier soutient le cinéma que l'on voit ensemble et dont on discute après, ce que ne permet pas la télévision. Pour lui, le cinéma doit contribuer à préserver la mémoire et à lutter contre l'oubli. Voilà pourquoi il se sent proche du personnage de Noiret dans La Vie et rien d'autre. Ce personnage a la volonté de se battre et de défendre le devoir de mémoire.

Que ce soit au cours des débats devant près de deux cents personnes ou attablé au restaurant chez "la Renée", Tavernier n'en finit pas de pousser ses coups de gueule. Tantôt il égratigne le ministre de l'Intérieur du gouvernement socialiste « qui n'a pas trouvé un moment pour regarder son document Histoires de vies brisées alors que Sarkozy en arrivant au ministère a tout de suite pris le temps de visionner ce plaidoyer en faveur de la suppression de la double peine. » Il s'insurge aussi contre le score enregistré par Le Pen à l’élection présidentielle de mars dernier « et la tentation toujours présente chez certains politiques de se rapprocher de lui. »

Sous le portrait du président Chirac accroché dans la salle de réception de la mairie, Tavernier répond avec l'humour qui le caractérise au maire André Perrier lui remettant la médaille de la ville : « Je complimente Marcynéma qui s'est montré un modèle de constance et de patience pour m'avoir invité en vain pendant vingt et un ans. Devant son gigantesque travail et la chaleur de son public, j'avoue regretter de ne pas être venu plus tôt. »

 

Samedi 2 novembre. Tavernier prolonge son séjour parmi nous pour suivre l'hommage rendu à Marlène Dietrich avec quatre films : L'Ange bleu et L'Impératrice rouge de Josef von Sternberg,  Le Grand Alibi qui, comme tous les films d'Alfred Hitchcock est un succès à Marcigny. Dans Marlène de Maximilian Schell, seul documentaire réalisé sur sa vie, le monstre sacré confirme ses positions contre le nazisme.

Lors de la table ronde du jour, Raymond Chirat engage le débat sur le patrimoine culturel. Éric Le Roy, responsable du service « accès, valorisation et enrichissement des collections aux archives françaises du film », apporte son expérience sur « le travail de restauration qui impose un choix dicté par l'unicité de l'œuvre, par les aspects chimiques du support et par la demande des chercheurs, étudiants et festivals. »

 

Dimanche 3 novembre. Dernière journée marquée par la venue massive de Marcignots à la projection du superbe mélodrame La Valse dans l'ombre de Mervyn Le Roy avec Robert Taylor et Vivien Leigh.

Raymond Chirat est satisfait : « Je croyais au départ le programme morcelé mais il s'est révélé être très complet avec des films se répondant entre eux et évoquant toutes les calamités du XXe siècle. »

2003 : 33e Rencontre

Les légendes d'un siècle : le XIXe

Tonio (Antonio Cautérucci) est content, nous avons adopté sa proposition de baptiser "Marcynémathèque" la caverne d'Ali Baba dans laquelle nous entassons depuis une vingtaine d'années de petits trésors cinématographiques. S'y empilent des courts et longs métrages sur supports 35 mm, 16 mm, Super-8, 8 mm, 9,5 mm, films fixes, affiches de cinéma, périodiques, livres, photos de films, répertoires, vidéocassettes, appareils de projection...

Les films d'amateurs engrangés contribuent à la mémoire locale et régionale. Les films réalisés par des professionnels sont stockés en dehors de tout critère qualitatif car, comme le disait Henri Langlois, fondateur de la Cinémathèque française, les films mineurs d'aujourd'hui peuvent devenir des classiques de demain. Tous ces films possèdent une valeur historique. Les scopitones sont devenus des clips et les films de réclame des films de pub. Au travers des bandes-annonces peuvent se lire l'évolution de l'écriture cinématographique et les centres d'intérêt des différentes périodes.

 

Nous retrouvons une époque passée avec l'hommage aux Lumière que programme la Rencontre. Eric Le Roy présente quarante "Vues Lumière" restaurées par les Archives du film. Ces petites merveilles ont été tournées un peu partout dans le monde entre 1895 et 1901 et l'association "Frères Lumière, planète Lumière" veille jalousement sur mille cinq cents de ces films, chacun d'une durée de cinquante-huit secondes.

 

Parmi les appareils de la Marcynémathèque trône l'Étoile, premier projecteur du cinéma Le Foyer qui, à son installation en 1936, fonctionnait avec une lanterne sur pivot. La vue de ce monstre sur pattes métalliques, semblable à un arthropode géant que l'on croirait sorti d'un film de science-fiction avec ses deux yeux rouges enfoncés entre quatre galettes noires, me fait remonter le temps. C'est lui qui m'a procuré mon tout premier émerveillement et mes premiers sanglots devant des images animées. C'était le tout début des années 1950, je serrais très fort la main de ma grande sœur assise à mes côtés et mes larmes s'écrasaient dans la laine de ma barboteuse jaune... Elle est tragique, cette histoire de Bambi, petit faon qui perd sa maman.

La salle du Foyer est aujourd'hui de nouveau rénovée. Nous nous y retrouvons pour y goûter Le Plaisir que Max Ophüls a tourné en 1952. Cette fois point de larmes ; les gracieuses pensionnaires de la nouvelle de Maupassant sont d'autant plus agréables à regarder qu'elles sont incarnées par les jeunes Danielle Darrieux, Ginette Leclerc, Paulette Dubosc. La soirée se termine sur l'air des chansons "réalistes et swingantes" du groupe Rue de Lappe en chair et en os sur les planches !

 

En inaugurant officiellement la Marcynémathèque, nous inaugurons la première cinémathèque en Bourgogne. Nous espérons pouvoir répondre aux demandes en matière de documents cinématographiques émanant des associations et des diverses structures pédagogiques. Nous pensons enrichir le fonds et avons grand besoin de meubles de rangement, de matériel d'exposition et d'équipement informatique afin d'assurer la saisie et le classement des données. L'aide matérielle apportée par la mairie de Marcigny ne suffira pas. La convergence de subventions exceptionnelles émanant de la Direction régionale des affaires culturelles, du Conseil général de Saône-et-Loire, du Conseil régional de Bourgogne et de la Communauté de communes du canton de Marcigny est nécessaire.

En nous engageant, toujours bénévolement, dans la conservation d'un patrimoine culturel, ne nous embarquons-nous pas dans une mission impossible ?  

2004 : 34e Rencontre

Re(belle)s

Dissidents ou factieux, lâches ou héros, mutins ou séditieux, seuls ou en groupe, combien de ces hommes et de ces femmes traversent l'écran dans l'histoire du cinéma ? Comme si, ayant décidé de tourner le dos à la soumission, ils cherchaient à se placer délibérément en dehors des normes.  Six jours durant, la Rencontre chemine avec ceux qui, d'une manière ou d'une autre, s'opposent, détournent, transgressent, inventent des formes pour ne pas se soumettre, qu'ils aient choisi cette voie par contrainte, en toute liberté ou encore pour survivre.

 

Avec ses réalisations, qui elles aussi n'entrent pas toujours dans des cadres, Christian de Chalonge, 68 ans, voix douce et cheveux blancs, nous présente trois de ses films.

L'Alliance, adaptation d'un roman de Jean-Claude Carrière, nous plonge lentement dans un univers mystérieux où le comportement animal interroge tout autant que celui du couple incarné par Anna Karina et Jean-Claude Carrière lui-même. Je prends un nostalgique plaisir à retrouver cette voix si particulière de celle qui a été la muse de Godard comme je prends un réel plaisir au son de la voix singulière de Jean-Louis Trintignant incarnant un fondé de pouvoir d'une grande banque dans L'Argent des autres. J'adore ces films qui créent une ambiance ambiguë et me plongent dans un univers à la limite du réel et du fantastique.  C'est ce que je retrouve dans Malevil avec Michel Serrault, Jacques Dutronc et Jacques Villeret qui essaient de survivre après une catastrophe nucléaire.

Ainsi je découvre que l'homme apparemment tranquille qu'est Christian de Chalonge, est lui-même un peu rebelle mais un peu seulement car il refuse toute étiquette : « Je ne suis pas que rebelle. Certes j'ai souvent dû râler et taper du poing pour arriver à faire les films que je voulais. Ces dernières années, j'ai pu cependant tourner des épisodes de l'inspecteur Maigret avec Bruno Crémer que j'apprécie. Je remarque qu'à partir d'un certain âge, il devient difficile de réaliser des films. Il règne actuellement une sorte de jeunisme imbécile dont la télévision est le vecteur. Je refuse d'être enterré vivant. »

 

Les Naufragés d'Oulan Bator n'est pas un film. C'est un témoignage photographique sur l'agonie de la population mongole condamnée à mort par les puissants pays voisins que sont la Chine et la Russie. Les clichés accrochés aux cimaises du syndicat d'initiative révèlent la condition de ces pauvres venus travailler dans la capitale et se trouvant en situation de clandestins dans leur propre pays. Christian Verdet, auteur de ces clichés en noir et blanc, nous les présente avec beaucoup de pudeur. Il n'est pas étonnant qu'il ait été sélectionné en "Off" au festival de photo-journalisme de Perpignan.

 

Jack Bon, guitariste du groupe Ganafoul, décide de nous tracer la route du blues au cours d'un concert-conférence. Son récit érudit analyse toutes les influences de la musique blues. Il le ponctue de partitions qu'il joue en public. Nous passons ainsi d'un negro spiritual à une ballade irlandaise et d'un rock à un blues. Moments magiques…

2005 : 35e Rencontre

Jean-Pierre Jeunet, Jean Marbœuf, Mohamed Chouikh, Yamina Bachir-Chouikh 

Les faits et gestes de deux individus aux allures décontractées sont relevés lors de cette Rencontre. Ils sont connus des différents services cinématographiques français. Il s'agit de deux hommes qui se mêlent aisément au public. Ici, ils acceptent de poser pour une photo demandée par une inconnue. Là, ils instaurent un échange spontané à partir d'une question posée par un groupe sortant d'une projection. Je suis en mesure de dresser une fiche signalétique de ces autodidactes du 7e art.

 

Première fiche.

 

Nom :  Marbœuf. Prénom : Jean. Naissance : 26 septembre 1942 à Montluçon dans l'Allier.

Signes distinctifs : grande taille, chevelure souple et épaisse, fines lunettes métalliques.

Profil dépisté : esprit libertaire à l'humour cynique doté d'une forte fibre antimilitariste et anti-autorité en général. Cinéaste marginal, en dehors du système dominant ; la passion pour la réalisation en fait un combattant de toujours.

Comportement particulier : déteste porter des chaussures et préfère marcher pieds nus.

Ses films présentés à Marcigny :

T'es heureuse ? Moi toujours... : ce titre imposé par le distributeur fut source d'un malentendu avec le public lors de la sortie du film en 1982. 

Vaudeville : un film en noir et blanc parce qu'on y rit jaune de la solitude, de l'ennui, de la jalousie et de la mort.

Voir l'éléphant : les trois clochards révoltés et altruistes incarnés par Michel Duchaussoy, Bernard Menez et Jean-Marc Thibault sont bien aussi attachants que ceux, pourtant plus connus du public, incarnés par Gérard Jugnot, Richard Bohringer et Ticky Holgado dans le film Une époque formidable.

Le P'tit curieux : à neuf ans un enfant veut comprendre de quoi est fait le monde des adultes et s'arme d'un appareil photo numérique pour le découvrir.

Propos tenus pendant la Rencontre : « Les jeunes réalisateurs français ont des choses à dire. Mais c'est la distribution qui pose problème. Les salles changent. Le cinéma n'est plus perçu de la même façon par les spectateurs. Pour bien des gens, il se limite désormais au DVD. Cependant mon enthousiasme reste intact. Malgré la difficulté à monter des films, je veux continuer à faire réfléchir les gens sur des thèmes comme la liberté de l'individu et la quête du bonheur. Je cherche à faire bouger les choses à mon échelle, même si cela paraît un peu utopique ».

 

Deuxième fiche.

 

Nom :  Jeunet. Prénom : Jean-Pierre. Naissance : 3 septembre 1953 à Roanne dans la Loire.

Signes distinctifs : belle carrure, cheveux ras, lunettes noires. 

Profil dépisté : sous un aspect bourru, Jean-Pierre est à l'image des héroïnes qu'il dépeint dans ses films Délicatessen, La Cité des enfants perdu, Alien, la résurrection, Le Fabuleux destin d'Amélie Poulain et Un long dimanche de fiançailles. Il a la tendresse de Julie, la vivacité de Miette, la force de Ripley, le cœur d'Amélie et la détermination de Mathilde.

Comportement particulier : ne peut s'empêcher de s'esclaffer bruyamment à la projection du dessin animé Tom et le coucou réalisé par Tex Avery en 1950 et racontant l'histoire du chat un peu timbré qui veut la peau du coucou de l'horloge.

Ses films présentés à Marcigny :

Délicatessen : le cinéaste est un perfectionniste. "Gueule" des personnages, décors, lumière, tonalités, bande-son, montage... rien n'est laissé au hasard.

La Cité des enfants perdus : c'est un univers singulier qui renvoie au petit film réalisé avec Caro, Le Bunker de la dernière rafale.

Alien, la résurrection : l'un des épisodes les plus aboutis de la série américaine.

Le Fabuleux destin d'Amélie Poulain : de la tendresse et une trouvaille à chaque plan !

Propos tenus pendant la Rencontre : « Après bien des années, je retrouve l'équipe de Marcynéma toujours aussi soudée et liée par une solide amitié. Je découvre un nouveau confort dans la salle. Les conditions de projection y sont bien meilleures que dans certaines grandes salles parisiennes. Et puis ici, il y a le contact du public, ses réactions et ses commentaires et j'adore ça ! Certains aimeraient que je tourne dans la région mais ce ne sera pas pour tout de suite. Pour l'instant, je n'ai fait qu'un clin d'œil en citant Gueugnon dans Le Fabuleux destin d'Amélie Poulain. »

 

Les deux hommes "fichés" ci-dessus attirent les médias. La Rencontre se retrouve comme toujours dans les colonnes de Domino, La Renaissance, Le Pays roannais. Le Journal de Saône-et-Loire lui consacre plusieurs unes avec photos couleurs. S'ajoutent les annonces du Progrès de Lyon, de mensuels de cinéma comme Positif et de journaux nationaux comme Le Parisien. Enfin la télévision est très présente avec un reportage, un journal télévisé et une émission en direct sur la chaîne régionale de France 3 ainsi qu'une annonce sur la chaîne nationale de France 2.

 

Je confirme enfin que ces réalisateurs sont des meneurs de foules. Avec eux le nombre cumulé de spectateurs sur la Rencontre monte à deux mille cinq cent trente-sept et celui des adhérents à l'association à cent trente et un. Pour couronner le tout, l'ambiance reste au beau fixe durant les cinq jours de projections. Yamina Bachir-Chouikh et Mohamed Chouikh peuvent regretter d'avoir fait faux bond. Leurs films, respectivement Rachida et Douars de femme, sont inégalement appréciés et la manifestation se termine sans obtenir de leurs nouvelles...

2006 : 36e Rencontre

… au fil du temps

Une association comme Marcynéma peut-elle prétendre faire venir un des célèbres cinéastes français qui, en quarante-cinq ans de carrière, a fait tourner les plus grands acteurs, réalisé une trentaine de longs-métrages dont bon nombre de chefs-d'œuvre et obtenu des prix internationaux, deux Césars et, chose rare, deux prix Louis Delluc ?

 

Appelé au téléphone, Michel Deville lui-même donne sa réponse à Paul : « J'ai bien reçu votre invitation. Par goût, je ne me déplace plus dans les festivals mais puisque vous m'invitez gentiment, je réponds oui » ; et son épouse Rosalinde, productrice et dialoguiste de ses derniers films, de rajouter : « La démarche de Marcigny semble exceptionnelle, on ne peut pas vous laisser tomber ! »

Accompagné de Rosalinde, le célèbre septuagénaire se tient droit face au public. Crinière blanc argenté, foulard de soie autour du cou, il déploie ses doigts comme les tiges d'un chèvrefeuille le long de son tuteur. D'une voix douce, il répond aux questions posées sur ses films programmés :

 

« Adorable menteuse avec Marina Vlady et Macha Méril est mon troisième film. C'était l'époque de la Nouvelle vague et j'avais le désir moi aussi de faire des films différents. Mais, je n'avais pas les mêmes idées que tous ces gens des Cahiers du cinéma... même si j'appréciais les écrits de certains dont les articles de Rohmer ».

« Je préfère la compagnie des femmes à celle des hommes car elles ont une autre sensibilité et un autre regard sur les choses. Cela m'amuse de raconter des histoires de femmes même sous forme badine comme dans À cause, à cause d'une femme ».

« Je suis un amoureux du cinéma, de l'image, des cadrages et de la musique. Je suis grand amateur de Schubert. Vous retrouvez ses notes ainsi que celles de Bartók dans La Femme en bleu. »

« Le point de départ du film Eaux profondes est le roman de Patricia Highsmith. Mais, pour un film, l'origine de l'inspiration peut être tout autre. Il n'y a pas de règle. Cela peut être un acteur ou une actrice avec lesquels j'ai envie de tourner, un pays ou une région que je désire comme cadre d’une histoire, un thème que je n'ai jamais abordé... Il y a mille choses possibles. »

« Péril en la demeure, encore un film tourné avec Michel Piccoli. Il y a plein de territoires à explorer chez cet acteur et c'est amusant de gratter, de creuser, de l'approcher et de l'apprivoiser ».

« Rosalinde estime que Le Paltoquet, c'est moi. J'aime aller voir ailleurs, changer de techniciens et rencontrer d'autres comédiens.  Là, je suis bien servi avec Fanny Ardant, Jeanne Moreau, Bohringer, Léotard, Piéplu, Auteuil et Piccoli. Pour moi, chaque film est un pari qui doit me mettre en difficulté. C'est un jeu mais qui doit aboutir à un produit destiné à distraire. »

« Le sujet abordé par Martin Winckler dans La Maladie de Sachs est un sujet grave. Il faut être pudique comme lui pour approcher ces vies qu'on ne raconte pas souvent et adopter le point de vue de la personne malade. Les dialogues de la femme, absente du livre, ont été traités par Rosalinde car je n'aurais pas su le faire moi-même ».

 

Le budget de vingt mille euros de la Rencontre est peu élevé comparé à celui d'autres manifestations du même genre et heureusement que le conseil général de Saône-et-Loire a augmenté enfin le montant de sa subvention. Par ailleurs Jean-Pierre avec sa société Tapioca-films finance exceptionnellement la soirée ciné-concert. Ainsi, comme à l'époque du cinéma muet, la projection du film de Buster Keaton Le Mécano de la "General" est musicalement accompagnée. À la qualité de la prestation du Quatuor Prima Vista s'ajoute celle des explications apportées par l'alto Baudime Jam sur l'écriture de la musique pour le cinéma. 

2007 : 37e Rencontre

Histoire(s) d'amour(s)

Portant haut le torse, le front large et la chevelure clairsemée peignée en arrière, il traverse le hall de la gare de Lyon, atteint le quai "H" et monte dans le TGV. À quelques centaines de kilomètres de là, elle ajuste la robe de son ensemble, regagne le parking et prend le volant de sa Ford.

Le train file à plus de 300 km/h. Au travers du double vitrage s'étalent des champs ponctués de silos qui surgissent comme des soldats figés au garde-à-vous. La Ford grise longe les eaux d'une rivière et traverse le nuage de vapeur émanant d’une centrale thermique à l'impressionnante silhouette.

Dans le train, le haut-parleur annonce l'arrêt en gare du Creusot-Montchanin. L'homme pose le pied sur le quai, traverse un hall encombré de valises et, après avoir embrassé du regard les alentours, aperçoit la femme, un dépliant de la 37e Rencontre à la main.

Ainsi Michel Ciment, éminent critique de cinéma, directeur de la revue Positif, intervenant de l'émission Le Masque et la plume sur France Inter et animateur de l'émission Projection privée sur France Culture salue Josette, membre de Marcynéma, chargée de l'accueil des invités à la Rencontre. En engageant son véhicule en direction de Marcigny, bourgade qui se remet du traumatisme causé par les inondations de juin, Josette lance la conversation et se risque même à aborder des sujets cinématographiques. Elle exprime son admiration pour Robert Redford et sa prestance dans Nos plus belles années. Le propos glisse sur Sydney Pollack, le réalisateur du film, et sur sa présidence d’un festival de Cannes vers 1985... « Oui, 1986 », précise Josette. « Êtes-vous sûre ? » interroge le critique. Pour preuve Josette sort une lettre de sa boîte à gants, lettre sur laquelle il peut lire : « Cannes is crowded and crazy as usual but the weather is beautiful and the beach is very pleasant. There are many films to see, so I have a lot of work to do for the next couple of weeks. » La missive, datée de mai 1986, est signée Sydney Pollack ! Satisfaite de son petit effet, Josette se retient de présenter d'autres missives comme celle où il est noté : « Dear Josette, Thank you for the wonderful sweater, it was very kind of you to think of me. Regards, Clint (Eastwood) ». Eh oui ! Josette tricote des pulls à ceux qu'elle veut remercier de lui avoir beaucoup donné à l'écran ; ainsi possède-t-elle une somme de relations épistolaires avec des vedettes connues comme Françoise Fabian, Lambert Wilson, Pierre Arditi... Les mailles relient l'admiratrice aux comédiens !

 

La cinéphilie, terme dont nous tentons de cerner la signification lors d'un débat, ne crée-t-elle pas un autre maillage en formant des réseaux plus ou moins temporaires entre passionnés ? N'est-ce pas « ce besoin de communication » qu'exprime Michel Ciment ? Pour Jean Ollé-Laprune, historien du cinéma et créateur de chaînes thématiques, de nouveau à Marcigny cette année, « la cinéphilie est une activité militante qui mêle people, histoire et esthétisme. Elle consiste à participer à un groupe car elle est avant tout un échange. » « C'est ce besoin de partager ensemble des émotions », ajoute Paul. Jean Marbœuf avoue : « Le cinéma, c'est ce qui m'a empêché d'être un voyou ». Le distributeur Vincent Dupré remarque : « Les moyens d'être cinéphile n'ont jamais été aussi nombreux et la possibilité de l'être vraiment n'a jamais été aussi difficile ». Le réalisateur Jean-Pierre Améris, que nous avions déjà accueilli il y a onze ans avec son film couronné à Cannes, Les Aveux de l'innocent, donne sa vision : « La cinéphilie a toujours été pour moi une manière de vivre. C'est voir des films et les montrer. C'est une lutte contre le temps car les films meurent très vite. Aujourd'hui les gens sont un peu noyés par le nombre de films qui sortent chaque semaine. Les films disparaissent vite des écrans. La cinéphilie, c'est l'envie de partager. C'est pour cela que j'ai beaucoup de plaisir à participer aux Rencontres de Marcigny parce que j'y croise des réalisateurs et le public. »

Pour ma part, la cinéphilie est une sorte de maladie dont je ne tiens pas à guérir. Je "perchiste" et je signe, même en me soignant aux "génériques", je garde le regard de "travelling", j'ai les dents qui "clapent" et la tête qui "tourne" ! Je prends un immense plaisir à voir les films sur grand écran, dans une vraie salle de cinéma, dans leur vrai format, en version originale sous-titrée et intégrale et à partir d'une copie en bon état. C'est ce que nous avons toujours voulu assurer dans les Rencontres.

Ainsi, nous voyons cette année La Rivière sans retour. Grâce au cinémascope qu'il est un des premiers réalisateurs à utiliser, Otto Preminger accorde une ampleur singulière à la nature et aux décors en général. De même, seul le grand écran permet d'apprécier vraiment le western El Perdido réalisé par Aldrich en 1961 ; sa dimension est à la hauteur des personnages de tragédie grecque joués par Kirk Douglas, Rock Hudson et Dorothy Malone. L'Inquiétante dame en noir de Richard Quine est lui aussi une réussite ; l'admirable Kim Novak y est aussi juste en femme fatale qu'en amoureuse un peu ridicule. Juste aussi est Humphrey Bogart dans La Grande évasion de Raoul Walsh. L'acteur me renvoie à l'exposition de tableaux installée à l'office de tourisme. Les superbes peintures accrochées aux cimaises trahissent l'attrait de l'artiste Edgart pour les décors de cinéma, les malfrats au grand cœur, les femmes aux courbes généreuses et le glamour des années 30.

 

Parmi les films contemporains, je trouve audacieux Coup de cœur de Jean Marbœuf. De bout en bout, l'histoire est racontée en caméra subjective. Au début de la séance, je crains ne pas pouvoir supporter la projection. Mais, peu à peu, j'entre dans ce film noir dans lequel ne brille qu'un petit rayon de soleil ; il s'agit de Sandrine Le Berre avec sa voix de petite fille, à l'écran comme à la ville, ainsi que nous le révèle sa présence parmi nous. Enfin Jean-Pierre Améris reste un cinéaste toujours juste et d'une grande sensibilité. Guidé par ses peurs d'enfant, il dépeint une touchante petite Betty dans Je m'appelle Elisabeth. C'est la vie confirme la maîtrise de son écriture ; bouleversante est la scène dans laquelle une jeune femme en position de donner la vie va la perdre ; subtile est la scène où Sandrine Bonnaire et Jacques Dutronc tentent d'harmoniser leurs voix dans un karaoké.

2008 : 38e Rencontre

Music for stars

Au cours de l'année 1907, le cinéma français abandonne peu à peu les baraques foraines pour entrer dans des salles. Les scénarii voient alors leur durée augmenter. Ils font la part belle aux aventures policières et aux drames. Ainsi en 1908, L'Assassinat du duc de Guise de Calmettes et Le Bargy remporte un succès considérable. C’est le premier film pour lequel une musique originale est écrite ; elle est signée du grand compositeur Camille Saint-Saëns. Nous fêtons donc cette année un centenaire peu évoqué par ailleurs. C'est ce que je rappelle à la journaliste de France 3 Bourgogne qui m'a invité sur le plateau de son journal télévisé afin de présenter cette 38e édition.

 

Mardi 28 octobre.

La Rencontre s'installe. Nous nous attelons aux derniers préparatifs : nettoyage, affichage, cartes d'entrée, fonds de caisse...  Comme d'habitude, je distribue aux membres du conseil d'administration de Marcynéma le planning que j'ai établi avant la Rencontre. Chacun connaît ainsi les services qu'il doit assurer durant les six jours : accueil aux caisses, contrôle à l'entrée de la salle, aide au projectionniste, gestion des hébergements, enregistrement des repas, tenue de la buvette sous la salle du Vox, déplacement des invités... sans oublier la partie journalistique interne avec Thierry (Berthou), "photographe officiel" des Rencontres, Alain (Goillon), Fabrice et Sasha (Beaujard) armés de leurs caméras. Les chambres d'hôtes qu'offre le canton, celles des hôtels de Marcigny et de l'internat de l'école agricole d'Anzy-le-Duc accueillent les spectateurs. Aux Stéphanois et Roannais toujours nombreux s'ajoutent des Lyonnais, des Chalonnais, des Normands, des Parisiens et des gens du Nord. La Rencontre est bien lancée. Elle s'ouvre avec le superbe film projeté en copie restaurée, Une étoile est née, que présente Jean Ollé-Laprune, encore des nôtres cette année.

 

Mercredi 29 octobre.

La journée se passe en excellente compagnie avec Bette Davis dans La Lettre et dans La Garce, Joan Crawford dans Le Roman de Mildred Pierce et Marilyn Monroe dans Niagara ! Au cours des repas, la salle de restauration bourdonne telle une ruche élaborant son miel à partir des mouvements de caméra de William Wyler, des images de King Vidor, des plans de Michael Curtiz et des couleurs d'Henry Hathaway. 

 

Jeudi 30 octobre.

Qu'est-ce qui est le plus touchant ? La mort du vieux catcheur dans Les Forbans de la nuit de Jules Dassin ?  L'agression de Lily Stevens incarnée par Ida Lupino dans La Femme aux cigarettes de Jean Negulesco ? Le visage torturé de Jack Palance dans le huis-clos tiré d'une pièce de Clifford Odets, Le Grand couteau, superbement mis en scène par Robert Aldrich ? Les malheurs provoqués par Gene Tierney, femme possessive et diabolique, dans Péché mortel de John Stahl ? Chacun réagit selon sa sensibilité. À Marcynéma, nous avons notre "lacrymomètre". Les larmes montent aux yeux de Francine (Beaujard) dès qu'elle se trouve en présence de souffrances et de malheurs. Lorsqu'elle sort de la salle, les yeux rougis, nous savons que l'émotion a été intense. Nous pouvons ainsi classer les films à forte dose émotionnelle. Il me semble que deux films soviétiques restent en tête dans ce classement : Les Adieux à Matiora d'Elem Klimov et Le Désert et l'enfant d'Ousmane Saparov.

 

Vendredi 31 octobre.

La crise de fréquentation que traverse le cinéma commercial nous épargne. Le nombre de spectateurs reste stable et en soirée nous affichons complet. La salle bruisse d'impatience alors que s'installe sur la scène le Quatuor Prima Vista. De nouveau dans nos murs, les deux violons Elzbieta Gladys, Carine Le Calvez, la violoncelliste Gwendeline Lumaret et le compositeur Baudime Jam proposent ce que Lisa Nesselson, correspondante américaine de Variety magazine juge ainsi : « This is perhaps the best silent film accompaniment I've heard ». Nous plongeons dans la diversité musicale de ce que pouvait être une projection aux temps héroïques du muet en commençant par un des tout premiers films de l'histoire du cinéma, Entrée d'un train en gare de La Ciotat des Frères Lumière.

 

Samedi 1er novembre.

Voir Boris Karloff dans Le Chat noir, film de 1934 d'Edgar G. Ulmer, est un plaisir. Comprendre les savantes explications musicales de Baudime Jam sur la partition que Bernard Herrmann a écrite pour Psychose est une satisfaction. Entendre en concert le Quatuor Prima Vista transformé en quintette en trois mouvements par la présence de la clarinettiste Béatrice Berne est un délice ! L'association du violon et de la clarinette enchante le public et le charme n'est pas rompu par la projection de Vertigo où Kim Novak se joue de James Stewart. Sur copie neuve, c'est superbe !

 

Dimanche 2 novembre.

Nous terminons cette Rencontre portant sur les étoiles et la musique dans le cinéma américain avec Les Affranchis de Martin Scorsese et Certains l'aiment chaud de Billy Wilder.

Ce n’est que lorsque l'office de tourisme décroche les clichés de Mireille Alcais que je prends conscience de la malice de Paul d'avoir voulu associer au cinéma américain une exposition sur Cuba.

Le projecteur éteint, l'équipe organisatrice range le matériel et se retrouve chez "la Renée" qui confirme l'arrêt de ses activités de restauratrice. Dommage ! Pour détendre l'atmosphère, je lui dis qu'elle est "la fureur des vivres" et que devant "le four le plus long", elle "danse avec les louches", pendant que, sur "la flamme d'à côté" se prépare le "Cake des prunes". Chez elle, "le bonheur est dans le braisé" et "le festin de bavettes" ; nous y avons dégusté "le meilleur des agneaux" et trouvé "les sentiers de la poire". Lorsque étaient servis "le thon, la drupe et le friand" nous y adoptions "la meilleure façon de mâcher" !  

2009 : 39e Rencontre

Affaires de famille

L'onde péristaltique parcourt son corps et provoque la contraction de ses muscles circulaires. Le lombric s'amincit pour creuser sa sombre galerie. La terre vibre intensément. Il doit absolument sortir à l'air libre. Il s'épaissit, se raccourcit, accroche ses soies aux grumeaux terreux. Sa fine extrémité émerge au sommet du turricule contre lequel vient s'écraser la semelle d'Olivier observant la danse des bulldozers qui remodèlent la place devant le cinéma. Les travaux n'empêchent pas l'accès au Vox. La salle de projection s’emplit peu à peu.  En septembre dernier, l’équipe du Vox a donné à la salle le nom de "Yves Boisset". En présence du réalisateur, de l’actrice Souad Amidou et des acteurs Smaïn et Ludovic Berthillot, elle a ainsi fêté le vingtième anniversaire de sa réouverture. Faisant allusion au thème de cette année, Olivier affiche sur le panneau "libre expression" placé dans le hall du cinéma une feuille manuscrite sous le titre « Lettres à la famille » :

 

Marcigny le 27/10/09.

Chère maman, cher papa,

Votre petite Marie-Jeanne est bien arrivée à Marcigny. Le film de la soirée d'hier était un vieux film carré en noir et blanc qui saute un peu mais très bien quand même. Surtout il y a un monsieur très gentil qui nous a raconté des jolies histoires avant le film et après le discours de monsieur le Président. J'ai bien aimé et j'espère que je le verrai souvent.

 

C'est une façon plaisante d'évoquer la soirée officielle d'ouverture avec le chef-d'œuvre d'Elia Kazan Un tramway nommé désir présenté par Jean Ollé-Laprune. Nous ne nous lassons pas de ses explications exposées avec passion et simplicité.

 

Olivier fait revivre sa petite fille imaginaire en apposant une nouvelle lettre après la deuxième journée de projections riche en films anciens dont The Mortal Storm de Frank Borzage, film de 1940 avec James Stewart et Margaret Sullavan, L'Ombre d'un doute qu'Alfred Hitchcock a tourné en 1943, Johnny Guitar de Nicholas Ray.

 

Marcigny le 28/10/09

Bonjour mamie Jeannette,

J'ai appris une nouvelle expression aujourd'hui : "de patrimoine". C'est pour dire « vieux » quand on ne veut pas dire le mot "vieux". Par exemple, tu as de très jolis rideaux de patrimoine. Donc je vois beaucoup de films de patrimoine qui datent d'avant le seize-neuvième. C'est comme sur ta télévision de patrimoine sauf qu'il y a quand même eu un film en couleurs. Des couleurs magnifiques et vives, comme celles de tes rideaux de patrimoine.

 

Marie-Jeanne ne désarme ni devant les deux films de Stanley Donen et Gene Kelly présentés par Vincent Dupré, Un jour à New-York tourné en 1949 et Beau fixe sur New-York de 1955, ni devant l'éprouvante histoire d'Akira Kurosawa dans Entre le ciel et l'enfer :

 

Marcigny le 29/10/09

Coucou frérot,

Après quarante-huit heures et neuf films, je commence à me sentir toute drôle. Un peu comme toi quand tu fumes en cachette tes drôles de cigarettes. J'ai des envies de promenade à New-York en patins à roulettes, de visite chantée dans un musée de sciences naturelles et de revue dansante dans une salle de boxe. Il paraît qu'on rit rarement autant aux Rencontres. Je suis venue la bonne année ! Tu aurais aimé le film d'hier soir. On aurait dit un long épisode de la série Les Experts Tokyo, en noir et blanc, en plus joli et en japonais.

 

The Shop Around The Corner d'Ernst Lubitsch, Place aux jeunes de Leo McCarey, Lucia et les gouapes de Pasquale Squitieri, Occupe-toi d'Amélie de Claude Autant-Lara, les films de la quatrième journée de projections sont variés. Ils laissent à peine le temps de se rendre au Centre d'art contemporain Frank Popper pour y admirer la riche collection d'appareils anciens de Sylvain Tomasini. Cela n'empêche pas de jeter un coup d'œil sur la lettre de Marie-Jeanne désormais attendue :

 

Marcigny le 30/10/09

Salut mon parrain,

Plus je passe du temps au contact de la Marcynéma, plus je me dis que tu y serais bien. Ici tout est affaire de famille et je sais combien la famille compte pour toi.

Il y a d'abord les Jeunet. Outre le président Paul, oui, on dit président dans la Marcynéma, patriarche respecté et incontesté depuis quarante ans, on trouve des Jeunet à tous les postes clés et jamais loin des caisses. Tu te rappelles le jour où tu m'as dit "Touche pas au grisbi escalope !" parce que je jouais avec tes billets de banque ? Depuis je sais bien que c'est l'argent d'abord. Et bien ici, le trésorier est le frère de Paul, la caisse des entrées est contrôlée par la femme de Paul et c'est le fils de Paul qui tient la buvette. Et quand il faut les remplacer, c'est par un cousin ou un proche de la famille.

Ils sont toujours prêts à aider leurs proches chez les Jeunet. Comme ce petit réalisateur dont ils n'arrêtent pas de parler ici, pour lancer son film. Tu ne devineras jamais son titre : Micmacs à tire-larigot ! Pourquoi pas Carabistouille chez les Marcignots ou Un phénakistiscope pour Paulo ?

Dans la Marcynéma, il y a un autre homme important. Il parle peu, mais tout le monde l'écoute. Si tu veux manger, il te nourrira. Si tu veux un toit, il te le trouvera. C'est Luciano dit "l'intendant". Si tu suis la règle, il est gentil.