Critique du chapitre 6
Le chapitre 6 du roman L’Étranger marque le point culminant de l'histoire, où Meursault, bien qu'il ait du mal à se réveiller, est confronté à une journée qui change le cours de sa vie. Sa fatigue et son malaise symbolisent le début de la fin de sa liberté et le début de son existence en tant que meurtrier. La journée commence sous de mauvais auspices, notamment par la chaleur du soleil qui, loin de l'apaiser, semble l'agresser. L'indifférence de Meursault face aux événements et sa réaction absurde aux stimuli extérieurs préfigurent la violence qui va suivre.
La rencontre avec les Arabes sur la plage illustre le conflit entre Meursault et un monde qu’il ne comprend pas pleinement. Ce groupe d'Arabes n'est pas seulement un élément narratif mais un symbole du conflit franco-algérien, où Meursault, pris dans ce tourbillon de violence, réagit sans raison évidente. Ses actions sont influencées par la chaleur accablante et la pression extérieure, mais son indifférence à la situation montre la déconnexion qu’il ressent par rapport aux autres.
À la plage, bien que l’atmosphère semble propice à la détente, Meursault est de plus en plus submergé par un sentiment d'irréalité et de menace. Il nage, se sent bien un instant, mais rapidement, la chaleur et la douleur du soleil reviennent hanter ses sens. C’est ce même soleil qui l'incite à commettre l’irréparable : tirer sur l'Arabe. Ce geste, dénué d’intention claire, reflète la logique absurde de Meursault : il agit sans réfléchir, guidé par des impulsions immédiates, sans se soucier des conséquences.
Le moment de la confrontation finale avec l'Arabe, où le temps semble se figer, symbolise la lutte intérieure de Meursault avec l'absurde. Il tire cinq balles sans raison, ce qui marque la rupture de son existence calme et sans but. Camus montre ici que, dans un monde sans sens, les actions humaines sont souvent dictées par des forces extérieures, comme la chaleur ou les circonstances, plutôt que par une intention réfléchie. Meursault est déconnecté de la réalité sociale, réagissant de manière détachée, ce qui mène à un acte irréversible et la fin de sa tranquillité.
Critique du chapitre 7
Meursault raconte les événements après la fusillade de manière très simple, presque comme une liste, sans y ajouter d’émotion ni de remords. Il reste distant et objectif, fidèle à sa manière de penser. Dans le livre précédent, il expliquait déjà qu’il aurait pu rester chez lui ou tirer sur quelqu’un — cela lui semblait équivalent. Mais cette deuxième partie du roman marque une rupture : désormais, ce n’est plus lui qui agit librement, mais la société qui s’empare de lui. Alors que, dans la première partie, Meursault est maître de lui-même, honnête et détaché, dans la seconde, il devient un objet de jugement. Il ne peut plus échapper au regard extérieur, et ce sont ses pensées qui sont mises en procès, parfois même plus que ses actes.
Dès le début de cette deuxième partie, le lecteur est plongé directement dans son arrestation. On ne sait rien de ce qui arrive aux autres à la maison de plage, ni de leurs réactions. Meursault pense surtout à lui-même et, une fois séparé des autres, leurs sentiments ou jugements lui importent peu. Ce qu’il remarque, c’est le soin que le tribunal met dans les détails, ce qui lui plaît. Bien qu’il trouve l’affaire simple, il apprécie qu’on lui attribue un avocat. Il vit toute cette situation comme irréelle : il ne se voit pas comme un criminel, et doit sans cesse se rappeler qu’il a tué un homme. Même la scène de l’interrogatoire lui semble tout droit sortie d’un roman, et son envie de serrer la main du garde étonne, mais reste cohérente avec sa vision humaine et immédiate des choses.
L’avocat, en revanche, est très troublé par l’incapacité de Meursault à feindre des émotions, notamment à propos de la mort de sa mère. En tant que représentant de la justice, il ne comprend pas Meursault, dont l’attitude froide peut nuire à sa défense. Meursault essaie d’être honnête, expliquant que ses besoins physiques priment souvent sur ses émotions. Il ne ment pas non plus en disant qu’il n’a pas refoulé de tristesse — il ne l’a tout simplement pas ressentie. Cette fidélité à lui-même choque l’avocat, qui le regarde avec mépris. Meursault refuse de jouer un rôle. Il suit ses propres règles, comme un individu existant dans un monde absurde, incompris des autres. Il n’essaie même pas de se faire comprendre : cela lui demanderait trop d’effort, et il est indifférent au jugement des autres comme à son propre avenir.
Lors de la prochaine rencontre, l’avocat est absent, et c’est le magistrat qui reprend l’interrogatoire. Il est particulièrement dérangé par l’incapacité de Meursault à expliquer pourquoi il a tiré après le premier coup de feu. Meursault n’a pas de justification : il ne ressentait rien de précis, il aurait pu agir autrement, mais il a tiré. Le magistrat, bouleversé, brandit un crucifix et lui demande s’il croit en Dieu. Apprenant que ce n’est pas le cas, il juge Meursault comme une âme perdue. Ce moment est un point central de la pensée de Camus : l’absence de foi religieuse n’est pas du nihilisme, mais le rejet de toute illusion de sens absolu. Pour Camus, la vie est absurde, sans surveillance divine, et c’est en acceptant cette réalité que l’on peut vivre pleinement. Pourquoi attendre ou se préparer, quand on peut simplement vivre ?
Face à cela, le magistrat reste impuissant. Meursault n’éprouve ni culpabilité ni regret. Ce qui l’ennuie, c’est surtout d’avoir été arraché à sa routine. Les rares échanges cordiaux avec le magistrat sont pour lui des moments de réconfort. Ce que Meursault savoure dans ces petits instants révèle une critique plus large : la plupart des gens passent à côté de ces moments simples en cherchant du sens ailleurs. Meursault, au contraire, trouve son bonheur dans l’instant, ce qui incarne parfaitement le message existentialiste et absurde de Camus.