Mœurs

1760 -Terrorisme à Messei ?

Ce texte, extrait des registres du Parquet d'Argentan, décrit en négatif la vie d'un bourg. Il prend la forme d'un monitoire qui est une enquête anonyme lue en chaire. Il semble ne pas faire bon sortir "dans le sombre de la nuit" à Messei.



Du 21 juillet 1760

Le procureur du roy du bailliage d'Argentan remontre qu'il auroit rendu plainte en termes généraux contre des tapageurs et roudeurs de nuit qui insultent à main armée, au bourg et paroisse de Messey, les personnes de l'un et l'autre sexe, commettent des vols, se comportent avec indésence dans l'église et enfin sont devenus la terreur dudit bourg, il déposa égallement une affiche indésente, impie et scandaleuse, trouvée atachée contre un poteau au marché au marché dudit bourg de Messey, iceluy dans son plein court et demanda que de tous ces faits, il en fust informé extraordinairement avec réserve dans son réquisitoire du 27 juin dernier1.

Mais comme il fust impossible d'avoir révélation de plusieurs faits importants pour la poursuitte du procéz par tesmoins de certain et surtout de ceux que l'on pense avoir dérobé en les ensevelisant dans le sombre de la nuit, [le procureur} requiert être authorizé à faire lire, publyer et fulminer les articles suivant la forme de monitoire tant dans la paroisse et bourg de Messey qu'en celle d'Echallou, St André de Messey, Notre Dame du Chatellier et la Carneille…


Article premier

1 Contre ceux et celles qui auroient connoissance que depuis un temps, certains quidans2 malfaiteurs, rodant la nuit armés de pistollets et de fusils dans la paroisse et bourg de Messey de Messey et circonvoisines, insultent les personnes de l'un et l'autre sexe et ne voudroient le déposer.

2 Contre ceux et celles qui auroient connoissance que lesdits quidans sont dans l'uzage d'attaquer, même pendant le jour et au sortir de l'office de l'église, les passans, les personnes du sexe en disant des chansons inffames et tenant des propos indésents capable de faire rugir3 et en faisant des hues sur ceux qui ont le malheur de leur déplaire, même sur des personnes constituées en dignitté aux ordes sacrés et ne voudroient le déposer.

3 Contre ceux et celles qui auroient connoissance que lesdits quidans malfaiteurs ont été pluzieurs fois la nuit faire ouvri des auberges audit bourg et paroisse de Messey et ont forcé, le pistolet sur la gorge, les aubergistes de leur donner à boire, en jurant, blasphémant, faisant tapages et cassant les vitres et ne voudroient le déposer.

4 Contre ceux et celles qui auroient connoissance que lesdits quidans ont porté la fureur ou des exés dans leur ivresse au point d'avoir voullu fendre la tête d'un enfant de six ans, ce qui seroit immanquablement arrivé sans un particulier qui para le coup de sons bras, dont il fut estropié pendant du temps et ne voudroient le déposer.

5 Contre ceux et celles qui auroient connoissance que certains quidans malfaiteurs ont passé la nuit par dessus le mur d'un jardin et auroient vollé les fruits et légumes dudit jardin et ne voudroient le déposer.

6 Contre ceux et celles qui auroient connoissance que lesdits quidans auroient été de nuit à une maison scituée au bourg de Messey et auroient enfoncé la muraille en arrachant les lattes et torchis pour entre dans l'apartement d'une fille à desein de l'insulter et ne voudroient le déposer.

7 Contre ceux et celles qui auroient connoissance que lesdits quidans auroient été de jour, de desein prémédité, chez une femme de la paroisse d'Echallou et l'auroient insultée dans sa maison de façon à mettre le comble à la brutalité de leur passion, sy ladite femme n'avoit été secourue par du monde qui vint à ses cris et ne voudroient le déposer.

8 Contre ceux ou celles qui auroient connoissance que certains quidans et même gens en place se comportent avec indésence dans l'église dudit bourg et paroisse de Messey, pendant l'office, causent, riant et badinant même pendant la consécration, ce qui auroit causé un grand scandalle dans ladite paroisse et ne voudroient le déposer.

9 Contre ceux ou celles qui auroient connoissance que certains quidans et gens en place auroient voully de force, exiger que le pain bény leur soit présenté par préfference à l'églize, qu'à cet effet, ils auroient menacés les sacristes de les maltraiter sy ils ne le faisoient pas, ce qui auroit été cause que lesdits sacristes auroient été obligés de laisser le panier au pain bénit sur le banc de l'oeuvre sans oser le distribuer, ce qui auroit occazionné du tumulte dans l'églize et ne voudroient le déposer.

10 Contre ceux ou celles qui auroient connoissance qu'un certain quidam auroit par ses déportements et viollences dans le lieu saint empêché une distribution qui se fait ordinairement en faveur des pauvres de ladite paroisse et bourg de Messei4, se sorte que les assistants, scandalisés, furent obligés de se retirer et ne voudroient le déposer.

11 Contre ceux ou celles qui auroient connoissance qu'une personne constituée en dignité aux ordres sacrés auroit fait plusietrs fois des remontrances auxdits quidans sur leur libertinage, ce qui auroit tellement egry lesdits quidans contre ladite personne constituée en dignité dans les ordres sacrés, que depuis le temps,ils auroient cherché en touttes occazions d'attenter à la vie et ne voudroient le déposer.

12 Contre ceux ou celles qui auroient connoissance qu'un desdits quidans auroit dit, en parlant de ladite personne constituée en dignitté aux ordres sacrés, qu'il ne mouroit jamais d'autre main que de la sienne et que s'il ne le rencontreroit nul part, ils meteroit trois lingots dans son fusil et le tireroit à l'otel et ne voudroient le déposer.

13 Contre ceux ou celles qui auroient connoissance que le 28 octobre 1758, jour et fête St Simon et St Jude lesdits malfaiteurs auroient posé une échelle contre la porte de la sacristie de Messey et auroient attaché à un des échelons de ladite échelle une grosse pierre de la pesanteut de 20 livres afin que lesdites personnes constitués en dignitté aux ordres sacrés, sortoit par ladite porte et fussent écrasés par ladite pierre et ne voudroient le déposer.

14 Contre ceux ou celles qui auroient connoissance qu'un particulier fut ouvrir laditte porte et grièvement blessé de ladite pierre, ce que voyant lesdits quidans malfaiteurs, ce que leur coup étoit manqué, ils posèrent une autre fois laditte échelle contre laditte porte, et ne voudroient le déposer.

15 Contre ceux ou celles qui auroient connoissance que lesdits quidans auroient été exités, par une personne en place dudit bourg et paroisse de Messey, à invectiver et insulter ladite personne constituée en dignitté aux ordres sacrés et ne voudroient le déposer.

16 Contre ceux ou celles qui auroient connoissance que ladite personne en place auroit donné des marques non équivoques à ladite personne constituée en dignitté aux ordres sacrés et ses mauvaises dispositions à son égard, tantost en l'insultant verballement, tantost en portant son couteau à son visage en forme de razoir et disant aux gens de ladite personne constituée en dignitté aux ordres sacrés : « Dis à ton maître que mon couteau ne couppe plus, qu'il m'envoye un de ses vieux razoirs... » et ne voudroient le déposer.

17 Contre ceux ou celles qui auroient connoissance que qu'un desdits quidans étant devant la porte d'une certaine personne en place dudit bourg, en voyant passer le domestique de ladite personne constituée en dignitté aux ordres sacrés, luy dist : « Les armes de ton maître sont-elles prestes, qu'il ait soin de les tenir en bonétat », qu'un autre quidam, dans un autre jour,auroit frappé ce mesme domestique qui passoit son chemin tranquillement, et enfin qu'un desdits quidans malfaiteurs auroit tiré un coup de pistolet sur une personne également constituée en dignitté aux ordres sacrés qui venoit d'administrer les sacrements de façon que la bourre tomba à ses pieds et ne voudroient le déposer.

18 Contre ceux ou celles qui auroient connoissance que, la nuit du vingt sept au vingt huit mars dernier, certains quidans auroient été au présbitaire dudit bourg et paroisse de Messey dans un mauvais dessein, auroient appellé le maître de la maison par son nom simple, sans l'adjectif de politesse ordinaire … sous le nom de Monsieur et ne voudroient le déposer.

19 Contre ceux ou celles qui auroient connoissance que, voyant qu'on ne voulloit ny paraistre, ny parler, un desdits quidans seroit monté par une petite allée ou venelle qui est entre le presbitaire et la grange à une fenêtre qui donne sur cet endroit et se seroit mis en devoir de l'enfoncer, mais qu'il seroit tombé dans laditte allée ou venelle, ayant manqué de prise et ne voudroient le déposer.

20 Contre ceux ou celles qui auroient connoissance que d'avoir vu l'habit, la veste et la calotte dudit quidam lavés et exposés le lendemain à sa fenêtre pour sécher, parce qu'il y a beaucoup de boue et d'eau dans laditte allée, ou venelle, po ledit quidan étoit tombé et ne voudroient le déposer.

21 Contre ceux ou celles qui auroient connoissance que certaines personnes auroient reprochés auxdits quidans cette action, à quoy ils auroient répondu qu'il s'en f… et qu'ils auroient la vie de laditte personne constituée en dignité aux ordres sacrés et ne voudroient le déposer.

22 Contre ceux ou celles qui auroient connoissance quele samedy dix juin dernier, on auroit affiché au poteau de la halle dudit bourg et paroisse de Messey, une effigie où l'on voit une potence et un prestre qu'un bourreau pend, à costé dudit prestre une étolle, sous ses pieds un bonnet carré, au pied de laditte potence, un autre prestre à genoux, un flambeau à la main, un peut plus loing, un calvaire au pied duquel est encore un prestre à genoux, une torche à la main, ayant une corde ou chaine au col tenue par un boureau et à costé, un peu au dessus la figure d'un plat à barbe, d'une savonnette et d'un razoir ouvert et ne voudroient le déposer.

23 Contre ceux ou celles qui auroient connoissance des autheurs de laditte éffigie pour l'avoir vue placer, faire ou avoir fourny le crayon ou la coulleur, scavoir la maison où elle a eté fabriquée et enfin avoir connoissance directement ou indirectement concernant laditte effigie et ne voudroient le déposer.

Enfin, contre ceux ou celles qui auroient connoissance qui auroient connaissance qu'un certain quidan en place dudit bourg et paroisse de Messey auroit demandé à voir l'effigie, que, lorsquelle luy fut portée, il l'auroit examinée attentivement, et sur ce qu'on luy demanda ce que signifioit le plat à barbe, la savonette et le rasoir, il se mit à rire et répondit : "Ne savés vous pas que c'est le devise"5 et ne voudroient le déposer.

Et générallement, contre ceux ou celles qui auroient connoissance des faits cy-dessus relatés en circonstances et dépendances, soit pour l'avoir veu, seu connu, oui-dire ou aperçu et ne voudroient le déposer.6 7


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Notes :

1 Ce réquisitoire n'est pas dans ce registre dit "du parquet"

2 Pour "quidam" : homme dont on ignore ou tait le nom. Grâce à ce monitoire, on espère que des témoins se déclareront (sous peine d'excommunication – mais ils seront seuls à le savoir sauf confession-). Les témoins ainsi trouvés seront interrogés au "secret de justice" et nommeront les accusés sans être influencés.

3 rougir

4 Cette distribution, suite à une fondation, est très documentée (voir le registre AD61 G1325)

5 Cette devise, peut-être en forme de rébus, semble désigner un personnage connu de Messei, mais lequel ?

6 AD61 4BP205 vue 26

7 L'affaire se poursuit : le 10 décembre le prieur de la Carneille n'a toujours pas publié le monitoire. Il prétend l'ignorer. A la seconde requête du tribunal, s'il a fait publier le monitoire, il fait envoyer pars son vicaire une "lettre écritte dans un stille qui décèle un desein prémédité d'insulter justice de la façon la plus indésente."

Cependant, la suite, s'il y en eût, ne figure pas dans ce registre extrait d'un fond non classé.


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1776 - Empoisonnement à l'arsenic à Juvigny-sur-Orne


Ce fait divers, qui décrit les effets pervers d'une obsession pour le mariage d'un ouvrier plafonneur amené à travailler au loin, permet notamment de découvrir de nombreux aspects de la vie quotidienne : les repas, la soupe, les heures, les soins médicaux, le travail, le voisinage..

Détail du Christ chez Marthe et Marie de Jos Goemaer, vers 1600 - Musée de la Gourmandise


Premières constatations



Le 19 février 17761


Jean Claude Trolley, sieur de Laudière, chirurgien juré, demeurant en cette ville, agé d’environ trente-cinq ans, assigné… à comparoir devant nous…


Dépose que le lundy douze du présent mois, il fut requis d’aller voir et visiter en la paroisse de Juvigni un particulier nommé Bardoul. Il le trouva qu’il se plaignait de coliques violentes. Sa femme s’en plaignit aussi.

Il leur demanda s’ils savaient d’où cela pouvait provenir. Ils lui dirent que le samedi précédent, ils avaient mangé de la soupe au lait qu’ils avaient sallée avec du sel qu’un voisin leur avait rendu parce qu’ils luy en avaient prêtté. Ils ajoutèrent qu’ils soupçonnaient qu’il y avait quelque chose dans le sel qui leur avait fait mal. Le sieur déposant leur demanda s’ils avaient encore du sel, ils lui dirent que non.

Le déposant soupçonna que ce sel qu’on leur avait rendu aurait pu être mis par impéritie ou inadvertance dans un vase de cuire2 et aurait été imprégné de vers de gris, d’autant plus qu’ils dirent aussi qu’ils avaient beaucoup vomi après avoir mangé de cette souppe. Le mary en ayant mangé plus que la femme avait vomi davantage. Cela fist qu’il les traita en conséquence et leur ordonna les huilleux comme la graine de lin tant en lavement qu’en décoction. Cela réussit, ils se trouvèrent soulagés. Après cela il leur a fait prendre une décoction de manne3 et de l’huille d’amande douce.

Et jeudi dernier, cette femme étant venue lui apporter de ses nouvelles et de celles de son mary, lui dist que la nièce du sieur curé avait été chés ce particulier qui leur avait rendu du sel, qui se nomme aussi Bardou, qu’elle avait visité sa saunerie et ramassé du sel dedans, qu’elle lui avait donné et qu’elle représenta à lui déposant. Lequel, après l’avoir examiné et fait examiner par le sieur Matrot, apoticaire de cette ville, il reconnut des parties d’arsenic. En ce moment, nous a fait représentation d’un morceau de papier blanc faisant à peu près le huitième d’une feuille de papier commun, ployé de différents plis et lié d’un bout de fil blanc dans lequel il nous a dit être le sel que lui a donné la femme Bardou ainsi qu’il en est expliqué cy-dessus.

Sur quoi avons ordonné que le procureur du roy sera appelé. Lui entré avons fait ouverture en présence de lui procureur du roi et du témoin du petit paquet contenant une pincée de sel dans lequel il nous a effectivement paru ainsi qu’au procureur du roy de petits corps blancs et brillants que nous croyons être hétérogènes au sel et lesquels le témoin nous a dit être l’arsenic d’après les observations qu’il a faites et fait faire. En ce moment nous avons refermé ledit papier en présence dudit procureur du roy et du témoin dans une demie feuille de papier blanc que nous avons ployée en différents doubles et que nous avons en présence que dessus fait seller de notre cachet, ordonnons que ledit paquet restera déposé pour servir à l’instruction du procès……

Après quoi le témoin nous a dit que la nièce du sieur curé de Juvigni lui a dit que la femme Bardou, qui avait rendu ce sel, avait été obligée dans un des jours suivants d’envoyer un de ses enfants en cette ville faire une commission, qu’avant son départ, elle lui fit une soupe aux oignons qu’elle salla du même sel qui luy avait été rendu parce que cette femme Bardou est la voisine et la parente dudit Bardou malade, que cet enfant ayant fait environ un quart de lieue, se trouva plessé de vomissement ce qui l’incommoda au point qu’une femme qui marchait avec lui, lui dist de s’en retourner et qu’elle allait faire sa commission. En effet, il s’en retourna à sa mère qui l’envoya chés le curé qui lui donna à manger beaucoup de lait aigre, ce qui lui fist beaucoup de bien…..


Empoisonneuse à son insu

Marie Lecoeur, femme de François Bardoul, plafonneur, demeurant en la paroisse de Juvigny, agée d’environ trente deux ans… elle est parente de celui contre lequel elle a à déposer, le mary d’elle déposante étant son cousin…


Dépose qu’il y a eu samedi dernier huit jours la femme de Jean Louis Bardou qui est cousin germain d’elle déposante vint chés elle pendant qu’elle déposante faisait de la soupe pour son ménage. C’était de la soupe au lait avec des porreaux4. Son sel finissait en sorte qu’elle ne put pas en mettre suffisamment dans cette soupe. Elle avait précédemment prêté plain une cuiller du sel à sa cousine qui était là présente. Elle lui demanda si elle avait du sel, elle lui répondit que oui et qu’elle allait lui rendre celui qu’elle lui avait pretté. En effet, elle fut chés elle et raporta à elle déposante une cuiller de sel et lui dit même en la lui remettant :"Ce sel là me paraît bien blanc". La déposante lui dist : "C’est qu’il est à votre cheminée, il aura séché. C’est ce qui le rend si blanc". La déposante prist du sel rendu et en mist dans sa souppe autant qu’elle croyait qu’il y en manquait pour la saller suffisamment.

Vers neuf heures, son père, son frère et son mary vinrent manger la souppe et la déposante en mangea aussy. Après quoi chacun retourna à son travail : savoir son père et son frère retournèrent à la grange dixmeresse, elle fut filler avec ses voisines et son mary resta à la maison. Quelques moments après qu’elle fut à son ouvrage, elle se senti prise de maux de cœur, vomit beaucoup et ressenti même quelques douleurs de coliques. Son père et son frère se ressentirent aussi de maux de cœur. Le frère vomit à midi. Mais son mari qui avait mangé plus de soupe que tous les autres vomit plus qu’eux et ressenti des coliques plus considérables. Le soir, elle déposante fit de la souppe aux poix qu’elle salla en entier du même sel qui lui avait été rendu, n’en ayant pas d’autre. Son mary en mangea mais elle, elle n’en mangea point parce qu’elle aimait mieux la gallette qu’elle avait. Ils se couchèrent vers sept heures du soir mais un moment après son mari fut pris de nouveaux vomissements et de coliques violentes. La déposante bien embarrassée quel secour lui porter, lui proposa un bouillon au lait qu’elle salla encore du même sel qui lui avait été rendu. Il en prist une partie et se trouva encore plus mal qu’auparavant. La déposante, allarmée, vint en cette ville le dimanche matin se consulter et emporta pour son mari des poudres d’haillot et de la viande pour lui faire du bouillon. Elle lui fit prendre les poudres, mist sa viande dans sa marmite, contant5 lui faire un bon bouillon, elle salla encore du même sel qui lui avait été rendu en partie parce qu’elle en avait emporté avec elle, duquel elle se servit n’en ayant pas suffisamment de l’autre pour saller tout son pot. Son mari ne fut pas mieux, au contraire, et se trouva toujours bien malade. Un jeune frère d’elle déposante qui venait au catéchisme passa chés elle. Elle lui proposa de manger, ce qu’il accepta. Elle mist du pain dans le reste du bouillon au lait qu’elle avait fait pendant la nuit pour son mary, le fist chaufer et le donna à cet enfant qui le mangea. Un instant après cet enfant se trouva pris de maux de cœur, vomit et fut bien malade. Tout cela engagea la déposante de faire venir le sieur Trolley, chirurgien en cette ville, qui fist prendre à son mari des lavements et des breuvages qui l’ont beaucoup soulagé. Il a même encore ce matin une médecine et est beaucoup mieux.

Ajouxte que le mary de sa cousine qui se nomme Jean Louis Bardou qui est plafonneur de son métier travaille ordinairement hors du pays et vient plusieurs fois par an joindre son ménage. Il était revenu chés lui vers les Rois et est reparti jeudi dernier qui était le huit du présent mois, et le lundi précédent l’enfant ainé dudit Bardou avait acheté en cette ville une livre de sel pour son ménage. Et, à oui-dire, la déposante, que ledit Bardou avant de partir avait fait la soupe lui-même et en avait mangé avec sa famille.

La maladie du mary d’elle déposante et sa famille ayant fait bruit, on soupçonna le sel que lacousine d’elle déposante lui avait rendu. Cela fut cause que la nièce du sieur curé fut chés la cousine d’elle déposante, prist sa saunière et l’aporta à elle déposante qui prist dans un papier du sel de cette saunière qui fut mis dans ledit papier par la dite nièce tel quel elle aporta en cette ville, elle le fit voir au sieur Prempain, apoticaire, lequel apès l’avoir examiné lui dit que ce sel était dangereux et qu’il ne fallait pas s’en servir et qu’il fallait le garder.

Elle l’a gardé en effet et en ce moment, nous a fait représentation d’un petit paquet envelloppé dans la seizième partie d’un feuille de papier dans lequel nous avons trouvé environ deux pincées de sel meslé d’un corps étérogène qui nous a paru blanc et brillant. Sur quoi le sieur Prempain, apoticaire, assigné en genre de témoin, au jour, étant dans l’antichambre, nous l’avons fait entré et le procureur du roy apellé, nous avons représenté au dit sieur Prempain ledit papier avec le sel qui le contenait et après l’avoir examiné a dit qu’il le reconnaît bien pour être le même que la témoin ici présente lui a déjà fait voir, que c’est du sel meslé d’arsenic, qu’il en avait fait l’épreuve lors que cette femme lui avait présenté, que suivant les meilleurs chimistes, l’arsenic à l’épreuve du feu doit se rendre fusible et vaporeux et qu’il est facile de l’expérimenter tout à l’heure, pourquoi a pris au feu la pelle, a mis quelques charbons allumés dessus, a laissé tomber sur lesdits charbons allumés une très légère pincée de sel contenu dans ledit papier ce qui a répandu sur le champ une fumée qui a laissé un goux d’ail très sens


Témoin de moralité : complications ?


Maitre Philippe Christophe Heusard, prêtre, curé de la paroisse de Juvigny, y demeurant, âgé d’environ cinquante ans…

Dépose qu’il ne se présente que pour obéir à justice et que si sa déposition tendait à faire infliger peine corporelle ou afflictive, il n’entend pour cela encourir les censures éclésiastiques. Il y a eu hier huit jours, il était à voir des malades dans le bas de sa paroisse. Il apprist que François Bardou était malade. Aussy, il fut chés lui et le trouva malade effectivement. Il lui demanda ce qu’il avait et d’où venait sa maladie. Il lui dist qu’il croyait que sa maladie provenait d’une cuillerée de sel qui lui avait été rendue de chés Jean Louis Bardou à qui sa femme en avait pretté. Le déposant lui dist qu’il ne fallait pas penser cela, qu’il n’était pas probable que cet homme eut le dessein d’empoisonner sa femme et toute sa famille.

On lui montra de ce sel, lui déposant en prist dans un papier et étant venu le lendemain en cette ville, il fut chés le sieur Prempain, apoticaire, auquel il fist voir ce sel, qui l’examina fort attentivement. Après quoi il en fit une épreuve sur les charbons ardents en présence de plusieurs personnes qui se trouvèrent là et il dist que ce s’il était meslé d’arsenic.

Ajouxte que ce Jean LouisBardou est un homme qui paraît de l’âge de quarante ans, terrasseur de son méttier et assés bon ouvrier. Il travaille peu dans le pays mais il va au loin travailler. Il y a environ dix huit mois, lui sieur déposant reçu une lettre de Bayeux dans laquelle un bourgeois du lieu lui disait qu’un nommé Bardou de sa paroisse lui avait demandé sa fille en mariage et qu’il le priait de lui dire ce que c’était que cet homme-là. Le déposant lui répondit qu’il y avait alors deux de ses paroissiens du méttier de terrasseur à travailler à Bayeux, tous deux du nom de Bardou et cousins germains, que l’un qui était le plus âgé de telle et telle figure était marié et avait six enfants, que l’autre qui était plus jeune et qui avait telle figure ne l’était pas mais était sur le point de contracter avec une fille de la paroisse ou des environs. Et en effet c’était François Bardou, aujourd’hui malade, qui à son retour épouza la femme qu’il a aujourd’hui et depuis ce tems-là, il n’a point entendu parler du bourgeois de Bayeux qui lui avait écrit.


Marie Sauvage, fille de Charles, demeurante en la paroisse de Juvigni, âgée d'environ vingt-trois ans

Dépose qu'il y a eu hier huit jours, elle était venue en cette ville et à son retour dans la paroisse, elle

entendit dire que François Bardou était malade, que sa famille l'était aussi et que tous ils vomissaient.

Elle trouva le frère dudit Bardou auquel elle demanda si cela était vrai. Il lui dist que oui et que c'était du sel que la femme de Jean Louis Bardou lui avait rendu qui était cause de cela, qu'elle la priait d'aller chez ladite femme Jean Louis Bardou prendre de son sel et le faire voir à son beau-frère afin de savoir si ce n'étaient point des drogues dont ils se servent dans leur mettier comme céruse ou autres qui seraient meslé dans le sel.

Elle y fut et pris à la cheminée de ladite femme Jean Louis Bardou sa saunière et l'aporta chés Francois Bardou. Là, ils examinèrent le sel, ils en mirent sur du papier et, quoi qu'elle ne soit pas connaisseuse, elle crut apercevoir de l'arsenic, le dist tout haut. Elle dit même à la femme dudit François Bardou d'en ramasser sur du papier, ce qu'elle fit. Après quoi elle, déposante, reporta la saunière à la femme dudit Jean Louis et lui dist de ne pas se servir de ce sel et de le jetter tout de suite. Ladite femme dist à sa fille : Va-ten jetter ce sel dans la mare. Ce qui fut fait.

Comme elle raportait la saunière, elle, déposante, remarqua qu'elle était imprégnée de blanc dans le fond, plus qu'elle ne devait être.Ce qui lui fit dire à cette femme qu'elle ne lui conseillait pas de remettre son sel dedans qu'elle ne l'eut lavée à l'eau chaude. Et il parut qu'elle fut lavée en effet, parce qu'elle, déposante, la vit qui était bien propre.


Une expérience


François Prempain, apoticaire, demeurant en cette ville, âgé d’environ quarante ans, assigné par le procureur du roi...

Dépose qu’il y a aujourd’hui huit jours, au matin une femme de Juvigni vint chez lui, lui aporta dans un papier du sel qu’elle le pria d’examiner par ce qu’elle prétendait qu’il avait fait mal à son

mari, il l’examina en effet, aperçu quelque chose de farineux qui n’est pas propre au sel marin, il vit même un corps étérogène qui lui parut arsenic, mais pour être plus certain, il en fist sur le champ l’épreuve au feu sur les charbons ardents et vit qu’effectivement ce sel était meslé d’arsenic et laissait l’odeur d’ailleurs au parfait. L’après-midi, le sieur curé de Juvigny vint chez lui, lui donna du même sel. Il fit en sa présence la même expérience et la même épreuve…


Soupçons


Marie Milcent, femme de Jean Louis Bardou, plafonneur, demeurante en la paroisse de Juvigny, agée d’environ quarante ans…

Dépose qu’lle n’a d’autre connaissance du contenu au réquisitoire du procureur du roy que d’avoir rendu une cueuilleres de sel à la femme de François Bardoul, sa parente et sa voisine et ont a dit que ce sel a fait mal à plusieurs personnes. Voilà comme le fait se passa : Cette voisine et sa parente lui avait pretté plain une cueuiller de sel. Quelques jours après son fils étant venu à la ville, elle lui fist acheter une livre de sel, qu’elle mis dans sa saunière suivant son usage. Elle ne pençait plus à ce sel qu’elle avait emprunté à sa voisine mais le vendredi suivant qui devait être le seize du présent mois, elle fut le matin chés sa voisine qui faisait sa souppe qui lui demanda si elle était fournie de sel, elle lui dist que oui et si elle en avait besoin qu’elle lui en donnerait. Sa voisine lui dist qu’elle le vouloit bien. Cela fist qu’elle posa du feu qu’elle venait de chercher dans sa cheminée et se souvenant qu’elle devait une cuiller de sel à sa dite voisine et à sa dite parente, elle porta chés elle sa saunière dans laquelle on prist la cuiller de sel qu’elle devait. Se souvient même qu’elle dist à sa voisine que ce sel lui paraissait bien blanc. Elle a oui dire depuis que ce sel a fait mal à plusieurs personnes. Elle en est étonnée. Le dimanche, on lui dist que sa cousine, son mary avaient été malade de la soupe qu’ils avaient mangé, laquelle avait été sallée avec ce sel.

Le lundi, la nièce du sieur curé de Juvigny fut chés elle qui lui dist la même chose et lui demanda à voir sa saunière et son sel. Elle lui donna la dite saunière qu’elle porta chés sa voisine. A oui dire même qu’elle lui donna du sel de dedans, elle raporta ladite saunière et lui dist de ne pas se servir davantage du sel qui était dedans. Cela fist que, vu tout ce qu’elle entendait, elle dist à sa fille d’aller jetter ce sel dans la mare, ce qu’elle fist.

Ajouxte que son mary est terrasseur de son mettier qu’il travaille peu dans le pays et vient ordinairement tous les ans dans les tems qui ne sont pas propres à son mettier passer quelques tems dans son ménage et chérit elle, déposante et ses enfants. Il est venu la veille des roys dernière, s’ennuyant à ne rien faire, il dist à elle, déposante, que les autres qui travaillaient à peu près comme lui étaient partis que l’ouvrage ne viendrait pas le chercher chés lui, qu’il fallait qu’il partit lui-même et effectivement, il partit le jeudi huit du présent mois, il fit la soupe lui-même le matin, fricassa un carême prenant et en mangea avec ses enfants. Il invita elle, déposante, d’en manger aussi avec lui, mais elle était occupée et lui dist : Je mangerai bien tout toute(sic) suite et puis elle s’en alla. Le vendredi, elle fist de la soupe qu’elle salla du même sel, ses enfants vomirent beaucoup mais ils étaient malades et avaient la toux, ce qui fit qu’elle ne s’en étonna pas beaucoup. Pour elle qui avait mangé de la soupe avec ses enfants vomit aussi un peu mais ne ressentit pas de mal.

Le vendredi, elle avait envoyé son fils faire une commission en cette ville. Avant qu’il partit, elle lui fist un peu de soupe dont il mangea peu, quelle salla du sel de sa saunière n’en ayant pas d’autre mais il en fut incommodé et arrivé vers Collandon, il fut altéré et but, cela lui occasionna un vomissement. Ce qui fit que ceux qui étaient avec lui le renvoyèrent et sa tante lui dist qu’elle allait faire ses commissions. Depuis ce tems là, on s’est aperçu que c’était effectivement le sel qui les incommodait, on leur dist qu’il fallait boire beaucoup de lait, le sieur curé leur a donné du gros lait, du lait aigre ou gros lait dont il ont fait beaucoup usage. Il paraît que c’est effectivement le sel qui était chés elle qui était empoisonné, elle ne scavoit à qui attribuer cet empoisonnement, ce ne peut point être à son mary par ce qu’il lui a marqué tant d’amitié et à ses enfants qu’il n’est pas possible de le soupçonner. Il est vrai que le jour, elle laisse toujours sa porte ouverte et sa maison seule, il pourrait être que quelqu’un qui lui voudrait du mal serait venu en son absence empoisonner son sel, mais elle ne soupçonne personne. Enfin, elle a été si touchée de cet accident là qu’elle a brullé sa saunière et n’a pas voulu la revoir.

Ajouxte qu’elle s’est trouvée en disant que son mari avait fait la soupe lorsqu’il partit et n’en fist point, il fricassa seulement deux carêmes prenant et manger de la viande avec ses enfants et ils sallèrent la viande qu’ils mangèrent avec le sel de la saunière...


Les témoins suivants ne seront cités que dans les éléments nouveaux qu'ils apportent au dossier.


Dédramatisons un peu


André Pillou, laboureur, fils d'André, de Juvigny, âgé de 20 ans

… quand Jean-Louis Bardou est parti pour aller travailer de son mettier, les eaux étaient grandes et pour lui épargner de faire un tour, il le passa dans sa barque le travers de la rivière. Sa femme le conduisait, ils parlèrent ensemble avant d'entrer dans la barque, s'embrassèrent puis ledit Bardou entré dans la barque lui dist : Adieu pour six ans.



Témoignage accablant


Jean Lecoeur, fils de Jean, plafonneur, de Juvigny, âgé de 30 ans

...La famille dudit Jean Louis a été aussy attaquée de la même maladie : un enfant âgé de dix-huit mois à deux ans qu'il avait, est mort, il était attaqué de la rifle. Cela laisse dans la paroisse des soupçons sur ledit Jean Louis Bardou, d'autant qu'il a entendu dire que ledit Jean Louis Bardou, étant à travailler à Alençon, avait voulu s'y marier mais le mariage fut empesché par un nommé Boscher qui est domestique dans une maison d'Alençon et qui est de Collandon et qui ayant entendu parler du mariage dist que le dit Bardou était de ses voisins qu'il avait femme et enfants.

Le déposant a encore entendu dire dans la paroisse que ledit Jean Louis Bardou disait que sur six enfants qui étaient chés lui, il n'y en avait que trois à lui.


Le réquisitoire du procureur


Le 25 février 1776, à la suite de cette enquête, le procureur du roi

-Requiert que le nommé Jean Louis Bardou, terrasseur et plafonneur de la paroisse de Juvigny, trouvé chargé par l'information soit décrétté de prise de corps, amené et constitué prisonnier des prisons de ce siège pour luy être fait son procès...

-Requiert également qu'il soit ordonne que l'enfant dudit Jean Louis agé de dix huit mois ou deux

ans mort depuis les effets connus du poison dont il s'agit, sera exhumé … pour procéder … à la visitte et ouverture dudit cadavre qui sera faitte par les médecin et chirurgien ordinaire pour sur leur rapport et le procès verbal qui sera dressé être ensuite requis ce qu'il appartiendra...


Autopsie d'un enfant


Le 20 mars 1776, l'exhumation a lieu. Dans le procès verbal le chirurgien et le médecin écrivent :

on a exhumé un enfant qui nous a paru âgé d'environ deux ans dont l'examen extérieur ne nous a fait apercevoir que les vestiges de cette maladie appelée vulgairement rifle, autrement ditte feu volage, et le degré de putréfaction qu'on doit s'attendre de rencontrer dans un cadavre après un mois d'inhumation. Ayant ensuite fait l'ouverture du thorax et de l'abdomen, avons trouvé dans leur état naturel tous les viscères... à l'exception de l'estomac auquel nous avons remarqué dans l'épaisseur des tuniques qui le composent une couleur rouge et inflammatoire accompagnée d'engorgement... Cet état de l'estomac qui est évidemment contre nature et qui, après la mort n'est qu'une faible image de celui où il a du être pendant les dernier moments qui l'ont précédée, ne permet pas de douter que ce viscère n'ait été attaquée d'une vive inflammation et nous ne faisons nulle difficulté d'affirmer que cette inflamation est la seule cause de mort de l'enfant. Mais quelle a été la cause de cette inflammation ?

Les médecins énumèrent alors une série de causes :

-toutes les maladies de peau (érésipèle, gale, dartres, etc..) qui peuvent produire l'inflammation de l'estomac quand elles se portent sur ce viscère,

-les poisons caustiques (arsenic, vert-de-gris, sublimé corrosif) qui outre l'inflammation qui produisent des taches violettes et gangreneuses.

-les médicaments trop actifs (purgatifs violents, substances alcalines), les aliments trop âcres, trop salés, trop épicés, les liqueurs fortes etc..

Ils concluent :

Vu que l'enfant avait une maladie cutanée.. dont la répercussion à l'intérieur est reconnue dangereuse par tous les gens de l'art, il est vraisemblable que l'humeur phorique se sera transporté sur l'estomac et l'aura enflammé.Pourquoi nous estimons que c'est à cette dernière cause plutôt qu'à toute autre qu'on doit attribuer l'inflammation qui a causé la mort de l'enfant.

Le verdict du tribunal manque malheureusement au dossier. Peut-être le retrouver-t-on quand le classement de fond sera terminé.

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NOTES :

1 AD61 4BP40 (cote provisoire)

2 Mis pour cuivre comme le montre la suite.

3 Exsudation sucrée qui coule de certains végétaux, que l’on utilise comme édulcorant ou comme laxatif.

4 poireaux

5 espérant


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« Il s’était cru un dieu, il n’était que diable »1.


Des trésors, petits ou grands, dorment dans les fonds d’archives. Il en est ainsi de la série B aux archives de l’Orne dont est extrait le dossier qui suit.


Historique des événements judiciaires

- Cette longue procédure judiciaire débute le 14 septembre 1715, quand Guillaume Martel, tisserand de Goulet (paroisse proche de Mongaroult) dépose une dénonciation du curé de Montgaroult, Louis Lemoigne, au tribunal de l’Officialité à Sées. Il devient la "partie" du curé, le procès peut commencer. Les faits s'enchaînent par la suite:

- le 4 octobre 1715, décrété de prise de corps, le curé est emprisonné dans les prisons de l’Officialité. Il est accusé d’avoir commis le péché de la chair avec nombre de ses paroissiennes depuis une vingtaine d’année au moins.

- le 28 septembre 1715 au 12 février 1716, Pierre Besnard curé de Saint Pierre de Sées, grand vicaire de l’évêque, promoteur de l’Officialité conduit l’information (enquête) en interrogeant 74 témoins.

- le 29 novembre 1716, Louis Lemoigne fait publier un monitoire pour faire appel à d’éventuels témoins à décharge.

- au cours de l’enquête, on découvre que les accusateurs réels (dits "parties secrètes") sont Nicolas et Christophe Lefebvre, père et oncle d’Élisabeth Lefebvre qui aurait été victime des agissements du curé de Montgaroult et de manœuvres abortives consécutives. Elle n’en meurt pas mais en perd momentanément la raison. Ainsi à l’accusation primordiale, s’ajoute des soupçons de sorcellerie (mais ce n’est plus un chef d’inculpation depuis 1682).

- le 5 février 1716, le pouvoir royal intervient formellement dans le dossier pour renvoyer l’affaire devant les tribunaux royaux.

- le 3 mars suivant, Louis Lemoine est transféré dans les prisons du bailliage d’Argentan.

- en juin 1716, on procède à son interrogatoire puis on le confronte aux témoignages recueillis. Il nie tout en bloc et surtout il attaque les témoins sur leur moralité dressant ainsi un tableau assez pittoresque de sa paroisse quelque peu différent de la peinture presque idyllique qu’il en a faite en 1701 lors de la venue de l’Évêque, Monseigneur d’Aquin.

- le 27 juillet 1716, après le désistement du premier accusateur, Guillaume Martel, un nommé Antoine Ouilly, d’Ecorches, prend le relais.

- enfin le 1er septembre 1716, la libération de Louis Lemoine est ordonnée par le tribunal d’Argentan.

- un procès pour calomnies commence contre les Lefebvre dont l’un est en fuite et l’autre emprisonné. Les pièces de ce procès semblent absentes des archives de la série B2.


Louis Lemoigne, portrait.

Louis Lemoigne a été baptisé à Argentan ( paroisse Saint-Martin) le 3 octobre 1655 fils de Jean et Jeanne Goupil qui ont eu au moins 7 enfants et se sont mariés avant 1640.Il est admis dans les ordres (tonsure à Sées le 4 septembre 1674 mais on ne trouve pas la trace de sa progression dans les ordres). En 1680, il est déjà curé de Montgaroult ainsi qu’on peut le constater dans les registres paroissiaux. Il y décède le 8 février 1721. Il est inhumé le même jour par le curé de Brévaux qui écrit "Louis Lemoigne curé de ce lieu après avoir fait avecque édification toutes fonctions ecclésiastiques pendant 40 ans, présence de plusieurs"3.

La famille Lemoigne apparaît comme de bonne bourgeoisie quand on considère les mariages des frères et sœurs de Louis. Ainsi Marie épouse François Delarue, écuyer, fils de François et Marie Dufour le 11 août 1706. Leur contrat de mariage prévoit une dot de 3000 livres cautionnée par le curé de Mongaroult. Sa sœur, Appoline, en 1667 n’aura pour dot "que" 1400 livres ce qui reste considérable pour l’époque. Il est apparenté par sa mère et ses sœurs à des familles nobles argentanaises. L’un de ses oncles, un Goupil, sera nommé à la perception de la capitation4. La famille Dufour fournit entre autres des magistrats. Il est donc probable que le curé dispose de quelques appuis à Argentan mais rien n’est certain.

Le curé semble aimer la fréquentation des nobles de sa paroisse qui se réunissent volontiers au presbytère pour y passer le temps à jouer5. Il se vante en 1701 d’avoir réussi à séparer les femmes des hommes dans l’église au cours des offices "ce qui m’a fait des ennemis". Les grosses dîmes vont à l’abbaye Saint André de Gouffern qui reverse 90 livres par an au curé. Ce dernier ne perçoit que les menues dîmes6. A ce propos, il existe un contentieux entre le curé et ses paroissiens au sujet de la dîme des agneaux7 que le curé exige et que ses ouailles refusent comme n’ayant jamais existé auparavant. Un jugement favorable au curé aurait eu lieu d’après ses dire.

Lui se voit comme "un bon pasteur". Ainsi, il tente de dissuader Louise Pichonnier d’épouser Laurent Fournier parce que c’était un veuf homme chargé d’enfants, au reste simple journalier et peu aisé. Un autre jour, il donne des avis salutaires à Gervais Des Moutis et lui avait fait reproche de ce qu’il retenait chez lui Barbe Oury avec laquelle on disait qu’il y avait eu scandale. Il rend régulièrement visite aux malades.


La paroisse de Montgaroult

Montgaroult est une petite paroisse située près d’Écouché, à quelques lieues d’Argentan. En 1701, elle compte 92 feux soit 280 communiants. A cette époque, on compte environ 15 naissances, 3 à 5 mariages et une dizaine de décès par an.

"Tous les habitants font leur devoir" écrit le curé. Il n’y a ni foire, ni taverne, ni cabaret, ni école. Il y a seulement des processions autour de l’église. Les enfants sont assidus au catéchisme mais pas les grandes personnes. Il n’y a pas de pauvre à l’exception d’un mendiant et de quelques honteux que le curé assiste. Une femme mariée est séparée de son mari sans cause légitime (mais l’évêque lui a interdit d’en parler)8.

Quelques nobles qui semblent assez peu aisés9 y demeurent : Gabriel de Droullin, écuyer, sieur du Tronquet et sa femme Marie Fortin10, Gervais des Moutis, écuyer11, le sieur Delarue12, écuyer, beau-frère du curé et François de Brossard, écuyer, sieur de Pommereux.

Dans l’enquête menée par l’officialité en 1715, on cite 73 témoins13 (38 femmes et 35 hommes). 48 sont originaires de Montgaroult, ils sont laboureurs (7), journaliers (7), marchands (5), maçons (5), fileuses (3), garde-chasse (3), tisserands (2), jardiniers (2), couvreurs (2), cordonnier, domestique et tailleur de pierres (1). On peut ajouter aux marchands Jacques et Christophe Lefevre qui se livrent au négoce des toiles tissées par les paroissiens de Montgaroult et des alentours. La consultation des inventaires après décès de la période 1700-172014 montre que les métiers à tisser sont répandus soit qu’ils soient destinés à faire de la toile soit utilisés à faire de la serge d’Écouché. Les matières utilisées semblent être le chanvre et la laine.

Dans l’enquête du bailliage, sont entendus 70 témoins (23 femmes et 47 hommes). 24 d’entre eux habitent Montgaroult : 11 journaliers, 6 laboureurs, 2 tisserands drapiers, 3 marchand et 1 maçon.

On note donc deux différences relativement importantes entre les deux enquêtes :

-le nombre de femmes

-le nombre d’habitants de Mongaroult.

Les femmes sont identifiées par leurs maris. A l’exception de quelques veuves ou filles, leur profession n’est pas précisée. Cependant des indices montrent qu’elles se livrent au teillage et filage du chanvre qui semble la plus grosse culture non-alimentaire de la paroisse. Les femmes citées comme ayant commis le péché de la chair avec le curé ne sont pas interrogées.

Les jeunes gens du commun, garçons et filles, commencent leur vie professionnelle fort tôt (avant 10 ans) comme domestiques chez les notables du lieu et des alentours (nobles, curés, marchands importants).

On parle peu des cultures et de l’élevage mais sont cités des chevaux, des vaches, des cochons, des brebis et leurs agneaux et des oies. Certains animaux nécessitent d’être gardés (les champs ne sont pas clos). Les jeunes filles semblent s’en charger.

Au fil des dépositions apparaissent les activités quotidiennes. Ainsi Anne Laurencel garde les vaches mais teille aussi du chanvre à la maison, Louis Leliepvre fait des liens pour les gerbes, Hector Lemoyne récolte des pois, Marie Blavette bat du grain dans une grange, Catherine, servante du sieur de la Rue, fricasse des pois au presbytère, Jacqueline Legrain cuit son pain chez sa voisine, une autre ramasse des pierres tombées d’une muraille, les notables jouent au presbytère tandis que leurs domestiques sont envoyés jouer aux quilles. Les femmes vont chercher de l’eau à la fontaine du village. Un voisin du curé cultive une plante abortive, le "savigny15", dans son jardin. Le curé en fait dérober nuitamment.

Les déplacements se font à pied pour le commun, parfois assez loin (Lisieux est cité). Les notables, leurs femmes et le curé se déplacent souvent à cheval.


Élisabeth Lefebvre

Ce personnage est à son corps défendant le prétexte de ce procès.

Élisabeth Lefèvre est nièce de Christophe et Nicolas, ses oncles, qui font commerce des toiles fabriquées à Montgaroult et aux alentours. Elle est orpheline et à la charge de ses oncles qui ont eu maille à partir avec le curé au sujet des dîmes d’agneaux et seront les instigateurs de la dénonciation comme on le verra plus loin.

Gilles Savary, aubergiste de la Croix Blanche à Mortrée la décrit comme comme "une jolie fille" d’environ 20 ans16, sa femme précise que c’est "une grande fille bien faite et fort propre".

En 1713, Élisabeth tombe gravement malade et perd la raison dans des circonstances assez particulières. Etant allée à confesse aux missionnaires d’Ecouché, "Lesdits missionnaires lui ordonnèrent d’aller à Sées et de donner advis aux sieurs grands vicaires des scandales, impudicités et débauches dudit sieur curé de Montgaroult, ce quelle fit. Après quoy, étant de retour chez elle, elle s’écria en demandant pardon à ses oncles de ce qu’elle les avoit offensés, ce qu’elle ne fit cependant qu’après avoir mangé un peu d’une soupe que ledit sieur curé lui présenta et qu’il avait fait apporter, ce qui fut fait à l’heure de midi, que sur le soir, elle dit qu’elle était morte, qu’elle priait ses oncles de faire prier dieu pour elle, que le dimanche suivant, sentant des douleurs dans le corps elle s’écria : Vengeance sur le coquin de curé, c’est un putassier, il a fait plus de cent enfants. Ce qu’elle répéta plusieurs fois nonobstant les défenses que ses oncles et tous les assistants lui en faisaient".

Selon son témoignage, une servante déclare avoir cueilli des herbes pour faire un lavement à Élisabeth Lefebvre mais que ce serait le curé qui le ferait, ce qu’il fit. "Si tôt qu’elle l’eut reçu, elle tomba dans une espèce de furie, se débattant et criant à haute voix, ayant pris un bouillon que ledit accusé (le curé) avait apporté lui même : scélérat de curé, sorcier de curé, villain curé, c’est toy qui m’as ensorcellée Son oncle lui dit alors : "Tais-toi méchante, tu joues à notre perte". Un autre témoin rapporte que Nicolas Lefevre lui dit que "le curé avait donné le mal à sa nièce et qu’il l’avait menée au devin qui avait ôté le mal et l’avait jeté sur le curé".

Environ huit ans plus tôt, "la nommée Élisabeth lefebvre dont l’esprit estoit fort sein alors dist à elle déposante que le sieur curé l’avoit sollicitée plusieurs fois de commetre avec luy le péché de chair, luy prometant de la marier et de luy faire sa fortune". Il semble qu’Élisabeth soit souvent embrassée par le curé dans l’église jusques sous le crucifix. Celui-ci avait alors voulu lui "donner un habit d’étamine, ce qui avait donné lieu au public de parler mal".

En 1715, le curé de Montgaroult explique qu’Élisabeth "ne mérite aucune attention vu qu’elle est folle et dépourvue de bon sens". Emmenée par ses oncles à Sées, le promoteur de l’Officialité la présente à l’Évêque :"Voilà une malheureuse qui est grosse pour le sieur curé de Mongaroult"17. Pourtant dans le monitoire qu’il fait publier quelques jours plus tard, Louis Lemoigne déclare : "mais depuis reconnaissant la fausseté de ce discours, elle en a demandé pardon au sieur curé en présence de personne religieuses et d’autres personnes d’honneur"18. En 1716, Élisabeth, accompagnée du vicaire de Montgaroult, tente discrètement de faire signer au curé de Sentilly une attestation qui reconnaît le sieur Lemoine pour "honnête homme".


Accusations et témoignages

Le procès à charge est instruit par le promoteur de l’Officialité à partir du 28 septembre 171519. Il est provoqué par la plainte en forme de dénonciation d’un nommé Guillaume Martel qui est donc "la partie" du curé. Tout au long du procès, il sera question de "la partie secrète" constituée par Nicolas et Christophe Lefevre qui sont dénoncés par Louis Lemoigne comme les véritables instigateurs de la dénonciation.


"Supplie humblement

Guillaume Martel, tessier de paroisse de Goulet et vous rend plainte contre maistre Louis Lemoyne, prestre curé de Mongaru disant que depuis plus de vingt ans ledit sieur Lemoyne mène une vie si licenciée et si scandaleuse qu’il est surprenant qu’il aye commis autant d’abominations et d’impudicités qu’il a fait depuis qu’il est curé sans qu’il se soit trouvé quelque personne zélée pour l’intérêt de Dieu et celuy de l’église qui en aye fait la dénonciation à messieurs ses supérieurs.

C’est pourquoy ledit Martel qui a connoissance de la mauvaise vie dudit sieur curé et qui scait qu’au mépris de la sainteté de son caractère et de son estat, il ne s’occupe que de crimes et d‘impudicités, a cru qu’il étoit de son devoir de vous dénoncer que ledit sieur curé de Mongaru a été trouvé plusieurs fois dans son église avec des filles et des femmes en des postures deshonnestes qui marquoient qu’il avoit dessein de commettre le péché de la chair avec elles…" La suite du texte décrit treize cas d’agression sexuelle mais sans nommer les femmes.

Les choses ne sont pas simple pour le dénonciateur : il est alors emprisonné pour un vol de grain qui aurait eu lieu 19 ans auparavant. Guillaume Martel se désiste de sa dénonciation le 14 avril 1716 et demande pardon au curé, le reconnaissant pour être un honnête homme, très bon pasteur et curé. Il est alors libéré. La dénonciation est aussitôt reprise par le sieur Anthoine Ouilly d’Ecorches neveu des Lefebvre marié à Jeanne Cheradame de Montgaroult20.

Les faits reprochés couvrent une longue période et remontent pour certains à plus de vingt ans en arrière.

Il semble que quinze ans auparavant il y eut "un long mémoire en forme de dénonciation faitte par plusieurs des parroissiens de Montgaroult contre ledit accusé où estoyent renfermés des faits graves". L’évêque de Sées d’alors, Monseigneur d’Aquin répondit "que du moment qu’il y auroit une party qu’il ne manqueroit pas d’agir et de faire entreprendre ledit sieur curé"21.

D’après les témoins, les reproches sont essentiellement d’ordre sexuel. Il est pris en flagrant délit avec plusieurs femmes dont Marie Leliepvre femme de Themin, Barbe Hardy femme de Jacques Aubé, Catherine Aubert femme de Denis Lorel et d’autres. Curieusement ces femmes ne sont pas interrogées. D’autres femmes témoignent qu’il aime voir les seins de ses paroissiennes et y mettre la main ainsi " il vouloit manier les tétons à la femme du nommé Belcour". Il souhaite recueillir "deux ou trois gouttes de lait" d’une autre qui croit que c’est "pour s’en servir à du sortilaige et pour luy faire du mal ainsy qu’il l’en avoit menassée".

Les témoignages sont parfois pittoresques comme celui d’un nommé Hierosme Fournier qui raconte qu’il y a douze ans, il a trouvé le curé "dans une masure sur le chemin du Mesnil Glaise avec la femme de Denis Lorel de ladite parroisse de Mongaroult en flagrant délit et commetant le péché de la chair. Il leur dist en passant : Courage, courage ! Que ledit sieur curé de Mongaroult et laditte femme, se trouvant surpris dans cette action brutalle, se levèrent aussytost et ledit sieur curé courut après une longueur de champ, qu’il le ramena en aproche du lieu où estoit encore laditte femme et là le prièrent d’en garder le secret luy promettant pour cet effect ladite femme un pot de beurre qu’elle luy donna aussytost et ledit sieur curé de luy rendre une obligation de dix livres qu’il avoit sur luy et de luy faire pendant sa vie durante quatre livres de rente ce que n’exécuta pas ponctuellement ledit sieur curé". Le témoin tente de négocier mais décède avant de faire aboutir ses revendications.

Il s’ajoute à cela des pratiques douteuses pour soigner les animaux et les hommes. Ainsi il soigne Charlotte Macé qui est malade du poumon et languissante. Il déclare qu’elle ne souffre point "le mal de la mort" ce n’est que "mal l’amour" ou "mal des filles" et déclare à son père qu’elle est plus saine que lui et qu’il trouverait le moyen de la guérir "qu’il ne falloit … que luy maygner le ventre pendant plusieurs matins mais qu’il falloit que ce fust luy qui mist sa main sur le ventre de laditte fille, ce à quoy consenti le père de ladite fille et qu’en effect, ledit sieur curé vint deux matins qu’au lieu de maigner seullement le ventre de laditte malade, il luy maignoit les parties honteuses, ce qui fist tant de peine à cette jeune mallade qu’elle en donna avis à son père et à la déposante, leur disant de ne point faire revenir ledit sieur curé une autre fois, … ce qu’entendant ledit Gilles Macé dist au sieur curé qui estoit revenu pour faire la mesme opération qu’il n’eust plus à revenir, que sa fille n’avoit pas besoin de ses remèdes, qu’elle n’avoit que faire de ses attouchements de ventre qui les croyoit très inutiles à sa fille qui effectivement mourut trois jours après".

Il est même accusé de se livrer à des pratiques abortives. La sorcellerie est alors évoquée bien que n’étant plus depuis peu (1682) une cause de poursuites. Le curé lui-même utilise cette accusation contre ses adversaires, l’un d’eux aurait eu "des secrets de sortilège dont il se servit un jour dans la prairie de Lizieux et se fist suivre par plus de quatre mil moutons". Les soins qu’il prodigue aux malades semblent avoir parfois l’effet inverse et encouragent le soupçon de sorcellerie. Marguerite Bisson femme de Noël Fournier dont le mari est malade affirme que depuis que le sieur curé l’a entendu en confession sa santé a empiré et il a "ressenti de plus grandes douleurs comme s’il avait eu un cent de chats dans le ventre". À un laboureur qui lui pose la question de savoir s’il y a des secrets pour soigner les aujures22 des chevaux il répond que c’était mal et qu’il ne faut pas le faire mais que lui, curé, savait d’autres secrets comme nouer l’aiguilette23.

Pour convaincre ses paroissiennes de lui donner ce qu’elles donnent à leur mari, le curé utilise beaucoup le confessionnal. À une jeune fille, il dit que c’est une bagatelle et un petit divertissement et que si elle consent il la marierait. A une autre, il déclare qu’elle ne risque rien car il est avec une autre depuis six mois et qu’elle n’est pas devenue grosse. A court d’argument, il menace et fait augmenter les impôts du mari par son oncle le sieur de la Porte Goupil. À une autre, il propose un rendez-vous à l’auberge des Trois Marie d’Argentan pour annuler la dette de son mari.

À une femme de Sentilly qu’il tente de séduire et qui refuse ses avances en prétextant qu’elle ne saurait confesser sa faute à son curé, il lui répond : "Venez à confesse à moi, je vous en donnerai l’absolution". Cela ne fonctionne pas toujours : "Il vaudrait mieux avoir affaire à un régiment de soldats que de s’abandonner à un prestre" dit l’une des paroissiennes.

Tous les moyens lui semblent bons : vers 1708, il soigne le nourrisson de Jeanne Cheradame en le couchant sur l’autel de Sainte Anne et en lui lisant l’évangile, cérémonie qui n’est pas gratuite, mais le curé ajoute "Venez encore une autre fois, je dirai une messe à votre enfant. N’apportez point d’argent, je vous la dirai pour rien mais n’apportez point avec vous de corset".

En désespoir de cause, il se livre à l’agression. Vers 1690, "Anne Laurencel s’en revint toute éplorée chez elle où étant elle dit à sa mère, son père, son frère et à toute sa famille qu’elle ne voulaiit plus aller en champs garder ses vaches, que le sieur curé y allait pour la trouver pour la forcer de pécher avec lui". Il lui donna même une bague d’argent. "Un autre jour le sieur curé alla trouver ladite Laurencel croyant qu’elle était seulle, la trouva auprès de son feu feu qui teillait du chanvre et l’ayant prise entre ses bras, il la porta sur un lit pour pécher avec elle, ce que voyant elle cria à haute voix : A moy. Laquelle voix ayant été entendue de son père et d’un frère qui étaient alors dans un autre appartement de leur maison, ils accoururent et prirent le sieur curé et feignirent de vouloir le châtrer quoique en effet, ils ne lui donnèrent aucuns coups voulant seulement lui donner de la confusion".

Certaines femmes demeurent intraitables : Louise Robine, veuve, déclare qu’elle "aimait mieux mourir de faim et souffrir même les fagots que de consentir à ses mauvais desseins et tomber dans le crime avec lui".

Enfin, il faut remarquer que les femmes présumées coupables d’avoir commis "le péché de la chair" avec le curé ne sont pas citées à comparaître.

Un autre événement est évoqué dans ce dossier mais ne fait pas l’objet d’une accusation formelle. Simon Lemesnager, 70 ans, raconte qu’"il y a viron vingt deux ans que travaillant de son métier de maçon, qu’il exerceoit alors, à faire une muraille à la laverie du presbitaire de Montgaroult et faisant un fondement pour refaire laditte muraille, il tomba des terres du coté dedans qui découvrirent le corps d’un enfant qu’on y avoit mis quelques années auparavant, ne sçait le déposant précisément depuis quel temps". Gervais De Moutis ajoute avec désinvolture : "il y a viron vingt deux ans qu’estant à jouer à la beste au presbitaire de Montgaroult avec le sieur curé du lieu et quelques autres gentilhommes et autres, un nommé Simon Lemesnager qui avoit esté occupé à refaire le gable d’une lavenderie dudit presbitaire, entra dans la salle où ils estoient et leur dist par deux fois qu’il les prioit de passer de l’autre costé afin de voir ce qu’il avoit retiré d’un lieu proche de la muraille, qu’alors ils sortirent et virent le squelette d’un petit enfant étendu sur la terre du costé du jardin, ce que ayant veu ils rentrèrent dans la salle pour y continuer leur jeu ".


La défense de Louis Lemoigne


Très tôt, dès le 29 novembre 1715, il s’emploie à se défendre. Du fond de sa prison sagienne, il réussit à faire publier un monitoire en sa faveur. Sa défense est simple : il nie tout. Confronté aux témoignages, il récuse24 ses accusateurs nous permettant ainsi de jeter un coup d’oeil sur la vie réelle ou supposée de ses ouailles.

- certains sont liés aux accusateurs par des liens de famille ou de travail (tisserand pour les Lefevre, marchands) donc leur témoignage est irrecevable ;

- Marie Fortin vend du cidre, poiré, viande et poisson aux paysans. Le fils ainé de la même s’est livré au faux-saunage et fut sauvé par le frère de sa mère, directeur des Gabelles d’Alençon. Ce faisant elle déroge à sa condition de noble ;

- Gervais de Moutis a fait l’objet de reproche de Louis Lemoine en sa qualité de pasteur car il retenait chez lui la nommée Barbe Oury ;

- Guy Dudouit se défend d’être mendiant même s’il a reçu quelques charités de plusieurs ecclésiastiques et personnes de qualité. "Il est bien vrai qu’ayant un jour trouvé dans son jardin une oie qui luy faisait du dommage, il la tua par un mouvement de colère" mais il la rendit à son propriétaire ;

- Marie Lelièvre se défend d’être mendiante et de n’avoir rien dérobé :

- Joseph Legrain n’est point un voleur, il n’a aucun secret de magie et sortilège. (Selon le curé, il aurait dérobé plus de 4000 moutons par magie à Lisieux) ;

- Jacques Sauvage, son domestique, âgé de 10-11 ans lors des faits allégués, dans un âge si jeune "n’était point en état de remarquer ce qui a été rapporté" ;

- Certaines paroissiennes mènent une mauvaise vie :

- Anne Laurencel a eu trois enfants avant d’être mariée ;

- Jacqueline Legrain a eu trois enfants sans être mariée il y a plus de 18 ans. Elle fut arrêtée par les archers du sel mais elle sortit de prison sans aucune infamie, les archers n’ayant pas trouvé de sel ;

- Madeleine Desvaux mène une vie déréglée et scandaleuse. Elle a une liaison particulière avec le sieur de la Motte de Vaux, se donnant rendez-vous dans une pièce de terre plantée en seigle ;

- On découvre une pratique curieuse : lorsqu’une fille devient "grosse" sans mari, la communauté, avec le curé, tente de trouver un père à l’enfant : cela s’appelle "donner" l’enfant. "L’heureux récipiendaire" apparaît alors dans le registre paroissial (il devra alors assurer les frais de l’entretien de l’enfant).

Sur l’affaire des ossements retrouvés dans le mur du presbytère, Louis Lemoigne explique qu’on ne pouvait distinguer si c’étaient des ossements d’animal ou de petit enfant. De plus "on n’en peut tirer aucune conséquence la chose estant périmée et s’estant passée dès auparavant l’année mil six cens quatre vingt."


Extrait du monitoire du 29 novembre25

A l’encontre de certains quidams malfacteurs et malfactrices, lesquels ne craignant d’offenser dieu ni leur prochain, aurayent en haine d’un procès que ledit sieur curé aurait eu contre eux pour les obliger à lui payer certaine dîme depuis plusieurs années. Lesdits malfacteurs, complices et adhérents auraient concerté entre eux de le perdre à quelque prix que ce soit, et ne voudraient le déposer.

- Contre ceux et celles qui ont connaissance que lesdits malfacteurs et adhérents ont esté plusieurs fois en la ville de Sées pour dénoncer ledit sieur curé de Mongaroult à messieurs de l’officialité, sans se vouloir rendre partie menaçant même lesdits sieurs officiers s’il ne se voulaient pas rendre partie qu’ils les y seraient obliger, et ne voudraient déposer.

- Contre ceux et celles qui ont connaissance que ledit dénonciateur est un homme qui travaille journellement à faire toile pour lesdits malfacteurs pour gagner sa vie et qu’il est un homme de mauvaise réputation, et ne voudrayent le déposer.

- Et généralement contre ceux et celles qui, desdits faits, circonstances et dépendance ont vu, su, connu, entendu, oui-dire ou aperçu aucunes choses qu’ils aient à le déclarer sous peine d’excommunication.


70 témoignages essentiellement à décharge sont consécutifs à la publication. Ces témoins sont majoritairement des hommes (47 sur 70) et seulement 24 résident à Montgaroult. Quelques-uns ont déjà témoigné lors de la première enquête.

Sans surprise, ces témoignages corroborent pour l’essentiel ceux du curé et les amplifient. Nicolas Lefebvre est leur cible principale.

Catherine Mérie, 68e témoin de la première enquête, femme de Guillaume Martel, "partie" contre le curé confirme son précédent témoignage : elle a entendu chez elle, plusieurs fois, solliciter son homme d’être le dénonciateur du curé. Elle a entendu dire à son mari qu’il n’avait aucune connaissance des crimes imputés au curé.

D’autres témoins affirment qu’ils ont été sollicités pour témoigner contre le curé de Montgaroult. Il leur aurait été proposé une rétribution. Sur le chemin de Sées, à Montmerrei, Suzanne Mauban vit trois hommes, l’un d’eux dit qu’il allait porter vingt témoins à Sées et qu’il lui en coûtait déjà 800 livres.

Guillaume Martel n’est pas oublié. Ainsi François Cheradame de Goulet déclare avoir bonne connaissance de "quantité de friponneries, de vols de bois et de dîmes dans la paroisse de Goulet". Déposition confirmée par Jacques Lemière aussi de Goulet. Il a vu "plusieurs fois Guillaume Martel voler du grain dans les champs du sieur Longchamp Saint Michel, l’a pareillement veu émonder et volé les posgnes26 après les avoir coupés des arbres de François Chamballu, l’a vu pareillement éclater les troncs et branches d’arbres fruitiers et les emporter, l’a vu aussi volé l’herbe et foins dans les prés de Goullet, l’a pareillement vu prendre des pierres des murs de plusieurs particuliers pour faire sa maison, l’a encore vu revenant de Fontenay chargé d’un fagot de galles à faire des lattes sur sa maison, l’a aussi vu emporter des pommes pleins ses poches et sa chemise".

La plupart des témoins rapportent seulement des ouï-dire déjà connus en insistant que ce ne sont là que des on-dit.

Guillaume Martel et Christophe Lefebvre sont emprisonnés au cours du procès tandis que Nicolas Lefebvre est en fuite mais les pièces de leur procès semblent manquer.


En guise de conclusion

Saurons-nous jamais le fin mot de cette histoire ? Chacun conclura à sa façon s’il le souhaite.

Ce qui importe, c’est que les faits relatés qu’ils soient réels, dénaturés ou imaginaires, donnent un bref aperçu de la vie quotidienne d’un village et des croyances qui le traversent en ce tout début de la Régence.



Annexes :

1-Le second interrogatoire de Louis Lemoigne27

Le 3 juin 1716, prisonnier à Argentan

J28 - Interrogé de son nom, surnom, aage, qualité, profession religion et demeure.

A - Il s’appelle Louis Lemoine, prêtre, curé de Montgaroult, aagé d’environ soixante ans, fait profession de la religion catholique, apostolique et romaine et dira véritté.

J- Interrogé s’il est vray qu’il a esté aperçu par Jacques Sauvage, dit Chamfremy,son domestique, en flagrant délit avec Marie Lelièvre femme de Thomas Themin dans une salle verte en son jardin et qu’il a solicité Louise Robine à l’aymer ou au moins à luy donner sa fille.

A- A répondu qu’avant de répondre au présent interrogatoire qu’l ne connoist point ledit Anthoine Ouilly à la requeste duquel il est poursuivy en ladite officialité que ledit Ouilly n’est point de laparoisse de Montgaroult qu’il a été suscité pat Nicolas et Chrisstophe Lefebvre, frères, ses parties secrètes dont il a épousé la niepce et que s’il répond au présent interrogatoire ce n’est que pour satisfaire à justice sauf préjudice de l’apel qu’il a interjetté. Et répondant adit que le contenu au présent interrogatoire est faux et suposé sy vray que ledit Sauvage n’a point déposé sur les monitoires déposés dans ladite paroisse et dans le temps qu’il estoitt son domestique, il n’estoit aagé que de dix à unze ans et que dans un aage sy jeune il n’estoit point en estat de remarquer ce qui a esté rapporté au procès, quIl est persuadé que ledit Sauvage en donnera le démenty à ceux qui l’ont fait parler au procès, pourquoy demande qu’il soit entendu29.

J – Interrogé s’il est pas vray qu’il fist un jour quelques propositions deshonnêtes et solicita une femme au pesché la nommée Barbe Gondouin, lesquelles solicitations il luy réitéra au confessionnal ?

A- A répondu que le contenu au présent interrogatoire est absolument faux en touttes ses circonstances ainsy qu’il s’en est déjà expliqué dans son précédent interrogatoire.

J- Inerrogé s’il est vrai qu’un jour Simon Lemesnager et Guy Dudouit, maçons, estant occupés à refaire le gable de la lavenderie du presbitaire de Montgaroult, ils aperçurent l’esquelette d’un petit enfant qua avoit esté enterré proche ledit gable du costé du jardin et que lesdits maçons advertirent l’accusé et un gentilhomme qui jouoit avec luy de venir voir ladite esquelette.

A – A répondu qu’il est bien vray qu’estant un jour jouer à la beste avec le sieur des Moutis, le sieur Delarue et un troisième dont il ne se souvient pas du nom, ils furent advertis par lesdits Mesnager et Dudouit, maçons, qu’ils venoient de trouver quelques ossements qui ressembloient estre ceux d’un petit enfans, qu’alors ils y allèrent tous et qu’après avoir considéré attentivement lesdits ossements s’ils estoient d’un petit enfant ou d’un animal, estant déjà fortement consommé et s’en allaient en poussière, qu’ils estoient tous détachés les uns des autres et que le plus gros des ossements n’estoit que comme un tuyeau d’un pigeon à l’exception d’un qui estoit de la grandeur d’une pièce de cent sols et qui paroissoit estre la partie d’un crasne, que les maçons leur affirmèrent que les ossements avoient esté trouvés sous une pierre qui fait partie du fondement de la muraille qu’ils démolissoient, laquelle pierre faisoit le coing de la muraille démolie.

L’accusé a dit n’avoir répondu que pour satisfaire à justice et sans aucune obligation de sa part vu que ce chef sur quoy il est interrogé n’est point renfermé ny contenu dans la plainte rendue contre luy ny dans les monitoires publiés en conséquence et qu’e s’il se trouve des tesmoins qui est déposés quelque chose touchant le fait contre luy accusé se sont des tesmoins qui se sont produits d’eux-même à la déposition desquels on ne doit faire aucune attention, que quand mesme la chose seroit vraye, comme on n’en peut tirer aucune conséquence la chose estant périmée et s’estant passée des auparavant l’anne mil six cens quatre vingt.

J – Interrogé s’il est vrai qu’il a engagé quelques personnes d’aller nuitamment dans un jardin voisin du presbitaire de Montgaroult et de passer par dessus les murailles dudit jardin pour prendre du savigny aux fins de procurer l’advortement à une personne du sexe que l’accusé auroit abusée et que ledit savigny n’ayant pas eu le succès qu’il en espéroit, ladite personne devint grosse et qu’après ses couches, l’accusé voullut faire donner ledit enfans à un particulier alors domestique d’un gentilhomme de sa paroisse.

A – A répondu que le contenu au présent interrogatoire est absolument faux et supposé, qu’il est bien vray que la nommée Anne Leroy devenue grosse des œuvres du sieur Delarue, escuyer, il y a viron vingt cinq ans et baptisé sous le nom dudit sieur Delarue au mois de novembre 1694. Il n’a point voullu faire donner l’enfans audit particulier.

J- Interrogé s’il n’est pas vrai qu’estant entre dans une maison d’une ferme de sa paroisse il trouva une fille qui estoit auprès de son feu et la croyant selle il l’embrassa, la jetta sur son lict et voulut pécher avec elle, ce qu’il auroit fait s’il n’estoit entré quelques personnes dans la maison qui l’en empeschèrent

A- A répondu que le contenu au présent interrogatoire est faux ainsy qu’il s’en est expliqué dans son précédent interrogatoire auquel il s’arreste.

J- Interrogé s’il n’est pas vrai que quoique il eust receu plusieurs rebuffades d’une femme mariée à cause des pressantes solicitations qu’il luy faisoit de pécher avec elle, il ne saissa pas de luy mettre la main dans le sein et de luy marquer par ses attouchements ses désirs impudiques ce qui obligea ladite femme de luy dire qu’il estoit indigne de son ministaire et quelle n’iroit plus jamais à confesse à luy.

A- A répondu que cet interrogatoire est faux et suposé et une calomnie des plus noires qu’il n’a jamais sollicté ny femmes ny filles au péché deshonnestes, qu’il n’en a jamais eu mesme la pensée.


2- Le monitoire de Louis Lemoigne

A l’encontre de certains quidans malfacteurs et malfactrices, lesquels ne craignants d’offencé dieu ny leur prochain, auroyent en hayne d’un procès que ledit sieur curé auroit eu contre eux pour les obliger à luy payer certaine dixme depuis plusieurs années. Lesdits malfacteurs, complices et adhérants auroyent conserté entr’eux de le perdre à quelque prix que ce soit, et ne voudroyent le déposer.

- Contre ceux et celles qui ont connoissance que lesdits malfacteurs et adhérants ont esté plusieurs fois en la ville de Sées pour dénoncer ledit sieur curé de Mongaroult à messieurs de l’officialité, sans se vouloir rendre partye menassant mesme lesdits sieurs officiers s’il ne se vouloyent pas rendre partie qu’ils les y seroyent obliger, et ne voudroyent déposer.

- Contre ceux et celles qui ont connoissance que lesdits malfacteurs ont sollicité un particulier de Fontenay de se rendre dénonciateur contre ledit sieur curé aux offres de luy fournir une somme considérable ce qu’il n’a voulu faire, et ne voudroyent déposer.

- Contre ceux et celles qui ont connoissance que lesdits malfacteurs et adhérants ont gaigné par argent une certaine personne pour se rendre partye et dénonciateur contre ledit sieur curé, et ne voudroyent déposer.

- Contre ceux et celles qui ont connoissance que lesdits malfacteurs et adhérants sont allés de maisons en maisons chercher et solliciter des personnes de touttes aages et sexe de déposer des choses fausses contre ledit sieur curé, et ne voudroyent le déposer.

- Contre ceux et celles qui ont connoissance que lesdits malfacteurs et adhérants ont mené et conduit par plusieurs fois le dit dénonc[iateur] en la ville de Sées et l’ont présenté auxdits officiers et promoteurs pour le faire recevoir dénonciateur, et ne voudroyent le déposer.

- Contre ceux et celles qui ont connoissance que ledit dénonciateur est un homme qui travaille journellement à faire toille pour lesdits malfacteurs pour gaigner sa vie et qu’il est un homme de mauvaise réputation, et ne voudroyent le déposer.

- Contre ceux et celles qui ont connoissance des vols que ledit dénonciateur a fait tant de nuit que de jour en ladite parroisse et nottamment dans la maison de Gilles Petit aux années précédentes, et ne voudroyent le déposer.

- Contre ceux et celles qui ont connoissance et seroyent porteurs de billets ou reconnoissance dudit dénonciateur f’avoir commis lesdits vols, ne les voudroyent représenter les ayants rendus publiqus et les montran à plusieurs personnes et gens digne de foy, et ne voudroyent le déposer.

- Contre ceux et celles qui ont connoissance que lesdits malfacteurs et adhérants ont offert de l’argent à plusieurs personnes pour déposer qu’ils auroient veu ledit sieur curé comettre le péché de la chair avec des filles dans l’églize de Mongaroult nottamment à un particulier d’Ecouché auquel ils luy offrirent cent sols disant que ce ne seroit que le denier à dieu s’ils vouloyent le faire, et ne voudroyent le déposer.

- Contre ledit particulier d’Ecouché et ceux et celles auxquels il a dit audit lieu d’Ecouché la proposition qui luy avoit esté [faite] et dit qu’il avoit refusé lesdits cents sols qu’il n’avoit qu’un âme à sauver et qu’il avoit eu mal à l’esthomath d’avoir veu et commis la fauvaise foy desdits malfacteurs , et ne voudroient le déposer.

- Contre lesdits malfacteurs et adhérents et ceux et celles qui l’auront entendu dire que s’ils n’avoyent pas de tesmoin assez pour déposer à leur mode, ils en feroyent plus de dix contre le bougre de sorcier, parlant dudit sieur curé, et ne voudroyent le déposer.

- Contre ceux et celles qui ont connoissance que la femme dudit dénonciateur auroit, il y a environ la fête de la Toussaint dernière, assommé dans le four à baon de Goulet, la femme de Jean Fournier, de coups dont elle mourut peu de jours après. Il s’ensuivit un accomodement fait avec ledit dénonciateur et ledit Fournier pour justifier que ledit dénonciateur et sa femme sont gens de mauvaise vie et réputation, capable de tout entreprendre sans crainte la justice ny l’impudi[cité] de leurs crimes, et ne voudroyent le déposer.30

- Contre ceux et celles qui ont connoissance qu’un desdits malfacteurs auroit ….. en personne tous les exploits faits sous le nom dudit dénonciateur aux tesmoins qui ont esté entendus en laditte ville de Sées, lesquels il auroit exorté d’aller diligemment audit lieu de Sées et de bien déposer pour tirer de prison un des malfacteurs que le bougre de curé y auroit fait mettre. Lesdits tesmoints estant encor encouragés par la femme d’un des malfacteurs ou adhérants en leur disant : "Il faut bien mieux perdre un curé dont on ne manque pas que deux bons jabitants qui payent bien la taille à la parroisse", et ne voudroyent le déposer.

- Contre ceux et celles qui ont connoissance qu’au moment de ce discours entendirent une voye qui dist : " Dame nous voilà bien instruicts, tous il nous faut bien prendre garde de rien dire contre lesdits malfacteurs mais il faut toujours bien charger et déposer contre le curé", et ne voudroyent le déposer.

- Contre ceux et celles qui ont connoissance que ce n’estoit point ledit dénonciateur qui payoit les tesmoints de leur taxe mais bien un des adhérants desdits malfacteurs qui alloit quérir l’argent dans une certaine maison de Sées où estoit enfermé un desdits malfacteurs qui fournissoit les sommes tant pour le payement des tesmoints que pour les autres diligences, et ne voudroyent le déposer.

- Contre ceux et celles qui ont connoissance que lesdits malfacteurs et adhérants sont allés dans plusieurs maisons de Mongaroult sollicité fortement des personnes de déposer qu’ils avoient veu ledit sieur curé commettre le péché de la chair avec des filles dans l’église et qu’il les avoit sollicitées au mal dans le confessionnal, et ne voudroyent le déposer.

- Contre ceux et celles qui ont connoissance que lesdits malfacteurs ont obligé par menaces et mauvais traitements une de leur nnièpce de dire plusieurs calomnies contre l’honneur et la réputation dudit sieur curé et qu’il l’avoit sollicité au mal dans le confessionnal, ce que laditte fille ayant fait mais depuis reconnoissant la fausseté de ce discours, elle en auroit demandé pardon audit sieur curé [en] présence de personne religieuses et d’autres personnes d’honneur et que les choses luy avoient esté sugerée par ledit malfacteur et jettée hors de la maison sans luy avoir voulu payer les services, et ne voudroyent le déposer.

- Et généralement contre ceux et celles qui, desdits faits, circonstances et dépendance ont veu, seu, connu, entendu, ouy-dire ou aperçu aucunes choses qu’ils ayent à le déclarer sous peine d’excommunication.


3 - Tableau des témoins de l’Officialité

Voir ci-dessous

_______________

Notes :

1 Propos tenus par la veuve des Rinceaux, citée par un témoin

2 Cotes : 4BP1, 4BP2 et 1G1111 soit plus de 1400 pages manuscrites.

3 Cela semble trancher sur les inhumations d’autres curés de la région qui se font avec "un grand concours de peuple".

4 Impôt créé en 1695 par Louis XIV qui répartit la population en 22 classes.

5 Notamment à la "Beste", probablement un jeu de carte.

6 Menues dîmes : par opposition aux grosses dîmes qui portent notamment sur les principales céréales

7 Dîme des agneaux : elle porte sur les agneaux mais de quelle façon ?

8 AD61 1G1111, Enquête de 1701 .

9 D’après les contrats de mariages connus.

10 Mariés à Caen le 9/3/1693, il est seigneur de Mesnil-Glaise

11 Marié avec Madeleine Sauvage le 1/7/1696 à Montreuil-la-Cambe. Le contrat de mariage indique l’apport de l’épouse : ses biens(?) et 50 livres de rente.

12 Personnage cité dans le portrait du curé.

13 Voir la liste en annexe.

14 AD61 notariat d’Écouché

15 Savigny : probablement la "sabine" ou "genévrier sabine" Juniperus sabina plante hautement toxique utilisée pour les avortements. J’en ai trouvé d’autres mention dans le bailliage de Domfront par exemple.

16 Probablement un peu plus âgée au vu de la suite.

17 AD61 4BP, 27 avril 1716, supplique de Louis Lemoine au bailly d’Alençon. C’est la seule mention d’une grossesse d’Élisabeth Lefèvre. On ne trouve pas de naissance correspondante à Montgaroult et aux environs.

18 AD61 4BP, 27 avril 1716, supplique de Louis Lemoine au bailly d’Alençon

19 Ce dernier hésite car il a une autre affaire contre le sieur Maquarty, curé de Montreuil, détenu dans la prison de l’officialité, encore plus grave qui l’occupe. Peut-être trouverai-je des compléments aux archives diocésaines quand je pourrai les consulter?

20 Le procès ne saurait se poursuivre en l’absence d’une "partie".

21Témoignage de François de Brossard, écuyer sieur de Pommereux.

22 Peut-être la gourme du cheval

23 Nouer l’aiguilette : rendre un homme impuissant

24 "Il reproche" est le terme utilisé à l’époque.

25 Lettre lue au prône pendant trois dimanches ou fêtes pour obliger, sous peine d’excommunication, tous ceux qui ont connaissance d’un crime ou d’un fait qu’on cherche à éclaircir, à venir révéler ce qu’ils savent. En Normandie, la demande en est faite devant un tribunal civil qui l’approuve et la transmet au tribunal religieux qui l’expédie aux curés des paroisses concernées. On trouvera le texte complet de ce monitoire en annexe.

26 Pour trogne : arbre têtard

27 Transcription partielle

28 J= juge, A= accusé

29 Ce qui ne semble pas avoir été fait.

30 Aucun témoignage ne fait allusion à cette accusation.


témoins_de_montgaroult.xls

État des témoins de l'Officialité

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An XI - Acquittement pour un vol de clou à Chanu

On trouvera ci-dessous le texte complet du jugement.

16 germinal an 11e

Gilles Dugué

acquitté


Vu par le tribunal criminel du département de l’Orne, séant en la ville d’Alançon, l’acte d’accusation dressé contre Gilles Dugué, cloutier, âgé de quarante-quatre ans, demeurant en la commune de Tinchebray, taille d’un mètre cinq cent soixante et onze millimètres, cheveux, sourcils et barbe châtains, les yeux roux, nez moyen, bouche moyenne, menton rond, front découvert, visage ovale & autre, par le substitut, magistrat de sûreté pour l’arrondissement de Domfront dont la teneur suit :

Le substitut du commissaire du gouvernement prèz le tribunal criminel du département de l’Orne, pour l’arrondissement de Domfront, chargé par l’article vingt de la loi du sept pluviôse an neuf de dresser les actes d’accusation, expose que le vingt un brumaire dernier, le citoyen Roger Hergault, cloutier de la commune de Chanu, rendit plainte devant le juge de paix de Tinchebray, de ce que dans la nuit du quatre au cinq du même mois, des malfaiteurs, après avoir cassé un verre dormant qui était à sa boutique et en avoir forcé la barre de la porte, s’y étoient introduits et lui avoient volé environ vingt-cinq kilogrammes de clous à cheval et pris tenailles, marteaux et fer prêt à ouvrages jusqu’à concurrence de vingt kilogrammes ; que quelques jours après, les auteurs du vol craignant d’être découverts, reportèrent dans la pièce1 de Gabriel Onfray une partie des effets volés, que Gilles Dugué est soupçonné d’être le coupable en ce que venant échanger des liens2 de fer chez le citoyen Larue, il s’en est trouvé des bouts de fer droit à lui appartenant, pourquoi il demande qu’il soit informé3. Telle est la nature de la plainte annexée au présent sur laquelle va reposer le présent acte d’accusation.

Le procès-verbal du juge de paix, annexé au présent, porte que s’étant transporté sur les lieux et étant entré dans dans la boutique du citoyen Hergault, il a reconnu qu’au côté d’icelle, au couchant, il existait un verre dormant qui a été fracturé, que la porte ne fermait qu’au moyen d’une barre de fer plain sous le bout de la serrure et que le citoyen Hergault lui dit que lorsqu’il vint à sa boutique le matin, il trouva la porte ouverte en entier et la barre tombée en travers sur le seuil. Il ajouta que s’étant livré chez le citoyen Delarue de fer pour convertir en clous, il en a reconnu pour être celui qui lui avait été pris.

Les pièces à conviction sont déposées sur le bureau.

Nanti des premiers renseignements, le ministère public a d’abord conclu à ce qu’une commission rogatoire fut décernée au juge de paix de Tinchebray afin de procéder à l’audition des témoins indiqués.

De cette information, il est d’abord résulté que les clous trouvés chez le citoyen Aubert lui ont été vendus par le nommé Avisse, serrurier à Tinchebray. Celui-ci interrogé sur ce fait en est convenu mais à persister à ne pas faire connoitre à justice les personnes qui les luui avoient vendu, déclarant cependant qu’il les avoit achetés d’une femme à luis inconnue et couverte d’un capot : ce sont les seuls griefs qui s’ét…. sur le nommé Avisse et qui ont déterminé le substitut à lancer un mandat de dépôt contre lui.

Relativement à Dugué, plusieurs dépositions ont plus ou moins de rapport avec le délit en question. La première est celle de Charles Auvray : il déclare que le dimanche seize brumaire, s’entretenant avec Dugué fils du vol commis chez Hergault, le fils Dugué lui répartit qu’il n’en parlerai pas à son père parce que s’il était bu4, il en arriverait de la mort. La déposition de Hardouin est la même. Ces premières menaces, cette manière d’intimider ont fait naître des soupçons.

A leur appuy, le citoyen Hardy dépose avoir entendu le fils Dugué dire à son père qu’il vallait mieux perdre une balle5 de fer que d’avoir du bruit, à quoi le père répartit qu’il irait toujours tête levée. L’épouse du citoyen Huard rapporte la même chose, comme la tenant de la femme Hardy, ajoutant de plus que le père Dugué répondit qu’il n’en arriverait pas de mal. Ces deux circonstances ont quelque affinité avec le délit en ce sens que, lorsqu’il est question d’un vol, on ne peut supposer ou de restitution ou de compensation sans l’interpréter contre celui qui restitue ou compense, surtout quand il sçait que les soupçons le désignent comme auteur du vol. La déposition du citoyen Huard est conforme à celle de son épouse.

Mais une déposition qui paroit particulièrement atteindre & charger le père Dugué, c’est celle du citoyen Pierre Larue marchand de fer à Chanu, elle est d’autant plus essentielle qu’elle concorde avec les faits articulés dans la plainte du citoyen Hergault.

Le citoyen Delarue déclare que postérieurement au délit de clous et de fer chez le citoyen Hergault, le père Dugué qui avait coutume de venir chez lui échanger des liens, lui rapporta parmi ces liens des verges de fer de la longueur de deux à trois liens. Ce sont ces verges de fer que le citoyen Hergaut prétend reconnaître pour lui appartenir. Icy naissent de fortes présomptions contre Dugué car il n’est pas présumable qu’il soit venu échanger des liens pour du fer droit & et qu’il ait intercallé sans dessein des bouts de verges. On n’est pas aussi grossièrement dupe dans ses propres intérêts : on ne peut supposer qu’il soit venu échanger à perte du fer droit pour du fer droit de même qualité. La seule intention présumable & résultante évidemment de cette conduite, c’est que Dugué père qui savait qu’il était soupçonné d’être l’auteur du vol commis chez Hergault, craignait une visite domiciliaire et chercha à se débarrasser de son vol en l’intercallant dans les liens qu’il avait coutume de vendre au citoyen Delarue.

Voilà les charges extraites de l’information contre le père Dugué. Les autres dépositions sont seulement relatives à l’existence du vol et se taisent sur les auteurs du délit. L’auteur de l’écrit anonyme n’a pu être reconnu.

Tels sont les motifs qui ont déterminé le substitut à lancer un mandat de dépôt contre ledit Dugué. Ensuite sur ses conclusions est intervenue ordonnance du directeur du juri, suivie d’un mandat d’arrêt en date du trente pluviose portant que les nommés Dugué et Avisse seroient traduits devant un jury ordinaire. Sur quoi le substitut du commissaire du gouvernement, considérant que le délit se trouve compris dans les dispositions de l’article six de la deuxième section du titre deux du code pénal, qu’il est de nature à mériter peine afflictive ou infamante, a dressé le présent acte d’accusation pour être soumis au juri. Sur quoi, les jurés auront à prononcer s’il y a lieu à accusation contre les nommés Dugué père & Avisse à raison du délit mentionné au présent. A Domfront ce dix ventôse an unze de la république française. Signé Delaunay, substitut.

La déclaration du juri d’accusation de l’arrondissement de Domfront écrite au bas dudit acte & portant qu’il y a lieu à l’accusation mentionnée en icelui contre ledit Dugué père, & non contre le nommé Avice. L’ordonnance de prise de corps rendue contre ledit Dugué par le directeur du juri du même arrondissement, le procès-verbal de la remise de la personne en la maison de justice de ce département et la déclaration unanime du jury de jugement portant :

qu’il est constant que du quatre au cinq brumaire dernier, on a soustrait du clou, du fer en baguette et des outils dans la forge du citoyen Hergault de la commune de Chanu.

que Gilles Dugué n’est pas convaincu d’avoir été auteur de cette soustraction.

qu’il ne s’en est pas rendu le complice en recelant tout ou partie des effets volés.


Le président, au nom de la loi acquitte ledit Gilles Dugué de l’accusation intentée contre lui et ordonne qu’il soit mis sur le champ en liberté conformément aux dispositions de l’article 424 du code des délits et peines dont lecture a été faite et qui est ainsi conçu :


article 424

Lorsque l’accusé a été déclaré non convaincu, le président, sans consulter les juges ni entendre le commissaire du pouvoir exécutif, prononce qu’il est acquitté de l’accusation et ordonne qu’il soit mis sur le champ en liberté.


Ordonne le tribunal que les morceaux de fer déposés en ce greffe comme pièces de conviction seront restitués audit citoyen Roger Hergault à qui ils appartiennent, lesquels ont été à l’instant remis, pourquoi le greffier dépositaire en demeure bien & valablement déchargé.

Ordonne enfin le tribunal que le présent jugement sera mis à exécution à la diligence du commissaire du gouvernement.

Fait et prononcé à Alençon le seize germinal an unze de la république française une et indivisible en l’audience publique du tribunal où étoient Pierre René Léonard Delaunay, président, Jacques Gilles Leclerc, juge, Jean-Pierre Revel, supléant faisant fonction pour la maladie du citoyen Desprez aussi juge de ce tribunal, Etienne Leroyer La Tournerie, commissaire du gouvernement et Guillaume Antoine Montigny, greffier.


Signé : Leclerc, Delaunay6

_________________

Notes :

1 Il s’agit d’une pièce de terre.

2 Mot énigmatique qui semble désigner un petit paquet ou fagot de baguettes de fer.

3 Enquêté.

4 Pour s’il avait bu ?

5 paquet

6 AD61 2U4

1683 - Transaction après procès pour coups et blessures

Que s’est-il passé ? Les nommés Burel et Barbotte, tous deux sergents, se sont battus. Burel a été blessé et a du recevoir des soins médicaux. Il a porté plainte devant la viconté, appel a été fait au bailliage puis au parlement de Rouen. Barbotte a été condamné. C’est ici une transaction entre eux sur le paiement des indemnités, amende et frais de justice. D'ordinaire ces transactions ont lieu avant jugement afin d'éviter les frais de justice. A noter que les archives de la justice ancienne sont encombrées de plaintes de cette sorte.

Du vendredy douzième jour de mars l'an

mil six centz quatre vingt trois par devant

nous Michel Dumesnil notaire garde notte

royal en la viconté de Dompfront.

Furent présents en leurs personnes chacuns

de Jullien Burel sieur de la Fontaine sergeant

royal en cette viconté demeurant au lieu

du pont de Caen d'une part et Charlles

Barbotte sieur de Launay aussi sergeant demeurant

au lieu de Launay Goulande paroisse de Saint

Bosmer d'autre part, lesquels ont volontairement

respectivement acordé ce qui ensuit c'est à

scavoir que pour demeurer ledit Barbotte

vers1 ledit Burel quitte de l'effet des

condannations que ledit Burel pouroit

prétendre et demander audit Barbotte

tant aux juridictions de viconté

que bailliage audit Domfront que

par arest de la cour de parlement

à Rouen que provision de médicament

obtenus par Jullien Burel contre Jean

Barbotte frère dudit Charlles tant en

principal, intérêts, amende et despens

sans aucunne exception ny réservation

ledit Charles Barbotte c'est submis

et obligé payer audit sieur de la Fontainne

dans un an de ce jour la somme de

centz livres icelle somme payable

scavoir dans la foire fleuris2 prochainne

la somme de vingt livres et le surplus

de foire en foire à dix livres par chacune

foire jusques au parfait paiment

desdits centz livres et est demeuré

d'acord que sur les vingt livres

payables à la foire fleuris ledit

Barbotte en paira en la décharge

dudit Burel entre les mains de

Guillaume Garnier sieur de la fosse dans la

mi-caresme prochainne la somme de douze

livres en déduction desdits vingt livres

au moyen duquel paiment de ladite

somme de centz livres fait audit Burel

par ledit Barbotte ledit Burel remetra

entre les mains d’icelluy Barbotte

touttes et chacunes lesdittes pièces, sentences

et arest de la cour comme quitte et vide

d'effet pour en avoir par ledit Barbotte

son recours ainsi qu'il advisera bien

sans y appeler ledit Burel directement ny

indirectement en quelque manière que

ce soit et jusques après le paiment fait

de laditte somme de centz livres lesdittes pièces

sont demeurés entre les mains dudit Burel

pour luy servire d'assurance et hypotèque

et sans novation dudit hypotèque

demeuré ausy d'acord que3 ou ledit Barbotte

seroit morosif4 de payer suivant les termes

cy dessus référés ledit Burel demeure

habille de faire taxer les despence à luy

adjugés par ledit arest de la cour comme

cessant les présent et ne sera tenu que

déduire sur lesdits despens que ce qui se

trouvera avoir esté par luy receu sur le

présent sans préjudice, audit ausy audit

Burel de se faire payer sur Jacques

Boisgontier de la tierce partie des

médicaments portés et référés par la

sentence de bailliage de ce lieu du vingt

neufième jour d'avril mil six centz soixante

quinze comme il voira bien oultre

ledit Barbotte à promis et c'est obligé payer

audit Burel après lesdits termes cy dessus

eschue en oultre les centz livres cy devant

la somme de dix livres et aisy5 lesdites

partie à un et d'acord6 présences Maitre

Thomas Huet conseiller en se siège et Pierre Gouin

commis à la poste de cette ville tesmoings

_______________

Notes:

1 envers

2 Foire de printemps, il en existe encore à Gorron, Bernay...

3 Manque "au cas"

4 incapable

5 Pour ainsi ?

6 "À un et d’acord" est une formule usitée dans ce tabellionage pour exprimer l’accord de chacun. Le plus souvent écrite "et ainsy d’acord".


1647 -Transaction autour d'un homicide

Le fils de la plaignante, sergent de la Forêt-Auvray, a été tué. Elle a commencé à les poursuivre en justice tant en son nom qu'en celui de ses fils, frères et héritiers du défunt. Il faut notamment régler au seigneur de la Forêt les droits de sergenterie (280 livres). Pour aller plus vite que la justice, elle remet les poursuites entre les mains d'un tiers qui versera immédiatement cette somme au seigneur de la Forêt. "L'acheteur" continuera les poursuites "à ses périlz, fortunes et dangers".


Le huictiesme jour de juillet l’an mil six [cent quarante]

sept


Fut présente Marguerite Toustain veufve de deffunt Jehan [Perray]

sieur du boscq, tutrice establie par justice aux [enfants]

dudict deffunt et d’elle en cette qualité ayant [porté]

plainte par devant monsieur le baillif de Condey o[u son]

lieuttenant à l’encontre de Jehan Lemesle, Pierre [et]

Denis Leroy filz Guillaume, frères, pour homicide [par]

eulx commins à la personne de deffunct Jehan Perr[ey filz]

aisney dudict deffunct Jehan Perrey et de ladicte veufve

à par ce présent tant en son nom qu’en ladicte qualitté [de tutrice]

des aultres enffans minneurs frères et héritiers

dudit deffunt quitte cède et transporte à maistre J[ehan]

Maudet, sieur de la Pallière, préssent et aceptant [scavoir est]

tous et tels despens et interests civilz que ladicte veufve

peut ou pourroit prétendre et faire juger contre lesdictz

accusés suivant ladicte plainte et informattion et procédure

criminelle contre lesdictz accusés donc du toult [ledit Naudet]

prendra la suitte à ses périlz, fortunes et dangers

aulcune garantye de restitution de deniers soyt que par

négligence ou intelligence avecque lesdictz accusés

par aultre mannière que se soyt que lesdictz accusés

fussent deschargés de ladicte accusation sans despens

ou que ledit (cedattere fust versé desdictz)1 condanpnés

aulcuns despens et interests cessant lesquelles

ladicte veufve n’auroyt faict la préssente cession et [ce]

faict en outre pour le prix et somme de deulx cent [quatre]

vingtz livres tournoiz pour sollution et payment de laquelle

ledit Maudet s’est submis et obligé envers ladicte veufve audictz

noms de l’acquitter ensemble lesdictz mineurs de ladicte

somme envers messire Jacques de Vassy, chevallier seigneur

de la Forest en quoy ledict deffunct Jehan Perray luy estoyt

obligé pour raisson de le servir de la sergeanterye dudict

lieu de la Forest suivant le bail -y recours sy faut

failt etc- apprès que ladicte veufve aura compté audict

seigneur prssence dudict Naudet qui sera tenu luy

mettre l’acquit dudict sieur de la Forest dans quinzaine

parce que auparavant ledict payment ladicte veufve demeure

obligée faire authoriser et agréer la pressente cession

auxdictz parens desdictz minneurs par déllibération

en justice delaquelle delle déllivrera extraict deubment

…. qu’elle sera tenue bailler et mettre entre les

mains dudict Naudet pour s’en servir comme il advisera

bon et saiziray ladicte Naudet veufve ledit Naudet dans

huittaine du decrept de prinsse de corps qu’elle auroyt

faict juger contre lesdictz accusés pour e faire telle

poursuitte qu’il advisera bien en vertu duquel elle

a fet fere le adjournement à ban qu’elle a dict avoir

mins au greffe de bailliage dudict Condey desquelz

il poursuivira le jugement fera telle aultre

procédure qu’il jugera nécessaire pour la perfection

et jugement du présent et toult ainsy que ladicte veuve

eust peu fere ausdictz noms cessant ce pressent et

en oultre ledict Naudet demeure obligé de décharger ladicte

veufve et mineurs des fraictz fetz par justice jusques

audict decrept à l’advenir sy à temps qu’elle ne souffrira

perte ny dommage et en cas qu’il se treuv... que

icelle veufve ne soyt reliquataire de [ladicte somme de]

deulz cens quatre vingtz livres auxdictz sergeant

le surplus sera payer par ledict Naudet entre [les mains]

de ladicte veufve donc …23

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Notes :

1 Entre parenthèse mots sans doute mal lus car incompréhensibles

2 Suivent les formules juridiques et les témoins (assez peu lisibles). S’ajoute un second acte pour reconnaître cet acte.

3 AD61 4E87