Pour une approche dialectique de l’histoire morphologique du verbe français entre analyse et synthèse : éléments de réflexion méthodologique et épistémologique
Toute entreprise de nature linguistique à dimension diachronique est confrontée à la problématique de la périodisation, particulièrement délicate : périodiser, c’est introduire du discontinu à l’intérieur d’une réalité, une langue, dont le développement est de l’ordre du continu. Impossibilité de périodiser donc, mais en même temps nécessité de le faire en vertu d’une règle de l’esprit qui impose pour penser le continu de l’analyser – non pas certes sur la base de frontières étanches mais d’étapes identifiables à la fois distinctes et étroitement articulées l’une à l’autre.
La solution de la GGHF a consisté à contourner habilement ces difficultés de périodisation, d’une part en déconnectant histoire externe et histoire interne et à découper l’histoire interne en plusieurs tranches non pas chronologiques mais disciplinaires, la réintroduction de la dimension proprement chronologique n’intervenant qu’à l’intérieur de chacun des tranches, voire à l’intérieur des diverses composantes de ces tranches.
Nous suggérons un autre plan, au moins pour les faits relevant de la morphologie et de la morphosyntaxique en dégageant trois moments qui s’articuleraient autour de deux couples : le couple analyse/synthèse et le couple syntagmatique/paradigmatique.
PREMIERE PARTIE : ENTRE SYNTHESE PRE-CONCLUSIVE et ANALYTIQUE EN PERSPECTIVE (origines-12ème siècle)
I.1. Synthèse pré-conclusive
I.1.1. Syntagmatique : le futur/conditionnel • ecce et les démonstratifs latins • les adverbes en -ment • oil, nenil
I.1.2. Paradigmatique : le paradigme en RE • la réduction casuelle • les démonstratifs : réduction interpararadigmatique
I.2. Analytique en perspective
I.2.1. Syntagmatique : l’article en émergence • les degrés de l’adjectif • le pronom personnel sujet en émergence • i- préfixe démonstratif • le cas des possesssifs (le mien père) • le locutionnel et le corrélationnel • la négation composée • l’équipement périphrastique dans le plan verbal
I.2.2. Paradigmatique : l’opposition des formes simples et des formes composées • les alternances radicales
DEUXIEME PARTIE : L’ANALYTIQUE en MAJESTE (du 13ème siècle au français moderne)
II.1. Syntagmatique
II.1.1. Plan verbal : le développement de l’auxiliation (auxiliation de premier degré : modalité ; diathèse ; auxiliation de second degré : les formes surcomposées, avoir beau ; spécification de ce qu’est un auxiliaire : être et avoir originaux) • le développement du pronom personnel (le développement pronominal ; le pronom sujet ; le réfléchi ; le double objet : du type li au type le li ; il y a ) • verbe support + X vs verbe simple I
II.1.2. Plan substantival : la systématisation du système des articles
II.1.3. Pronoms et déterminants : formes simples vs formes composées (démonstratifs et relatifs)
II.1.4. Les invariables : les adverbes (la négation composée ; les adverbes de quantité : les quantifiants en de ; histoire de mult/beaucoup ; l’adverbe en -ment et sa réfection ?) • les locutions (prépositionnelles, conjonctives)
II.2. Paradigmatique : la catégorisation
II.2.1. Intracatégorielle : plan verbal (découplage modal : indicatif présent vs subjonctif présent ; l’impératif ; isolement du PS) •. plan adverbial : si, tant et tellement
II.2.2. Intercatégorielle : verbe et plan nominal (infinitif ; forme en ANT) • pronoms vs déterminants (démonstratifs ; possessifs ; chaque/chacun) • les invariables (adverbe vs préposition ; adverbe vs conjonction : ne/ni ; conjonction (si/s’) vs adverbe (si)
III. SYNTHESE PROVISOIRE LIMITEE (à partir du milieu du 17ème siècle)
III.1. Syntagmatique
III.1.1. La « panne » de la composition verbale : les verbes supports : recul ? • les formes surcomposées et la question d’après que
III.1.2. Préfixations : les degrés de l’adjectif : super-, hyper-, mega- • le pronom personnel comme préfixe type (« Pierre, il est malade »)
III.1.3. Les invariables : fixation de la réponse monosyllabique : oui/non/si •.ainz et mais : synapse en mais
III.2. Paradigmatique
III.2.1. Simplification flexionnelle : défectivité et disparition : plan verbal (achèvement de la réduction des alternances ; « menaces » sur le subjonctif : expansion du conditionnel ; (b). avenir du subjonctif présent ? marginalisation du passé simple • Plan substantival : des hommes excellents vs d’excellents hommes : pluriel de un
III.2.2. Neutralisation sémantique : ci et là
Il s’en faut de beaucoup que ce cadre puisse être tenu comme définitif et non problématique. C’est un schéma simplement régulateur. La communication visera à développer la « dialectique » du synthétique et de l’analytique dans le plan des paradigme verbaux : suppression (synthèse) de la forme en RE ; autonomisation de l’impératif (analyse) ; marginalisation du subjonctif (synthèse)
Bibliographie
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