đż Racines modestes, fiertĂ© tranquille : retour sur un hĂ©ritage prĂ©cieux
Il suffit parfois dâune conversation imprĂ©vue pour rĂ©veiller tout un pan de mĂ©moire. Il y a peu, câest au dĂ©tour dâun Ă©change simple Ă la foire avec un RĂ©olais du coin que tout est revenu. Une poignĂ©e de phrases, et me voilĂ projetĂ© plusieurs dĂ©cennies en arriĂšre, replongeant dans lâhistoire de ma famille, de mon enfance, de mes origines rurales. Un moment fort, intime, qui mâa poussĂ© Ă revisiter, avec luciditĂ© et tendresse, ma propre trajectoire sociale.
Je viens dâun monde modeste, de ceux quâon qualifie souvent avec condescendance de "petits". Mon grand-pĂšre Ă©tait ouvrier agricole, ma grand-mĂšre au foyer, dans une commune rurale de Gironde. Mes parents, eux, ont commencĂ© sur un terrain vague et marĂ©cageux. Ils y ont bĂąti leur vie Ă la sueur de leur front : Ă©levage de pintades, canards, poules, moutons, culture de lĂ©gumes et de fleurs pour les marchĂ©s.
Mon pĂšre, autodidacte tenace, vaillant, est devenu professeur puis principal adjoint de collĂšge. Ma mĂšre, pilier discret mais essentiel, jonglait entre les enfants, les animaux, la maison et les travaux saisonniers â vendanges, cerises, coupe de bois. Une vie faite de courage et dâingĂ©niositĂ©.
Je revois encore ce pantalon en velours marron, ce pull bleu tricotĂ© Ă col en V, un peu court mais tricotĂ© avec amour. Et surtout, je me souviens de cette maison quâils ont construite de leurs mains, aidĂ©s par des amis, par nous les enfants. Chaque pierre posĂ©e avait le goĂ»t de lâeffort partagĂ©.
Et il y avait la vie : les aprĂšs-midis de pĂ©tanque, les vacances au camping, les fĂȘtes populaires, la chasse, les matchs de foot. CâĂ©tait simple, joyeux, profondĂ©ment formateur. Une vraie Ă©cole de la vie.
Ă lâĂ©cole primaire et au collĂšge, Ă Castillon-la-Bataille, jâĂ©tais entourĂ© de jeunes comme moi. Les enseignants Ă©taient bienveillants, proches. Mais lâentrĂ©e au lycĂ©e a Ă©tĂ© rude. Jây ai dĂ©couvert le mĂ©pris de classe. Les mots font mal : "plouc", "cassos", "bouseux"... On les encaisse, mais ils laissent des traces.
Plus tard, en prĂ©pa puis Ă la fac (frĂ©quentĂ©e, disons⊠avec parcimonie đ), jâai cĂŽtoyĂ© des milieux bien diffĂ©rents. Certains se moquaient du monde rural, des campeurs, des boulistes, des footeux â bref, de tout ce qui faisait mon univers. Un temps, jâai laissĂ© dire. Jâai mĂȘme souri.
Mais trĂšs vite, une rĂ©volte intĂ©rieure sâest imposĂ©e : âTu ne peux pas renier tes racines. Tu ne peux pas mĂ©priser ce qui tâa construit.â
Cette luciditĂ©, cette loyautĂ© envers ceux qui mâont Ă©levĂ© â en particulier ma mĂšre, si aimante, si forte â mâa donnĂ© un cap. Ce cap, je ne lâai plus quittĂ©.
Aujourdâhui encore, ces souvenirs et ces valeurs nourrissent mon engagement. Ils renforcent mon attachement au terrain, aux gens, aux discussions de marchĂ© ou de foire. Câest lĂ , dans ces Ă©changes simples et sincĂšres, que je me sens Ă ma place.
Mes racines ne sont pas un fardeau, elles sont ma boussole. Et nâen dĂ©plaise aux grincheux, je continuerai Ă cultiver cette ârĂ©olitĂ©â avec fiertĂ©, fidĂ©litĂ© et cĆur.