Parcours scientifique
Emilie nous a quittés le vendredi 8 mars 2019 après quatre années de lutte acharnée contre cette terrible maladie qu’est le cancer.
Elle était archéozoologue, recrutée en 2018 au CNRS en tant que Chargée de Recherche rattachée au laboratoire TRACES (UMR 5608) à Toulouse. Elle était spécialisée dans l’étude des stratégies d’exploitation des faunes par les populations humaines du Middle Stone Age en Afrique du Nord. Elle avait récemment ajouté à son projet scientifique, initialement centré sur les grands mammifères, le thème passionnant de l’archéomalacologie, poursuivant en cela sa réflexion sur les relations homme-animal, en particulier dans les zones côtières.
Elle a soutenu sa thèse de doctorat en 2012 à l’Université Bordeaux 1 : « Caractérisation de l’occupation des sites de la région de Témara (Maroc) au Pléistocène supérieur et nouvelles données sur la subsistance des hommes du Paléolithique moyen d’Afrique du Nord : Exemples des approches taphonomiques et archéozoologiques menées sur les faunes d’El Harhoura 2 et d’El Mnasra » (sous la direction de P. Michel & S. Costamagno).
Avant d’obtenir son poste au CNRS en 2018, son dynamisme avait déjà été reconnu par les prix qu’elle avait reçus : Bourse de thèse L'Oréal France pour les femmes et la science en 2010, prix Jeune chercheur en Archéologie Préhistorique et Paléoanthropologie de la SAMRA en 2016, prix jeune chercheur de la Fondation des Treilles en 2018.
Depuis 2016, elle présidait la commission "Palaeolithic Landscapes, Techniques and Cultures of Western North Africa" de l’Union Internationale des Sciences Préhistoriques et Protohistoriques (UISPP).
Enseignante dans les universités de Bordeaux 1, puis Toulouse Jean Jaurès où elle a occupé un poste d’ATER pendant deux ans, Emilie intervenait également régulièrement dans le Master du MNHN, démontrant des qualités indéniables en termes d’enseignement et de formation d’étudiants de Master.
Émilie a publié plusieurs articles dans des revues de haut rang, et a présenté de nombreuses communications orales et posters scientifiques dans des congrès internationaux.
Elle était fortement impliquée dans de nombreux programmes de recherche (International Research Networks « DECAPAN » et « TaphEn »; projet « ChroMed » du Labex med, Université d’Aix-Marseille; projet « TeHoTeCa » du Labex LaScArBx, Université de Bordeaux) et fouilles archéologiques (notamment le programme franco-marocain « El Harhoura-Témara »). En 2016 elle avait dirigé une mission ethnographique sur la frange côtière de la façade atlantique autour de Rabat-Témara afin de croiser données archéologiques et ethnologiques sur l’exploitation des mollusques marins. En parallèle, elle avait initié des travaux novateurs en référentiels taphonomiques et expérimentations, notamment en lien avec l’exploitation des mollusques et l’utilisation de leurs coquilles pour diverses finalités.
Son investissement, à la fois sur le terrain et en archéologie expérimentale, lui a permis de suivre deux approches complémentaires : la taphonomie des assemblages fossiles et l’actualisme. Combiné à son excellent sens de l’observation et ses méthodes rigoureuses d’acquisition des données, ce type de comparaisons a toujours garanti une importante fiabilité à ses travaux et interprétations.
Emilie était une jeune chercheuse hors du commun tant par son dynamisme, sa rigueur scientifique, son sens du collectif, son enthousiasme. Elle avait su en quelques années devenir une chercheuse incontournable jouissant d’une pleine reconnaissance dans le domaine d’expertise qui était le sien : l’adaptation au milieu côtier des chasseurs-collecteurs paléolithiques et l’émergence des comportements complexes dans ces groupes humains.
La diversification précoce des ressources alimentaires, en particulier la consommation de coquillages marins, couplée à la présence de coquilles de Nassarius sp. considérées comme des marqueurs symboliques lui avaient alors permis de faire un parallèle convaincant entre ce qui est observé chez les hommes anatomiquement modernes en Afrique du Nord et du Sud.
Sur ces questions, elle coorganisa deux sessions lors de colloques internationaux: l’une en 2016 au Congrès de la SAfA à Toulouse, intitulée « The role of North Africa in the emergence and development of modern behaviours: Integrated Approach », et l’autre en 2018 au Congrès de la PANAF à Rabat, intitulée « Diversity of hominin subsistence strategies across Africa from the Middle Pleistocene to the Holocene ».
Cherchant à cerner la diversité des adaptations côtières, elle commençait tout juste à élargir ses recherches à toute la zone circumméditerranéenne tant chez les Néandertaliens du Pléistocène européen que chez les Hommes pleinement anatomiquement modernes de la fin du Pléistocène supérieur et du début de l’Holocène d’Afrique du Nord et d’Eurasie.
Nous saluons son courage et son parcours scientifique, si riche et stimulant intellectuellement, malgré les difficultés qu’elle a rencontré. Nous gardons d’elle l’exemple d’une battante, d’une scientifique naturaliste rigoureuse, mais aussi d’une amie pleine d’humour et de joie de vivre. Elle était le genre de collègue et d’amie que nous rêvons tous d’avoir dans notre vie.
Emilie, tu vas nous manquer…
Tiznit, Maroc, 2013:
Emilie en compagnie d'André Debénath, préhistorien reconnu pour ses travaux au Maroc mais aussi en France, qui nous a également quitté en 2016.
(photo Nabil Hamzaoui)
Bibliographie choisie (https://sites.google.com/view/emilie-campmas/accueil):
Campmas, E., Stoetzel, E., Denys, C. 2018. African carnivores as taphonomic agents: Contribution of modern coprogenic sample analysis to their identification. International Journal of Osteoarchaeology 28 (3), 237-263.
Campmas, E., Chakroun, A., Chahid, D., Lenoble, A., Boudad, L., El Hajraoui, M.A., Nespoulet, R. 2018. Subsistance en zone côtière durant le Middle Stone Age en Afrique du Nord : étude préliminaire de l’unité stratigraphique 8 de la grotte d’El Mnasra (Témara, Maroc). In : Costamagno, S., Dupont C., Dutour, O., Gourichon L., Vialon D. (dir.), Animal symbolisé – Animal exploité. Du Paléolithique à la Protohistoire. Actes du 141ème Congrès du CTHS (Rouen, avril 11-13, 2016). Paris, Édition électronique du CTHS, pp. 112-134.
Campmas E., Stoetzel E., Oujaa A., Scerri E. (dir.) 2018. Special Issue: The Role of North Africa in the Emergence and Development of Modern Behaviors: An Integrated Approach. African Archaeological Review 34, 447-449.
Campmas, E. 2017. Integrating human-animal relationships into new data on Aterian complexity: a paradigm shift for the North African Middle Stone Age. African Archaeological Review 34, 469–491.
Campmas, E., Michel, P., Costamagno, S., Nespoulet, R., El Hajraoui, M.A. 2017. Which predators are responsible for faunal accumulations at the Late Pleistocene layers of El Harhoura 2 Cave (Témara, Morocco)? Comptes Rendus Palevol 16, 333-350.
Campmas, E., Amani, F., Morala, A., Debénath, A., El Hajraoui, M.A., Nespoulet, R. 2016. Initial insights into Aterian hunter-gatherer settlements on coastal landscapes: the example of Unit 8 of El Mnasra Cave (Témara, Morocco). Quaternary International 413, 5-20.
Campmas, E., Chakroun, A., Merzoug, S. 2016. Données préliminaires sur l’exploitation de la malacofaune marine par les groupes ibéromaurusiens de l’abri Alain (Oran, Algérie). PALEO 27, 83-104.
Campmas, E., Michel, P., Costamagno, S., Amani, F., Stoetzel, E., Nespoulet, R., El Hajraoui, A. M. 2015. Were Upper Pleistocene human/non-human predator occupations at the Témara caves (El Harhoura 2 and El Mnasra, Morocco) influenced by climate change? Journal of Human Evolution 78, 122-143.
Campmas, E. 2012. Caractérisation de l’occupation des sites de la région de Témara (Maroc) au Pléistocène supérieur et nouvelles données sur la subsistance des hommes du Paléolithique moyen d’Afrique du Nord : exemples des études taphonomique et archéozoologique menées sur les faunes d’El Harhoura 2 et d’El Mnasra. Thèse de Doctorat, Bordeaux, Université Bordeaux 1, 592 p.
Campmas, E., Daujeard, C., Lenoir, M., Ajas, A., Baillet, M., Bourgeon, L., Delvignes, V., Robert, B., Teyssandier, J., Armand, D., Rigaud, S. 2011. Nouvelles données sur le Magdalénien de l’Entre-deux-Mers : la faune de l’Abri Vidon (Juillac, Gironde). Préhistoire du Sud-Ouest 19, 3-18.
Campmas, E., Laroulandie, V., Michel, P., Amani, F., Nespoulet, R., El Hajraoui, M. A. 2010. A Great Auk (Pinguinus impennis) in North Africa: Discovery of a bone remain in Neolithic layer of El Harhoura 2 Cave (Temara, Morocco). In: Prummel, W., Zeiler, J.T. et Brinkhuizen D.C. (dir.), Birds in Archaeology. Proceeding of the 6th meeting of the ICAZ bird working group in Groningen (Groningen 23-27 Août, 2008). Groningen Archaeological Studies 12, 233-240.
Michel, P., Campmas, E., Stoetzel, E., Nespoulet, R., El Hajraoui, A. M., Amani, F. 2010. La grande faune du Paléolithique supérieur (niveau 2) et du Paléolithique moyen (niveau 3) de la grotte d’El Harhoura 2 (Témara, Maroc) : étude paléontologique, reconstitutions paléoécologiques et paléoclimatiques. Historical Biology 22, 327-340.
Campmas, E., Beauval, C. 2008. Consommation osseuse des carnivores : résultats de l’étude de l’exploitation de carcasses de bœufs (Bos taurus) par des loups captifs. Annales de Paléontologie 98, 167-186.