Carnet n° 1

CARNET COMMENCE LE 15 JUIN 1943

Le JOUR de la RAFLE pour le SOIT-DISANT SERVICE DU TRAVAIL OBLIGATOIRE en ALLEMAGNE

Résumé de mon départ pour l’Allemagne et de mon séjour à Berlin.

Mardi 15 juin :

Midi : Ordre aux jeunes gens des classes 40, 41 et 42 de préparer leurs valises.

13 heures : départ en autocar (citadelle de Bayonne). Je passe une visite, reçois des papiers, etc. Pas fermé l’œil de la nuit, continuellement bouffé par les puces.

Mercredi 16 juin :

Réveil à 5 heures, rassemblement dans la cour sous la pluie, départ vers la gare 5 heures 30 : adieux des parents et des amis. Sommes gardés par les gardes mobiles.

6 heures : le train s’ébranle pendant que retentit la Marseillaise chantée par tout le convoi. Adieu Bayonne.

12 heures : Bordeaux. Descente du train pour manger une soupe très claire.

13 heures : Nous prenons en remorque un autre convoi de Bordelais.

15 heures : Nous partons.

18 heures : Angoulême, quelques minutes d’arrêt.

21 heures : Poitiers.

23 heures : Tours. Casse croûte. Arrêt, couchons toute la nuit à proximité de la gare.

Jeudi 17 juin :

6 heures : Réveil. Attente. Ecrivons lettres et cartes aux parents. Toujours la pluie. Enfin...

9 heures : Nous partons. Nous allons, paraît-il, à Hambourg !...

12 heures : Orléans les Aubrais. Nous roulons toujours et approchons de Paris. Passage à Bondy, je vois la maison de ma tante.

21 heures : Nous arrivons à Paris. Arrêt en gare du Bourget. Soupe épatante - nous n'avons rien mangé depuis ce matin. Accueil chaleureux de la part des Parisiens. J’expédie trois lettres et prépare un télégramme au cas où je passerais par Charleville. Nuit calme.

24 heures : Compiègne. Je dois abandonner mon projet car nous prenons la ligne du Nord.

Vendredi 18 juin :

7 heures : Tergnier (souvenir de l’année précédente)

9 heures : Aulnoye. J’expédie ma dernière lettre de France.

12 heures 30 : Maubeuge. Derniers adieux des cheminots français.

13 heures : Serrement de cœur. Adieu, France. Nous franchissons la frontière.

Belgique

14 heures : Mons. Achat de tabac et cigarettes.

20 heures : Bruxelles. Traversée de la ville, très jolie. Continuons notre route. Un canard nous apprend que nous allons maintenant à Cologne ...

21 heures : Arrêt dans une petite ville du Nord de la Belgique. Accueil inoubliable. Les civils, sachant que nous sommes déportés, nous lancent pain, cigarettes, carottes, etc... Départ aux cris de Vive la France, Vive la Belgique, A bas Laval (*), etc. Chantons la Marseillaise et la Brabançonne.

(*) Laval Pierre : homme politique français issu de la SFIO puis socialiste indépendant, ministre de Pétain en 1942, il pratiqua une collaboration avec l’Allemagne nazie. Il adopta une politique de marchandages pour limiter les exigences de l’occupant (relève, puis Service du travail obligatoire).

Hollande

23 heures : Nous franchissons la frontière. Toujours rien à manger depuis la veille (je la saute) et toujours gardés par les sentinelles.

24 heures : Enfin, casse-croûte et boîte de viande. Il était temps. Nuit calme. Roulons toujours.

Samedi 19 juin :

5 heures : Je me réveille juste pour passer la Meuse à Limbourg. Très fatigué.

7 heures : Approchons de la frontière allemande (toujours la pluie depuis le départ).

Allemagne

8 heures : Franchissons la frontière à Duisburg. Cette fois, nous sommes dans le bain. De la frontière à la gare, apercevons maisons détruites. À la gare, quelques quais sont démolis. Ça commence bien. Ravitaillement : casse-croûte, confiture et pâté, ça va, on nous donne le reste, car, paraît-il, nous n’allons pas plus loin.

9 heures : Nous démarrons. Traces de bombardement.

11 heures : Essen, c’est effrayant. Ville presque entièrement démolie. Le bombardement est récent, quelques jours à peine. Ça commence mal. Il est vrai que nous sommes dans la Ruhr.

13 heures 30 : Hagen, quelque peu bombardée. Depuis Essen, nous apercevons les premiers camps de travailleurs.

14 heures : Soupe. On se croirait dans les Ardennes, vallée de la Meuse. Même paysage, mais que d’usines !

16 heures : Allons-nous rester là ? Tout le monde descend du train avec les bagages. Triage des manœuvres et des spécialistes. Enfin, 160 manœuvres restent ici. Je les plains, car la ville est triste.

23 heures : Nous partons en direction de Berlin. 6 heures de trajet, paraît-il. J’appréhende de passer encore une nuit dans le train. Fatigue extrême. Nuit calme.

Dimanche 20 juin :

6 heures : Réveil. Nous ne sommes pas encore arrivés.

7 heures : Bremen

12 heures : Northeim. Arrêtons pour laisser un wagon en panne. Soupe bienvenue. Je cause avec des cheminots ardennais de Mohon. Ils ne sont pas heureux, paraît-il.

17 heures : Nordhausen. Depuis le matin, nous ne traversons que bois et campagnes. Aucune ville, mauvaises routes. Et, ils disent qu’ils n’ont pas d’espace vital. Sangerhausen, Klostermansfeld.

18 heures : Hettstedt. 20 heures : Güsten. 21 heures : Lindau

22 heures : Belzig. Allons-nous encore coucher dans le train ? Ce n’est pas marrant.

23 heures : Potsdam. Je me suis endormi dans le wagon. On me réveille. Nous descendons et couchons pèle mêle à 50 dans une pièce. J’allais oublier : nous touchons un repas complet, pain et soupe. 1 heure du matin : alerte.

Point de chute : BERLIN

Lundi 21 juin :

6 heures : Réveil. Nous apprenons que nous sommes dans un centre de triage. Que va-t-on faire de nous ? Pendant ce temps, nous regardons. On se croirait à une foire ou plutôt au marché aux esclaves. Les patrons viennent choisir leurs ouvriers et les emmènent après avoir signé maints papiers.

12 heures : Toujours rien pour nous. Dans l’attente, nous cassons la croûte.

15 heures : Un trafiquant - pardon, un Lagerführer - achète tout le lot, et en route pour Berlin. J’ai oublié de dire que nous avons changé notre argent français contre de l’Allemand. J’ai aussi envoyé une carte.

16 heures : Nous prenons le train et en route pour Berlin.

16 heures 30 : Changement pour prendre le métro. Les Allemands ont l’air abattus et sont mornes. Il est vrai qu’il y a des alertes presque toutes les nuits.

17 heures : Nous descendons du métro en gare de Schöneweide (voir Carte). C’est là notre point de destination. Le lager se trouve à cinq minutes. Aussitôt arrivés, le Lagerführer nous souhaite la bienvenue et nous tient un petit discours dont je ne retiens que ceci : « Vous êtes libres ». Je n’ose y croire. C’est pourtant vrai et il n’y a plus de sentinelles pour nous surveiller.

18 heures : Nous prenons possession de nos chambres : 7 copains qui avaient voyagé ensemble ainsi que 9 méridionaux, Bayonnais et Marseillais. La première chose qui me fait plaisir, ce sont les lits métalliques. Que nous allons être bien avec draps et couvertures ! La nourriture : pas épatante ! Quelle bonne nuit...

Mardi 22 juin :

9 heures : Réveil. Rien à faire de la journée.

12 heures : Rien à manger.

14 heures : Nous projetons de faire une promenade à la fête Treptower Park. Beaucoup de manèges mais quelles dépenses !

18 heures : Il faut revenir. C’est à ce moment que je m’aperçois de l’inconvénient de ne pas savoir la langue allemande. Quel travail pour prendre le métro ! Impossible de démêler les noms des stations et des lignes. Enfin, en désespoir de cause, nous sautons dans le premier train venu. Nous nous trompons. Enfin, après une heure d’allées et venues, nous atterrissons, je ne sais par quel hasard, à Schöneweide.

1 heure du matin : Alerte. Ça commence. La DCA (défense contre avions) tonne de tous côtés.

2 heures 30 : Fin d’alerte. On a eu chaud.

Mercredi 23 juin :

9 heures : Ordre de ne pas sortir. Les patrons doivent venir nous chercher.

14 heures : Ils sont là et le marché continue. Un, il lui faut quinze manœuvres, cinq maçons, d’autres, des chauffeurs, etc. Moi, je n’ai pas d’acheteur. Je dois me représenter le lendemain.

Cette nuit encore, alerte.

Jeudi 24 juin :

Je suis embauché comme manœuvre !, avec 13 camarades.

13 heures : On nous emmène travailler pour construire un camp. 1 heure de trajet. Il pleut tout l’après-midi. Pas grand chose comme boulot. Ouvriers sympas et bon chef. Pas trop fatigué.

Vendredi 25 juin :

Départ à 6 heures. Rien à manger à midi.

Alerte de nuit.

Du 25 juin au 25 juillet :

Rien d’important à signaler.

Dimanche 25 juillet :

6 heures : Ordre de changer de camp avec valises et bagages. 2 heures de chemin. Nous atterrissons à Buckower Chaussee (voir Carte). Comme nourriture, nous sommes mieux qu’à Schöneweide, un peu à l’écart de la ville, à proximité d’un camp de prisonniers.

Dimanche 1er août :

2 nuits d’alerte. Nous allons guincher dans un lager français. Belle journée, malgré la pluie.

Semaine du 1 er au 8 août : Rien à signaler.

Dimanche 8 août :

Magnifique journée. Le camarade Arana et moi allons nous baigner au lac de Wannsee. Très beau. Foule très dense.

Semaine du 8 au 15 août :

Visite du stade olympique le dimanche. Changement de travail pour une semaine, ça me rappelle le lycée. Pas très fatigant. Une demi-heure de trajet.

Dimanche 15 août :

Visite de Unter den Linden, la plus belle avenue de Berlin. Très beaux monuments et musées. Friedrichstrasse, visite du Soldat Inconnu ou musée de l’armée. Une remarque en passant : la moitié au moins des collections provient de France. Les alertes commencent tous les soirs. On ne dort plus tranquille.

Unter den Linden avant 1940

Semaine du 15 au 22 août :

Rien d’important à signaler. Ai repris mon travail à Weissensee (voir Carte).Mon camarade « Saucisse » et moi avons fait la connaissance de deux Fräulein (jeune femme) qui nous aident à passer agréablement nos soirées.

Dimanche 22 août :

Pour la première fois en Allemagne, je travaille jusqu’à midi, à la cueillette des pommes. L’après-midi, rien à faire. « Saucisse » et moi faisons le poireau tout l’après-midi pour attendre nos dulcinées. Très belle journée. Alerte de 24 heures à 1 heure.

Lundi 23 août :

Je prends le travail à 8 heures, une heure en retard à cause de l’alerte de cette nuit.

Nuit du 23 au 24 août :

Nuit mémorable. Alerte à 23 heures 30. Bruit infernal de la D.C.A. (*)

Minuit : Les bombardiers anglais sont là. Tout le monde rentre dans les abris.

(*) D.C.A. : Défense contre avions.

Minuit 10 : Les premières bombes tombent à quelques kilomètres. Ce sont des bombes soufflantes (*) et leurs effets se font sentir jusqu’ici. L’abri est secoué et pendant une demi-heure, ça dégringole : bombes incendiaires, explosives, avions, on ne s’entend plus. L’abri va dans tous les sens. Quelques bombes tombent très près et leur sifflement nous fait rentrer la tête dans les épaules. Allons-nous être écrasés ? Non, ce n’est pas pour cette nuit car le bruit des avions s’éloigne. Nous n’entendons plus que le grondement des bombes explosives qui sautent au loin. Enfin, plus de danger et nous pouvons sortir de l’abri. Mais quelle vision ! Tout est incendié autour de nous. Des brasiers immenses éclairent le ciel. Il pleut et avec la pluie, tombent aussi des cendres. C’est terrible. Je peux dire que nous avons eu chaud.

(*) Bombes soufflantes : En juillet 1943, la RAF utilise une nouvelle technique de bombardement en larguant à la fois des bombes incendiaires et des bombes explosives dont l’effet de souffle attise encore plus les foyers. Chaque explosion provoque un incendie qui épuise l’oxygène et crée une dépression. L’air chaud monte et des masses d’air froid le remplacent créant des vents de 250 km/h qui aspirent les gens dans la fournaise et provoquent de terrifiantes tempêtes de feu (chronique de la seconde guerre mondiale, éditions chroniques).

Mardi 24 août :

Je ne me lève pas avant 8 heures. Je me repose un peu et me demande si je vais pouvoir aller travailler. Les nouvelles affluent et bientôt, nous savons quels coins ont été bombardés. Ce n’est pas du côté de mon chantier, c’est dommage. Je sors. Le ciel est obscurci par un épais nuage de fumée. Le soleil n’arrive pas à percer et les cendres tombent sans interruption.

9 heures : Je pars au travail, mais à 500 m du chantier, je me ravise et, accompagné d’un copain, je vais jeter un coup d’œil sur les lieux bombardés. C’est terrible. Des quartiers entiers sont la proie des flammes. Les bombes éclatent toujours. Dans un rayon d’au moins vingt kilomètres, tout est presque détruit. La fumée nous prend à la gorge. Enfin, je me couche pour le reste de la journée pour me remettre des émotions de cette nuit. Aurons-nous encore alerte cette nuit ? Ça ne manque pas : la sirène retentit à 23 heures 30. C’est un sauve-qui-peut général pour gagner les abris. Quelques bombes sont lâchées vers 1 heure.

Mercredi 25 août :

Je vais au travail. Le camp n’est pas terminé mais les quelques baraquements finis sont occupés par des camarades ayant eu leur lager inondé. Rien à signaler de la journée. Le soir, je vais voir un avion français qui a été descendu la veille. Plusieurs copains de la chambre n’ont plus de travail, leur chantier ayant été incendié et détruit.

23 heures 30 : Encore alerte jusqu’à minuit et demi. Quelques bombes. A noter que des incendies de lundi ne sont pas encore éteints.

Jeudi 26 août :

Rien d’important à signaler. Cette nuit, encore alerte et petits bombardements. Guerre des nerfs.

Vendredi 27 août :

Rien d’important. Pas d’alerte.

Samedi 28 août :

Rien d’important. Pas d’alerte.

Dimanche 29 août :

Lever à 7 heures pour aller à l’entraînement de football, mais il pleut. Nous sommes obligés d’interrompre la partie.

14 heures : Nous allons au stade à Grünewald assister à deux parties de football.

Lundi 30 août :

Fatigué, je ne me rends pas à mon travail et reste couché jusqu’à 11 heures. De 11 à 17 heures, travail à la cuisine.

18 heures : Les camarades reviennent du travail, plusieurs ramènent des canards avec eux. « La Gazette » nous annonce la fin de la guerre dans un mois. « Le Basset » nous dit que les Anglais sont débarqués en Albanie. Le roi Boris est assassiné ( *). Laval a démissionné et Pétain est parti. Est-ce vrai tout cela ? Attendons confirmation. Envoi d’une lettre à Renée Lorge et à ma Tante.

(*) Mort de Boris III, roi de Bulgarie le 28 août 1943.

21 heures : Tout le monde au lit mais impossible de dormir jusque 22 heures car certaines farces salées ne sont pas du goût de tout le monde surtout du « Grincheux ». Pas d’alerte cette nuit.

Mardi 31 août :

7 heures : J’arrive à l’heure au chantier. Mon premier travail est de réparer mes bleus en bien triste état. Sale temps, pluie toute la journée. Travail dehors.

19 heures : « Le Basset », encore lui, nous annonce une révolte au Danemark. Confirmée par le journal (pour le roi Boris, le journal nous annonce sa mort mais non son assassinat).

20 heures : Entraînement de football. Envoi d’une lettre par avion chez moi.

Minuit : Alerte et bombardement aussi important que celui du 24 août. Nombreux incendies. Pendant l’alerte, « Saucisse » est empêché de dormir par un « savant » qui explique à quelques auditeurs comment on tue les punaises. Enfin, à 2 heures 30, fin d’alerte. Le ciel est en feu au Nord-Est.

Mercredi 1er septembre :

8 heures : Lever. Aucune nouvelle du bombardement. Attendons le soir le retour des copains. Pendant le casse croûte, un Hollandais nous annonce des révoltes dans Paris. Est-ce vrai ? Le journal « l’Echo » nous annonce aussi des troubles en Suède avec violation des eaux territoriales du « Grand Reich » par des bateaux de pêche suédois. L’agneau va-t-il manger le lion ?

21 heures 30 : Au lit. Nuit calme, pas d’alerte.

Jeudi 2 septembre :

Que va-t-il arriver ? Pour la première fois, j’embauche à 7 heures moins vingt. Matinée très froide. Rien d’important à signaler dans la journée.

19 heures : « Petit Pied » nous annonce l’encerclement de Kiev. « L’Echo », essai de débarquement en Italie.

Nuit calme. Pas d’alerte.

Vendredi 3 septembre :

de 6 à 18 heures, rien d’important à signaler.

18 heures 30 : Soupe infecte, immangeable.

19 heures 30 : Entraînement de football.

20 heures 30 : Grand branle-bas dans la chambre. Conversation générale : Les Alliés ont débarqué en Italie. (*).

(*) 3 septembre : débarquement de la VIII ° armée US en Calabre. 5 septembre : Reprise de Stalino dans le Donetz par les Soviétiques.

23 heures 30 : Alerte. La plus grande depuis mon arrivée à Berlin. Fin d’alerte à 3 heures 30. Durée : 4 heures. Innombrables avions, gros bombardement, travail de tracts de différentes natures. Anniversaire de la déclaration de guerre.

Samedi 4 septembre :

Lever à 8 heures 30 pour récupérer les heures d’insomnie de la nuit. J’oublie d’aller au boulot et vais visiter les lieux bombardés. Le coin Est de Westkreuz a encore bien dérouillé. Rien d’important dans la journée. Le camarade « Saucisse » rentre du travail à 18 heures, tout bouleversé. Il y a de quoi : son chantier a été bombardé et il a fallu qu’il déblaie les abris qui se sont effondrés sur leurs occupants presque tous déchiquetés.

Contre toute attente, nuit calme. Pas d’alerte.

Image du net.

Dimanche 5 septembre :

Je travaille toute la matinée et rentre à midi pour apprendre que les Alliés ont débarqué en France en 3 endroits, Bordeaux, Calais et Marseille. Est-ce vrai ? Attendons confirmation.

14 heures : Photographie de toute la chambre.

15 heures : Sortie pour me faire photographier à Friedrich Platz en compagnie de « Petit Pied » et du « Basset ».

21 heures : Clair de lune, nous allons sûrement avoir alerte.

Finalement, pas d’alerte.

Lundi 6 septembre :

Rien d’important à signaler. Le débarquement en France est très discuté. D’aucuns prétendent que c’est vrai, d’autres, le contraire. Je reçois une lettre de mes parents m’annonçant la mort de Gauthier. Mauvaise nouvelle.

Nuit calme. Pas d’alerte.

Mardi 7 septembre :

Tentative de débarquement à Ouessant.

Rien à signaler. Pas d’alerte.

Mercredi 8 septembre :

Malade, je ne vais pas travailler. Reçois un très gros colis (200 g de tabac). Envoie lettres par avion à Mézières. Nuit calme. Pas d’alerte.

Jeudi 9 septembre :

Ne travaille pas. Lettre de Mme Louyete.

18 heures : Nouvelle sensationnelle : l’Italie a capitulé. Confirmée par les Allemands. (*)

(*) 10 septembre 1943 : occupation le l’Italie par les Allemands. Libération de la Corse par l’armée française.

Vendredi 10 septembre :

Reprends le travail. Rien d’important à signaler. Pas d’alerte. Lettre de ma Tante.

Samedi 11 septembre :

Lettre de Juliette.

Nouvelle excellente : discours appel du Führer, S.O.S.

Enfin, après quinze jours de silence sur les événements d’Italie, la presse daigne nous renseigner un peu sur la soi-disant trahison de Badoglio (*) et du roi d’Italie, ainsi que sur la disparition de Mussolini (**). La fin de la guerre approche de plus en plus. Nuit calme. Pas d’alerte.

(*) Badoglio Pietro : Maréchal et homme politique italien, après le chute de Mussolini, il devint président du Conseil le 15 juillet 1943, négocia l’armistice avec les Alliés et déclara la guerre à l’Allemagne le 13 novembre 1943.

(**) Mussolini destitué par le roi, il fut arrêté, interné dans les Abbruzes puis délivré par un commando de SS allemand ( 12 septembre 1943). Il organisa sous la protection d’Hitler, en Italie du Nord, la République sociale italienne.

Dimanche 12 septembre :

10 heures : Réveil en fanfare.

Cinéma le soir. N’avons toujours pas de nouvelles des événements de France. Nuit calme.

Lundi 13 septembre :

Rien à signaler.

Débarquement allié en Italie, à Salerne. (*)

(*) Le débarquement de Salerne déclenché le 9 septembre 1943 près de Naples fut la première grande opération amphibie anglo-américaine effectuée sur le continent européen.

Mardi 14 septembre :

Débarquement à Tarente.

Conditions d’Armistice désastreuses pour l’Allemagne.

Reçois deux lettres, une de chez moi, une de Biarritz et un colis (300 g de tabac)

Après dix nuits calmes, alerte de 1 h 20. Pas de bombardement.

Mercredi 15 septembre : Rien à signaler. Alerte.

Jeudi 16 septembre :

Rembarquement des alliés à Salerne. Alerte.

Vendredi 17 septembre :

Rien d’important.

Les Alliés ne se laissent pas refouler, au contraire. Prise de trois villes par les Russes.

Envoi d’une lettre aux parents.

Alerte à 2 heures 15.

Samedi 18 septembre :

Rien à signaler. Nuit calme.

Dimanche 19 septembre :

Envoi d’une lettre à Juliette. L’après-midi, je vais assister à un gala d’athlétisme et de football international où la France se distingue.

19 heures : Soirée de variétés au Lager.

Pas d’alerte. J’ai acheté pour 36 marks de pain cette semaine.

Lundi 20 septembre :

« Petit Pied » nous annonce la prise de Smolensk, « la Gazette », que les Allemands ont évacué la Sardaigne. À confirmer.

3 heures du matin : 29 ème alerte - 1 h ½ - Quelques avions isolés.

Mardi 21 septembre :

Les communiqués allemands sont très favorables pour nous. Les Russes avancent toujours sur Dniepropetrovsk et en Italie, avance des troupes alliées. Décrochage à Salerne.

19 heures : Nouvelles sensationnelles, mais sûrement des « canards ». Hitler se suicide, débarquement de troupes allemandes en Irlande (?).

Nous allons peut-être changer de lager.

Pas d’alerte.

Mercredi 22 septembre :

5 heures 30 : La journée commence mal pour certains :

« Le Maréchal », allongé sur le lit avec ses souliers, se voit supprimer sa ration de tabac. Il n’est pas le seul car déjà hier, « Saucisse » et « la Chèvre » ont eu la même punition pour être restés à la chambre sans motif. Le Lagerführer ne doit plus avoir assez de tabac pour fumer.

De 22 h 30 à 1 h 30 : 30 ème alerte. Echappe de peu. Grand danger.

Jeudi 23 septembre :

Notre équipe se disperse : 3 camarades quittent le chantier pour aller à la S..... de Mariandorf. Nous allons les suivre prochainement. Prise de Kiev et de Vorang. À confirmer. Révolution dans les Balkans et en Corse, sur les journaux. Nouveau canard d’envergure. Nous allons peut-être partir travailler en Hollande à l’ O.T. [organisation Todt].

Ce serait soi-disant des avions italiens qui seraient venus cette nuit.

Vendredi 24 septembre :

Rien à signaler. Crochet très réussi [Concours de chant].

Samedi 25 septembre :

12 heures : 31 ème alerte.

23 heures : Grand remue-ménage dans la chambre qui ne fait pas plaisir au « Basque » et à la « Gazette » qui jurent de se venger en faisant du bruit à 5 heures du matin.

Dimanche 26 septembre :

Achat d’une paire de chaussures (55 marks). Promenade dans Berlin. Il fait froid. Rien d’important à signaler.

Lundi 27 septembre :

6 heures : Il pleut. Ce n’est guère encourageant pour aller au boulot. Malgré tout, le soleil se montre à dix heures. Bel après-midi. L’avance russe continue. Prise de deux villes Smolensk et Poltava. Débarquement en Crimée, encerclement de Sébastopol.

Devons changer de chantier.

11 heures : 33 ème alerte.

Mardi 28 septembre :

9 heures : Nous partons voir où est situé notre chantier. C’est au camp d’aviation de Tempelhof (voir Carte).Réparations des bureaux détruits par les bombes soufflantes. Nous sommes plus près du lager mais plus en danger. Comme nouvelles : les Russes continuent leur avance, les parachutistes descendent sans arrêt en France.

Mercredi 29 septembre :

6 heures : Départ pour le travail par le tram, l’U-Bahn (*) et l’omnibus. Pas grand chose à faire, nous regardons atterrir et décoller les avions qui sont très nombreux. En rentrant le soir, nous apprenons que nous changeons de lager dimanche. Maintenant que nous étions près du chantier, on nous en éloigne. Ce soir, distribution de cigarettes.

(*) U-Bahn : Métro berlinois (voir Carte).

Jeudi 30 septembre :

Rien à signaler.

Vendredi 1er octobre :

Encore des canards : débarquement des Alliés en France à Toulon et Dunkerque, mobilisation générale en Turquie, la Suisse presque en état de guerre.

Samedi 2 octobre :

Les événements annoncés hier ne sont pas confirmés. Par contre, apprenons par les journaux allemands la prise de M..... et la rupture du front sur le Dniepr. Prise de Naples en Italie.(*)

(*) Prise de Naples par les Anglo-Saxons le 1 er octobre 1943.

Dimanche 3 octobre :

Pour la 3ème fois depuis que je suis en Allemagne, je change encore de camp (sûrement, on ne veut pas qu’on fasse plus ample connaissance avec les civils). Dommage, car on avait tous déjà nos petites habitudes. Malgré tout, nous sommes très bien tombés (lager moderne, c’est même trop beau pour qu’on y reste). Maison en briques à 1 étage, water-closet et lavabo à chaque étage, tous meubles neufs. A proximité, se trouve un très beau parc ainsi qu’un lager de Russes, hommes et femmes. Notre camp peut contenir 2000 hommes et est composé de Français, Tchèques et Bulgares. Très beaux réfectoires. Aux alentours, aucun objectif militaire (quoique quelques bombes ont été jetées sur un quartier de maisons. Enfin, j’espère que ce sera le dernier changement avant mon retour définitif en France.

Adresse : G.B.I. Lager 56 Berlin Biesdorf - Bque 5 - Stube 8 (voir Carte).

Nouvelles militaires : Prise de Kiev, les Russes à 50 km de la frontière polonaise.

10 heures 30 : 34 ème alerte (1/2 heure).

Lundi 4 octobre :

Repos. 11 heures : 35 ème alerte.

11 heures 30 : Chasse fantastique par le lagerführer. Sommes obligés de nous planquer, qui dans les abris, qui en sautant la barrière. « La chèvre » ayant une gamelle de nouilles en cuisson sur le poêle se voit fiche sa gamelle et son contenu par terre. Trois camarades et moi allons passer notre après-midi au cinéma, à l’abri des …

Nouvelles militaires : Les Anglais débarquent à Bastia, en Corse. Avance russe dans les marais du Pi....

Mardi 5 octobre :

Les Allemands évacuent la Corse (*). Avance russe sur la frontière polonaise.

(*) Les Allemands perdent la Corse le 5 octobre 1943.

Mercredi 6 et jeudi 7 octobre :

Rien à signaler.

Vendredi 8 octobre :

1 heure : 36 ème alerte (3/4 d'heure).

Samedi 9 octobre :

Le ministère évacue Rome

11 heures 30 : 37 ème alerte (3/4 d'heure)

Evacuation du Kouban sur le front russe

21 heures : 38 ème alerte (1 heure).

Dimanche 10 octobre :

Aucune nouvelle militaire.

Je ne sors pas l’après-midi, il fait trop froid. Dans la cour du lager, a lieu un match d’athlétisme (Français - Tchèques) gagné par les Français 5 à 4. Le soir, grand bal.

Lundi 11 octobre :

Journée froide. Les Russes seraient en Pologne. Les grandes offensives ont repris malgré la boue.

20 heures : Je vais me coucher, je me sens un peu malade. J’ai reçu un colis postal.

Mardi 12 octobre :

Je pars au travail mais suis obligé de revenir, ayant quelques malaises dans le métro. Chassé par le lagerführer l’après-midi, je vais au cinéma voir un film français , « Premier rendez-vous » avec Danièle Darrieux.

Mercredi 13 octobre :

Matinée très froide. Je reçois une lettre de chez moi avec l’adresse de Michel Berdal. Avance continuelle des Russes. Nous travaillons avec des prisonniers italiens.

Jeudi 14 octobre :

Le Portugal cède les Açores aux Anglais (*).

(*) Octroi aux Anglo-Saxons par le Portugal de bases militaires aux Açores le 12 octobre 1943.

11 heures : 39 ème alerte.

Vendredi 15 octobre :

Arrivé dix minutes en retard au travail, je suis de ce fait renvoyé au lager par le contrôleur. L’après-midi, visite en compagnie de Darrieumerlou et Arana du musée de l’aviation. Assistons à la projection d’un film allemand « Circus Benz ».

Samedi 16 et dimanche 17 octobre :

10 heures : Match de football Français contre Tchèques du lager. La France gagne par 3 à 2. Je ne sors pas de la journée, j’écris et je raccommode.

21 heures 30 : 40 ème alerte (1/2 heure).

Lundi 18 octobre :

Évacuation de Sarapoje en U.R.S.S. par les Allemands.

8 heures 30 : 41 ème alerte.

Mardi 19 octobre :

Rien à signaler.

Mercredi 20 octobre :

Nouveautés : distribution de tickets de soupe tous les soirs. Celui qui ne travaille pas sera passible d’une amende de 10 à 20 marks et si récidive : Gestapo (*).

(*) Gestapo : Police secrète d’Etat. Elle fut dans l’Allemagne hitlérienne et dans les pays occupés par celle-ci, l’instrument le plus redoutable du régime policier nazi.

Vendredi 22 octobre :

Blessé au doigt, je ne vais pas travailler après-midi. Visite du zoo.

Bonnes nouvelles, événements.

Samedi 23 octobre :

Reste à la chambre. Le front russe est percé à ......... ainsi qu’à d’autres endroits.

Dimanche 24 octobre :

10 heures : Je prends un bain (eau froide) dans la réserve d’eau.

10 heures 30 : 43 ème alerte.

12 heures : 44 ème alerte.

L’après-midi, nous allons nous promener (il fait très beau) Photographie à Friedrich, cinéma au Planétarium (Tonnelle).

20 heures : séance de chant au « Alger ».

Lundi 25 octobre :

Reçois un colis de chez moi. Prise de Mélitopol. Encerclement des Allemands en Crimée.

Mardi 26 octobre :

Réveil en fanfare une heure avant l’heure habituelle. Ce sont quelques énergumènes qui ont avancé les montres dans la chambre.

Mercredi 27, jeudi 28, vendredi 29 octobre :

Rien à signaler.

Samedi 30 octobre :

14 heures : Assistons à une séance de music-hall à Winter Garten. Depuis 4 mois en Allemagne, nous arrivons à acheter 50 g de gâteau.

Dimanche 31 octobre :

Football : équipe du camp de Biesdorf contre ?. Départ à 8 heures 2 heures aller. Match nul 1 à 1. Je rencontre un copain, le premier depuis mon arrivée. Retour à 3 heures.

4 heures : Théâtre au camp « Drôle de mise en boîte ».

Evénements militaires : avance continuelle des armées russes.

Lundi 1er novembre :

Toussaint. Ici, en Allemagne, on ne connaît pas ça. Le travail, toujours. Maintenant, impossible de manquer car on ne distribue les tickets de soupe qu’après le travail; aussi, défense d’être malade. Morale : en Allemagne, on ne mange pas pour pouvoir travailler, on travaille pour avoir le droit de manger.

Mardi 2 novembre :

Nouvelles désagréables :

1. suppression des cigarettes pour le mois + 5 marks d’amende ;

2. suppression des séances théâtrales ;

3. suppression du costume sportif ;

4. peut-être allons-nous changer de camp ?

En voici la cause : Les water-closet ont été bouchés par une boîte de conserve. Ainsi par la bêtise d’un sale individu, les 450 Français du camp en subissent les conséquences. Heureusement, la séance de théâtre qui doit avoir lieu étant commandée, n’a pu être supprimée.

Nouvelles militaires : débarquement russe à Kerch, encerclement de la Crimée.

Mercredi 3 novembre :

Soirée théâtrale très réussie par la troupe française « la France qui chante ». A l’issue de cette fête, les sanctions prises hier sont levées.

Jeudi 4 novembre :

L’Echo annonce la fin de la conférence de Moscou. Négociations très réussies.

Journée très froide, l’hiver approche.

Vendredi 5 novembre :

20 heures : 45 ème alerte.

Samedi 6 novembre :

20 heures : soirée théâtrale.

Dimanche 7 novembre :

7 heures : Réveil, il neige.

10 heures : La neige tourne en pluie, pas de sortie aujourd’hui à cause du mauvais temps. Je la saute aujourd’hui, je n’ai pas pu acheter de pain. Envoi d’une lettre chez moi et à Michel Berdal.

Lundi 8 novembre :

Prise de Kiev et de Merkop. [Reprise de Kiev par les Soviétiques le 6 novembre 1943.]

Mardi 9 novembre :

Appel à la providence pour la victoire par Hitler.

Mercredi 10 novembre :

Rien à signaler.

Jeudi 11 novembre :

25 ème anniversaire de l’armistice de la guerre 1914-18.

Je commence la journée à 11 heures

20 heures : 46 ème alerte (3/4 d’heure).

Vendredi 12 novembre :

Rien à signaler.

Samedi 13 novembre :

7 heures 30 : 47 ème alerte (1 heure).

Dimanche 14 novembre :

14 heures : Football. L’équipe du lager « Reflet de France » bat l’équipe Siemens 6 à 2 .

Lundi 15 novembre :

Kiev est dépassé de 150 km.

Mardi 16 novembre :

Prise de Jitomir.

Mercredi 17 novembre :

20 heures : 48 ème alerte.

Jeudi 18 novembre :

Attaques russes sur tout le Front.

19 h 30 : Séance de théâtre malheureusement interrompue par la 49 ème alerte. Bombardements dans plusieurs endroits. Fin d’alerte à 22 heures 25 (2 h 15 d’alerte). Le ciel est en feu du Nord-Est au Sud-Est. Quelques bombes soufflantes sont tombées à proximité de notre camp.

Vendredi 19 novembre :

Pas au travail à 9 heures. L’U.Bahn ne va pas jusqu’à Tempelhof lieu de mon travail. Un train a été bombardé. Le camp qu’on a construit a été démoli.

Samedi 20 novembre :

La soirée de théâtre de jeudi empêchée par le bombardement a lieu aujourd’hui. Troupe excellente.

Dimanche 21 novembre :

Promenade. Visite de l’aquarium du zoo.

Lundi 22 novembre :

Le bruit court que Pétain aurait démissionné. La cause est que le Führer aurait demandé 500.000 Français pour combattre les Russes (ce n’est pas réjouissant pour nous). Doriot serait au pouvoir.

19 heures 30 : 50 ème alerte. La DCA crache dur. Bruit infernal. La terre tremble. Les bombes n’ont pas dû tomber loin.

21 heures 10 : Fin d’alerte. Le temps est très sombre. On ne voit pas trace d’incendie. Quelques copains en concluent qu’il n’y a pas eu grand bombardement.

22 heures : 51 ème alerte. La 2ème de la soirée. Pas de pétard, fin à 22 heures 30. Ce n’était qu’une illusion.

Mardi 23 novembre :

6 heures : Nous sommes réveillés par un camarade qui vient de son camp situé de l’autre côté de Berlin. Son camp brûle, tout le centre de Berlin est en feu, Alexanderplatz, le zoo, Schöneberg, Unter den Linden, etc. Tout est en flammes, c’est épouvantable.

10 heures : Nous sommes obligés d’allumer l’électricité tellement il fait sombre. Je ne me suis pas rendu à mon travail. La plupart des copains rentrent aux lagers. La plupart des communications sont coupées. Ils nous apportent des récits terrifiants.

13 heures 30 : Je vais aller visiter les lieux sinistrés. On peut dire que s’ ils ont voulu créer la pagaille, ils ont réussi. Pas de moyen de locomotion et il faut faire la queue deux heures pour prendre l’U.Bahn aux quelques stations en service. C’est le plus fort bombardement qu’il y ait eu. Sur des kilomètres et des kilomètres, ça grille. Que de ruines ! Et ce n’est pas fini.

19 heures 30 : Nous arrivons juste au camp pour descendre à l’abri. Pas le temps de manger. L’abri tremble à plusieurs reprises, ça n’a pas dû tomber loin.

21 heures 45 : Fin d’alerte. Le ciel est en feu à quelques km vers l’Ouest. Ce doit être Ostkreuz qui flambe. Quelques maisons grillent à quelques centaines de mètres d’ici. Les carreaux de notre chambre ont volé en éclats. Les bombardements approchent de plus en plus. Demain soir, ça sera sûrement notre tour.

52 ème alerte.

Mercredi 24 novembre :

Les communications sont complètement coupées à la 1ère station après le camp. Aujourd’hui, pas de travail. Les quartiers atteints sont beaucoup plus près que l’on ne pensait. C’est encore Alexander Platz et Börse qui ont dégusté. A Weissensee, les conduites d’eau sont coupées. A Lichtenberg, à deux stations du lager, le côté droit est en flammes, 4 locomotives sont les pattes en l’air. Pour moi, la ligne est rétablie, aussi, demain j’irai travailler à moins d’un nouveau bombardement.

19 heures : Un camarade nous annonce que les Anglo-Américains ont débarqué à Bordeaux, mais ce ne sont que des combats navals au large.

53 ème alerte à 20 heures 45. Pas beaucoup de bruit, juste quelques bombes. Fin à 21 heures 45. Malgré cela, nous hésitons pour aller coucher car il faut aller vite pour aller aux abris et il n’y a pas beaucoup de place. Enfin, nuit tranquille.

Jeudi 25 novembre :

7 heures : Je me lève pour aller au boulot. Arrivée à ...11 heures. Les lignes sont complètement embouteillées. Je quitte à 3 heures, il faut bien cela. Je ne croyais pas si bien dire. Impossible d’attraper l’U.Bahn. Les trains sont complets. Les hommes bousculent femmes et enfants, les femmes ont des crises de nerf, je crois que le moral commence à être ébranlé. Enfin, après avoir patienté deux heures sur le quai, j’arrive par être rentré de force à 6 heures. J’arrive à Ostkreuz à 6 heures, j’attends jusqu’à 7 heures pour apprendre qu’il faut se taper le chemin à pied jusqu’au lager - 5 km -. Après m’être perdu plusieurs fois, j’arrive quand même à 8 heures juste pour descendre à l’abri. Ainsi, j’ai mis 5 heures pour faire le trajet qui en temps normal ne demande que ¾ d'heure.

20 h 45 - 21 h 25 : 54 ème alerte. Pas de bombardement.

Vendredi 26 novembre :

Arrive au travail à 10 heures, en pars à 15 heures. Arrivée au lager à 18 h 30 après de nombreuses difficultés.

55 ème alerte à 20 h 20, ça tape dur, l’abri est drôlement secoué. Est-ce pour nous ? Trois avions sont descendus juste au-dessus du lager. Fin d’alerte à 22 h 35. L’Ouest est en feu.

Samedi 27 novembre :

Arrivée au boulot à 9 heures, départ à 13 heures. Nous apprenons que Spandau, Tegel ont été touchés. Il faut compter des pertes considérables parmi les civils. La plupart sont encore ensevelis depuis lundi soir. Si ça continue, on va devenir fou, suivant les tracts. Si le Reich n’accepte pas les conditions d’un ultimatum, l’Allemagne sera mise à feu et à sang, à commencer par Berlin. Dernier délai demain soir, je crois qu’on n’a pas fini d’en baver. Vivement que tout se termine. Un camarade vient de rentrer, il était à l’hôpital. L’hôpital a été complètement détruit. Il est resté enseveli depuis lundi soir jusqu’à aujourd’hui. Il s’en est tiré par miracle, car presque tous les hospitalisés ont été tués (au moins 5.000). Le courrier et les colis n’arrivent plus, on est presque sans nouvelles de France. J’ai eu une lettre de Michel Berdal. Le veinard, il me dit qu’il doit partir en perm [permission militaire] le 12 décembre. Il se plaint du froid, mais comme je voudrais être à sa place pour au moins déménager de Berlin qui devient intenable.

A partir de 7 heures du soir, nous vivons dans l’attente. Nous ne faisons aucun bruit, de peur de ne pas entendre l’alerte. Enfin, las d’attendre, je m’allonge sur le lit, tout habillé. Je me réveille à 6 heures du matin... Il n’y a pas eu d’alerte.

Dimanche 28 novembre :

12 heures : 56 ème alerte - fin à 12 h 30 - Il n’y a rien eu.

Nous sommes obligés de nous faire faire des papiers par le lagerführer car notre bureau est grillé ainsi que le G.B.I. A noter que dans la chambre, il n’y a personne qui n’ait rien eu, soit le lager brûlé, soit le chantier, soit le bureau.

Je ne sors pas l’après-midi. Le soir, pas d’alarme.

Lundi 29 novembre :

Légèrement malade, je ne travaille pas. Rien d’important à signaler. Pas d’alarme.

Il paraît que nous devons changer de camp, pour laisser le nôtre aux civils allemands. Il fallait s’en douter un peu, on était trop bien.

Toujours pas de colis ni de lettres : le courrier n’arrive pas de France.

Mardi 30 novembre :

Je ne travaille pas. Le lager où nous devons nous rendre est le lager 53 situé à Köpenick à 7 km de Biesdorf. Je décide donc d’aller visiter les lieux. C’est assez loin de la gare, 3 km, 8 stations de tram, presque le même lager que le nôtre, mais il n’est pas tout à fait fini. 10 baraques. Ce qui n’est pas amusant, c’est de voir toutes les usines qui l’entourent, 7 ou 8 sur un rayon de 800 m. Que d’objectifs pour les prochains bombardements, surtout que ce coin-ci n’a pas encore été atteint ! A 100 m, la Spree, fleuve qui traverse Berlin avec de nombreuses usines sur ses bords, à droite du lager, à 50 m un canal, à 200 m derrière le lager, la voie de chemin de fer et tout ça en plus des usines. Autant dire qu’on n’a pas beaucoup de chance de ne pas être touché. Le plus terrible, c’est que les abris ne sont pas terminés. 1 de fini sur 4, les autres n’étant même pas commencés. Quel cauchemar !

Je voudrais presque être à la place de ceux qui ont eu leur lager détruit car ils ont la possibilité de changer de ville avec leurs propres moyens. Moi, je choisirais Vienne. Malheureusement, ce n’est pas mon cas.

Mercredi 1er décembre :

Encore un nouveau mois qui commence. Si c’était seulement le dernier ! Bonne nouvelle. Il y a eu contrordre : nous ne changeons plus de camp. Que de soucis évités, mais ne crions pas trop fort, ce n’est peut-être que provisoire.

Midi : 57 ème alarme. Fin d’alerte à 12 h 45, rien à signaler.

Jeudi 2 décembre :

Nous changeons de chantier. Nous quittons le terrain d’aviation pour aller déblayer une usine de tanks. Nous quittons un endroit très dangereux pour un autre encore plus dangereux. C’est à Tegel, de nombreuses usines d’armement. Celle que nous venons de déblayer a été bien touchée, un tiers au moins est détruit ainsi que les machines-outils inutilisables. Question Police, je pense que nous sommes bien tombés. L’inconvénient, c’est qu’il ne fera pas bon être là-bas en alerte. Nous commençons à 7 heures 30 et quittons à 16 heures.

19 heures 45 : 58 ème alerte. Encore un bombardement. Fin d’alerte à 21 h 45.

Le Sud-Ouest et l’Ouest grillent. Quelques explosives à proximité du camp, mais rien de sérieux. Ce n’est pas encore nous, mais jusqu’à quand ?

Vendredi 3 décembre :

L'Echo n’est pas rassurant, il annonce la destruction prochaine de Berlin. Les bruits qui ont couru sont donc confirmés.

Schöneweide, notre ancien lager, Buckower, le dernier lager ainsi que Stadtmitte, Rudow et Alexander Platz ont été les quartiers atteints hier soir. Pas trop de boulot à faire. Je quitte à 4 heures, arrive à Ostkreuz à 5 h 30. C’est la plus grande gare de S.Bahn (*) de Berlin.

(*) S.Bahn : Train de banlieue à Berlin.

59 ème alarme. Même plus le temps de rentrer du travail. Ce n’est pas marrant. Ainsi, s’il y a bombardement et que le lager grille, on ne pourra pas sauver nos affaires.

Fin d’alerte à 18 heures.

Samedi 4 décembre :

Spandau, Steglitz ont été les lieux bombardés ce matin. Pas d’alerte.

Dimanche 5 décembre :

Les Russes et les Anglo-Américains ont lancé un ultimatum à Hitler expirant le 1er janvier et le contraignant à une capitulation honorable. Passé cette date, Berlin et l’Allemagne seront détruits. Création du second Front, déclenchement de batailles sur le Front d’Italie et les Balkans ainsi que enfoncement de Front russe et capitulation sans condition du Grand Reich.

Football à 14 heures : Biesdorf est battu par Marienfeld 7 à 5. Partie déplorable du goal « Saucisse ».

Séance théâtrale. Pas d’alerte.

Lundi 6 décembre :

Nous allons travailler à Charlottenburg, à une dizaine de kilomètres en camion. On ne voit pas 100 m sans voir une maison touchée. Nous sommes encore tombés sur un drôle de chantier. On travaille dans la neige, le froid et nous sommes frappés comme les prisonniers. Encore eux, ils sont nourris à midi, nous, rien du tout.

Du lundi 6 au mercredi 15 décembre :

Rien à signaler.

Jeudi 16 décembre :

Il ne manquait plus que ça. Nous sommes obligés de commencer à 7 heures, jusqu’à 17 heures. Comme il y a deux heures de trajet, il va falloir partir à 5 heures du matin pour être de retour le soir à 19 heures.

19 heures 30 : Après une dizaine de jours tranquilles, 60 ème alerte (2 heures). Gros bombardements.

Vendredi 17 décembre :

C’est encore le Centre qui a dérouillé. Troubles en France.

Samedi 18 décembre :

Malade, je ne travaille pas. Le soir, nous touchons un pain brioché et deux verres de bière. Séance théâtrale et bal. Toujours pas de lettres depuis le 19 ni de colis.

Dimanche 19 décembre :

Encore souffrant, je ne travaille pas. Aussi, quand passe l’infirmier ou le lagerführer, je suis obligé de me cacher dans le placard ou d’aller patienter jusque midi en faisant le tour de Berlin dans le S. Bahn.

Mercredi 22 décembre :

Grosse nouvelle ou nouveau canard : la Révolution en France.

Toujours pas de nouvelles des colis.

Jeudi 23 décembre :

Je passe toute la journée au lager et le matin, je suis obligé de me planquer dans le placard. Le soir, je vais me coucher avec la fièvre et fortement malade.

Vendredi 24 décembre :

3 heures 30 : Réveil. 61 ème alerte. Je suis très malade et suis obligé d’aller à l’abri, au froid, en sueur. Une quinzaine de soufflantes qui ne doivent pas tomber loin secouent l’abri d’une drôle de manière. Avant la fin, je suis pris de faiblesse.

5 heures : Fin d’alerte. Le Sud est en flammes. Dans notre patelin, la baraque 4 a reçu une bombe incendiaire. Le feu a été éteint.

Le soir, réveillon jusqu’à 4 heures du matin. Malheureusement, je suis toujours malade. Drôle de Noël !

Samedi 25 décembre :

Nous avons tous la diarrhée. Ce n’est pas marrant. Presque toute la chambre reste au lit toute la journée. Triste Noël !

Dimanche 26 décembre :

Répétition de la veille. Toujours pas d’appétit. 4 rations de pain d’avance.

Lundi 27 décembre :

Je passe la visite à l’infirmerie. Le Sanitäre me dit que je n’ai rien (il est vrai que je n’ai pas de fièvre) et que je dois reprendre le travail le lendemain. Ici, pour être reconnu malade, il faut au moins avoir 40° de fièvre et presque crever. Malgré tout, je ne reprendrai pas le travail de si tôt.

Mardi 28 décembre :

Rien à signaler.

Mercredi 29 décembre :

7 heures 30 : 62 ème alerte fin à 9 h. Très gros bombardement au Sud encore en flammes.

Jeudi 30 décembre :

Plusieurs lignes du S. Bahn sont coupées. Cette fois-ci, c’est certain, nos deux anciens lagers, Schöneweide et Britz sont grillés. Deux morts au lager 17.

Vidéo

Vendredi 31 décembre :

Nouveau canard et d’envergure, celui-ci : 60.000 avions doivent venir bombarder l’Allemagne cette nuit. Attendons.

Il n’y a pas eu d’alerte cette nuit...

Samedi 1er janvier 1944 :

Encore un canard : les Anglo-Américains auraient débarqué en France et en Hollande sur un front de 350 km. Rien d’autre d’important à signaler.

Dimanche 2 janvier :

2 heures 30 : 63 ème alerte et bombardement. Heureusement, nous n’étions pas encore couchés. Juste le temps d’aller à l’abri. La DCA crache dur et les soufflantes (une douzaine) ne tombent pas loin. Fin d’alerte à 4 heures moins le ¼.

L’après-midi, je vais visiter Britz. Heureusement que nous n’étions plus au camp car cette fois-ci, c’est certain, je l’ai vu de mes yeux : le lager est entièrement détruit. Le lager des prisonniers est détruit aussi, sauf deux baraques. A Schöneweide, dans notre ancien lager, il y a eu 4 morts et 17 blessés.

Lundi 3 janvier :

2 heures : 64 ème alerte et bombardement. 45 minutes sans rien entendre, mais il y a un proverbe qui dit « Plus c’est long, mieux c’est bon ». Il n’a pas été démenti, car qu’est-ce qu’on a passé pendant ¾ d’heure ! Les bombes ne sont pas encore tombées loin. Je n’ai jamais eu si peur ! Enfin, 4 heures moins le ¼, fin d’alerte. Tout autour de Biesdorf, sur 1 km de rayon, tout est en flammes. Que de brasiers ! Biesdorf n’a pas reçu d’incendiaires, mais ce qui est pis, ce sont les soufflantes qui nous sont destinées.

10 heures : Sur le chemin de la gare, plusieurs maisons ont leurs tuiles envolées. 5 à 6 explosives sont tombées sur le patelin.

Le soir, grande ambiance. Plusieurs chambres sont en fête et la Marseillaise est chantée à plusieurs reprises : le débarquement anglo-américain serait confirmé.

20 heures : 65 ème alerte. Fin ¼ d’heure plus tard.

Mardi 4 janvier :

Désillusion : le débarquement annoncé est un canard ! Encore un de plus !

23 heures : 66 ème alerte. Fin à 23 h 45. Pas de bombardement.

2 heures du matin : Nouvelle alerte, la 67 ème . Fin ¼ d’heure plus tard. Rien à signaler. Si ça continue, on ne pourra bientôt plus dormir. Peut-être que les Anglo-Américains ont inauguré une nouvelle méthode de la guerre des nerfs.

Mercredi 5 janvier :

Après 21 journées de repos, ayant été malade, je comptais reprendre le travail aujourd’hui, mais après les deux alertes de cette nuit, je suis trop fatigué, je reste au lit.

Mes deux camarades « Saucisse » et Antoine quittent la chambre pour aller dans une autre. Ils en sont presque obligés. C’est dommage et je les regrette, surtout « Saucisse » qui couchait dans le même lit jumeau que moi. Je les regrette aussi car nous étions à peu près les seuls dans la chambre à avoir la même opinion politique. Maintenant, je reste seul à défendre la cause.

De 3 heures 10 à 4 heures 20 : 68 ème alerte. DCA mais pas de bombardement.

Jeudi 6 janvier :

Les Russes seraient soi-disant rentrés en Pologne depuis trois jours.

Vendredi 7 janvier :

Journée calme : ni bobard, ni alerte.

Samedi 8 et dimanche 9 janvier :

Rien à signaler.

Lundi 10 janvier :

Enfin, après 25 jours d’arrêt, je reprends le travail.

Mardi 11 janvier :

Les Alliés sont matinaux ! 4 heures du marin : 69 ème alerte. Juste quelques coups de DCA. Fin, 10 minutes après. Je ne pars pas au boulot.

Midi moins 10 : Nouvelle alerte - 70 ème - La chasse allemande monte mais aucun appareil anglais en vue. Fin d’alerte à 13 heures.

Mercredi 12 janvier :

Rien à signaler.

Jeudi 13 janvier :

Nombreux bobards. Les Russes seraient à 120 km de Varsovie. L’armée rouge aurait franchi la frontière roumaine.

7 heures 30 : 71 ème alerte. Juste le temps de sortir, la DCA tape dur. Nous étrennons notre nouvel abri qui n’est pas terminé. Pas de terre, des plaques de ciment avec des jours d’au moins 6 cm. Si jamais une bombe tombe à proximité, je ne donnerai pas cher de notre peau. Aussi, pour couvrir le bruit sourd de la DCA et des bombes, nous ne trouvons pas mieux que de chanter tous en chœur.

Fin d’alerte à 20 h 15.

Vendredi 14 janvier :

Rien à signaler ou du moins une chose qui ne cesse pas de m’inquiéter ainsi que de nombreux camarades de la chambre. Depuis au moins une semaine, je n’arrête pas de me gratter, surtout quand je suis à la chaleur et surtout la nuit, et pourtant, aucune trace de boutons ni rougeurs.

Samedi 15 janvier :

Rien à signaler à part que le polier (*) nous menace de 20 RM d’amende et de Gestapo si nous ne venons pas travailler demain dimanche.

(*) Polier : contremaître allemand.

Dimanche 16 janvier :

L’après-midi, séance de cinéma. Très joli film.

Information : Les Russes continuent toujours leur avance.

Lundi 17 janvier :

Je change de chantier. J’ai un peu de chance. Je me rapproche sensiblement du lager. 40 minutes de S.Bahn au lieu de 1 h ½. Plus besoin de se lever à 5 heures. Je finis le travail à 4 heures. Pas de Polier. Nous sommes juste deux, un Tchèque et moi. Malheureusement ça ne durera pas longtemps.

Mardi 18 janvier :

Rien à signaler.

Mercredi 19 janvier :

Rien à signaler. (C’était mon anniversaire).

Jeudi 20 janvier :

Date que je n’oublierai jamais.

7 heures 5 : 72 ème alerte. Depuis un quart d’heure, nous attendions la venue des appareils. L’un de nous disait même : « Je ne crois pas que ce sera pour nous ». Il n’y avait pas cinq minutes qu’il avait dit ça, quand subitement on entend des ronflements dans le ciel et aussitôt, nous voyons le phosphore descendre et entendons les premières explosions à proximité. Vite, nous nous précipitons vers nos fameux abris qui ne sont toujours pas couverts. Le phosphore tombe au-dessus de nos têtes. On se voit dans l’abri comme en plein jour et les bombes, tant incendiaires qu’explosives tombent sans arrêt tout autour de nous. L’abri est secoué dans tous les sens. Moi comme les autres nous nous mettons à plat ventre et je me bouche les oreilles pour ne plus rien entendre malheureusement en vain. On entend les avions piquer au-dessus de nos têtes. Je croyais que tout était fini et que cette fois-ci on ne s’en tirerait pas vivants. Nous apprenons aussi avec stupeur que notre baraque brûle à quelque vingt mètres de nous. Ce n’est pas du tout pour nous rassurer, car ils ont l’habitude d’envoyer des soufflantes dans les foyers d’incendie. Aussi, nous nous attendons à tout moment à voir voler l’abri en éclats. Enfin, après 45 minutes de bombardement effroyable, le bruit diminue d’intensité. Nous pouvons sortir pour voir notre pauvre baraque en flammes. Juste une petite pompe qui n’arrive pas à atteindre les fenêtres du 1er étage. Pendant une demi-heure, nous faisons la chaîne avec des seaux d’eau, mais en vain. Nous ne pouvons rien contre le feu qui gagne rapidement. Nous nous employons à sauver le plus possible d’affaires. Enfin à minuit, tout est terminé. Nous faisons chambre dans la baraque n° 3, Stube 5. De tous côtés, ça continue à brûler. Le lager des Russes, à 50 m, brûle aussi. N’y pouvant rien, nous allons nous coucher.

Drôle de lendemain d’anniversaire !

Vendredi 21 janvier :

Après une belle nuit, je me réveille à 9 heures pour trouver... 5 poux dans mon nouveau lit. Ça commence mal. Je décide d’aller voir les lieux sinistrés. Nous n’avons pas loin à marcher : 100 m pour trouver les premières maisons incendiées et pendant des kilomètres, c’est le même spectacle. Plus une maison n’est restée debout et le sol est partout troué de bombes explosives et incendiaires. Biesdorf est presque complètement rasé. Espérons que maintenant, nous serons tranquilles. Le S.Bahn est coupé de Lichtenberg à Mahlsdorf.

10 heures 20 : 73 ème alerte. Cette fois, ce n’est pas pour nous, ça tape plus loin. Fin d’alerte à 11 heures 45.

Samedi 22 janvier :

Le S.Bahn ne marche toujours pas. L’après-midi, nous allons au Musik Hall, au Wintergarten. Très belle soirée.

Dimanche 23 janvier :

Stupéfaction dans la chambre, nous sommes infestés de poux. Aussi, nous sortons tout de la chambre pour bien nettoyer.

Lundi 24 janvier :

Rien à signaler.

Mardi 25 janvier :

Midi : 74 ème alerte - fin à midi 30

C’est Leipzig qu’ils ont visité malgré un très mauvais temps.

Mercredi 26 janvier :

Rien à signaler.

Jeudi 27 janvier :

19 heures : 75 ème alerte.

Cette fois, j’ai encore l’impression que c’est pour nous. Pendant une demi-heure, la DCA fait rage. L’abri est encore secoué par les soufflantes. Enfin, 20 h 30, fin d’alerte. Nous sortons pour voir, comme chaque fois, une vision de cauchemar. Le ciel est en feu vers le Sud et le Sud-Est. A quelques kilomètres de nous, ça flambe. Ce n’était pas encore très loin.

Vendredi 28 janvier :

Schöneweide, une fois de plus, a encore été bombardé. D'ailleurs, les bombes sont tombées un peu partout dans Berlin.

Trente Français, qui étaient restés dans leur baraque ont été tués à Neukölln.

21 h 30 : 76 ème alerte. Fin une demi-heure plus tard.

Samedi 29 janvier :

3 heures du matin : 77 ème alerte

Cette fois, ce n’est pas pour rien que nous descendons aux abris. La DCA et les bombes qui tombent font un bruit infernal. Pendant une heure, ça n’arrête pas mais ce n’est pas dans notre coin. Fin d’alerte à 4 h 45.

C’est le Centre qui a morflé. Tout Berlin semble un immense brasier. Les quatre camarades qui sont restés aux portes nous annoncent que 4 avions ont été descendus au-dessus de Biesdorf. Il y a même un quadrimoteur qui a manqué de tomber sur le lager. Il est tombé sur la lisière du bois qui borde la voie du S.Bahn. Les bombes et les balles continuent d’exploser.

10 heures : Je vais me rendre compte des dégâts mais jamais je ne m’attendais à cela. Presque tous les quartiers sont touchés. Quelle fumée ! Le S.Bahn et l’U.Bahn sont coupés dans plusieurs directions. Pour faire 5 stations, qui en temps normal demandent ¼ d’heure, je mets 2 heures. Je vais voir si la fabrique où je travaille est toujours debout. L’U.Bahn ne va justement pas plus loin. Tout flambe, les pompiers, n’y pouvant plus rien, remballent le matériel et laissent tout brûler. La fabrique n’a pas dû brûler quoique tous les carreaux soient cassés. Peut-être que le grenier, où j’avais mes bleus, est grillé. Enfin, je fais des tours de force pour rentrer au plus vite au lager pour voir chanter Fréhel, vedette de la radio, mais désillusion : par suite des bombardements, la séance n’aura pas lieu.

De nombreux camarades, qui ont sont allés voir différents endroits, nous disent aussi que tout Berlin est touché. C’est le plus fort bombardement que Berlin ait eu. La soirée de samedi, malgré nos appréhensions, se termine sans incidents.

Dimanche 30 janvier :

Attention, car c’est aujourd’hui l’anniversaire du parti National Socialiste. Et des bruits confirmés courent disant que nous allons encore subir ce soir un nouveau et terrible bombardement.

Midi quinze : 78 ème alerte et 22 ème bombardement. Quelques coups de DCA, fin à 12 heures 45.

Toute la journée, nous ne parlons que du bombardement qui nous attend pour ce soir.

20 heures : Nous mangeons quand la sirène se fait entendre. 79 ème alerte. Nous nous précipitons pour gagner les abris. C’est la course. Et pendant une heure durant, nous entendons le bruit sourd des bombes, bruit qui commence par devenir habituel. Heureusement pour nous, ce n’est pas pour notre coin. Il est vrai que nous avons eu notre part.

21 h 10 - fin d’alerte.

Nous apprenons que le lager 22, transformé en hôpital, a été détruit entièrement. Beaucoup de victimes, les bombes incendiaires ayant traversé les abris.

Lundi 31 janvier :

Je pars à 7 h ½ pour me rendre au travail mais il me faut 2 h ½ pour parvenir à mon chantier après avoir fait des acrobaties pour pouvoir prendre place dans le S.Bahn. De plus, la plupart des transports sont détruits. Je me crois à l’évacuation du 12 mai 1940. Si cela n’était pas si tragique, on rigolerait de voir les gens passer munis de grosses lunettes noires pour se protéger les yeux de la cendre qui tombe. D’autres se servent de leur foulard en guise de masque. On se croirait au carnaval. Les camions, les voitures à bras, les voitures à chevaux passent parmi les décombres, à travers les rues en flammes, chargés de civils, de meubles, etc. Réplique du 12 mai 1940.

Je ne travaille pas. Mes bleus sont restés sous le grenier.

De 10 h à 15 h, je marche et partout, ce ne sont que ruines, maisons qui brûlent, rues défoncées par les bombes - une rue est même envahie par 1 mètre d’eau, il faut faire des barrages pour que l’eau ne s’écoule pas dans les rues avoisinantes. En 5 heures, j’ai au moins fait 25 à 30 km sans voir une seule maison qui soit encore habitable et je n’ai pas vu tout, à peine le ¼. Notre bureau à Potsdamer Strasse n’est plus qu’un brasier. A mon ancien chantier, la fabrique de tanks où mes camarades travaillaient encore, deux grosses mines de 2000 kg ont explosé et de nombreuses bombes incendiaires sont tombées. Leurs bleus de travail sont brûlés. Enfin, à 5 heures, je rentre au lager.

Soirée calme. Pas d’alerte.

Mardi 1er février :

7 h 45 : 80 ème alerte. DCA. Fin d’alerte à 8 h 45.

Mercredi 2, jeudi 3 et vendredi 4 février :

Rien à signaler.

Samedi 5 février :

8 h 30 : 81 ème alerte.

Dimanche 6 février :

2 heures : 82 ème alerte.

Nous passons notre après-midi à la Maison Wallonne. Combats de boxe, attractions.

Lundi 7 février :

Dix divisions anglaises entrent en Espagne.

Mardi 8 février :

Cinéma toute la journée. J’ai vu trois films.

14 heures : 83 ème alerte.

21 heures : 84 ème alerte.

Mercredi 9 février :

14 heures : 85 ème alerte.

Jeudi 10 février :

12 heures : 86 ème alerte.

Nicopol est évacué. Helsinki coupée de toute communication.

Vendredi 11 février :

4 heures du matin : 87 ème alerte. Fin à 4 h 30. DCA. On s’est encore levé pour rien. La neige tombe toujours. Mes chaussures sont abîmées aussi, je ne peux aller au boulot.

de 10 h à 10 h 30 : 88 ème alerte.

Samedi 12 février :

Je touche une paire de chaussures (26 RM) Rien d’important à signaler.

Dimanche 13 février :

Nous allons voir un film parlant français : « Premier Amour ». L’après-midi, boxe à Kaiserdamm. Nous assistons à un match de catch qui m’a fait grande impression. Retour à la piaule à 23 heures.

Lundi 14 février :

2 heures 15 : 89 ème alerte. Fin à 2 heures 40, la neige fond.

Mardi 15 février :

8 h 30 : Pré-alarme

9 heures : 90 ème alerte. Très gros bombardement. Le ciel est en flammes vers l’Ouest.

Mercredi 16 février :

La radio annonce que c’est le plus important raid qui ait eu lieu sur Berlin. Ça ne m’étonne pas car l’alerte a été longue. Les dégâts sont considérables. Le froid a repris. Il avait fait trop beau jusqu’ici. Mauvaise nouvelle : le soir, nous apprenons que nous devons nous séparer pour loger à 16 par chambre. C’est très contrariant de quitter des copains avec qui on a vécu plus de huit mois ensemble, pour aller avec des gars que l’on ne connaît pas, se sont pour la plupart des nouveaux au lager.

Jeudi 17 février :

Mes camarades de chambre se révèlent bons copains. Il y en a huit qui sont de la Côte d’Azur et les autres de la Manche. Je suis très bien tombé. Malgré tout, je suis dépaysé.

Vendredi 18 février :

Un canard court comme quoi les nouveaux doivent changer de camp.

Rien d’important à signaler.

Samedi 19 février :

15 h 30 : 91 ème alerte.

Dimanche 20 février :

2 h 45 : 92 ème alerte. Nous restons près de deux heures dans les abris sans presque rien entendre. Nous sommes complètement gelés quand retentit « signal » écarté juste au moment où la DCA et les bombes font un boucan du diable, qui ne dure heureusement que dix minutes.

13 h 30 : Juste au moment où nous étions prêts à nous rendre à la séance de boxe, la sirène sonne pour la 93 ème alerte. Fin à 14 h 10. Ce n’était pas pour nous. Sûrement des avions de reconnaissance qui sont allés sur Leipzig, cette ville ayant été bombardé durant l’alerte de ce matin. Je fais l’acquisition d’une culotte – j’en avais bien besoin et d’un foulard, le tout pour 120 RM.

Lundi 21 février :

Deux camarades de la chambre nous quittent, les veinards, pour aller en perm. Les nouvelles sont excellentes. Les Russes avancent continuellement, dix divisions allemandes sont encerclées. 55.000 SS ont déjà été tués. Les Anglo-Américains ont repris l’offensive à ........, soi-disant avec le compte d’avions, de tanks et d’infanterie. Leipzig serait complètement détruit. 2.300 tonnes de bombes ont été jetées. Le lagerführer nous a dit que tous les sinistrés de la baraque 5 iraient en perm.

18 heures : Très mauvaises nouvelles : nous devons changer de lager, 150 à Neukölln, 100 à Waidmannchlug. Mais ce n’est que le 1/3 du lager. Je suis compris dedans. Cette fois, notre ancienne chambre est complètement désorganisée. Je fais mon possible pour essayer de rester, mais en vain. Nous étions trop bien à Biesdorf.

Mardi 22 février :

Nous préparons nos valises. Je dois me rendre à Neukölln, quoique mon chantier ne soit qu’à ¼ d’heure de l’autre lager. Il est vrai que c’est moi qui l’ai demandé, comme cela, étant le plus loin possible du chantier, les jours où il y aura bombardement, j’aurai des chances de ne pas aller travailler.

14 heures : après 5 heures d’attente, nous partons quand même, pour atterrir au lager 57 - si on peut appeler cela un lager - il ne reste que trois baraques debout sur dix, et encore, elles sont complètement détériorées. Il manque la moitié des carreaux, les portes sont cassées, etc. De plus, il faut loger à 16 dans chaque chambre qui avant ne contenait que dix personnes. 1 placard pour 3, une petite table pour 16 : on se monte quasi l’un sur l’autre. C’est un vrai bordel. De plus, une soupe infecte, beaucoup d’eau, rutabagas et kummels(*), qu’il faut aller chercher à 500 m à une cuisine roulante. Où sommes-nous tombés ? C’est à souhaiter qu’une bombe vienne détruire le reste du lager le soir même. Où est notre lager de Biesdorf ? C’était trop beau. Je suis complètement démoralisé. Espérons que ça ne va pas tarder à changer.

(*) Kummel : graines de cumin.

Nouvelle adresse : Lager 57 - G.B.I. - Berlin Buckow-Ost. (voir Cartes de Berlin)

Mercredi 23 février :

Rien à signaler sinon que la soupe est toujours aussi mauvaise.

Jeudi 24, vendredi 25, samedi 26 février :

Rien à signaler.

Dimanche 27 février :

Nous passons notre après-midi à Kaiserdams, à la séance de boxe. Je suis pourtant malade mais je préfère sortir plutôt que de rester à la chambre où nous n’avons pas de place pour se bouger. C’est un vrai taudis.

Lundi 28, mardi 29 février, mercredi 1er et jeudi 2 mars :

Rien à signaler.

Vendredi 3 mars :

13 heures : 94 ème alerte (30 minutes).

Samedi 4 mars :

4 heures 10 : 95 ème alerte. Fin d’alerte à 6 heures 40.

13 heures : 96 ème alerte. Une quinzaine d’avions se promènent à grande altitude sans être le moins du monde dérangés. Heureusement, ils ne bombardent pas, car les victimes seraient considérables. Où je suis arrêté, en gare de Schönholz, il n'y a pas d’abris et nous sommes 1.500 à 2.000 personnes se promenant sur le quai en attendant la fin de l’alerte.

Dimanche 5 mars :

4 heures à 4 heures 30 : 97 ème alerte.

14 heures : Nous allons passer notre après-midi au « Nouveau Monde ». Pendant que je fais la queue pour prendre les billets, nous voyons une quinzaine d’avions anglais qui se promènent sans être le moins du monde inquiétés au-dessus de Berlin.

Lundi 6 mars :

12 heures 45 à 14 heures 15 : 98 ème alerte.

Ce n’est pas amusant car je suis à l’usine de tanks et nous n’avons pas d’abris. Je reste dehors pour regarder les .......... car le ciel est bien dégagé. Depuis un quart d’heure, on entend un bruit de moteurs d’avions quand, tout à coup, sortant d’un nuage, nous apercevons de nombreuses escadrilles. Ce sont eux. La DCA crache, mais ils semblent s’en amuser. Moi, ça ne m’amuse pas du tout et je rentre précipitamment à l’abri. Pendant une heure, nous entendons de nombreuses explosions. Enfin, c’est la fin. C’est le premier bombardement de jour de Berlin. De nombreux tracts sont lancés, annonçant l’intensification des raids contre l’Allemagne, de jour comme de nuit, jusqu’à la capitulation.

21 heures 20 à 21 heures 40 : nouvelle alerte, c’est la 99 ème.

Mardi 7 mars :

Les Russes continuent leur poussée et prennent Tarnopol en Pologne.

Mercredi 8 mars :

3 heures à 3 heures 15 : 100 ème alerte.

Le Polier nous envoie décharger une péniche de briques à Tegel. Nous sommes contents car nous sommes à proximité d’un lac et il n’y a pas d’usines, aussi pas grand danger. Il fait un temps splendide.

13 heures 30 : 101 ème alerte. Pendant une heure, les avions se promènent. La DCA est inexistante et la chasse invisible. Les Anglais sont incontestablement les maîtres de l’air. Les avions sortent de partout, par bandes de 30 à 40. Quelques Allemands sont parmi nous et sont complètement consternés de constater les faits : « Viel Tommies ! Kein FLAC (*), kein Chasse » disent-ils. Et pendant deux heures, nous entendons le fracas des bombes. Il semble que c’est près. Enfin à 16 heures, fin d’alerte. Le ciel s’est obscurci vers l’Est.

(*) FLAC : DCA allemande.

Jeudi 9 mars :

Nous avons appris que c’est Erkner qui a été bombardé ainsi que Wildau. Toutes les usines ont été détruites, les dégâts sont considérables et le nombre des victimes énorme. 120 Français ont été tués dont 8 camarades de lager. 400 tués ont été dénombrés, de nombreux abris ont été enfoncés, c’est un véritable désastre. Les journaux annoncent que 140 avions ont été abattus dans la journée de lundi mais je puis certifier que ce n’est pas vrai.

De 13 heures à 14 heures 45 : 102 ème alerte. C'est le 3ème bombardement de jour. Heureusement que les journaux disaient qu’ils ne reviendraient plus. Le temps est brumeux. Une heure ¼ de bombardement. C’est la région de Potsdam qui a été atteinte.

Du 10 au 17 mars :

Les Russes continuent toujours leur poussée. Quelques avions anglais se promènent quand même chaque jour au-dessus de Berlin.

Dimanche 19 mars :

22 h 30 : 103 ème alerte.

Lundi 20 mars :

Tous les jours depuis une semaine, il neige.

Mercredi 22 mars :

12 heures 45 : 104 me alerte et 4ème bombardement de jour. Il pleut pour ne pas changer. Aujourd’hui, je suis à l’usine, aussi je ne suis pas rassuré. 13 heures : le bombardement commence. Comme j’ai repéré un blockhaus, je cours m’y abriter. Les éclats d’obus sifflent de tous côtés. J’ai une peur bleue, car ils passent juste au-dessus de l’usine à basse altitude. Je crois que plus les jours passent plus j’ai peur, comme tout le monde d’ailleurs car chaque jour, nous risquons notre vie car les bombes qu’ils envoient maintenant font des dégâts considérables. Aujourd’hui, c’est le Centre de Berlin qui a été touché. Nous voyons une fumée épaisse s’élever de différents points. Heureusement qu’ils ne peuvent pas approcher du Centre. Le S.Bahn est coupé, aussi nous devons faire un détour pour rentrer au lager.

de 10 h à 10 h 30 : 105 ème alerte.

Depuis une semaine, nous sommes toute la journée en état d’alerte : les avions survolent continuellement l’Allemagne de 9 heures du matin à minuit. Les gares souterraines sont pleines de femmes et d’enfants.

Vendredi 24 mars :

21 h 50 : 106 ème alerte. Encore un soir que je n’oublierai pas de sitôt. Le phosphore tombe de tous côtés et les soufflantes nous secouent à chaque instant. Les maisons brûlent tout autour du lager et il n’y a pas encore une demi-heure que ça tombe. Après ¾ d’heure, la baraque des Tchèques, à 20 m de l’abri, est en flammes. Nous serrons les dents et nous nous faisons le plus petit possible. Enfin, à 23 h 15, fin d’alerte. Le toit de notre baraquement est en feu. Nous évacuons nos affaires. Heureusement les pompiers circonscrivent le feu de notre baraque. La baraque des Tchèques, à 5 m n’est plus qu’un brasier. Nous regardons quand tout à coup, nous entendons un avion au-dessus de nos têtes et le sifflement de deux bombes qui fondent sur nous. Nous nous jetons tous à plat ventre. Les bombes sont tombées à moins de 100 m. Heureusement qu’elles ne sont pas tombées au milieu de nous, car il y aurait eu des morts. Pour ma part, je me suis blessé aux mains en me jetant à terre. Enfin, plus de danger, nous rentrons dans nos piaules, mais pas de lumière !

Samedi 25 mars :

Je pars au chantier à 8 heures mais je n’ai pas l’intention de travailler. Je ne suis pas encore remis de mes émotions, j’ai les jambes en flanelle, je crois que si ça continue, je vais attraper des crises de nerfs.

10 h 30 à 11 h 15, 107 ème alerte.

A 18 h 30, on nous avertit que nous changeons de lager. Nous retournons à notre ancien lager de Biesdorf. Il nous faut trimbaler toutes nos affaires, il n’y a pas de camions. Nous nous consolons car nous retrouvons nos chambres propres et avec beaucoup plus de place.

22 à 23 heures : 108 ème alerte.

Nous entendons encore les avions, le phosphore et les bombes. La DCA fait de timides apparitions, les Allemands l’avouent eux-mêmes.

Dimanche 26 mars :

Depuis 9 heures, nous sommes en ... alarme

22 heures : 109 ème alerte à Schl..... Bahnhof.

Lundi 27 mars :

Rien à signaler.

Mardi 28 mars :

Les Russes ont encore repris deux villes. De nombreux bobards. Les Russes sont à 60 km de la Hongrie : avance de 300 km au Nord. Bombardement pendant 24 heures sur Berlin. Encore en plein jour, de 13 h 50 à 14 h 20, nouvelle alarme. 110 ème alerte.

Samedi 1er avril :

10 h 10 à 10 h 50 : 111 ème alerte.

Les Tommies se promènent sans être le moins du monde inquiétés.

Dimanche 2 avril :

Nous allons passer notre après-midi au « Nouveau Monde ». Beau programme.

Lundi 3 avril :

Nous changeons de chantier. Maintenant, je travaille à Tempelhof, dans une usine qui a été bien touchée. ¾ d’heure de S.Bahn et Strass. Nous retrouvons notre ancien Polier.

Jeudi 6 avril :

Aujourd’hui, il fait chaud. Ce n’est pas dommage car pendant cette semaine, il a fait très froid.

14 heures : 112 ème alerte. ¾ d’heure à ne pas travailler. Le nouveau système de bombardement en plein jour a un gros avantage : nous nous reposons plus souvent. Heureusement car le travail que l’on fait en ce moment est un vrai métier de forçat. Toute la journée à damer et toujours rien à manger. La soupe est infecte, des cochons n’en voudraient pas !

Vendredi 7 avril :

A l’occasion des fêtes de Pâques, nous avons repos jusque dimanche mais je n’irai sûrement pas bosser avant lundi. Après-midi, entraînement au football.

Samedi 8 avril :

Je fais la grasse matinée.

10 heures : 113 ème alerte.

12 heures : 114 ème alerte.

15 heures : 115 ème alerte.

Ça tape un peu, mais c’est loin.

A 17 heures 30, nous allons au cabaret « Vaterland ». Pour la première fois depuis mon arrivée en Allemagne, je bois deux verres de vin. Que cela semble bon ! J’y retournerai demain, j’ai une combine pour en avoir plusieurs.

Dimanche 9 avril :

Journée splendide.

12 heures 30 : 116 ème alerte.

L’après-midi, je suis sélectionné pour faire partie de l’équipe française de football du lager pour rencontrer une équipe russe. Nous gagnons le match par 4 à 1. Comme inter gauche, j’ai marqué 2 buts.

Lundi 10 avril :

Belle journée. Grasse matinée. A 16 heures, nous retournons boire du vin au Vaterland. Cette fois-ci, nous en avons bu plus que le compte (7 verres). La gaieté règne. Je me souviendrai longtemps de cette journée.

Mardi 11 avril :

Je me lève avec la gueule de bois.

11 h 45 : 117 ème alerte.

15 heures : 118 ème alerte. Trois chasseurs anglais viennent se pavaner au-dessus de nous. Le canon et les bombes tombent au loin. Il paraît qu’Odessa est tombée (*).

(*) Libération d’Odessa par Tolboukhine.

Mercredi 12 avril :

15 h à 15 h 20 : 119 ème alerte.

Nous apprenons que Biarritz a été bombardé. 150 morts.

23 h 20 à 0 h 10 : 120 ème alerte. Je suis tellement fatigué de ma journée que je n’ai pas entendu l’alerte, comme tout le monde de la chambre d’ailleurs.

Jeudi 13 avril :

Encore une dure journée de travail. Si ça continue encore quinze jours à bosser comme on le fait en ce moment, on va y laisser la peau. C’est pis que les travaux forcés et en plus de ça, toujours rien à manger (soupe infecte).

23 h 30 à 0 h 40 : 121 ème alerte. A peine si on entend les sirènes. J’avais pourtant dit que je ne me lèverais pas. Mais ça tape trop fort. J’ai juste le temps de m’habiller et de courir aux abris. Le canon tape de toutes parts, trois avions sont pris dans les projecteurs au-dessus de nos têtes. Tout à coup, nous percevons un bruit de sirène qui fonce sur nous. C’est une bombe. Nous nous jetons à plat ventre. Les carreaux du lager dégringolent. Nous avons eu chaud.

Vendredi 14 avril :

Les avions se baladent sur Berlin. La DCA tape, pas d’alerte. Mauvaise soupe. Toujours du travail harassant.

Samedi 15 avril :

1 h 40 à 2 h 15 : 122 ème alerte. Trois avions passent à grande vitesse. Ce sont des Anglais. La chasse allemande peut toujours courir après ! L’après-midi, je me couche, je suis mort de fatigue.

Dimanche 16 avril :

Je me lève à 11 heures. A 16 h 30, nous partons faire notre virée hebdomadaire au Vaterland boire du vin. Le soir, nous avons dégoté un bistrot avec du schnaps.

Lundi 17 avril :

Dure journée de travail. Très fatigué.

Mardi 18 avril :

Je me lève encore plus fatigué que la veille, ça va mal. Heureusement, les événements militaires marchent à souhait. Nous travaillons de plus en plus. Je ne continuerai certainement plus longtemps à ce rythme. Je vais bientôt tomber malade. Heureusement, à 15 h 15, sonne l’alarme. 123 ème alerte. Jamais une alerte ne m’a fait autant de plaisir, car ça me permet de me reposer une heure. Des bombes sont tombées sur l’Ouest de Berlin. Ce soir, ce n’est pas à manger que l’on nous donne, c’est de l’eau.

Du 19 au 28 avril :

Rien d’important à signaler, sinon que je suis sans nouvelles de France depuis un mois et demi.

Samedi 29 avril :

Je ne travaille pas à 8 h 30. Je vais à Friedrichstrasse, au cinéma. A 11 heures, la séance est interrompue par une alerte. C’est la 124 ème. Nous courons aux abris pendant 1 km. Juste comme nous arrivons, les avions font leur apparition. Plusieurs escadrilles, à basse hauteur, se jouent de la DCA. Fin d’alerte à 12 heures. Berlin a encore bien dégusté. Plusieurs lignes du S.Bahn sont coupées. Les dégâts sont considérables, surtout vers le Sud qui flambe. Les bombes sont tombées à proximité du chantier. Il a fallu trois heures aux camarades pour revenir. De nombreux Français et Hollandais ont été tués à Hermannstrasse. 33 ème bombardement.

Dimanche 30 avril :

Les dégâts faits hier par le bombardement sont considérables.

Jeudi 4 mai : Journée très froide.

Vendredi 5 mai :

On ne se croirait vraiment pas au mois de mai. Il fait un temps épouvantable : vent et pluie. Transi de froid, je quitte à midi.

Samedi 6 mai :

Nous faisons notre cure hebdomadaire au Vaterland mais nous n’avons pas eu de chance : sur 24 tickets, nous n’en avons eu que 12 d’honorés.

Dimanche 7 mai :

10 heures 40 : 125 ème alerte. 11 heures 10 : DCA. Nous sortons précipitamment des baraques et pendant trois quarts d’heure nous entendons un bruit infernal de détonations. Les escadrilles passent sans arrêt au-dessus de nos têtes et je ne suis pas très crâne. Fin d’alerte à 12 h 10. 34 ème bombardement.

Une fumée épaisse se dégage du côté d' Ostkreuz et Schöneweide. C’est le Nord-Est et le Sud qui ont dégusté. Il y a de nombreuses victimes. Les abris, les stations souterraines du métro sont percés. De nombreuses bombes de tous calibres sont tombées, du jamais vu jusqu’ici.

Lundi 8 mai :

Temps épouvantable.

10 heures 40 : 126 ème alerte. Nous rentrons en vitesse aux abris. Sur une surface de 60 m sur 20, je n’ai pas trouvé moins de 45 éclats. Vingt minutes après, nous entendons les détonations. Fin d’alerte à 11 h 40. A 4 heures, nous quittons le travail. Arrivé à Hermannstrasse, pas de S.Bahn. Toutes les lignes sont coupées, Ostkreuz, Biesdorf, etc., tout l’Est a été bombardé. Je prends un car qui m’emmène à Treptow, mais là, impossible de passer, la gare est entièrement détruite. Je fais un grand détour. Partout, ce ne sont que ruines, entonnoirs immenses. Les canalisations d’eau et de gaz sont coupées. Ils ont mis le compte ! Il ne me faut pas moins de 4 heures pour rentrer au lager qui - disons-le - a eu très chaud, de nombreuses bombes étant tombé. Une bombe a explosé sur notre abri et deux Tchèques ont été tués à Friedrichfelde. Une grosse bombe a explosé dans l’abri de prisonniers français : 25 d’entre eux ont été déchiquetés. Pauvres malheureux, être massacrés après 4 ans ½ de captivité... et ce n’est pas fini car ils ne vont pas s’arrêter là, ils sont en train de créer la panique et de nombreux tracts annoncent l’intensification des bombardements sur Berlin.

A 9 heures du soir, rentrent toujours des camarades porteurs de nouvelles plus terrifiantes les unes que les autres. Je crois que cette nuit, je vais faire des cauchemars. En tous cas, maintenant, j’ai une frousse bleue.

Mardi 9 mai :

La liste des morts s’élève à 36 parmi les prisonniers. Aujourd’hui, pas de travail, aucune communication. Nous consolidons les abris.

Minuit : 127 ème alerte. Les avions passent au-dessus de nos têtes. Bombardement sur le Nord de Berlin.

Mercredi 10 mai :

C’est Gesundbrunnen et Wedding qui ont été touchés hier soir. Les journaux parlent de plus en plus d’un débarquement imminent.

Jeudi 11 mai :

Sébastopol (*) est encerclée. Nombreuses concentrations de troupes sur le Front de l’Est.

(*) Reprise de Sébastopol par les Soviétiques le 12 mai 1944.

Vendredi 12 mai :

Rien à signaler.

Samedi 13 mai :

Je me rends à Frankfurter Allee où deux bombes ont traversé l’U.Bahn portant de forte épaisseur. 200 morts.

De 14 h 15 à 15 h : 128 ème alerte.

De 15 h 15 à 15 h 45 : 129 ème alerte. DCA. Belle panique.

Dimanche 14 mai :

Bain à Wannsee.

Lundi 15 mai :

Sébastopol est tombée. Les troupes gaullistes ont attaqué en Italie. Préparatifs d’invasion.

Mardi 16 mai :

Les Anglo-Américains seraient débarqués à Saint Nazaire. Cassino (*) est reprise par les troupes françaises.

De 1 heure à 2 heures du matin : 130 ème alerte.

(*) 17 mai 1944, prise de Cassino en Italie par les Alliés.

Mercredi 17 mai :

Je reçois une lettre me disant qu’on est sans nouvelles de deux camarades partis je me doute où…. Résistance. Comme je voudrais faire comme eux !

Que va-t-il nous arriver ? Hier, nous avons touché 1.500 g de pain et aujourd’hui, nous touchons du schnaps.

Jeudi 18 mai :

Rien à signaler.

Vendredi 19 mai :

13 à 15 heures : 131 ème alerte. Deux avions filent au-dessus de nos têtes. Une demi-heure après, de grosses formations sont aux approches et vague après vague, ils viennent lâcher leurs bombes. Ils sont partout mais principalement à l’est, c’est-à-dire dans notre coin. Le S.Bahn est encore coupé entre Ostkreuz et le lager. Encore deux heures à marcher à pied ! Enfin, nous sommes contents, notre lager est encore debout, mais il a encore eu chaud : 3 bombes sont tombées sur le camp et la baraque 1 a commencé à brûler.

Samedi 20 mai :

Pas de communications. Je ne travaille pas. Forte alarme dans la matinée.

Dimanche 21 mai :

12 h 30 à 14 h 30 : 132 ème alerte. Le temps est couvert. Une demi-heure après le commencement, nous nous sauvons en courant aux abris. Ils sont au-dessus, ce sont des chasseurs américains qui s’amusent à faire du piqué.

L’après-midi à Wannsee.

Lundi 22 mai :

13 h à 14 h 45 : 133 ème alerte. C’est Steglich qui a été bombardé.

Mardi 23 mai :

1 h 30 à 2 h 15 : 134 ème alerte.

Le camarade « La chèvre » s’est fait envoyer à l’Arbeitlager, ça devait lui arriver. Il a travaillé à peine trois mois sur onze. Les avions ont envoyé des tracts montrant la gare de Juvisy avant et après le bombardement. Ils n’ont pas manqué leur but. J’ai appris par un camarade que Charleville a été bombardée (*). 500 mineurs d’Omécourt ont été envoyés pour déblayer.

(*) Du 7 au 11 mai 1944, l’aviation alliée s’emploiera à détruire le réseau de communication encore aux mains des Allemands dans les Ardennes. Ces destructions feront 64 victimes civiles et 40 blessés hospitalisés, détruiront dans la partie centrale de Mézières, 68 logements et en rendront 200 autres inhabitables. (source : journal des délibérations de Mézières)

Mercredi 24 mai :

1 heure à 1 heure 30 : 135 ème alerte. Des bombes au phosphore sont envoyées sur le Centre. Quelques instants d’émotion.

10 h 15 à 11 h 30 : 136 ème alerte. 2ème bombardement de la journée. Très violent bombardement. J’ai encore eu une peur bleue. Des bombes sont tombées à proximité du chantier, j’ai eu chaud. Tout le Centre et le Nord sont en flammes.

12 h 20 à 12 h 40 : 137 ème alerte. Heureusement, ce n’est pas pour nous car je crois que ça aurait été le comble. De Warschauerstrasse à Alexanderplatz, tout est détruit.

Jeudi 25 mai :

1 heure - 1 heure 30 : 138 ème alerte. Phosphore.

Au cours du bombardement d’hier, 3 chasseurs américains ont atterri sur l’autostrade à la sortie de Berlin. Ils ont emporté avec eux un poteau indicateur.

Vendredi 26 et samedi 27 mai :

Rien à signaler.

Dimanche 28 mai :

1 heure à 1 heure 30 : 139 ème alerte.

12 h 45 à 13 h 45 : 140 ème alerte. Brandenburg est bombardé.

Après-midi, Wannsee.

Lundi 29 mai :

Pentecôte : pas de travail, 11 h 45 - 12 h 45 : 141 ème alerte, 13 h à 14 h : 142 ème alerte.

Wannsee.

Mardi 30 mai :

1 h 15 - 1 h 30 : 143 ème alerte

11 h - 11 h 45 : 144 ème alerte.

Mercredi 31 mai :

Je vois dans « l’Echo de Nancy », éditorial de Philippe Henriot, que Mézières a été bombardée, la communion mitraillée, la place et l’église détruites. (*)

19 h à 19 h 30 : 145 ème alerte.

(*) Une lamentable erreur de point de repère fit que l’aviation alliée bombarda la place de l’église de Mézières au moment de la sortie des communiants, le dimanche 7 mai 1944.

Jeudi 1er juin :

Rien à signaler.

Vendredi 2 juin :

Avance alliée sur Rome.

Samedi 3 juin :

Toujours pas de nouvelles de chez moi depuis le 26 avril. Je commence à m’inquiéter.

Dimanche 4 juin :

Rome est tombée. (*) Rugby à Sedding. Fête à Treptow.

(*) 4 juin 1944, prise de Rome par les Alliés.

Lundi 5 juin :

Nous avons l’après-midi de libre pour aller écouter Philippe Henriot (*). J’en profite pour aller dormir au lager. D’après ceux qui y sont allés, il s’est fait constamment huer, il n’a que ce qu’il mérite.

(*) Philippe Henriot : Secrétaire d’Etat à l’information dans le Gouvernement Laval.

Mardi 6 juin :

Enfin, ça y est. « Ils » sont enfin débarqués. Cette fois, ce n’est pas un bobard. Le Polier nous l’apprend à 1 heure. Nous osons à peine y croire mais nous avons confirmation par les journaux allemands. « Ils » auraient pris pied sur un Front de 300 km entre Cherbourg et le Havre après 96 heures de bombardements. La joie rayonne sur tous les visages, la gaieté est à son comble. Nous n’y comptions plus beaucoup. Aussi l’espoir renaît et nombreux sont les pronostiqueurs d’une fin très prochaine, deux mois pour la majorité, pourvu qu’ils ne fassent pas comme à Dieppe. Quelle désillusion se serait ! Mais je ne le pense pas. Cette fois, c’est la bonne et déjà, nous pensons au retour.(*)

(*) Opération « Overlord » débarquement des Alliers en Normandie le 6 juin 1944.

Mercredi 7 juin :

Les nouvelles sont bonnes. Les Anglo-Américains se maintiennent et avancent sur Caen et Rouen.

Jeudi 8 juin :

Avance continue des Alliés.

Vendredi 9 juin :

Bayeux : 1 ère ville française libérée. (*) Aujourd’hui, nous avons peu de renseignements mais les bobards circulent. Il y a des imbéciles qui disent que les Anglo-Américains seraient repoussés et auraient rembarqué. Heureusement, ce n’est pas vrai.

(*) Prise de Bayeux le 8 juin.

Samedi 10 juin :

13 h 15 : 146 ème alerte et bombardement à proximité du lager. Le S.Bahn est interrompu de 6 à 7 heures. Une bombe à retardement.

Dimanche 11 juin :

1 h 15 : Nouvelle alerte matinale, la 147 ème . Nous sentons passer des courants d’air dans les jambes. Ils ont lancé des soufflantes aussi, je les ai à zéro. Nous qui croyions être tranquilles maintenant qu’ils ont débarqué, il faut déchanter. Nous apprenons avec stupeur que maintenant, lors des bombardements, ils envoient des grosses bombes jumelées, explosives et soufflantes, qui font des dégâts terribles. Une est tombée à Alexanderplatz et a rasé douze immeubles et un bunker. Résultat : une bombe, 800 morts.

Lundi 12 juin :

1 h 15 : 148 ème alerte. Bombes et phosphore.

Mardi 13 juin :

Nous avons peu de nouvelles sur le débarquement. Nous savons juste qu’ils ne sont pas rembarqués, c’est le principal.

Mercredi 14 juin :

Enfin, après 46 jours sans, je reçois une lettre de chez moi du 15 mai. Je commençais vraiment à m’inquiéter. J’y apprends que Mézières a été bombardé 6 fois consécutives. Heureusement, mes parents n’ont rien aussi, je suis rassuré. Les libérateurs progressent et cherchent à s’emparer avec succès de la presqu'île du Cotentin.

Jeudi 15 juin :

Nouvelles lettres du 12 et du 25 mai me disant que chez moi, toutes les communications sont interrompues. Aussi, maintenant, plus d’espoir de recevoir de colis.

Vendredi 16 juin :

Les Allemands qui travaillent avec nous, nous parlent des fameuses bombes jumelées et nous disent aussi que les Américains envoient maintenant des bombes soufflantes d’un poids de 8.000 kg... Est-ce possible ? Si c’est vrai, ça doit faire un drôle de travail. Pourvu qu’ils ne leur prennent pas la fantaisie d’en amener quelques-unes lors de leurs visites.

Nous apprenons - mais est-ce vrai, il y a tellement de bobards qui circulent - que Cherbourg serait pris et que Grenoble, Montauban, Toulouse et Troyes seraient aux mains des « terroristes » - lire « Armée de la Libération », ce qui est plus juste.

J’allais oublier, ça fait un an aujourd’hui que nous avons été déportés en Allemagne.

Voir le Carnet n° 2