2° CARNET COMMENCE LE 16 JUIN 1944
Vendredi 16 juin 1944 :
Aujourd'hui commence notre 2° année de déportation.
Samedi 17 juin :
1 heure 15 à 2 heures : 149 ème alerte, bombes sur le nord.
Dimanche 18 juin :
1 heure 30 à 2 heures : 150 ème alerte, pas de bombes.
9 heures 30 : 151 ème alerte, grosses formations annoncées, ce n'est pas pour nous, Kiel et Hambourg.
Lundi 19 juin :
Londres est toujours soumis aux bombardements des V1 (1).
Mardi 20 juin :
8 heures 45 à 9 heures 30 : 152 ème alerte, Magdebourg et Stettin.
Mercredi 21 juin :
9 heures 15 à 11 heures 15 : 153 ème alerte. Anniversaire de notre arrivée à Berlin ainsi que de la déclaration de guerre de l'Allemagne à la Russie. Anniversaire bien arrosé car pendant 1 heure et demie les bombes sont tombées sans arrêt, presque tout Berlin est touché, principalement : le Centre, le Nord et l'Est. J'ai encore marché pendant 4 heures et demie pour rentrer au lager, au chantier, nous avons encore eu chaud, les maisons tout autour de nous grillent.
12 heures 10 à 12 heures 30 : 154 ème alerte. Une vraie pagaïe!
Jeudi 22 juin :
1 heure 30 à 2 heures 15 : 155 ème alerte. Les bombes dégringolent, on dirait des trains fonçant à toute vapeur sur nos têtes.
Samedi 24 juin :
1 heure 30 à 2 heures 15 : 156 ème alerte, ça cogne dur. Les journaux annoncent que les appareils qui ont bombardé Berlin au nombre de 3.000 ( le mercredi 21 juin) ont atterri en U.R.S.S.
Dimanche 25 juin :
Baignade à Wanesee.
Mardi 27 juin :
2 heures à 2 heures 10 : 157 ème alerte. Du nouveau en Russie, les Soviets ont pris l'offensive sur tout le front.
Mercredi 28 juin :
Nombreux "bouteillons": 1° Philippe Henriot a été assassiné par les partisans. 2° Conférence des chefs d'Etats alliés. 3° Les côtes allemandes bombardées pendant 48 heures. 4° 30.000 allemands, en France, se sont rendus aux alliés. 5° Cherbourg est tombé.
(1) V1, V2 : (abréviation allemande de Vergeltungswaffe, arme de représailles). Projectile autopropulsé, à grand rayon d'action, employé par les Allemands en 1944 et 1945. (Le V2 est le précurseur des missiles modernes. Réf. : dictionnaire Larousse.)
Jeudi 29 juin :
Confirmation des "bouteillons". 9 heures 30 à 10 heures : 158 ème alerte.
Mercredi 5 juillet :
Bonnes nouvelles du front russe, avance de 400 km en 15 jours. En Italie, avance aussi, Florence est tombée. En France, Caen est prise.
Vendredi 7 juillet :
9 heures 30 à 10 heures 15 : 159 ème alerte. Grosses formations sur Stettin.
Samedi 8 juillet :
1 heure 30 à 2 heures : 160 ème alerte. Bombes sur le Centre, avance continuelle des Russes, le moral est excellent.
Dimanche 9 juillet :
Nous allons au bain de Tegel.
Lundi 10 juillet :
Tous les journaux parlent du fameux V1, pendant qu'ils lisent ceci, leur attention est détournée des autres grands événements militaires.
Mardi 11 juillet :
1 heure 30 à 2 heures 10 : 161 ème alerte. Grosses bombes pas très loin du camp.
Vendredi 14 juillet :
Grande fête nationale en France, ici nous sommes obligés de travailler, ça ne fait rien, ce soir nous fêterons notre révolution au vin du Vaterland.
Samedi 15 juillet :
1 heure 30 à 1 heure 40 : 162 ème alerte.
Dimanche 16 juillet :
1 heure 20 à 2 heures 10 : 163 ème alerte. Encore de très grosses bombes. Les Russes, paraît-il, sont entrés en Prusse.
Mardi 18 juillet :
1 heure 30 à 2 heures 15 : 164 ème alerte. Grosses bombes, la D.C.A. ne tire même pas. Toute la journée de nombreux avions sur tout le territoire Allemand. Depuis hier nous travaillons au Reichtag, nous ne sommes pas bien placés pour les bombardements, de plus il faut faire 12 heures de travail : de 6 heures 30 le matin à 6 heures 30 le soir.
Mercredi 19 juillet :
1 heure 45 à 2 heures 30 : 165 ème alerte. Toujours des grosses bombes, depuis 3 jours nous travaillons en camion, que de dégâts! On peut dire que Berlin n'est plus qu'un tas de décombres. Il pleut tous les jours et je n'ai pas de nouvelles depuis le 6 juin.
Vendredi 21 juillet :
Il y a eu un attentat contre Adolf Hitler et son Etat-Major, mais l'attentat n'a pas réussi. Pendant quelques heures les S.S. ont gardé les quartiers du Centre de Berlin.
Samedi 22 juillet :
0 heure à 0 heure 15 : 166 ème alerte. Changement d'heures, grosses bombes. 7 heures 25 à 8 heures : 167 ème alerte. De grosses formations s'avancent sur Berlin.
Dimanche 23 juillet :
1 heure 30 à 2 heures 15 : 168 ème alerte. Encore des bombes, pas de D.C.A.
Lundi 24 juillet :
1 heure à 2 heures 15 : 169 ème alerte. Grosses bombes, plusieurs foyers d'incendie sur le Centre.
Mardi 25 juillet :
1 heure 45 à 2 heures 30 : 170 ème alerte. Une centaine d'avions sur la ville, nous sommes dehors pour voir les avions dans les projecteurs, quand tout à coup nous percevons un grondement formidable, c'est une Luftmine qui fonce sur nos têtes, nous sommes projetés à terre, les carreaux du lager ont volé en éclats, pas de victime parmi nous, la bombe est tombée à une centaine de mètres.
Mercredi 26 juillet :
1 heure 15 à 2 heures : 171 ème alerte. Encore des grosses bombes sur le Centre.
Jeudi 27 juillet :
Je reçois un colis envoyé du 15 ou du 16, ainsi que 2 lettres.
Lundi 31 juillet :
Depuis quelques temps ça barde en Russie, les soviets attaquent Varsovie, heureusement ça nous maintient le moral car à l'Ouest ça n'a pas l'air de bouger beaucoup.
Vendredi 4 août :
Calme sur Berlin, mais ce n'est pas pareil sur toute l'Allemagne.
Samedi 5 août :
11 heures 50 à 13 heures 15 : 172 ème alerte. Quelques avions sur Berlin.
Dimanche 6 août :
11 heures 45 à 13 heures 15 : 173 ème alerte. Nous sommes à la plage de Tegel, réfugiés dans les abris, tirs de la D.C.A. et beaucoup de bombes. C'est Schoneweide et Marienfeld, une dizaine d'usines écrasées, du beau travail.
Lundi 7 août :
A 7 heures les Tommies sont déjà sur nos têtes en ballade. A 20 heures 30, la D.C.A tire en vain sur quelques avions qui s'amusent.
Vendredi 11 août :
00 heure à 0 heure 40 : 174 ème alerte. Bombardement par bombes de gros calibres.
Samedi 12 août :
00 heure à 0 heure 40 : 175 ème alerte. Nouveau bombardement.
Dimanche 13 août :
23 heures 20 à 0 heure 40 : 176 ème alerte.
Lundi 14 août :
177 ème alerte. Grosses Bombes.
Mardi 15 août :
Depuis midi les troupes Anglos- Américaines sont débarquées dans le Midi de la France entre Toulon et Cannes. (*)
(*) Opération Anvil. Débarquement en Provence de l’armée franco-américaine emmenée par de Lattre de Tassigny, le 15 août 1944.
Mercredi 16 août :
23 heures 45 à 0 heure 25 : 178 ème alerte. Quelques avions isolés mais encore des grosses bombes.
Jeudi 17 août :
179 ème alerte. Maintenant toutes nos nuits sont interrompues par ces maudites alertes, quand donc cela va finir! Nous sommes tous rompus de fatigue et avons faim, pour ma part, je n'en peux plus, mes jambes ont du mal à me porter, je ne pèse plus que 52 kilos, j'ai perdu 10 kilos depuis mon départ.
Vendredi 18 août :
0 heure 20 à 1 heure 30 : 180 ème alerte. Encore des grosses bombes. Si cela continue avec les pièces de D.C.A à côté de nous, on va finir par dérouiller. Heureusement que les événements se précipitent.
Lundi 21 août :
14 ème mois de notre arrivée à Berlin, depuis quelques jours, le secteur est redevenu calme. Nous apprenons que les blindés américains sont entrés dans Paris, à Falaise 10 divisions allemandes sont encerclées. Vichy encerclée par les maquisards. En Russie, 10 millions d'hommes ont attaqué sur tous les fronts. Révolution à Varsovie. En Italie c'est calme. Les restrictions commencent à se faire sentir : 2 cigarettes par jour, les suppléments sont supprimés.
Mercredi 23 août :
Nous apprenons que 80 ouvriers de la firme doivent partir fortifier la Sud- Deuschand vendredi, mais je ne sais pas si je suis compris parmi eux. Il ne manquerait plus que cela !
Jeudi 24 août :
Cette nuit nous avons été réveillés par une violente explosion, le ciel en feu vers le Sud-Est, c'est la poudrière de Grunau qui a sauté (sabotage. 11 heures 45 à 12 heures 55 : 181 et 182 ème alertes.
Vendredi 25 août :
11 heures 45 à 12 heures 30 : 183 ème alerte. Quelques bombes vers le nord et à proximité.(*)
(*) Libération de Paris par la division Leclerc.
Samedi 26 août :
12 heures 40 à 13 heures 50 : 184 ème alerte. 23 heures 15 à 00 heure 00 : 185 ème alerte. Nous apprenons que la Roumanie vient de déclarer la guerre à l'Allemagne. (*)
(*) Le roi Michel renverse Antonescu en août 1944 : la Roumanie déclare la guerre à l'Axe, engageant 550 000 soldats contre l'Allemagne.
Dimanche 27 août :
11 heures 45 à 12 heures 30 : 186 ème alerte. Maurice Chevalier aurait eu son compte réglé par les patriotes. (*)
(*) Fausse information. Chanteur de variétés et artiste de cinéma français.
30 août :
1 heure 20 à 2 heures 10 : 187 ème alerte. Ça cogne dur et malgré l'abri nous entendons les bombes tomber.
3 septembre :
Cinquième année de guerre, espérons la dernière. Le beau temps est terminé, ce matin nous allons voir le film "Nous les gosses". Maintenant c'est la guerre totale 60 heures par semaine, plus de distraction, on n'a pas encore fini de s'ennuyer, heureusement que les alliés ont l'air très pressés, à peine 10 jours pour libérer la France. Les troupes débarquées à Toulon aidées par les partisans français sont passées en Italie. La quille approche. On apprend qu'elles sont à la frontière allemande en Alsace ainsi qu'en Belgique, à Mons, à Namur, d'après la radio allemande. Ce matin ainsi que ce soir les journaux annoncent de grands combats dans la région de Charleville, pourvu qu'ils ne résistent pas de trop (les Allemands) et que je ne retrouve pas les Ardennes en ruine.
Lundi 4 septembre :
Toujours de bonnes et nombreuses nouvelles : Le nettoyage en France est presque terminé. Les Anglo-Américains et les Canadiens sont arrivés à Bruxelles. La radio anglaise aurait parlé d'un délai de dix jours pour écraser la ligne Siegfried. La Finlande capitule et la Hongrie sur le point de l'être. Révolte en Tchécoslovaquie, j'ai le ferme espoir que le mois de septembre sera décisif. (*)
(*) En effet septembre 1944 accumule des renversements de situations : demande d’armistice de la Finlande avec cessation des combats ; déclaration de guerre de l’URSS à la Bulgarie ; armistice soviéto-bulgare ; armistice soviéto-roumain ; armistice russo-finlandais ; libération de Bruxelles par les Alliés. Etc.
Mardi 5 septembre :
Les Anglo-Américains avancent toujours. La Belgique est traversée et ils vont pénétrer en Hollande.
Mercredi 6 septembre :
Bombardement de Brandeburg, Rotterdam est passée, ils sont à Amsterdam et à Aix-la-Chapelle à la frontière allemande. L'U.R.S.S. est en guerre contre la Bulgarie.
Jeudi 7 septembre :
À peine en guerre, la Finlande a capitulé. Les troupes françaises sont au Luxembourg et les Américains sont au sud de la ligne Siegfried.
Vendredi 9 septembre :
La ligne Siegfried est soi-disant enfoncée à deux endroits. La Bulgarie a déclaré la guerre à l'Allemagne. La radio anglaise a annoncé qu'ils (les alliés) avaient fait des prisonniers de 16 ans et les ont renvoyés avec la mention "Trop jeune pour la guerre".
Beaucoup de bouteillons ces jours-ci :
1- Bombardement jusqu'à écrasement de la ligne Siegfried par 20.000 avions pendant dix jours.
2- A partir du 20 septembre, si l'Allemagne n'a pas capitulé, bombardement sans interruption.
Maintenant à Paris : viande de cheval à volonté et 500 gr d'autres (viandes) par semaine, 1 litre de vin par jour. Ici, maintenant une cigarette vaut 2 RM 50 soit 50 fr.
11 heures à 11 heures 30 : 188 ème alerte.
Dimanche 10 septembre :
Le matin, entraînement de football.
22 heures 15 à 0 heure 10 : 189 ème alerte, cette fois il y a le compte d'avions et nous sommes secoués à deux reprises par des grosses.
Lundi 11 septembre :
22 heures 45 à 0 heure : 190 ème alerte.
Mardi 12 septembre :
10 heures 45 à 12 heures 45 : 191 ème alerte, bombardement, l'alerte m'a surpris alors que nous étions en panne d'auto en plein centre (ville)], nous courrons pendant 1 km jusqu'au bunker à Annalter Bahnhof avec tous mes bleus [vêtements de travail] en lambeaux et mes sabots sans semelle, j'étais honteux! De nombreux avions ont survolé Berlin et mitraillé notre chantier.
Bouteillons : De Gaulle Président de la 4° République française. Pétain prisonnier des Allemands, Laval, Doriot et toute la bande réfugiés à Berlin. (*).
22 heures 30 à 23 heures 30 : 192 ème alerte, la D.C.A à côté en met un rayon. Toujours de grosses bombes.
(*) En fait : de Gaulle est le Chef du Gouvernement Provisoire de la République française et en sera Président en novembre 1945. Le Maréchal Pétain est enlevé par les Allemands et conduit à Sigmaringen. Laval suivra le maréchal à Sigmaringen. Quant à Jacques Doriot, dirigeant de la Légion des Volontaires Français, il combattit avec l'armée allemande contre l'U.R.S.S. Il mourut en février 1945 dans sa voiture, mitraillé par des avions inconnus.
Mercredi 13 septembre :
Le S.Bahn a dérouillé [métro de banlieu] cette nuit à Narschauer Strasse.
Bouteillons : 7 ministres allemands ont eu à répondre devant leur tribunaux parmi lesquels : le chef de la police de Berlin. Les Américains seraient, parait-il, à Trier [Trèves] en Allemagne.
22 heures 45 à 23 heures 45 : 193 ème alerte, toujours de grosses bombes.
Jeudi 14 septembre :
Les chasseurs anglo-américains viennent à trois reprises s'amuser dans le ciel berlinois. Nous apprenons la mort de trois camarades au cours d'un bombardement à Duisburg où ils étaient partis travailler la semaine dernière.
Vendredi 15 septembre :
L'offensive est déclenchée sur les deux fronts Est-Ouest , 40 divisions russes massées face à la Prusse. La ligne Siefried est percée.
Samedi 16 septembre :
1 heure à 2 heures 40 : 194 et 195 ème alerte, à peine couché, deux alertes consécutives. Nous courrons aux abris, les bombes tombent.
Dimanche 17 septembre :
Théâtre au lager. Les alliés seraient à 50 km de Cologne. A l'issue de la séance, le lager-führer nous dit qu'il n'y en a plus pour longtemps.
Lundi 18 septembre :
Derniers bouteillons : les Alliés auraient parachuté des troupes à la frontière hollandaise-allemande.
22 heures 30 à 23 heures 30 : 196 ème alerte, après le signal danger écarté, le phosphore tombe ainsi que les bombes (*), ça cogne dur.
(*) sous entendu : bombes explosives.
Mardi 19 septembre :
Un train de réfugiés de Pologne arrive à Berlin.
Jeudi 21 septembre :
Depuis quelques jours, secteur calme. La radio allemande annonce qu'ils seraient [ les anglo-américains] à 5 km de Cologne.
Mardi 26 septembre :
13 heures à 13 heures 20 : 197 ème alerte.
Lundi 2 octobre :
Calais est tombé.
Jeudi 5 octobre :
Depuis un moment j'étais obligé de planquer le carnet car nous sommes surveillés par la police. Elle passe fouiller la chambre pendant la nuit et cherche des armes.
20 heures 05 à 21 heures 05 : 198 et 199 ème alerte, quelques bombes.
Vendredi 6 octobre :
11 heures 45 à 13 heures : 200 ème alerte, cette fois on les voit arriver et à la 1ère vague, un avion éclate en l'air puis deux autres vagues se succèdent encore et deux autres avions descendent. A la 4 ème vague nous sommes obligés de rentrer en courant dans l'abri car ils sont au-dessus, l'abri tremble, je les ai à zéro. Enfin le danger s'écarte. Quand nous sortons, le ciel est en feu et quelle fumée vers l'Est! Spandau et Siemens ont dérouillé. De nombreuses usines sont en l'air et on déplore de nombreux morts surtout parmi les travailleurs français.
20 heures 05 à 20 heures 50 : 201 ème alerte, de nombreux avions et grosses bombes dans les parages.
Samedi 7 octobre :
12 heures 35 à 13 heures : 202 ème alerte, de grosses formations annoncées.
Mercredi 11 octobre :
4 heures à 4 heures 40 : 203 ème alerte, encore de gros pruneaux.
Vendredi 13 octobre :
Aix-la-Chapelle est évacuée officiellement.
Samedi 14 octobre :
La France à déclaré la guerre à l'Allemagne [?]. Ici nous sommes de plus en plus surveillés par la police.
Dimanche 15 octobre :
3 heures à 3 heures 30 : 204 ème alerte, cette fois il a fallu dégager en vitesse, encore en train de m'habiller que déjà les bombes dégringolent, c'est un sauve qui peut général. Je prends juste le temps d'enfiler mon manteau et de courir pieds nus aux abris, on entend au-dessus de nos têtes siffler les bombes, encore une fois on a eu chaud.
Lundi 16 octobre :
12 heures 40 à 12 heures 50 : 205 ème alerte.
Mort de Rommel. (*).
(*) Rommel Erwin : Maréchal allemand qui se distingua en particulier en Libye et en Egypte. Sa sympathie pour le complot organisé contre Hitler le fit condamner au suicide sur ordre de ce dernier.
Vendredi 20 octobre :
Une affiche paraît au lager invitant tous les étrangers à rentrer au camp avant 20 heures. Mobilisation de tous les Allemands de 16 à 60 ans? Demande de volontaires.
Samedi 21 octobre :
Seize mois que nous sommes ici.
Dimanche 22 octobre :
Cette après-midi, comme tous les dimanches, je joue au football, mais après la partie, je suis obligé de me coucher, je suis malade.
Lundi 23 octobre :
Nous passons la visite médicale contre les maladies vénériennes. Le soir 39°5 de fièvre, je dois me rendre à l'infirmerie, j'ai une bronchite, 19 heures à 19 heures 30 : 206 ème alerte, c'est le Nord qui a dérouillé.
Jeudi 26 octobre :
19 heures à 19 heures 30 : 207 ème alerte. Derniers tuyaux, nous devons changer de lager dimanche, c'est la 5 ème fois. Moi je commence à aller mieux, je n'ai presque plus mal à la poitrine mais ce n'est pas grâce aux soins qu'on m'a prodigués, tous les jours des cachets, heureusement que j'ai pu me faire acheter du sirop, malgré tout je suis resté 2 jours au lit.
Vendredi 27 octobre : 22 heures 45 à 23 heures 30 : 207 ème - 0 heure 45 à 1 heure 30 : 208 ème alerte, dans la même nuit deux gros bombardements avec des grosses bombes, on a encore eu chaud, ça a soufflé. Ce matin, j'ai passé la contre visite, je dois recommencer [le travail] mardi.
Samedi 28 octobre :
Je tombe une nouvelle fois malade avec une angine je m'alite avec 40°5 de fièvre, ça va mal.
Dimanche 29 octobre :
Nous changeons de lager aujourd'hui, je dois donc me lever pour préparer mes valises mais par deux fois je dois me recoucher, je tombe de faiblesse. Heureusement, mes camarades se chargent de mes valises pour les emmener à mon nouveau lager. Mais où sommes-nous tombés? Des lits en bois et paillasse en paille, plutôt des copeaux de bois. Il faut d'ailleurs bourrer les paillasses nous-mêmes, de plus nous sommes gelés car le feu ne chauffe pas du tout, c'est un poêle monumental tout en briques, impossible de faire à manger, ça devint moche. Depuis hier matin je n'ai pas mangé, j'ai trop mal à la gorge.
Lundi 30 octobre :
J'ai passé une très mauvaise nuit et j'ai de plus en plus mal à la gorge, je suis gelé, sans aucun soin ni médicament, ici si on crève pas on a de la veine.
19 heures 30 à 20 heures 30 : 209 ème alerte - 22 heures à 23 heures : 210 ème alerte, encore deux alertes avec bombardements, la D.C.A à proximité du camp en met un rayon, à un kilomètre du camp on voit les lueurs d'un haut fourneau. Nos abris se trouvent à la cave sous la baraque, avantage : nous n'avons plus la peine de sortir, inconvénient : c'est plus dangereux. Depuis vendredi je n'ai pas encore mangé, je maigris à vue d’œil et je suis d'une faiblesse extrême. Je pèse maintenant : 51 kg.
Mardi 31 octobre :
Je vais un peu mieux mais je ne peux toujours pas manger et pour ne pas changer: pas de soins.
Mercredi 1er novembre :
19 heures 30 à 20 heures 30 : 211 ème alerte, toujours des bombes. Le feu prend dans le bois à proximité du lager. C'est encore tombé bien près.
Adresse du nouveau lager : Lager 77-78 . G.B.I, baraque 3, stube 3, Treskower chaussée, Berlin Karlshorst. (voir Cartes )
Jeudi 2 novembre :
20 heures à 20 heures 40 : 212 ème alerte.
Vendredi 3 novembre :
1 heure 20 à 2 heures 20 : 213 ème alerte, les bombes tombent près et une maison flambe à côté du lager.
Dimanche 5 novembre :
12 heures 30 je joue au football à Weissensee contre les bleuets, nous gagnons par 2 à 0. 15 heures, je vais assister au match France-Italie, que la France gagne par 5 à 1 après une magnifique partie. Le stade est comble, plusieurs dizaines de milliers de personnes. PS : Au cours des dernières alertes, notre ancien camp de Biesdorf a dérouillé. Le lager des Russes près de notre camp a eu plusieurs baraques de soufflées.
Dimanche 12 novembre :
Nous jouons au football à 9 heures 30 à Dreiliden contre l'équipe locale. Nous gagnons le match par 8 à 0, j'ai marqué 3 buts.
Cette dernière semaine à été très calme sur Berlin, par contre le reste de l'Allemagne a encore bien dégusté. Les Berlinois prévenus par radio de l'approche des appareils doivent se rendre à plusieurs reprises aux abris.
J'ai fêté le 11 novembre à ma façon c'est-à-dire que je n'ai pas travaillé. En France, ça a dû faire une belle fête bien arrosée mais pour aujourd'hui nous n'avons pas à nous plaindre nous avons fait un petit repas toute la chambre ensemble. Nous avons mangé 3 lapins... et une bonne purée. Malheureusement un nouvel ennemi : le froid a fait son apparition.
Mardi 14 novembre :
Le froid devient de plus en plus intense, il y a même un peu de neige ce matin. Ce n'est pas gai car nous travaillons dehors à faire du béton et nous sommes pour la plupart à moitié malade surtout de la poitrine. Cette semaine une dizaine de camarades ont été hospitalisés. Dès mon retour en France, la première chose à faire c'est d'aller me faire réviser chez le toubib.
Jeudi 16 novembre :
19 heures 15 à 20 heures 10 : 213 ème alerte. Nous apprenons avec plaisir : l'offensive d'hiver s'est déclenchée sur le front Ouest.
Vendredi 17 novembre : Une violente bataille se livre autour de Metz pour la possession de la forteresse.
Samedi 18 novembre :
Un bouteillon : le bruit court que 2.500.000 colis ont été expédiés pour les prisonniers et les requis, si c'était vrai, quelle fête lors de la réception de ce colis car depuis 4 mois nous en sommes privés et nous la sautons. Depuis cette nouvelle nous en rêvons la nuit, nous faisons même des pronostics quant à la contenance des colis.
Dimanche 19 novembre :
15 heures, football à Tegel, nous avons fait match nul : 3 à 3. Bonnes nouvelles sur les événements militaires : les troupes Françaises ont percé les lignes allemandes à Baccarat (Alsace), grand combat dans la région d'Aachen (Aix-la-Chapelle).
Lundi 20 novembre :
L'offensive alliée est en bonne voie.
Jeudi 23 novembre :
L'armée française à percé à Belfort et progresse le long de la vallée du Rhin en direction de Mulhouse.
Vendredi 24 novembre :
Nous lisons avec fierté et plaisir les éloges que la presse fait à l'armée française qui progresse toujours et a atteint Mulhouse.
Samedi 25 novembre :
Strasbourg est atteint, avance américaine dans la région de Stolberg. L'armée française fait toujours parler d'elle et étonne les milieux allemands. Nous apprenons quelques nouvelles de la radio : l'armée américaine progresse dans la plaine de Cologne, l'armée française a établi une tête de pont sur le Rhin. Dans les Vosges les Allemands sont en débandade. Les Russes sont à 50 km de Bucarest de plus il attaquent dans la région de Libau avec 4 armées. Les Anglais, eux aussi, ont déclenché une violente attaque couronnée de succès en Italie. A.H [Adolphe Hitler], d'après certains bruits berlinois, se serait noyé. De Gaulle et le ministre des Affaires étrangères, Bidault sont à la veille de leur départ pour Moscou. Au cours du bombardement d'hier soir, une seule bombe a détruit 10 immeubles, 500 morts grillés. Trois bombes soufflantes sont tombées à proximité de notre chantier, les baraques sont soufflées.
Dimanche 26 novembre :
Belle matinée ensoleillée, malheureusement le temps se gâte, à 1 heure, il gèle, il vente et il neige. Un vrai temps de chien.
Lundi 27 novembre :
18 heures 45 à 19 heures 45 : 215 et 216 ème alerte.
Mardi 28 novembre :
Ayant enfin, après 18 mois de présence en Allemagne, obtenu des bons d'habillement, je vais faire mes achats avec deux camarades de la chambre, heureusement pour nous nous avons une adresse et nous obtenons sans difficulté chacun un costume qui s'il n'est pas d'excellente qualité n'en est pas moins sortable, en comparaison avec ceux que mes camarades ont acheté après avoir couru tout Berlin.
Samedi 2 décembre :
21 heures 25 à 22 heures 30 : 217 ème alerte.
Dimanche 3 décembre :
J'assiste au match France-Hollande, la France perd par 2 à 1, belle partie. Je passe à soirée au Newelt.
Mardi 5 décembre :
10 heures 30 à 11 heures 30 : 218 ème alerte, très gros bombardement, j'assiste à tout. De nombreuses formations passent sans interruption, les quadrimoteurs sont très visibles, ainsi que les chasseurs qui font du piqué. La D.C.A est presque inexistante. Dans les dernières formations, un appareil est touché, il s"écarte des autres et 7 parachutistes sautent, enfin après 5 mn de vol plané l'appareil explose, la carcasse ne tombe pas très loin de nous, pour un peu elle nous tombait dessus. De nombreux quartiers sont touchés au Nord, à l'Ouest, au Sud-Est et Sud-Ouest. Aux dernières nouvelles, 1800 appareils sont venus nous rendre visite.
Mercredi 6 décembre :
20 heures 15 à 21 heures 15 : 219 ème alerte, quelques bombes à proximité. Le Nord a principalement dérouillé.
Samedi 9 décembre :
Tous les jours de 11 heures 30 à 12 heures 30, nous entendons le bruit d'une canonnade lointaine. Nous sommes gelés dans les piaules, nous sommes obligés de nous coucher de bonne heure.
20 heures 35 à 21 heures 25 : 220 ème alerte, le Nord a encore dérouillé.
Dimanche 10 décembre :
Aujourd'hui cinéma, Tino Rossi dans " Fièvres"
Lundi 11 décembre :
Cette nuit il a neigé.
Mardi 12 décembre :
Le froid fait son apparition.
Mercredi 13 décembre :
14 heures à 14 heures 30 : 221 ème alerte.
Dimanche 17 décembre :
Football à Britz, nous avons perdu par 3 à 2.
Lundi 18 décembre :
12 heures à 12 heures 30 : 222 ème alerte; 22 heures à 22 heures 50 : 223 ème alerte.
Mardi 19 décembre :
Offensive allemande à l'Ouest.
Mercredi 20 décembre :
Il fait maintenant très froid -18°, il ne fait pas bon à travailler dehors, si ça continue on va tous tomber malade.
21 heures 30 à 22 heures 20 : 224 ème alerte.
Samedi 23 décembre :
Les troupes allemandes ont fait deux percées profondes de 35 km (*) [bataille des Ardennes]. Le froid continue.
(*) Contre offensive allemande dans les Ardennes du 16 au 28 décembre 1944. Le repli définitif est effectif le 20 janvier 1945.
Dimanche 24 décembre 1944 :
Réveillon : c'est vite fait, une purée de pommes de terre, un gâteau de riz et des gâteaux.
Lundi 25 décembre :
Nous jouons au football par -10°, notre chambre contre la chambre 2/2, nous gagnons par 7 buts à 1. A partir d'aujourd'hui je fais office de chef de chambre.
Mercredi 27 décembre :
Nous reprenons le boulot avec - 18° . On va crever. Nous sommes obligés de manger avec le pardessus sur le dos et de nous coucher aussitôt.
13 heures 25 à 13 heures 35 : 225 ème alerte.
Dimanche 31 décembre :
Toute la nuit la neige tombe, 10 cm au sol, nous faisons la revanche au football et gagnons par 6 à 5.
18 heures 30 à 19 heures 25 : 226 ème alerte, le Nord de Berlin a encore dégusté. L'année finit donc par une alarme.
Fin de l'année 1944
Lundi 1er janvier 1945 :
Espérons que nous ne la finirons pas ici.
12 heures 10 à 13 heures : 227 et 228 ème alerte. Les environs de Berlin sont bombardés. L'année commence bien!
Mardi 2 janvier :
18 heures 30 à 19 heures 45 : 229 ème alerte, le Centre est en feu. Au lager pas de charbon, nous sommes complètement gelés de plus il pleut sur les lits et je suis obligé de me promener le plus tard possible dans le S-Bahn car il est chauffé. Ça va mal, le moral baisse, pas de lettre. Avance allemande, nous commençons à douter d'une fin proche de la guerre, si seulement les Russes attaquaient.
Jeudi 4 janvier :
19 heures 20 à 20 heures 10 : 230 ème alerte - 23 heures 30 à 24 heures 30 : 231 ème alerte. 1ère alerte, ça cogne sur le Centre mais à la 2 ème, c'est notre secteur, ça tombe à proximité mais je ne mets pas le nez dehors, il fait trop froid. Quel hiver!
Vendredi 5 janvier :
12 heures 15 à 12 heures 45 : 232 ème alerte - 19 heures 15 à 20 heures : 233 ème alerte - 22 heures à 22 heures 50 : 234 ème alerte, le Centre dérouille ainsi que le Nord.
Samedi 6 janvier :
Je touche la paye du mois de décembre, une très grosse ??? 6 RM pour 4 semaines, on peut dire qu'on gagne bien sa vie en Allemagne, c'est écœurant !
Vendredi 12 janvier :
Rien de nouveau de la semaine à part que je travaille à Jungefeneide au déblaiement d'une très importante usine à gaz, une soufflante est tombée à proximité. Il fait toujours très froid.
Samedi 13 janvier :
Journée de malchance. Le matin, mes chaussures étant en réparation, je reste au lager mais je me fais vider par le lagerführer "Belge" il a jusqu'à l'audace de me frapper et de m'envoyer au travail en sabots. Après une drôle de sérénade car il nous manque la clef de la chambre, 5 polochons et un drap. Il profite de notre absence pour nous enlever les housses et les draps. Nous voilà maintenant sur les paillasses, ça va de plus en plus mal et toujours pas de charbon. Le soir le lagerführer vient nous chercher les carnets de soupe à tous les Français de la firme pour nous obliger à travailler demain dimanche à décharger 15 wagons de ciment.
Dimanche 14 janvier :
Nous nous rendons au boulot et jusqu'à 6 heures du soir nous déchargeons des sacs de ciment, nous crevés, juste un morceau de pain de 375 gr depuis hier soir 7 heures. Si nous tenons encore le coup ça ne sera sûrement pas pour longtemps car nous sommes presque tous, plus ou moins, malades.
22 heures à 22 heures 45 : 236 ème alerte, les pruneaux tombent. 12 heures à 14 heures : nous entendons les bruits de moteurs des avions ainsi que de sourdes détonations dans notre nouveau chantier. Les abris ne sont pas très costauds, nous sommes au déblaiement de la centrale Telep de Berlin.
20 heures 10 à 21 heures : 238 ème alerte, bombes à proximité. 23 heures 30 à 24 heures 30 : 239 ème alerte, la troisième de la journée. Cette fois-ci, nous les avons à trois reprise à zéro. Nous les entendons tomber, surtout la dernière qui explose à moins de 200 mètres du lager, les carreaux et les portes volent en éclats. Nous allons encore geler un peu plus dans les piaules. Je suis obligé de mettre mon manteau sur le lit et de coucher tout habillé.
Lundi 15 janvier :
14 heures 20 à 14 heures 30 : 240 alerte.
Mercredi 17 janvier :
11 heures 30 à 12 heures 15 : 241 ème alerte - 20 heures 30 à 21 heures 30 : 242 ème alerte, ça bombarde à une centaine de km d'ici et nous voyons les lueurs. Offensives soviétiques sur le front Est, l'espoir renaît.
Jeudi 18 janvier :
heures à 5 heures 15 : 243 ème alerte, ils nous font lever de bonne heure. Les journaux parlent d'une formidable offensive soviétique sur plusieurs secteurs du front.
Vendredi 19 janvier :
Anniversaire de mes 23 ans. L'offensive russe fait d'immenses progrès, plus de 250 divisions ont déclenché l'assaut et bouleversé le front allemand en 3 jours. Ils ont avancé de plus de cent km. La joie est sur tous nos visages, "y a bon".
Samedi 20 janvier :
Sur le front russe c'est la débandade complète (des Allemands). Après Varsovie (*), Budapest, tombe aussi Cracovie, Litz, Menstadt sont aussi occupées. De nombreuses brèches sont ouvertes par les blindés et masses de troupes, ils déferlent sur tout le front. Derniers bouteillons : les Russes seraient aux portes de Breslau à 350 km de Berlin. Inutile de dire que le moral est plus qu'excellent. Nous reparlons une fois de plus du retour. En tout cas vivement que cela finisse car ça commence à devenir de plus en plus mauvais ici : alerte plusieurs fois par jour, pas de charbon, moins de beurre et de rutabaga (**), vivement demain que nous voyions le communiqué.
(*) Réf. : Histoire de la POLOGNE de Daniel Beauvois "Hatier 95", page 346
Le massacre de Varsovie.
"Le machiavélisme soviétique donna alors le coup de grâce à la résistance non-communiste. Pendant 63 jours, l'Armée rouge interrompit sa marche vers l'Ouest et attendit sur la rive Est de la Vistule que les nazis détruisent la capitale. Les divisions allemandes, les troupes russes et ukrainiennes ralliées au nazisme procédèrent à l'une des plus horribles tueries de l'histoire, massacrant rue par rue femmes, enfants, vieillards retranchés dans les caves, en les arrosant d'essence ou à la grenade. Hôpitaux, prisons, églises tout fut transformé en brasiers ou en ruines. Très vite la vie se réfugia dans les égouts. Le soulèvement n'avait été prévu que pour une semaine, or, le maréchal russe Rokossovski reculait de quelques kilomètres et attendait la fin. Les tentatives d'assistance occidentale furent inefficaces. Les parachutages de matériel à partir de l'Angleterre ou de l'Italie échouèrent pour la plupart. Il eût fallu atterrir en zone soviétique. Or Staline dénonçait "l'aventure de Varsovie" auprès de Mikolajczyk et, le 12 août, Vychinski, ministre soviétique des AE, refusa à l'ambassadeur des États-Unis tout atterrissage d'avions occidentaux en territoire libéré par l'Armée rouge [...] Soudain Berling, plus polonais que communiste peut-être, passa la Vistule, entre le 15 et le 19 septembre 1944, au Nord de la ville. Laissant 3.700 morts sur le terrain, il dut battre en retraite sous le feu allemand, privé de tout appui d'artillerie, du génie ou de l'aviation soviétique. Les Russes, qui avaient trois chars contre un allemand et cinq avions contre un, attendaient toujours. Berling, relevé de son commandement, fut envoyé à Moscou pour quelques années. La reddition avec honneurs militaires eut lieu le 2 octobre 1944. Les nazis avaient 17 000 morts, l'AK 18 000. Les victimes civiles étaient au nombre de 150 à 200. 000. [...] Pendant 50 ans les manuels soviétiques d'histoire allaient prétendre que l'arrêt de l'ARMEE ROUGE avait pour cause une contre-offensive allemande. »
Varsovie sera enfin prise par les Soviétiques le 17 janvier 1945.
(**) Rutabaga : Choux-navet couramment utilisé comme complément alimentaire du fait de la pénurie de légumes frais.
Dimanche 21 janvier :
L'offensive russe fait toujours d'immense progrès et maintenant nous sommes tous forts gonflés, que de châteaux en Espagne nous bâtissons. Déjà nous voyons le retour pour de- main et nous faisons des projets pour savoir quels moyens de locomotion nous allons emprunter pour repartir plus vite.
Lundi 22 janvier :
Avance toujours ultra rapide. Breslau serait déjà atteint, Cracovie est tombée. De nombreux réfugiés arrivent bien souvent avec de légers bagages, on voit qu'ils n'ont pas eu beaucoup de temps pour mettre les "bouts". Les gares sont encombrées. Après nous avoir vu au cinéma évacuer nos villes en 1940, maintenant ce sont eux qui en font l'expérience. Chacun son tour, peut-être vont comprendre.
Mardi 23 janvier : Posen est atteint, maintenant la distance entre Berlin et le front n'est plus que de 250 kilomètres (*). La Prusse est presque encerclée. Cela va mal, à partir de demain plus d'autobus (pour se rendre dans les différents lieux de travail). 2 heures de gaz par jour, suppression partielle d'électricité, heureusement que tous les journaux circulent. La situation désespérée de la France, c'est ici pareil et sûrement plus.
(*) Georges Nonnon avait acheté un plan de Berlin et de ses environs pour effectuer ses déplacements dans les différents lieux de travail. Il fit également l'acquisition d'une carte du territoire (carte destinée à la navigation aérienne) sur laquelle il suivait quotidiennement la progression de l'avance alliée tout en sachant le risque encouru en cas de découverte par les autorités allemandes. (Luft navigation carte, dressée en 1940)
Mercredi 24 janvier :
Le travail commence à se ressentir de la situation, plus beaucoup de boulot. Une nouvelle vague de froid a fait son apparition. Toujours de bonnes nouvelles du front, une majeure partie des villes de Haute Silésie sont encerclées ainsi que la Prusse. Grande attaque en Courlande , sur le front de l'Ouest et sur l'Italie.
Jeudi 25 janvier :
Les troupes russes continuent toujours à avancer. Il neige.
Vendredi 26 janvier :
Plusieurs têtes de pont sont créées sur l'Oder. Combat à Breslau, Posen et Oppeln.
Samedi 27 janvier :
Oppeln est tombée, tous les ponts aux mains des troupes russes. Combat au Nord-Ouest et au Sud-Ouest de Posen, à Schneidenrund, 200 km de Berlin près de Koenigsberg etc. Dans quelques jours nous entendrons le canon. Derniers bouteillons : avance de blindés dans la région de Stettin à 140 km de Berlin. Des hommes de confiance, paraît-il, ont annoncé que nous ne devions pas fuir devant les soldats russes (pour ma part, c'est bien mon avis) car après un accord avec les autorités françaises nous serions renvoyés en France en passant par la Russie, l'Egypte etc., aussi l'imagination ne chôme pas, nous nous voyons déjà embarqués à travers de nombreux pays, quel joli voyage, si c'était vrai! Depuis que les divisions russes s'approchent de Berlin , nous vivons tous dans une fièvre intense. Nous parlons d'une fin très prochaine de la guerre précédée d'une révolution, ce qui ne m'étonnerait pas car les nerfs sont tendus, rien ne va plus : manque de charbon, moins de trafic du S-Bahn. Les réfugiés arrivent en masse. Le froid s'intensifie et la neige tombe toujours, plus de 20 cm. Enfin le moral est excellent car nous sentons la "quille" proche.
20 heures à 21 heures 15 : 244 ème alerte.
Dimanche 28 janvier :
Grand froid, neige. Dernières nouvelles presque incroyables : 14 heures, nous apprenons que les pointes avancées des troupes russes sont à Langsberg à 130 km de nous. 5 heures, le lagerführer belge vient d'annoncer que d'après la radio, des blindés sont à proximité de Kustrin (70km), nous sommes tous penchés sur la carte et n'osons y croire, c'est tellement près! La joie rayonne partout. C'est dommage je n'arrive pas à exprimer ce que je ressens, en tout cas nous ne sommes pas du tout tristes et l'accordéon, entre les mains du camarade Baud, ne chôme pas. Peut-être que dans 2 jours ils seront ici, l'inconvénient je ne vais sûrement pas toucher ma paye car c'est jeudi. Dernier bouteillon : Hitler auraient demandé les conditions d'armistice mais Goebbels et Himmler auraient refusé, cela va sûrement faire du vilain le 30 janvier jour anniversaire du parti National-Socialiste, nous nous attendons au pire de la part des Allemands quelques bagarres ayant déjà eu lieu, ils sont très excités.
20 heures à 21 heures 20 : 245 ème alerte, bombardement.
Lundi 29 janvier :
Nous apprenons avec déception que les nouvelles annoncées hier sont fausses. Le camarade Jean Darrieumerlou reçoit un message de France par la Croix Rouge.
19 heures à 20 heures : 246 ème alerte, quelques grosses bombes à proximité. Nous apprenons que les Russes ne sont plus qu'à 80 km, s'ils continuent à cette allure cela sera bientôt la "quille".
Mardi 30 janvier :
Anniversaire du parti National-Socialiste. Nous nous attendons à quelque chose de sensationnel mais contre toute attente, il ne s'est rien passé. Les troupes russes avancent toujours. Ici au lager ça va de plus en plus mal, nous avons souvent des rutabagas, trois cabinets [w.c] pour 1.200 personnes, hommes, femmes et enfants.
Jeudi 1er février :
Grandes et bonnes nouvelles, sur le journal : Kustrin et Frankfurt sont atteints, ils foncent à plein gaz. Chez les volksturm (*), appels en pleine nuit pour faire des tranchées et des barricades dans les rues. Ils ont sûrement l'intention de se battre dans Berlin, il ne manquerait plus que cela, ce n'est pas pour nous rassurer. Il parait qu' Hitler a dit dans son dernier discours qu'il se battrait avant, dans et après Berlin. Aujourd'hui on évacue les enfants et les femmes de Berlin. Derniers bouteillons sensationnels : l'Oder traversé à Frankfurt et à Kustrin.
(*) Volksturm : Milice populaire levée par Hitler à la fin de la guerre.
Il serait venu, cette nuit, 25 tanks russes en reconnaissance à Funstenwalde à 30 km d'ici, 10 auraient été détruits aussi la joie est à son comble et on s'attend d'une minute à l'autre à les voir arriver. De temps en temps nous sortons dehors pour voir les lueurs ou entendre le canon mais il fait un temps épouvantable, vent et pluie. Nous sommes tous gonflés. A 20 heures 15 c'est la 247 ème alerte, nous nous précipitons à l'abri. Les bombes tombent très près d'ici, 5 ou 6 , cela réduit notre ardeur, nous sommes un peu refroidis, 2 foyers d'incendie à moins de 500 m, on a eu chaud, 3 baraques du lager sont démolies. Les volksturm patrouillent dans les rues avec leur panzerfaust (lance roquette anti-char), des tanks aussi le long des voies du S.Bahn. Je ne sais pas si je vais aller travailler demain, d'ailleurs ils seront (les Russes) peut-être là. Les Allemands ont reçu l'ordre d'acheter tout ce qu'ils avaient à prendre sur leur carte.
Vendredi 2 février :
3 heures 40 : 248 ème alerte, qu'est-ce que nous dégustons encore une vingtaine d'explosives qui tombent dans le secteur, enfin à 4 heures 30 c'est la fin de l'alerte. A 6 heures et à 7 heures, nous sommes réveillés en sursaut par l'explosion de bombes à retardement. 20 heures 10, c'est à mon tour d'aller prendre la soupe avec 3/4 d'heure de queue, l'alerte nous surprend, la 249 ème.
Samedi 3 février :
Journée mémorable, 10heures 40 à 12 heures 30 : 250 ème alerte, c'est le plus fort bombardement qui ait eu lieu avec 2.000 bombardiers. Une fois de plus, j'ai cru que c'était fini tant j'ai eu peur pourtant à l'abri dans la cave de la Poste, seulement 2 briques d'épaisseur, les bombes explosives ne sont pas tombées loin. J'ai marché pendant 4 heures à travers tout Berlin pour retrouver le lager. Tout le Centre, l'Est, le Sud-Est et le Sud ne sont plus qu'un immense brasier. Tous les musées et monuments de Börse sont détruits, nous sommes obligés de marcher et courir à travers les rues embrasées, le cache-nez sur le visage pour ne pas étouffer et nous protéger les yeux de la chaleur intense. Tout brûle, les maisons, les trains, le S.Bahn. Le vent souffle en tempête des morceaux de charpentes embrasées ainsi que des briques qui sont projetées sur nos têtes. La chaussée n'est plus qu'un tas de décombres, creusée d'immenses entonnoirs. Partout des femmes, des hommes des enfants se sauvent avec des valises et des sacs, quelle panique!
Le nombre de victimes est effroyable, de nombreuses personnes n'ayant pu entrer dans les abris qui regorgeaient de réfugiés. Toutes les grandes gares sont détruites, de nombreux soldats y ont été tués. Cette fois-ci je crois qu'ils ont compris et ils demandent l'arrivée des troupes russes le plus tôt possible, moi aussi d'ailleurs car maintenant ça devient intenable. On va tous y rester. Des bombes à retardement éclatent presque toutes cinq minutes, nous devons contourner des quartier entiers. Malgré cela les volksturm travaillent toujours à la construction des barricades dans Berlin, ce qui fait sourire les troupes qui montent au front, comme si un tas de briques pouvait arrêter un tank. Ce n'est plus du fanatisme c'est de la pure folie. Quand donc vont-ils comprendre? C'est sûrement une brique qu'ils ont à la place du cœur. Enfin j'arrive au lager à 18 heures 30, les bombes à retardement éclatent toujours. Un avion a été abattu, il est tombé dans le champ de course à 100 m. Dans la chambre il n'y a pas d'absent, mais il n'en est pas de même dans le lager. Encore une chaude alerte de passée.
Dimanche 4 février :
Offensive à l'Ouest. Bouteillons : la ligne Siegfried est percée en deux endroits. Les Russes n'ont pas encore attaqué mais ils massent du matériel.
19 heures 30 à 20 heures 10 : 251 ème alerte, drôle d'alarme, les sirènes hurlent dans tous les coins, l'une annonce la fin, l'autre signale que tout danger est écarté et une autre encore signale la poursuite de l'alerte, c'est à ne plus rien y comprendre! Heureusement rien sur Berlin.
Lundi 5 février :
Le S.Bahn toujours coupé, je ne pars pas au boulot.
Mardi 6 février :
3 heures 45 à 4 heures 30 : 252 ème alerte, bombes sur l'Ouest.
Mercredi 7 février :
19 heures 50 à 20 heures 45 : 253 ème alerte.
Jeudi 8 février :
3 heures 40 à 4 heures 40 : 254 ème alerte. 20 heures à 20 heures 50 : 255 ème alerte, pas de bombes, quelques chasseurs. Le temps est revenu au beau depuis quelques jours mais malheureusement nous n'avons plus grand' chose à nous mettre sous la dent, la boule [de pain] à quatre par jour, un demi litre de flotte d'où surnagent 4 à 5 morceaux de rutabagas.
22 heures 45 à 23 heures 45 : 256 ème alerte, juste le temps de descendre aux abris les avions sont sur nous. Quelques grosses bombes tombent à proximité, nous avons de plus en plus peur surtout après le bombardement de samedi dernier.
Vendredi 9 février :
12 heures à 12 heures 50 : 257 ème alerte, de grosses formations sont annoncées sur l'Allemagne, ainsi, aussitôt l'alarme, je pars à la recherche d'un bon abri, sans succès, ils (les abris) sont tous bondés. Je reviens donc à la poste dans la cave protégée par un plancher et un plafond d'une brique d'épaisseur.
Dimanche 11 février :
Le lager est à présent archi-comble, c'est maintenant un lager de formation pour l'organisation Todt qui occupe de nombreux Français, Polonais et Italiens etc. Bouteillons : attaque russe, préparation de l'offensive qui nous espérons sera la dernière. Attaque américaine et française sur le front Ouest. Enfin après 8 jours d'interruption le journal "l'Avenir" commence à reparaître, nous allons au moins avoir quelques nouvelles.
Lundi 12 février :
Bouteillon : malheureusement impossible, tous les Français seraient internés en Suisse en attendant la fin de la guerre, si c'était vrai! Finis les bombardements, la mauvaise nourriture etc. Mais nous devons y parvenir par nos propres moyens, c'est-à-dire à pied alors...
Mardi 13 février :
Mauvais temps, neige et pluie toute la journée. Les troupes russes seraient à Lubben à 30 km au Nord de Kottbus. 9 heures à 10 heures 30 : 258 ème et 259 ème alertes.
Mercredi 14 février :
11 heures à 11 heures 10 : 260 ème alerte. 12 heures 30 à 13 heures 15 : 261 ème alerte. 14 heures 15 à 14 heures 35 : 262 ème alerte, trois alertes consécutives c'est peut-être les Russes qui ont déclenché l'offensive finale. Dans notre coin ça devient de plus en plus inquiétant, ils ont installé des pièces d'artillerie dans le champ de course en bordure du lager. 21 heures à 22 heures : 266 ème alerte.
Jeudi 15 février :
0 heure 30 à 1 heure : 264 ème alerte . 10 heures 45 à 11 heures : 265 ème alerte. 11 heures 45 à 12 heures 30 : 266 ème alerte, nous sommes servis comme alertes, bombes sur le Nord de Berlin.
Dimanche 18 février :
20 heures 20 à 21 heures 10 : 267 éme alerte, pas de bombardement, il est vrai que la vie n'a pas encore repris son cours normal depuis le bombardement du 3, des endroits brûlent encore et de nombreuses victimes sont encore ensevelies, on compte 100.000 disparus.
Mardi 20 février :
20 heures à 20 heures 30 : 268 ème alerte, temps splendide, clair de lune magnifique. Quelques chasseurs. 21 heures 30 à 22 heures 15 : 269 ème alerte, bombes sur le Centre et le Nord. Ce matin nous avons entendu pendant 2 heures une violente canonnade du front, ça approche.
Mercredi 21 février :
14 heures 30 à 15 heures : 270 ème alerte. 15 heures 30 à 15 heures 45 : 271 ème alerte. 20 heures 45 à 21 heures 30 : 272 ème alerte, quelques bombes, les chasseurs s'amusent avec les projecteurs.
Jeudi 22 février :
0o heure à 00 heure 40 : 273 ème alerte. 12 heures 20 à 13 heures : 274 ème alerte. 21 heures à 22 heures : 275 ème alerte 1ère alerte : bombes dans le secteur nous avons encore eu chaud, 2 ème alerte : bombes et mitrailles sur Orienburg, 3 ème alerte : bombes encore dans le secteur.
Vendredi 23 février :
Grandes attaques des alliés sur tous les fronts mais pas d'offensive. Ça va mal, plus de lumière pendant 3 heures, pas de soupe. Comble de malchance juste quand nous avons à nouveau la lumière, l'alarme se fait entendre. Bombes dans le secteur. 20 heures à 20 heures 50 : 276 ème alerte. Deux heures de queue sous la pluie pour toucher notre maigre ration de soupe, je suis servi à 22 heures 45.
Samedi 24 février :
L'offensive alliée est déclenchée à l'Ouest. 21 heures 50 à 22 heures 50 : 278 ème alerte, les voilà encore dans notre secteur, les fusées sont lâchées au-dessus du lager. Tout à coup un bruit de tonnerre, une luftmine est tombée à une cinquantaine de mètres du lager, tous les carreaux sont cassés et les volets arrachés. Cela devient de plus en plus sérieux, vivement que cela finisse car on la saute de plus en plus et nous sommes journellement bombardés.
Dimanche 25 février :
20 heures à 21 heures : 279 ème alerte, c'est encore Berlin qui dérouille. Les bombardements sur l'Allemagne vont être intensifiés, alors comment cela va être !
Lundi 26 février :
11 heures 15 à 14 heures 25 : 280 ème alerte, heureusement j'ai changé de chantier, je suis dans un bon bunker, là je ne risque rien. Malgré un temps épouvantable ils viennent de nouveau bombarder. Des formations sont annoncées. De tous les côtés pleuvent les bombes, la lumière s'éteint, la centrale électrique doit être touchée, enfin à 14 heures 25 c'est la fin de l'alerte. Le Centre à l'air d'avoir dérouillé. 15 heures, je pars sur le chantier pour rentrer au lager à pied bien entendu! Tous les S.Bahn sont arrêtés, Posdamer- Platz brûle ainsi que les bureaux de la firme. Cette semaine pas de carnet de soupe (tickets), je traverse Alexander-Platz en flammes ainsi que le nord de Janowitzbrucke. Plus j'avance, plus les dégâts sont considérables. Tout l'Est de Berlin n'est qu'un brasier. Je prends la Frankfurter-allée mais impossible de passer, les maisons s'écroulent, les bombes à retardement éclatent sans cesse. Je passe à Strauberger-Platz, une bombe en plein sur l'U-Bahn (métro intérieur), on dégage les cadavres qui sont nombreux, je ne suis pas encore arrivé car il faut faire des détours. Je suis obligé de suivre les voies du S-Bahn de Warchauer-Strasse à Karlshort. Toutes les voies sont coupées. Tous les vingt mètres, une bombe explosive. La gare d'Oskreuz brûle et c'est ainsi jusqu'à Rumelsburg, là à la gare, 7 soldats et 2 civils sont allongés sur le bas-côté, ils ont été tués par une explosive. Au fur et à mesure que j'avance, toujours des bombes et des quartiers qui flambent. Je commence à craindre pour le lager car le quartier de Karlshorst a été atteint. Enfin j'arrive au lager à 7 heures 30, plus de 30 km à pied. Le camp n'a pas été touché mais il a eu chaud. Encore un de plus [bombardement] de passé, il a été plus terrible que celui du 3 février. Toutes les communications sont coupées, nous ne sommes pas prêts de reprendre le travail. 20 heures à 21 heures : 281 ème alerte, les voici encore, cela doit être une drôle de pagaille dans le Centre qui reçoit encore des bombes.
Mardi 27 février :
Je reste au lit complètement exténué. 20 heures 20 à 21 heures 10 : 282 ème alerte. Nous avons encore eu une drôle de frousse, une dizaine d'explosives tombent dans notre coin, ils en veulent à notre secteur. Le ciel est en feu sur 3 côtés à proximité du lager. Nous nous recouchons mais pas pour longtemps.
Mercredi 28 février :
2 heures à 3 heures 15 : 283 ème alerte, et encore des bombes cela devient de plus en plus intenable, surtout que toutes les nuits nous sommes réveillés par les explosions des bombes à retardement. Les communications sont toujours coupées ainsi que la ligne de Schöneweide, ce qui signifie que nous ne pouvons plus nous rendre au travail pour bénéficier du bon de repas du midi. Encore des bombes explosives près du camp. En février, nous avons subi 22 bombardements et 38 alertes.
Jeudi 1er mars :
8 heures, vidage au lager, nous devons aller travailler, 5 à 6 km à pied pour prendre le S.Bahn. 19 heures 55 à 20 heures 30 : 285 ème alerte, quelques bombes. Le danger écarté sonne quand descendent encore les bombes.
Vendredi 2 mars :
9 heures 45 à 11 heures 15 : 286 ème alerte. 13 heures à 13 heures 15 : 287 ème alerte. 13 heures 30 à 14 heures : 288 ème alerte. Nous devons un merci aux Américains car grâce au bombardement de lundi nous avons pu, après maintes difficultés, nous procurer de la farine (25 kg pour 4) dans une péniche à moitié incendiée et coulée au bord de la Spree. Une alerte nous surprend sur le chemin du retour. 20 heures à 21 heures : 289 ème alerte. 21 heures 20 à 21 heures 40 : 290 ème alerte. Deux alertes et deux bombardements consécutifs, si le mois de mars continue à cette allure nous allons avoir une bonne moyenne.
Samedi 3 mars :
9 heures 50 à 11 heures : 291 ème alerte, grosses formations annoncées mais elles s'arrêtent sur Dresden et Leipzig. 20 heures 10 à 21 heures : 292 ème alerte, quelques fusées éclairantes ainsi que des bombes. Grandes attaques sur le front de l’Ouest. (*)
(*) Les Alliés atteignent le Rhin en Allemagne le 4 mars 1945.
Lundi 5 mars :
3 heures 15 à 4 heures : 293 ème alerte. 10 heures 45 à 11 heures : 294 ème alerte. 20 heures à 22 heures : 295 ème alerte. Le dimanche a été tranquille mais aujourd'hui réveil de bonne heure. Le soir, juste après l'alerte, la grosse artillerie sur le front Est en met un rayon, nous nous précipitons aux abris croyant aux bombes.
Mardi 6 mars :
20 heures 15 à 21 heures 30 : 296 ème alerte, et toujours à la même heure notre alerte quotidienne, et toujours des bombardements. Ça bagarre dur à l'Ouest, la grande offensive est déclenchée, les Américains aux abords de Düsseldorf et aux portes de Cologne.
Mercredi 7 mars :
21 heures 20 à 22 heures 35 : 297 ème alerte, aujourd'hui, ils sont un peu en retard.
Jeudi 8 mars :
00 heure 45 à 1 heure 15 : 298 ème alerte. 20 heures 10 à 21 heures 15 : 299 ème alerte, c'est toujours la même chanson. Maintenant l'aviation alliée en met un rayon, bombardement du front Ouest, Est et territoire allemand. Combat de rue à Cologne, il reste un dur morceau à avaler : le Rhin. En tout cas vivement que cela finisse car nous la sautons de plus en plus, seulement 250 g de pain, 3/4 de soupe, le ravitaillement devient problématique.
Vendredi 9 mars :
20 heures 10 à 21 heures 20 : 300 ème alerte, toujours la même sérénade quotidienne.
Samedi 10 mars :
20 heures 20 à 21 heures 30 : 301 ème alerte, quelques bombes à proximité. Dernier bouteillon : le Rhin serait traversé sur une largeur de 8 km. Grand combat [soviétique] à Kustrin et Frankfurt, l'offensive contre Berlin est prête à être déclenchée.
Dimanche 11 mars :
1 heure 30 à 1 heure 50 : 302 ème alerte, les avions sont annoncés sur le Nord-Ouest. Bouteillon : Kustrin est tombée. Il est 20 heures 10, je termine d'écrire, chose anormale, l'alerte n'est pas encore annoncée, mais cela ne va pas tarder. 20 heures 20 à 21 heures 20 : 303 ème alerte, des bombes...
Lundi 12 mars :
Journée fatigante, le matin lessive. Je pars du lager pour aller manger et me faire photographier, aucune chance, on ne trouve plus rien à manger et encore moins d'atelier de photos ouvert, par manque d'électricité seulement 6 heures par jour. J'ai marché à peine 2 km que je suis complètement exténué, le manque de nourriture commence à se faire sentir, j'ai des faiblesses, il ne va pas falloir me demander à travailler efficacement. 12 heures 20 à 13 heures : 304 ème alerte. 20 heures 30 à 21 heures 30 : 305 ème alerte. Et toujours des bombes à proximité. Les nouvelles sont bonnes les alliés ont réussi à traverser le Rhin à 3 endroits, le dernier obstacle sérieux est passé, espérons que nous allons voir bientôt la fin.
Mardi 13 mars :
Dernière nouvelle : Kustrin est tombée. Le "Petit Parisien" nous fait le récit des trois bombardements consécutifs de Dresden, bilan : la ville est entièrement détruite, plusieurs dizaines de milliers de victimes. Ce soir 250 gr de pain et 1/2 litre d'eau chaude pour 24 heures et ils disent qu'on crève de faim en France, ils se foutent complètement de nous. 20 heures 30 à 21 heures 40 : 306 ème alerte.
Mercredi 14 mars :
20 heures 45 à 22 heures : 307 ème alerte, aujourd'hui ils ont un peu de retard mais ils viennent quand même, ils lâchent leurs bombes un peu trop près de nous. Pour la première fois depuis le mois d'août j'ai reçu un message de France qui m'a fait un grand plaisir quoique un peu déçu car j'aurais préféré que ce soit des nouvelles de mes parents. C'est un message d'une jeune fille française à qui j'avais demandé de correspondre en qualité de filleul. Ces quelques mots m'ont fait un grand plaisir car je me rends compte qu'en France, on pense encore à nous.
Adresse : Mlle Andrée Latour rue Kléber à Grenade (Hte Garonne).
Jeudi 15 mars :
1 heure 20 à 4 heures 10 : 308 ème alerte, cette fois en plein jour, le nord de Berlin a été touché, Orianenburg complètement détruit. 20 heures 30 à 21 heures 10 : 309 ème alerte, toujours des bombes.
Vendredi 16 mars :
20 heures 55 à 22 heures : 310 ème alerte.
Samedi 17 mars :
12 heures 15 à 12 heures 45 : 311 ème alerte. 20 heures 50 à 21 heures 50 : 312 ème alerte, comme d'habitude Berlin subit son bombardement quotidien.
Dimanche 18 mars :
11 heures à 13 heures : 313 ème alerte, encore un nouveau et très gros bombardement sur tout Berlin. J'ai assisté à toutes les péripéties du bombardement. 5 minutes après le signal d'alerte, les chasseurs américains sillonnent le ciel à l'Ouest en tout sens, ce n'est qu'un nuage de traînées. 10 minutes après, c'est l'apparition des premières formations et pendant 1h1/2 , sans interruption, nous allons assister à un défilé impressionnant de bombardiers quadrimoteurs. Nous voyons tomber le signal de lâchage des bombes, c'est-à-dire 2 fusées blanches qui tombent de l'appareil du chef de la formation en même temps que nous percevons le bruit fantastique du tapis de bombes. Tout le Nord, le Centre et l'Est sont touchés, toutes les lignes du S-Bahn coupées, sauf le Sudring. Des centaines de crayons incendiaires et des milliers de tracts sont tombés autour du lager. A un kilomètre d'ici, un dépôt d'essence est en flamme. On estime à 1.500 le nombre de bombardiers et à 500 les chasseurs. Nous avons encore eu chaud. Et pour ne pas changer les habitudes de 20 heures 45 à 21 heures 45 : 314 ème alerte et 155 ème bombardement.
Lundi 19 mars :
13 heures 20 à 14 heures : 315 ème alerte, de nouvelles bombes de 10 tonnes sont envoyées sur les ponts et les viaducs. Ce soir pour la première fois depuis 25 soirs nous n'avons pas eu d'alerte. Nous avons transformé nos lits à 3 étages, nous allons donc être à 21 par chambre.
Mardi 20 mars :
3 heures 45 à 4 heures 45 : 316 ème alerte, des bombes vers le Centre. Ils ont changé l'heure, pourvu qu'ils n'en fassent pas une habitude. 16 heures à 16 heures 30 : 317 ème alerte. 20 heures 45 à 22 heures : 318 ème alerte.
Mercredi 21 mars :
C'est aujourd'hui que commence le printemps, il s'annonce déjà par une alarme : 3 heures 45 à 4 heures 45 : 319 ème alerte. Pendant l'alerte, nous entendons très distinctement l'artillerie et voyons les lueurs du front. 9 heures à 9 heures 45 : 320 ème alerte. 20 heures 50 à 22 heures : 321 ème alerte.
Jeudi 22 mars :
3 heures 45 à 4 heures 20 : 322 ème alerte, réveil matinal, je crois que maintenant ils vont en prendre l' habitude comme pour l'alerte de 8 à 9 heures. Les bombes ne tombent pas très loin. Tous les jours nous avons 3 ou 4 alertes, peut-être que cela va hâter la fin de la guerre car le peuple allemand commence à en avoir assez, ça se dispute de plus en plus, ils commencent à comprendre. Nous en subissons également les conséquences, plus rien à manger, 300 g de pain et 3/4 de litre d'eau en guise de soupe, le travail pour l'instant n'est pas trop forcé, deux alertes par nuit qui perturbent notre sommeil. Encore 15 jours de ce régime et nous n'arriverons même plus à nous lever. Je commence à avoir des maux de tête et des étourdissements. Vivement que cela finisse. 12 heures à 14 heures 15 : 323 ème alerte, pas de bombardiers sur Berlin mais de nombreux chasseurs. 23 heures à 24 heures : 324 ème alerte, plusieurs bombes dans le champ de course.
Vendredi 23 mars :
12 heures à 14 heures 15 : 325 ème alerte, de grosses formations annoncées mais, rien dans notre secteur à part quelques chasseurs. 3 heures 15 à 4 heures 20 : 326 ème alerte, réveil en fanfare, des bombes à côté du lager. Quelques camarades malgré l'alarme étaient restés au lit descendent en chemise aux abris. Des grosses bombes sont tombées cette nuit à proximité de notre chantier qui est un dépôt de munitions. C'est la troisième fois cette semaine, le coin doit être repéré. 23 heures 15 à 24 heures 30 : 327 ème alerte, encore des bombes dans notre secteur.
Samedi 24 mars :
Temps magnifique et grande activité aérienne. 12 heures à 13 heures : 328 ème alerte, une soixantaine d'avions de combat passent à proximité de nous et larguent leur cargaison sur Marienfelde. De nombreux autres sont annoncés, je me sauve dans les bois mais rien ne vient. 13 heures 30 à 14 heures 45 : 331 ème alerte. C'est bien Marienfelde qui a dérouillée ce midi, quatre usines, dont principalement la fabrique de tanks de Daimber.
Dimanche 24 mars :
Bonnes nouvelles, de grandes batailles des deux côtés, à l'Est et à l'Ouest. Des tanks amphibies ont traversé le Rhin ainsi que des troupes aéroportées. 10 heures 10 à 11 heures : 333 ème alerte. 20 heures à 21 heures 30 : 334 ème alerte, quelques chasseurs.
Lundi 26 mars :
Encore une belle journée, dans la soirée le ciel se couvre. 13 heures 45 à 14 heures 10 : 335 ème alerte, ce sont des bombardiers russes, pas de bombes sur Berlin. Un transport de troupe allemand mitraillé. 20 heures 45 à 22 heures : 336 ème alerte, une fois de plus les bombes tombent dans les parages du lager, on les entend descendre et exploser, le coin devient malsain, surtout avec cette réserve de munitions dans le bois d'à côté et que le champ de course vient d'être transformé en terrain d'aviation.
Mardi 27 mars :
21 heures à 22 heures : 337 ème alerte, pendant une demi-heure nous avons eu des sueurs froides, une fois de plus on s'en tire à bon compte. C'est le 168 ème bombardement de proximité donc dangereux pour nous.
Mercredi 28 mars :
Je pars normalement pour me rendre au travail, impossible d'y aller (je n'en suis pas fâché) le S-Bahn est coupé entre Karlshorst et Ostkreuz ainsi qu'à Westkreuz . J'en profite pour aller au pissenlit à Biesdorf mais l'alarme nous surprend, moi et un camarade à Friedwehfelde en plein milieu des voies. Nous nous hâtons de déguerpir du coin (3 km de course et de péripéties) pour trouver un bon abri, juste à temps, les bombardiers sont sur nos têtes et la D.C.A crache de tous les côtés. 10 heures à 12 heures : 338 ème alerte, les vagues passent sans interruption au-dessus de nous, les bombes au loin vers l'Ouest et le Nord de Berlin. Quand retentit le signal de fin d'alerte, le ciel est complètement obscurci par d'épais nuages de fumée. Nouvelles militaires sensationnelles, le front est défoncé à plusieurs endroits à l'Ouest et à l'Est. Les armées américaines avancent dans les plaines du Nord ainsi qu'en direction de Nüremberg.
Jeudi 29 mars :
C'est la première nuit depuis février que nous dormons tranquille. Toujours de bonnes nouvelles : Duisburg est tombé, Essen et Dortmund sont encerclées. L'armée américaine est aux portes de Nüremberg. Dernier bouteillon : les troupes russes et américaines doivent faire leur jonction mercredi, pas de bombardement de prévu avant minuit. 20 heures 45 à 21 heures : 339 ème alerte, ils ne sont pas restés longtemps avant de nous rendre visite. Ça cogne dans les environs.
Vendredi 30 mars :
3 heures 30 à 4 heures 15 : 340 ème alerte . 16 heures à 16 heures 10 : 341 ème alerte. 21 heures à 22 heures : 342 ème alerte. Trois alertes dans la journée, ils rattrapent le temps perdu, ils sont pourtant occupés à l'Ouest ainsi qu'à l'Est. De bonnes et sensationnelles nouvelles du front.
Samedi 31 mars :
9 heures à 10 heures : 343 ème alerte, du chantier nous voyons les fusées descendre vers le Sud-Ouest, région de Brandenburg. Nous n'avons pas de congé pour Pâques, nous sommes presque les seuls du lager et nous sommes obligés d'y aller [au travail] pour obtenir le ticket de soupe. Cela ne fait rien car la quille approche. 19 heures à 19 heures 30 : 344 ème alerte. 20 heures 10 à 21 heures : 345 ème alerte, encore des bombes. En mars nous avons subi 61 alertes et 40 bombardements.
Dimanche 1er avril :
Aujourd'hui Pâques. Toujours de bonnes nouvelles : de nombreux camarades ont passé une journée qu'ils n'oublieront pas de sitôt car ils sont libérés par les troupes. Derniers bouteillons : dès l'arrivée des troupes alliées, le drapeau français est hissé dans les lagers. Les requis profitent des camions de ravitaillement qui partent à l'arrière du front pour rentrer en France. Les prisonniers, pour la plupart, restent sur place pour faire l'occupation. Les Américains avancent sur Hanovre, Cassel est tombée ainsi que Munster, ils avancent sur Nüremberg, vite, vite qu'ils se dépêchent!
Lundi 2 avril :
Obligé d'aller au boulot, toujours pas de ticket de soupe. Ils me prendront [en charge] quand j'arriverai, sûrement pas de bonne heure car il est 8 heures 45 et je suis encore au lager. Nous avons passé le dimanche de Pâques en toute tranquillité, la guerre serait-elle finie. 24 heures à 1 heure, 346 ème alerte, on a changé l'heure mais eux aussi, ils nous envoient quand même des bombes.
Mardi 3 avril :
17 heures 30 à 17 heures 45 : 347 ème alerte. 23 heures à 24 heures : 348 ème alerte.
Mercredi 4 avril :
0 heure à 1 heure 30 : 350 ème alerte, à peine au lit qu'il faut se lever, ça cogne au Centre, un incendie est allumé dans le secteur. Toujours de bonnes nouvelles : ils approchent d'Hanover et d'Erfurt, 100.000 soldats (allemands) encerclés dans la Rhur. 9 heures à 11 heures : 351 ème alerte. 22 heures 45 à 23 heures 45 : 352 ème alerte. Cette fois ils sont sur Berlin et on entend descendre les bombes. 1 heure à 1 heure 15 : 353 ème alerte, à peine endormi voici l'alarme qui résonne.
Jeudi 5 avril :
11 heures 30 à 11 heures 50 : 354 ème alerte. Temps splendide, un vrai soleil printanier. Blessé à la main, je ne travaille pas.
Vendredi 6 avril :
Pas de travail. Trois français de 22 ans volent un avion à Tempelhof, un petit accident, un atterrissage forcé, deux blessés, le troisième est sauf. Espérons qu'ils vont s'en tirer à bon compte. Dans un camp de Français à Marienfeld, les Schupos (*) ont trouvé des armes et des munitions, le chef de bande s'est tranché la gorge, huit autres ont été décapités.
(*) Schupo : abréviation de Schutzpolizist, agent de police.
Samedi 7 avril :
Ça va pas ce matin, j'ai des coliques et des maux de tête. L'infirmier me dit d'aller travailler, je ne l'écoute pas et me couche. Je me lève vers une heure pour aller au cabinet, impossible de mettre un pas devant l'autre, la tête me tourne et vomis dans la carrée ainsi qu'autre chose, ça va mal, l'infirmier est demandé. J'ai un commencement d'empoisonnement, j'ai eu peur! 21 heures 15 à 22 heures : 355 ème alerte.
Dimanche 8 avril :
Aujourd'hui cela va mieux, sauf ma brûlure au bras qui commence à suppurer. 11 heures 30 à 12 heures 30 : 356 ème alerte. Bouteillon : les Américains sont à Hanovre et Herfurt, ils se rapprochent de Brêmes et Leipzig. 10 heures 40 à 13 heures : 357 , 358 et 359 ème alerte, ces trois alertes ne sont pas faites pour me faire passer mes coliques.
Lundi 9 avril :
Je passe la visite pour mon bras et suis reconnu (inapte au travail). 17 heures à 17 heures 10 : 360 ème alerte. Innovation au lager : 200gr de pain par jour, la boule (de pain) pour 7 et demi ainsi toutes les parts n'étant pas toutes égales à la cuisine le partage sera fait en chambre et comme dans la nôtre c'est moi qui suis désigné, je n'ai pas fini d'en entendre si je n'ai pas le coup de couteau juste, je risque de me faire écorcher vif. Espérons cependant que cette situation ne perdurera pas trop longtemps car avec 200 gr de pain et 1/2 litre de soupe c'est impossible de travailler, heureusement les bonnes nouvelles sont là pour maintenir le moral.
Derniers bouteillons non confirmés : le Japon aurait capitulé. Les troupes américaines sont à quelques km de Branschweig à 20 km de Brême. 90 km séparent désormais le front Ouest du front Est. Avance française dans le Sud-Ouest allemand. Chaque jour 15.000 Français sont rapatriés en France, 750 par avion. Révolution dans Vienne. L'armée fasciste a abandonné la lutte. Si seulement tout ceci était vrai la quille serait pour bientôt. 22 heures 15 à 23 heures 30 : 361 ème alerte, quelques bombes dans le secteur.
Mardi 10 avril :
14 heures 30 à 16 heures : 362 ème alerte, gros bombardement du Nord et du Nord-Ouest vers Orienburg. 21 heures 45 à 24 heures 15 : 363 ème alerte, c'est une alerte de longue durée avec trois bombardements, le Centre a dérouillé.
Mercredi 11 avril :
22 heures 20 à 24 heures 35 : 364 ème alerte, encore une alerte de longue durée. Des nouvelles sensationnelles.
Jeudi 12 avril :
Depuis hier il faut un laissez-passer spécial pour circuler en S-Bahn et Tram. Tous les copains restent à la carrée, on voit que cela commence à aller mal et bien pour nous. Nouvelles en abondance : Hanovre est tombée, Brême encerclée ainsi que Magdeburg, Branschweig s'est rendue sans combat. 20 heures, dernières nouvelles : l'Elbe est franchi en trois endroits, une fois au nord de Magdeburg et à Stendal et deux fois au sud de Magdeburg à 120 km de Berlin. Pointes avancées à Dessau. L'offensive russe est imminente. La quille arrive à grand pas, nous nous voyons déjà de retour en France, espérons que Berlin ne tiendra pas. 22 heures 20 à 24 heures 20 : 365 ème alerte, je crois que nous n'avons jamais été aussi gais pendant une alerte, nous chantons tous et dans l'abri ce n'est que discussion sur la fin prochaine de la guerre.
Vendredi 13 avril :
Toute la nuit nous avons entendu l'artillerie russe. Dernières nouvelles réjouissantes : le gros de l'armée américaines se trouve à 80 km de Berlin, les blindés foncent sur la ville, les troupes avancent aux cris de "Nach Berlin" [à Berlin]. Il serait temps qu' Himmler sorte sa dernière arme secrète, c'est-à-dire de lever le drapeau blanc. L'offensive russe est déclenchée dans le Sud du front. Les deux armées, alliés et russes vont faire leur jonction cette semaine, 125 km les séparent. Malheureusement nous apprenons une mauvaise nouvelle qui nous fait l'effet d'une douche froide : Roosevelt, le Président des Etats-Unis serait décédé, souhaitons cette information fausse et qu'elle va être démentie. Au sujet des colis américains, le lager de Waidmandehlust doit envoyer quatre hommes par chambre pour aller chercher les colis à Hallesches or ils sont actuellement à Posdam; un colis de 5 kilos est prévu par homme. 15 heures à 15 heures 40 : 366 ème alerte. 23 heures 15 à 24 heures : 367 ème alerte, pour une fois ils ne viennent pas sur la capitale. Nous apprenons que des troupes parachutées ont été lâchées à 25 km de Posdam et qu'elles ont rejoint le gros des troupes.
Samedi 14 avril :
Toujours repos, j'apprends qu'ils ont sonné l'alarme aux chars à l'Ouest de Berlin. Nous comptons tous voir la fin de la guerre la semaine prochaine. 22 heures 20 à 23 heures 50 : 368 ème alerte, Posdam et Wansée sont bombardées. Nous avons assistés à un magnifique feu d'artifice, de grandes lueurs illuminaient le ciel, des obus fusants explosaient en l'air, tandis que des fusées rouges descendaient en grand nombre. Le ciel était parsemé de nombreux flocons blancs, produits par les éclatements des obus. D'aucuns disaient que c'était une attaque de chars sur Berlin.
Dimanche 15 avril :
Une jeune allemande nous apprend que les Américains sont à Dessau et à 5 km de Leipzig et à Halle, le gros des troupes sont à 60 km de Berlin. Les Allemands commencent à ne plus rien avoir à croquer, les voilà presque rendus au même point que nous. 22 heures 30 à 24 heures 45 : 369 ème alerte, encore une de plus de deux heures et de trois bombardements. Quelques bombes dans les environs. Aujourd'hui encore une innovation au ravitaillement, nous touchons six pommes de terre et 1/2 verre de sauce, nous aurons le pain demain ainsi, nous sommes depuis hier 5 heures jusqu'à demain 7 heures du matin avec un seul repas, six pommes de terre pour 36 heures. Vivement que cela se termine car rien à bouffer, le moral tombe vite.
Photo extraite d'Arte.
Lundi 16 avril :
Un jeune soldat (schleuh) de 17 ans s'est taillé (sauvé) du front de l'Est de Kustrin et s'est réfugié dans une chambre près de la nôtre. Il dit que cela tape dur, ça ne m'étonne pas, l'offensive russe est déclenchée depuis ce matin. Vite qu'ils se dépêchent car le ravitaillement manque, seulement 200 gr de pain et toujours un 1/2 litre de flotte (soupe). Les prix des denrées suivent sans doute le cours des événements, ils montent à une allure vertigineuse; exemples : montant des prix au 16 avril : pain = 2000 fr le kilo; sucre = 2500 fr le kilo; cigarettes américaines = 400 fr l'une; cigarette allemande = 300 fr l'une; petite roulée = 160 fr l'une; papier à cigarette = 160 fr les cinquante; café = 50.000 fr le kilo. C'est une chance demain pas de travail.
21 heures à 21 heures 30 : 370 ème alerte. 21 heures 40 à 22 heures 15 : 371 ème alerte. 22 heures 20 à 23 heures 30 : 372 ème alerte. Encore trois alertes consécutives, les deux premières viennent des Russes qui nous invitent à assister au feu d'artifice, c'est exactement le même spectacle que celui de samedi soir. De nombreuses fusées semblent rester accrochées en l'air. A plusieurs reprises, quelques avions isolés viennent nous rendre visite, la D.C.A tire en vain des obus lumineux, leurs projecteurs sont attaqués par deux fois. La troisième alerte sonne quand les avions sont déjà sur nous, cette fois-ci c'est du sérieux, ce sont les bombardiers anglais qui ne viennent pas en touristes. En effet nous sommes violemment secoués et un chapelet de bombes s'écrase dans le lager. Pas trop de dégâts, quelques vitres cassées, nous avons eu chaud.
Mardi 17 avril :
Mauvaise nuit, je suis dévoré par les puces. Réveil en fanfare à 8 heures du matin, nous devons évacuer le lager immédiatement. Une bombe à retardement est tombée entre la baraque 4 et le bureau, à moins de 20 m de nos fenêtres. Si elle avait éclaté cette nuit nous aurions sûrement ramassé les morceaux. Nous quittons le lager afin de désamorcer la bombe, le travail est mené à bonne fin. A 13 heures, nous pouvons regagner nos baraques respectives. Maintenant cela devient sérieux, une soufflante à 80 mètres qui a fait un trou énorme et une explosive à 20 m de notre chambrée. Aux dernières nouvelles, c'est Furstwalde qui a subi un bombardement russe hier au soir. 20 heures 40 à 22 heures 10 : 373 ème alerte, 374 ème et 375 ème alerte, suivi de deux bombardements, les Russes nous font assister une fois de plus au feu d'artifice quotidien.
Mercredi 18 avril :
Toute la journée nous entendons les roulements sourds de l'artillerie sur le front de l'Est. Activités aériennes très intenses. 22 heures à 02 heures 35 : 376 ème alerte, 377 ème et 378 ème alerte. Pendant la 2ème alerte, une vingtaine d'explosives tombent à proximité, nous baissons la tête pour laisser passer l'orage. Quatre heures et demie d'alarme, le record est battu. Nous remontons des abris, fatigués et courbaturés par le manque de sommeil, l'excès de tension nerveuse et l'insuffisance de nourriture. Il faut que cela se termine au plus vite, nous ne tiendrons plus longtemps dans ces conditions aussi dégradantes. Heureusement, demain on ne va pas au travail.
Jeudi 19 avril :
Je me lève à 10 heures, pour autant pas reposé. 10 heures 30 à 11 heures 15 : 379 ème alerte. Toute la journée nous percevons le bruit du canon qui se rapproche de plus en plus. 22 heures 30 à 01 heure : 380 ème alerte.
Vendredi 20 avril :
8 heures, nous démarrons à cinq du lager pour tâcher de trouver du ravitaillement. Nous allons en S-Bahn jusqu'à Erkner. A 9 heures 30 l' alarme nous surprend et nous nous sauvons à travers bois. Nous marchons un bon moment pour rejoindre l'autostrade. Nous entendons le canon et les bruits des mitrailleuses qui s'intensifient, nous ne sommes pas loin du front. Nous envions ceux qui habitent ce coin, sans objectifs militaires, préservé des bombes. Quel calme!, que des bois et une petite rivière. Nous calculons un plan pour rester ici en attendant les Russes. Le manque de ravitaillement nous oblige à repartir, nous constatons que le bruit de l'artillerie s'est encore rapproché. Des soldats (allemands) montent au front, d'autres au contraire, noirs de poussière, redescendent vers l'arrière, l'air dégoûté et las. Nous en rencontrons même un qui cherche à se planquer dans le bois en attendant l'arrivée des russes, il nous recommande de ne rien dire. Des convois de réfugiés descendent également du Front et se dirigent vers Berlin le croyant sans danger, qu'elle folie ! Ils n'ont dû jamais subir de bombardement, moi à leur place j'attendrais bien sagement que tout cela se passe dans un coin tranquille. Nous allons encore de l'avant, l'artillerie fait un raffut de tous les diables, les mitrailleuses crépitent de toutes parts et l'aviation en met un rayon, escadrilles sur escadrilles sillonnant le ciel. Les bombardiers russes descendent en piqué, lâchent leurs bombes dans un fracas épouvantable. Nous demandons aux soldats qui en redescendent de nous indiquer le front "8 km, nous disent-ils, à Hersefeld". Nous avons grande envie de rester. Malgré tout nous continuons à travers bois, un S.S nous arrête et nous mène au poste de garde en disant que nous allons faire de bons soldats. La peur commence à nous prendre, nous nous voyons déjà un panzerfaust à la main. Heureusement, tout se passe bien et nous sommes libres. Nous nous dirigeons vers Waltersdorf, nous avons de la chance, après maintes démarches nous trouvons chacun 25 kilos de pommes de terre. L'artillerie est toujours aussi déchaînée, l'aviation au-dessus de nos têtes bombarde en piqué. Malgré le danger, nous sommes contents d'avoir du ravitaillement et songeons au retour. Il faut 1/2 heure à pied pour gagner la station du S-Bahn avec le sac sur le dos, nous sommes exténués, l'aviation poursuit son bombardement et mitraille à plusieurs reprises, nous obligeant à plonger à terre et à ramper dans les bois. A 5 heures, nous sommes de retour au camp.
21 heures à 3 heures 05: 382 à 385 alarmes. 6 heures d'alarme, 3 bombardements, nous entendons aussi l'éclatement des obus.
Samedi 21 avril :
Plus de S-Bahn, les Russes sont à proximité, Malsdorf, Erkner etc. Dimanche, ils seront à Berlin. A 8 heures 30, nous sommes tous embauchés pour travailler dans le champ de course, obligé car nous n'aurons pas de carnet de soupe. A 11 heures, nous nous sauvons car il fait un temps de chien. De retour à la chambre, nous apprenons des bouteillons de plus en plus fantastiques : l'artillerie Russe bombarde Weissensee, Biesdorf, Rumeburg, etc. À 12 heures, nous apprenons avec stupéfaction que nous allons évacuer le lager, les soldats Russes s'approchent de la ville. Nous ne savons que faire, en tout cas nous préparons nos valises.
P.S : Hier au soir un camarade Belge a été tué par le Lagerführer qui l'a surpris prenant des pommes de terre à la cuisine. Voilà ce qu'est la culture allemande, heureusement que le grand jour approche.
15 heures, l'artillerie s'en prend à Lichenberg, Alexanderplatz et le Centre de la ville. Les Russes ont passé Bernau, Malsdorf, Erckner et marchent sur Köpenik à deux station du S-Bahn de Karlshorst. A 17 heures, les copains arrivent de Lichenberg, ils ont du se planquer pour éviter les obus. A 19 heures, derniers canards : mais nous ne devons pas beaucoup y croire, la bataille de chars sur l'Inter den Linden avec avance de blindés sur Schöneweide, le moral est excellent, nous les attendons d'un moment à l'autre, au plus tard demain matin. À 20 heures, un fracas épouvantable tout autour de nous et au-dessus de nos têtes, des chasseurs, des bombardiers russes piquent dans le secteur. La D.C.A et les mitrailleuses allemandes tirent mais un peu loin, en tout cas, nous avons eu une belle peur, ça promet pour cette nuit! Souhaitons voir notre libération pour demain matin. Pour évacuer le lager, je crois que c'est un peu tard, les barricades sont fermées. Nous sommes à quelques heures de la fin, je suis sûr qu'en France, nos parents sont à l'écoute de la radio, qu'ils entendent les informations heure par heure, c'est comme une partie de football. 20 heures 30, L'offensive générale contre Berlin doit être déclenchée, la D.C.A, les mitrailleuses crachent de toutes parts, nous nous préparons à descendre aux abris pour passer la nuit, nous y avons installé les lits.
Ce qu'il reste de la magnifique avenue : Inter den Linden
Dimanche 22 avril :
Contre toutes attentes nous avons passé une nuit tranquille, mis à part le bruit de l'artillerie qui se manifeste sur Berlin. Nous qui croyions voir les Russes, nous sommes désillusionnés, nous ne sommes pas au bout de nos déceptions. À 9 heures 30, nous recevons l'ordre d'évacuer le lager pour 10 heures 30. Nous percevons chacun un pain, 150 gr de sucre et 100 gr de margarine. À 10 heures 30, nous prenons la route en direction de Staken, lager 2. Nous y sommes obligés, pas de planque possible même à la cave déjà envahie par la Werhmacht et les S.S. Les pièces installées dans le bois tirent sans interruption sur les troupes Russes que sont tout proche de Lichtenberg à 4 km. L'armée, ou plutôt ce qui en reste se replie en pagaille, tanks, camions, soldats etc. Les Russes ne sont plus bien loin, nous retardons volontairement notre départ le plus que possible. Mais l'ordre est formel il faut évacuer. Nous partons chargés comme des bourricots. A 200 mètres du lager, les vingt camarades de chambre ne seront plus que 4 ou 5 groupés. À Schöneweide, impossible d'aller plus loin, nous sommes trop chargés et nous abandonnons nos sacs à dos avec les 20 kg de patates. Là, devant la Spree, les Schleus installent des canons anti-chars, heureusement, un peu après Schöneweide nous fauchons une petite voiture ce qui nous soulage de moitié de nos colis. Nous sommes maintenant à dix de la chambre. A Kölnischheide, nous sommes obligés de nous planquer sous le pont car une dizaine d'avions mitraillent et attaquent au canon de bord des pièces de D.C.A à 50 m. À Hermanstrasse, nous récupérons le camarade Busson ce qui porte à onze notre effectif. Nous fauchons également une deuxième voiture, ainsi nous n'avons plus aucun colis à porter, juste à pousser les voitures qui marchent tant bien que mal. À Schnöneberg , nous cassons la croûte sous la pluie, il est 15 heures nous avons marché depuis cinq heures et nous ne sommes pas à moitié chemin et il pleut toujours. La fatigue se fait sentir. À 9 heures, nous passons à Spandau complètement exténués, plus que 7 km, nous redoublons l'allure pour arriver avant l'alarme. Enfin à 10 heures, nous entrons au lager juste à ce moment la voiture de tête casse et ne va pas plus loin, il était temps! Pas de veine le lager est entièrement occupé, aucun lit de libre. Ainsi nous arrivons morts de fatigue après s'être tapé 45 km à travers tout Berlin, transis de froid nous couchons par terre sur le plancher, quelles courbatures pour demain! Le principal c'est de dormir sans alarme.
Lundi 23 avril :
Aujourd'hui c'est ma fête, la St. Georges, drôle de fête, moi qui croyais voir finir la guerre, je me suis trompé, cela ne fait rien, elle ne tardera pas à se terminer cette semaine. Dernières nouvelles : les soldats russes sont à Gesenbrunn, Schönauser, Alfee, Weisschnee, Ostkreuz, Schöneweide etc.
Mardi 24 avril 1945 :
À 15 heures 30, nous sommes libérés par l'armée russe.
(Le lendemain, 25 avril 1945, la jonction soviéto-américaine se réalisait à Torgau sur l’Elbe et la bataille de Berlin commençait pour les Russes.)
Fin du récit du 2 ème carnet.