Cordes

Marie Leroy, Sans titre, série Melancholia

Jean-Pierre Parra, Devenu un homme sans origine

Homme chargé d’ans

rendu au creux du tamis de la vie

ouverte

pour la travailler

tu marches

corps épuisé par les habits neufs de l’immigrant

dans le crépuscule qui ensanglante le ciel

tu as la vue

yeux lavés de larmes

barrée par le mur de l’espoir

*

Sans but

sans mesure

tu cherches

front marqué de rides

et corps devenu toujours plus volontaire

à sortir

de l’œil obscur de la vie enfilée

*

Cœur agité comme la mer houleuse

tu te dépêches

pour ne pas perdre la volonté

d’aller au devant de la mort

tu avances

au-delà du possible ouvert

au-delà de la frontière

où tout ce qui t’arrive ne peut être que bien

*

Perdu

vue perdue

faute dans les yeux

à force de regarder le monde espéré

dans l’obscur chemin de la nuit

tu écoutes

bruits éteints

l’amour refroidi des hommes

qui te laissent dans l’oubli

*

Éveillé

goût de sang sur la langue

par la dureté du lit

tu attends

vivant dans l’inconfort du camp

la lumière du jour brisée en mille morceaux

*

Enchaîné pour penser librement

tu entends sans fin

coupe de la patience débordée

les sanglots des milliers en détresse

laissés engourdis

sur les côtes de ton pays

*

Cœur privé de lumière

laissé sans confident

tu ne penses

coupé du reste du monde

à rien

tu n’espères

inquiet pour le lendemain

en rien

*

Isolement dissipé

par les points d’appui trouvés dans le souvenir

tu te délivres

noms des tiens sans cesse évoqués

de l’existence

pour remplacer

sous le ciel abaissé

le jour de désespoir

par le jour d’espoir

*

Homme de rupture

installé dans le regard des hommes bercés par la pensée confortable

tu attends

replié sur toi-même

des cœurs plus humains que le tien

tu nais

vieux de ta vie

de ta vie détruite

*

Dépassé

dans l’exil

par toi-même

tu fends

dans les jours perdus aidés par les jours qui viennent

l’avenir

*

Loin

sourd à tout et ignorant de tout

du rempart de tes proches

tu trouves

silence modelé par le temps effacé

l'immense fatigue

des hommes en proie à l'illimité

*

Passé tenu pour rien

tu ne regardes

rêves morts restés morts

que devant toi

Pieds posés sur les échelons nouveaux de la vie

tu fais

yeux fixés sur l'horizon

table rase

*

Homme à sentir

Homme à changer

le présent de l'exil

tu deviens

au sortir du passé

présence agrandie

présence étendue