Post date: Oct 29, 2017 10:03:56 AM
A
près les obligeantes envolées de son centième billet, cette chronique retrouve ses fondamentaux. Jugez-en plutôt : dans un énoncé tel que « c’est d’une solide explication dont il a besoin », y a-t-il redondance prépositionnelle ? Certains le pensent, considérant – à juste titre – que dont(= de que) double le de. D’où le choix recommandé du que : « c’est d’une solide explication qu’il a besoin ».
Reste que ladite redondance est fréquente aujourd’hui et qu’elle a pour elle des siècles d’existence. Elle n’est pas isolée, puisqu’on la retrouve notamment avec la préposition à (c’est à lui à qui je pense). Mieux vaut donc faire preuve d’ouverture : c’est bien de langue qu’il s’agit, et non d’un code figé. C’est bien de langue dont il est question…
À l’écrit, l’un des procédés les plus courants de mise en évidence d’un élément est le détachement de celui-ci en tête de phrase, en l’encadrant de c’est… qui pour un sujet et de c’est… que s’il s’agit d’un complément. « Louise est arrivée en tête » devient « c’est Louise qui est arrivée en tête » ; « Pascal aime le vin » devient « c’est le vin que Pascal aime ». Quelques changements mineurs peuvent se produire dans cette opération, notamment avec des pronoms : « il devrait se retirer » se transforme en « c’estlui qui devrait se retirer » ; « le patron t’ a choisi » se modifie en « c’est toi que le patron a choisi ».
La mise en évidence d’un complément prépositionnel pose des problèmes plus complexes, sur lesquels ce billet va se focaliser. La règle générale (Bon usage, 16e édition, § 456 b 3) est que la préposition reste attachée au complément mis en évidence : « il a pris parti pour son père » donne « c’est pour son père qu’il a pris parti » ; « elle vit dans un quartier défavorisé » aboutit à « c’estdans un quartier défavorisé qu’elle vit ».
Selon cette règle, « je me souviens de cette histoire » est transformé en « c’est de cette histoire que je me souviens ». Mais il ne manque pas d’attestations d’un autre usage, qui substitue un dont au que : « c’est decette histoire dont je me souviens ». En voici quelques autres exemples, inspirés de données « authentiques » que m’a aimablement communiquées Guy Baudoux : « c’est de l’avenir du parti dont il est question » ; « c’estd’ un intérim dont il s’agira dans un premier temps » ; « c’est d’ une différence minime dont on parle » ; « c’estd’ une bonne bière dont j’ai envie ».
On sait que le pronom relatif dont relie une proposition correspondant à un complément introduit par de : « je sors de la chambre » donne « la chambre dont je sors ». Les constructions en dont précédées d’un complément prépositionnel mis en évidence contiennent donc un double de. L’énoncé « c’est d’ une voiture dont tu as besoin » peut être analysé comme suit : « c’est d’ une voiture *de que* (= dont) tu as besoin ». En raison de cette redondance, les grammairiens s’accordent pour recommander le simple que dans ces cas : « c’est d’ une voiture que tu as besoin », « c’est de l’avenir qu’ il est question », « c’est de cela qu’ il s’agit ».
Une autre solution est de supprimer la préposition de, ce qui aboutit à des énoncés comme « c’est une voituredont tu as besoin », « c’est l’avenir dont il est question », « c’est ce dont il s’agit ». On remarquera toutefois que cette formulation peut entraîner des ambiguïtés sémantiques. Ainsi, dans « c’est une voiture dont tu as besoin », on peut comprendre « une voiture, quelle qu’elle soit » (tu as besoin d’une voiture, pas d’une moto) ou « une voiture, qui est celle-là » (tu as besoin de cette voiture, prends-en bien soin).
Comment expliquer ce passage de que à dont dans les exemples qui précèdent ? J’y vois une double justification. D’une part, la mise en évidence du complément prépositionnel (c’est d’une voiture que ; c’est d’une bonne bière que) éloigne celui-ci du verbe dont il dépend (tu as besoin ; j’ai envie). D’autre part, la construction prépositionnelle du même verbe rend suspectes des séquences comme « *(la voiture) que tu as besoin », « *(une bonne bière) que j’ai envie ». En produisant « c’est d’une voiture dont tu as besoin », le francophone s’aligne sur les séquences (correctes) du type « une voiture dont tu as besoin » et ne perçoit pas la redondance du dont avec le de déjà présent en tête d’énoncé.
Des usages analogues s’observent, notamment avec la préposition à (qui). En concurrence avec « c’est à vousque je réserve cette chambre », on trouve « c’est à vousà qui je réserve cette chambre » ; à côté de « c’est àvous que je veux parler », on peut observer « c’est àvous à qui je veux parler ». Quelquefois aussi avec l’adverbe là (où) : « c’est là que vous faites erreur » devient parfois « c’est là où vous faites erreur » ; « c’est là que je l’attends » est concurrencé par « c’est là où je l’attends ». Ici encore, à (qui) est redondant avec la préposition qui introduit le complément en tête d’énoncé ;où l’est avec l’adverbe là.
Comme le précise le Bon usage (16e édition, 2016, § 456), la présence d’une préposition à la fois dans le complément mis en évidence et dans le relatif s’observe chez d’excellents auteurs proches de nous (Bachelard, Duras, Martin du Gard, Mauriac, Prévert…), mais est également attestée depuis plusieurs siècles, en particulier chez les classiques (Bossuet, La Bruyère, Saint-Simon, Vaugelas…). Inutile donc d’ostraciser cet usage : n’en déplaise à l’Académie française, c’est moins de « faute » dont/qu’il est question que d’une tendance de fond se manifestant aujourd’hui avec une vigueur intacte…