L'école franco-flamande se réfère à la production musicale de plusieurs générations de musiciens et de compositeurs formés dans les maîtrises du Nord de l'Europe et qui vont, par la suite, répandre leur art dans les grands centres européens (particulièrement en Italie) où ils sont très en demande. Les maîtrises sont en fait des "écoles" de musique attachées au service des églises importantes. Elles recrutent de jeunes chanteurs auxquels elles dispensent un enseignement musical complet.
La maîtrise de la cathédrale de Cambrai constitue le centre de formation musicale le plus renommé en Europe.
Cette école s'ouvre avec l'oeuvre de Guillaume Dufay (1400-1474), atteint son apogée avec Josquin des Prés (1440-1521) et se termine avec Roland de Lassus (1532 - 1594).
Le contexte historique
À la faveur des troubles qui règnent en France à la fin du Moyen Âge, la culture musicale se déplace dans les régions du Nord de la France, en Flandre (Belgique actuelle) ainsi qu'en terre bourguignonne. Pendant cette période troublée, artistes et musiciens se réfugient dans des lieux plus accueillants, telle la cour de Bourgogne qui rayonne alors de tous ses feux. Les musiciens de partout se rencontrent (flamands, français, bourguignons et anglais), ce qui contribue aux échanges et à la diffusion de musiques nouvelles. Les maîtres formés au coeur de cette effervescence culturelle vont dépasser les limites de l'Ars nova et porter la polyphonie et l’art du contrepoint à ses plus hauts sommets.
Le duc de Bourgogne Philippe le Bon, par Rogier van der Weyden (1400-1464)
La cour de Bourgogne au XVe siècle
Le duché de Bourgogne s'étend de la Bourgogne aux Pays-Bas (la Franche-Comté, la Lorraine, le Luxembourg, la Picardie et l'Artois dans Nord de la France et les Flandres (Belgique). Cet ensemble territorial est plus puissant et plus prospère que le royaume de France empêtré dans un conflit séculaire avec l'Angleterre. Jean sans Peur (1404-1419) agrandit et tente d'unifier ses territoires en États. Sous Philippe le Bon (1419-1467), l'apogée de la puissance bourguignonne est atteint. Avec l'échec de Charles le Téméraire (1467-1477), c'est la fin des ambitions bourguignonnes.
Les ducs de Bourgogne ont entretenu un mécénat artistique à la mesure de leurs ambitions politiques. Le faste de leur cour, la somptuosité de leur Chapelle attirent les poètes les musiciens de toutes sortes et les meilleurs talents en composition musicale. Le rayonnement de l'école franco-flamande, tant de sa polyphonie religieuse que de sa chanson profane doit beaucoup à la vie de cour des ducs de Bourgogne.
L'origine du style franco-flamand
Héritier de la polyphonie française dominée par Guillaume de Machaut, le style franco-flamand résulte de la synthèse de deux influences principales :
L'Ars nova italien dont le charme mélodique contribue à simplifier la polyphonie austère et savante des maîtres du Nord. On sait que le jeune Dufay a séjourné en Italie pour parfaire sa connaissance dans l'art de "bien écrire et de bien chanter ".
Combiné avec la sensibilité de la musique anglaise, la fameuse "contenance angloise" qu'évoque le poème de Martin Le Franc, Le Champion des dames (~1440). Il mentionne dans ce poème au sujet de Dufay et de Binchois, qu' "...ils ont nouvelle pratique de faire frisque concordance (...) et ont pris de la contenance angloise, et ensuy Dompstaple ; Pour quoy merveilleuse plaisance rend leur chant joieux et notable."
Le poème réfère à John Dunstable (~1390-1453), compositeur anglais d'une grande renommée et qui eut une influence déterminante sur la musique en Europe. On croit qu'il séjourna en France entre 1422 et 1435 alors que les armées anglaises occupent une partie de la France dans le cadre de la guerre de Cent Ans.
La musique anglaise s'exprime dans une sonorité particulière qui résulte de l'emploi systématique d'intervalles de tierces et de sixtes (considérées comme consonances imparfaites sur le continent) ainsi que par une plus grande souplesse dans la mélodie et dans le rythme. Les musiciens anglais généralisent le contrepoint imitatif : l'imitation consiste à reprendre une même motif mélodique et à l'attribuer successivement aux autres voix. Le plus ancien exemple connu, Sumer is Icomin in, ("l'été est venu") date de la fin du XIIIe siècle. Les Italiens reprendront le genre dans la "caccia" ("la chasse") caractéristique de l'Ars nova dans ce pays. Ce procédé donnera naissance au canon et à la fugue.
Dans l'ensemble, la musique anglaise dégage une "douceur angélique" comparée à la musique continentale.
Écoutez un très bel extrait d'un motet de Dunstable, Alma Redemptoris Mater
Le grand essor de la musique franco-flamande s'oriente dans deux directions :
La musique religieuse enseignée dans les maîtrises des cathédrales du Nord (Cambrai, Tournai, Bruges, Anvers, etc.)
La chanson polyphonique pour les divertissements de la cour des ducs (principalement à la cour de Dijon).
Les grands maîtres Guillaume Dufay, près d'un orgue portatif pour symboliser la musique religieuse, et Gilles Binchois, qui tient une harpe, symbole de la chanson profane.
La diffusion de la grande polyphonie franco-flamande
Le grand épanouissement de la polyphonie franco-flamande s'amorce avec Guillaume Dufay (1400-1474) formé à la maîtrise de Cambrai. À peine formé, il voyage en France et en Italie où il est appelé à la chapelle du pape à Rome. L’œuvre de Dufay ouvre la voie à un renouvellement de la polyphonie.
En épurant les lignes mélodiques de l’excès de l’ornementation de l’Ars subtilior et en donnant plus de rigueur à l’écriture musicale.
Il abandonne la stricte isorythmie pour l'emploi de plusieurs rythmes (polyrythmie).
Les musiciens des maîtrises du Nord sont en demande partout, mais c'est l'Italie qui attire surtout les plus talentueux. Les princes et les grands seigneurs, influencés par la cour papale (Avignon puis Rome), veulent donner du faste à leur chapelle et à leur cour. Par ailleurs, le XVe siècle voit un retour à la dévotion religieuse comme le montre la prolifération des chapelles privées dans les cours princières. Ce mécénat privé stimule le développement musical dans toutes les branches du répertoire ainsi que le montre la profusion des motets, des messes polyphoniques qui foisonnent à l'époque.
Johannes Ockeghem (~ 1425 - 1497), membre de la chapelle royale de Paris, est l'auteur d'un motet à 36 voix ! Il a en outre composé la première messe de Requiem (pour le repos des morts ) qui nous soit parvenue.
L'évolution de la musique religieuse : les messes et les motets
La messe et le motet constituent les deux formes principales de la musique religieuse. Les musiciens franco-flamands mèneront à son apogée la technique polyphonique héritée de l'époque précédente. Ils enrichissent la polyphonie en développant les procédés du canon et de l'imitation, ils renversent les thèmes, les développent par augmentation ou diminution, font circuler une même ligne mélodique d'une voix à l'autre, etc.
Les messes
À partir de Dufay, les compositeurs commencent à penser la messe (composée de diverses parties) comme une oeuvre unitaire (l'exemple de Machaut fut une exception au siècle précédent). Une façon de procéder consiste à employer un thème commun pour toutes les parties de la messe. Ce thème est emprunté au répertoire religieux autant que profane. Il devient le cantus firmus. (Le cantus firmus est une ligne mélodique de valeurs longues sur laquelle se construit une polyphonie). Ainsi, la chanson l'Homme armé a servi de cantus firmus à plus de 60 messes. Le thème peut aussi être inventé. Il est entendu que le thème est utilisé pour servir de principe unificateur à l'oeuvre. Cette origine profane finit par irriter les puristes qui profiteront du concile de Trente pour interdire les timbres profanes (1545), ce qui aura pour effet de faire disparaître les messes à cantus firmus.
On distingue la messe à teneur (la plus ancienne). Le thème choisi est exposé à la voix de teneur où il se répète autant que nécessaire. Par la suite, les autres voix reprendront elles aussi le thème avec un traitement plus libre.
La messe paraphrase consiste dans le sectionnement du thème en fragments mélodiques qui servent de bases au développement des autres voix.
La messe "parodie", qui se développera surtout au XVIe siècle, est l'adaptation d'un motif polyphonique du répertoire religieux (ex. un motet) et de le transformer en messe.
Les motets
À partir du XVe siècle le motet prend un sens uniquement religieux. Il s'agit d'un chant en latin qui ne fait pas partie de la liturgie obligatoire, mais qui peut être chanté à l'office. Il retient les 3 voix du motet antérieur, mais ne conserve qu'un seul texte que développeront une voix principale sur laquelle se définiront les deux autres voix, la teneur et la contreteneur. Comme le précise Jacques Chailly, "... il reste une partie vocale sous laquelle évoluent deux parties instrumentales : c'est l'écriture type du XVe siècle, tant dans le motet que dans la chanson". (Dans la chanson les deux autres voix sont confiées aux instruments.) Le matériau initial du motet peut être une mélodie préexistante ou être inventé. Chaque voix entre successivement sur le thème initial à une distance de quarte ou de quinte. Elles entrent en "strette" c'est-à-dire avant que la voix qui les précède n'ait achevé sa phrase. Elles poursuivent ensuite librement pendant que les autre voix entrent à leur tour.
[Des extraits de compositions religieuses de Guillaume Dufay, Dusntable et Ockeghem par The Antioch Chorus.]