Copies de tableaux pour le cinéma et l'industrie audiovisuelle (documentaires, biopics, films historiques), copies d'œuvres de maîtres appartenant aux collections publiques, tableaux peints « à la manière de », copies décoratives prévues pour s'intégrer dans un ensemble mobilier d'un style précis...
Sur commande, Thierry Moutard-Martin réalise des copies de tableaux. Pour avoir la copie d'une œuvre de votre choix, contactez l'artiste à l'adresse courriel suivante (à recopier en enlevant la lettre k qui y a été ajoutée pour tromper les collecteurs automatiques d'adresses):
thierrymouktardmartin@gmail.com
N'hésitez pas à envoyer votre demande pour recevoir un devis.
À savoir avant de passer votre commande: il y a copie et copie... Pour être exact, il existe trois façons de copier des tableaux anciens. Selon celle qui vous intéresse, les tarifs et les résultats sont très différents:
1. La copie d'artiste
Delacroix a copié Rubens. Rubens a copié Michel-Ange. Michel-Ange a copié des artistes de l’antiquité grecque et romaine… Pour apprendre leur métier et pour comprendre les travaux de ceux qui les avaient précédés, tous ces artistes ont utilisé le moyen privilégié de la copie.
On peut copier de plusieurs façons différentes. Tout dépend de l’objectif qu’on se fixe.
Le type de copie le plus fréquemment pratiqué par les artistes est en réalité un travail d’appropriation et de dépassement. Le copiste admire spécialement une œuvre. Il a besoin de la faire sienne avec quelque chose de plus tangible que le simple regard. La main et l’esprit doivent également être rassasiés. Le seul moyen pour l'artiste d’évacuer cette fascination, c’est de copier le tableau qui l'obnubile. Plus que de copie, il s’agit d’interprétation, car pour faire sienne l’œuvre de l’autre, il faut alors lui insuffler des caractères formels qui en font définitivement une chose à soi, une chose de soi. Rubens copié par Delacroix doit devenir du Delacroix. Et cela fonctionne parce que la fascination qui est à l’origine de l’entreprise était déjà fondée sur une affinité particulière entre les deux œuvres du maître et de son copiste (ce n’est pas un hasard si Delacroix a choisi de copier Rubens plutôt que Léonard).
Les copies de ce type ne sont pas forcément faites avec la même technique ni sur des supports d’un format proche de l’original. La limite entre la part de création personnelle et l’apport du maître copié y est parfois difficile à déterminer. Elles sont du plus haut intérêt pour comprendre le reste de l’œuvre peint du copiste.
Si l'on ne sait pas dans quelle intention elles ont été créées, on croit qu'elles ne sont « pas bonnes puisqu’on voit la différence avec l’original ». Beaucoup d’entre elles sont à l’usage privé du copiste. Elles ne se vendent que lorsque leur auteur est déjà connu par ailleurs. Leur valeur est jugée à l’aune des autres tableaux du même artiste.
La copie d’artiste ne permet pas de connaître la technique employée par un artiste du passé, mais ce n’est pas son but. La connaissance qu’elle procure est d’un autre ordre, liée davantage à la partie intellectuelle du processus de création personnelle du copiste.
Portrait du pape Innocent X, par Velasquez, et copie d'artiste par Fancis Bacon.
Annonciation du Titien, et copie d'artiste par Gerhard Richter.
2. La copie servile
C’est ainsi qu’on appelle la copie commerciale courante. Quand on parle de « copie de tableau », c’est habituellement à celle-ci qu'on pense. Souvent, les copies serviles ne sont pas exécutées par des artistes (qui n’y voient aucun intérêt), mais par des artisans spécialisés payés à la tâche au fur et à mesure des commandes. Les ateliers qui les embauchent vendent leur travail par correspondance, sur internet, sur catalogue… Certains d’entre eux sont d’ailleurs de véritables virtuoses, même si leurs gains ne sont pas à la hauteur du savoir-faire déployé!
Actuellement, c’est aussi un débouché pour des artistes contemporains formés dans des pays comme la Russie. Une tradition picturale rétrograde y a maintenu longtemps un apprentissage très académique, ce qui fait que ces peintres ont le savoir-faire pour ce type de travail. L’art contemporain n’y a pas forcément la clientèle initiée des pays riches comme les Etats-Unis. Du coup, des peintres y pratiquent en grande série la copie servile comme métier alimentaire, faute de pouvoir vivre d’une création plus personnelle. Leurs productions sont ensuite vendues en Europe ou en Amérique.
La nécessité de travailler vite pour être rentable oblige parfois les copistes à abréger le processus d’exécution. Les copies commerciales sont de qualité très variable, et les acheteurs qui connaissent les originaux de visu sont fréquemment déçus par les copies. Les Jocondes et les Dentellières vendues sur internet pour quelques centaines - voire dizaines! - d’euros sont presque toujours imprimées sur de mauvaises toiles de coton, et non peintes à la main. Ce sont de simples posters, vendus bien cher finalement... Dans les cas plus rares où il s'agit de vraies peintures faites à la main, à l'huile sur toile, elles sont souvent lamentablement mal peintes. D'ailleurs au moment de la commande le client ne les voit jamais en photo sur le site ; il n’y figure qu’une photo de l’original. C'est pour cela que les sites qui vendent ce genre de « copies » ne proposent presque jamais aux clients de laisser des avis ou des évaluations. Pour s’approcher au plus près de l’original, il faut une quantité et une qualité de travail qui impliquent des prix de vente élevés.
Habituellement les couleurs ne sont pas les bonnes car - à de rares exceptions près - les copistes travaillent d’après des photos et non dans les musées devant les originaux. Ils utilisent des matériaux actuels : pigments organiques modernes, couleurs fines en tubes, toiles blanches de qualité inférieure préenduites et achetées déjà tendues sur leurs châssis… Ils utilisent ces matériaux au plus simple (les pleines pâtes remplacent souvent les glacis : on rattrape l’apparence au vernissage) pour seulement reproduire l’apparence colorée actuelle du modèle tel qu’il figure dans les livres. Lors de leur vieillissement, ces copies s’éloignent de leurs modèles. Ce sont en quelque sorte des posters de luxe.
Car il ne faut pas oublier que les tableaux qui sont actuellement dans les musées ont beaucoup changé depuis le moment où ils ont été peints. D’abord ils sont recouverts par des vernis protecteurs. Ceux-ci sont à peu près incolores quand ils viennent d’être posés. Ensuite, au fil des ans, ils deviennent de plus en plus jaunes, d’abord jaune clair, puis jaune d’or, franchement ambrés et enfin roux et brunâtres, rendant illisibles les parties sombres du tableau et ne laissant voir correctement que les parties claires peintes avec beaucoup de blanc (qui apparaît jaune). Quand l’état de présentation devient vraiment trop mauvais, on « allège » le vieux vernis (on l’ôte en n’en laissant qu’une très fine épaisseur) puis on en remet un nouveau. Selon le moment ou le spectateur arrive, deux ans ou quatre-vingts ans après le vernissage, il ne voit pas du tout le même tableau. Sur des tableaux comme ceux de Vermeer, qui reposent sur des rapports faisant intervenir des couleurs froides (outremer, gris à base de noir de vigne), cela détruit complètement l’harmonie colorée créée par le peintre. Ensuite, même lorsqu’un allègement/remplacement du vernis supprime le voile jaune, les couleurs fraîches que le public découvre avec émerveillement ne sont pas non plus celles d’origine. Si des pigments comme le vermillon ou le blanc de plomb ont peu changé, toutes les laques rouges passées en glacis vifs et profonds ont pâli et perdu leur vivacité. Les smalts bleus sont devenus transparents et bruns. L’azurite et les bleus de cuivre ont verdi et foncé. Les laques végétales jaunes sont devenues des couches d’huile transparente… Beaucoup de tableaux paraîtraient criards et saturés si on les voyait avec leurs couleurs d’origine.
Si un copiste employait de telles couleurs, le public trouverait ratée sa copie, parce qu’elle n’aurait pas la même apparence que le tableau en photo dans les livres. Les copistes sont donc bien obligés de copier l’apparence colorée actuelle des tableaux anciens. Le problème, c’est que le vieillissement des couleurs n’est pas constant. Si je reprends l’exemple d’un laque végétale jaune, elle va se faner et déteindre très rapidement au début ; puis au fur et à mesure qu’il ne reste presque plus rien de la couleur de départ, ce presque plus rien est aussi la partie la plus stable du colorant originel : il évolue donc beaucoup plus lentement. Au bout de quelques siècles, le tableau est arrivé à un état ou l’évolution des couleurs y est devenue peu perceptible.
La copie suit exactement la même courbe évolutive : son état va changer significativement pendant les premières décennies, puis de plus en plus doucement. Si elle ressemble déjà à l’original avant d’avoir subi son changement initial, elle n’y ressemblera plus du tout au bout de quelques années. On ne peut pas être et avoir été.
De ce qui vient d’être dit, il ressort que la copie servile n’est pas un procédé qui permet d’élucider ou d’approcher la technique des peintres d’autrefois.
Un cas particulier de copiste servile est celui qui travaille au musée devant les œuvres réelles. Ses copies seront de bien meilleure qualité que les copies commerciales courantes, parce qu’il a les vraies couleurs devant lui lors du travail, mais elles sont aussi beaucoup plus chères.
3. La reconstitution technique
Dernier type de travail : la reconstitution. Cette fois-ci, il s’agit de refaire la même chose que ce que le peintre précédent avait fait. Cela signifie que la copie terminée doit ressembler non pas au tableau actuel mais à ce qu’il était quand il est sorti de l’atelier du maître. Ensuite, au fil de son vieillissement, la copie se rapprochera peu à peu du tableau original.
Il existe plusieurs degrés de fidélité dans le travail de reconstitution. Le plus simple consiste à trouver dans la palette actuelle des équivalents des pigments anciens, puis à suivre un processus d’exécution qui ressemble à ce qu’on en sait du tableau copié. Le plus sophistiqué serait de reconstituer exactement tous les matériaux devant entrer dans la composition des peintures. Il faudrait également fabriquer un support identique. L’artiste devrait avoir des outils de travail identiques à ceux qu’on employait à l’époque copiée, etc. En pratique, une reconstitution totale est impossible. Elle nous obligerait à reprendre toute la chaîne de production depuis la culture du lin à l’ancienne et l’extraction des minerais pour pigments jusqu’à l’organisation de l’atelier du peintre!
Les reconstitutions sont donc toujours des compromis. L’art de doser ces compromis ne peut être maîtrisé par le copiste que s’il possède de solides connaissances techniques sur le tableau à copier et sur les matériaux actuels dont il dispose. Un exemple représentatif est celui du blanc de plomb. Celui qui utilise ce pigment peut légitimement s’imaginer marcher dans les pas des peintres d’avant les années 1920 (date d’apparition des blancs de titane). Mais en réalité, cette classe de pigments blancs est complexe et variée. Les blancs de plomb actuels (granulométrie fine et homogène, morphologie en plaquettes hexagonales) n’ont plus grand-chose à voir avec ceux qu’on trouvait sur les palettes du XVIIe siècle (granulométrie hétérogène, morphologie plis variée, présence d’impuretés fortement siccatives). La consistance d'un blanc de plomb hollandais à l'huile du XVIIe siècle était différente de celle d'un blanc de plomb moderne comme on peut l'acheter chez Old Holland. Il faut savoir en tenir compte lors des travaux de copie ou de reconstitution.
Une démarche de reconstitution commence par la collecte de documents sur le tableau à copier. Le copiste doit effectuer un examen visuel approfondi, étudier soigneusement les données scientifiques recueillies par les conservateurs et les restaurateurs du tableau. Ensuite, ces données sont confrontées aux écrits techniques de l’époque : traités de peinture, livres de recettes, description de contemporains, etc. La comparaison de la matière du tableau, des résultats d’analyses et des sources d’époque est le seul moyen de formuler des hypothèses d’exécution plausibles. Le travail de copie est alors envisagé comme une démarche expérimentale de vérification de ces hypothèses. Dans certains cas précis, il permet même de comprendre pourquoi certains additifs ont été ajoutés à telle ou telle peinture. Certaines traces chimiques constatées mais non expliquées par les restaurateurs deviennent alors parfaitement interprétables, parce qu’on comprend quel est leur intérêt technique lors du travail de peinture. En effet, on se retrouve obligé de passer par les mêmes ajouts. L’exemple classique, c’est celui des traces de jaune d’œuf que certaines analyses mettent en évidence dans des couches à l’huile. Avec des peintures à l’huile modernes, cet ajout ne servirait à rien. Mais quiconque a déjà fabriqué une peinture par broyage manuel de pigments minéraux dans de l’huile de lin pure sait parfaitement qu’avec certains pigments, il faudra un correcteur rhéologique. Le jaune d’œuf employé selon une procédure adaptée – et en quantité minuscule – remplit impeccablement cette fonction.
En plus de l’examen visuel, de la collecte des données scientifiques et de la connaissance des écrits d’époque, la reconstitution suppose également une bonne maîtrise artistique et un peu d’expérience de la part de l’expérimentateur. Elle ne peut être menée que de façon occasionnelle ou bien sur commande d’une institution de recherche, car elle n’est pas commercialement rentable (pour en vivre, il faudrait vendre les copies à des prix astronomiques). Les copies de ce type sont très rares parce que peu de collectionneurs ont à la fois les moyens de les acheter et les connaissances pour en apprécier l'intérêt.
Pour bien faire, il faut que le copiste broie lui-même ses couleurs en choisissant des ingrédients les plus ressemblants possible à ceux de l'original. Il peut s'aider pour cela de travaux universitaires au cours desquels ont été broyés des échantillons de peintures identiques à celles qu'employaient les artistes des siècles passés, afin d'en étudier les propriétés et l'évolution. Ce type d’approche est mené entre autres au Royaume-Uni, au Canada, aux Pays-Bas où il a permis de valider des hypothèses de travail précieuses. Les lecteurs intéressés pourront se reporter par exemple aux publications du programme H.A.R.T. (Historically Accurate Reconstructions Techniques). Comme je l’ai mentionné plus haut, il s’insère dans une nouvelle discipline : l’histoire des techniques de l’art ou « technologie de l’art ». Alors qu'aux États-Unis ou aux Pays-Bas elle représente depuis le début des années 1990 un pan entier de la recherche sur les œuvres peintes, cette discipline n'existait pas officiellement en France où nous avons accumulé un énorme retard scientifique dans ce domaine. Aujourd'hui elle y est encore confidentielle.
Le c2rmf a cependant accueilli il y a quelques années une thèse de doctorat remarquable sur les matériaux et la technique du sfumato léonardien (Laurence de Viguerie, Identification et propriétés physico-chimiques des matériaux du sfumato), et une autre a suivi sur un sujet relevant aussi de l’histoire des techniques picturales : Johanna Salvant, L’étude de la technique picturale de Van Gogh et de ses contemporains, réalisée à partir de l’analyse physico-chimique des matériaux hybrides constituant la matière picturale. Bien mieux encore, depuis 2012 le Laboratoire d'Archéologie Moléculaire et Structurale du CNRS de Philippe Walter travaille sur des matières picturales du patrimoine en étudiant leur formulation et leur rhéologie initiale. Cette unité de recherche est la seule à ma connaissance en France à savoir croiser des connaissances de pointe en physico-chimie avec des études expérimentales sur des reconstitutions de peintures anciennes broyées à la main.
Pour revenir à la reconstitution technique par un artiste, bien maîtrisée, elle est le seul type de copie qui permette de vérifier des hypothèses sur la technique de peinture employée par un artiste du passé. Si elle est pratiquée en lien étroit avec les autres disciplines scientifiques, elle constitue un moyen de connaissance efficace des techniques picturales anciennes.
Un exemple de reconstitution technique :
la Dentellière de Vermeer, par Thierry Moutard-Martin
La reconstitution a commencé par une étude technique. Lecture des analyses de laboratoire disponibles sur les tableaux de Vermeer, de traités d'époque (par exemple le célèbre manuscrit de Turquet de Mayerne)... Tout cela a été complété par un examen visuel de l'œuvre sur place, au musée du Louvre. Le travail de copie a ensuite été réalisé au musée, devant le tableau original, après avoir obtenu une autorisation de copiste.
Broyage du bleu d'outremer à l'atelier. Toile encollée (derrière), puis enduite (devant).
Le bleu d'outremer a été broyé à l'huile de lin, par broyage fin à la molette. La pâte obtenue est beaucoup plus filante que les outremers en tubes du commerce actuel. Ces derniers sont broyés à l'huile d'œillette, contiennent moins de pigment, et leur rhéologie est corrigée par des ajouts de silice, de stéarate d'aluminium ou d'huile de ricin hydrogénée. Alors que la pâte filante à l'ancienne impose un usage en couche fines, ce qui donne obligatoirement des glacis avec un pigment aussi transparent que l'outremer. Thierry Moutard-Martin a également broyé d'autres couleurs spécialement pour ce travail de copie (une terre verte, une ombre naturelle, etc) afin de peindre avec des couleurs approchant celles que Vermeer employait.
Pour corriger la consistance de certaines peintures, un infime ajout de jaune d'œuf a été nécessaire. Cet ajout est conforme à ce qui a été observé lors des analyses de liant pratiquées sur la Jeune Femme lisant une lettre de Dresde et sur l'Art de la Peinture de Vienne.
La toile a été choisie pour sa densité, son clos, son tissage et sa composition proches de celle du tableau du Louvre. Elle a été encollée à la colle de peau, puis recouverte d'un enduit beige composé de blanc de plomb, de craie et de terre d'ombre, conformément à la technique vermeerienne des tableaux du groupe auquel appartient la Dentellière.
Début de la copie au musée. Sur la photo de gauche, on voit encore en bas à gauche le tampon du bureau des copistes du musée du Louvre, qui sera ensuite recouvert par la peinture. A droite, les premières couches sont posées.
Vermeer avait, pour simplifier, deux façons différentes d'ajuster ses couleurs. La première technique consistait à peindre d'abord le motif en utilisant peu de couleurs, une sorte de camaïeu : des jus de terre d'ombre additionnée éventuellement de laque rousse, le tout parfois déjà rehaussé de blanc dans les lumières. Les valeurs étaient ainsi bien indiquées, mais pas les couleurs. Ensuite la mise en couleurs était faite sur cette ébauche. C'est une technique tout ce qu'il y a de plus classique en Hollande au XVIIe siècle. Rembrandt ne faisait pas autrement. La Jeune Fille à la Perle du Mauritshuis est ainsi peinte.
La seconde méthode consistait à attaquer directement les dessous par des à-plat de couleur unie, qui étaient ensuite modulés par des couches de retouche et des glacis. Cette méthode est beaucoup plus originale pour l'époque. C'est probablement celle qui a été choisie pour la Dentellière.
Il faut noter également que ce tableau, placé assez tard dans la chronologie des œuvres de Vermeer, fait partie de ceux pour lesquels il a réemployé un vieux procédé issu de la tradition des primitifs italiens: le verdaccio sous les carnations. La présence de ce verdaccio est sensible dans ses dernières toiles représentant des femmes assises ou debout devant une épinette ou un virginal. Le procédé consiste à peindre les zones des carnations (visage, mains, etc.) en commençant par une sorte de version en vert et blanc de l'image (terre verte et blanc de plomb). Ensuite on repasse dessus avec des roses clairs à base de vermillon et de blanc. Aux endroits où l'on veut ombrer, on met peu de blanc, et l'on remplace éventuellement une partie du vermillon par des laques transparentes. On peint aussi plus léger. À la fin, les parties claires sont des roses pâles très faiblement rompus par les verts froids sous-jacents, et les ombres sont des mélanges subtils où le vert froid et foncé de la terre verte rompt plus fortement les glacis chauds passés dessus.
Il est surprenant que les historiens d'art ne se soient pas posé plus à fond la question de savoir pourquoi Vermeer avait réactivé ce vieux procédé italien en en faisant une part de son propre métier. En effet, les apports italiens chez les peintres de Delft sont plutôt rattachés à l'influence du Caravagisme (via l'école d'Utrecht). L'emploi de cette technique par Vermeer est donc un trait personnel significatif dont l'élucidation réclamerait une étude poussée.
Sur la photo de droite ci-dessus, on voit le verdaccio préparé par Thierry Moutard-Martin, verdaccio qui sera ensuite recouvert par les couches de couleurs chaudes plus ou moins couvrantes et plus ou moins foncées, les plus foncées étant aussi les moins couvrantes.
Photo de gauche: un glacis d'outremer a été passé sur le coussin. Les motifs décoratifs de feuilles sur le tapis de table ont été peints à l'ocre mêlée d'un tout petit peu de bleu. Les détails des ombres et des couleurs commencent à être montés sur le métier en bois.
Photo de droite: suite du travail des carnations. Des couleurs chaudes et des ombres sont posées sur le verdaccio.
Photo de gauche : début du travail sur la veste jaune.
Photo de droite : suite du travail sur le visage et les cheveux. Veste et collet ont été avancés. Un glacis d'outremer a été passé sur le coussin et la table du premier plan : les feuilles jaunes deviennent donc vertes. Le glacis sur le coussin a été modulé et passé avec des épaisseurs différentes afin de créer les plis et les ombres. Sur ce glacis sec, les trois bandes blanches du coussin ont été peintes, mais seulement dans la zone où elles apparaîtront ombrées sur le tableau fini.
Photo de gauche : visage, veste et collerette ont encore été avancés. Le coussin a été reglacé d'outremer, recouvrant ainsi les bandes blanches qui restent visibles par transparence sous le bleu.
Photo de droite : les mains et les fuseaux que la dentellière tient ont été peints. Sur le coussin, le gland a été peint ainsi que les bandes blanches dans leur partie éclairée. L'ordre d'exécution suivi fait que ces dernières sont finalement peintes avec le même blanc, mais le blanc en question passe sous le glacis dans la partie gauche (ombre) et sur le glacis dans la partie droite (lumière).
Photo de gauche : le tissu bleu sur le métier de la dentellière est peint avec des pleines pâtes.
Photo de droite : peinture des fuseaux au repos sur le tissu bleu, ainsi que du petit livre fermé par des rubans sur la table du premier plan, à côté du coussin bleu.
Les détails de la zone du livre. Rehauts colorés sur le tapis qui recouvre la table. Fils blancs qui sortent du coussin. C'est le moment où le copiste pose les célèbres "perles de lumières" que Vermeer utilise pour ses rehauts et qui sont inspirées des taches de diffractions qu'on peut observer dans une chambre noire avec une mise au point ou une optique imparfaite.
Les derniers fils qui dépassent du coussin de couturière ont été ajoutés. Les rehauts et gouttes de lumières sont placés. La partie de tissu qui se trouve juste sous la bande où la dentellière entrecroise ses fils à l'aide des fuseaux a été peinte en rouge clair, alors qu'elle est nettement plus pâle sur le tableau du Louvre. Le copiste a longuement observé cette partie du tableau original, et il semble que la couleur en soit donnée par du blanc mêlé de laque rouge et que cette dernière se soit décolorée peu à peu à la lumière (comme c'est souvent le cas pour les laques organiques fragiles). La reconstitution technique du tableau en a tenu compte. Telle qu'elle est peinte, cette partie aura une apparence identique à celle du tableau de Vermeer, mais seulement dans un ou deux siècles...
Post-scriptum technique: les photos de ce travail de reconstitution sont d'assez faible qualité. Elles ont été prises en se plaçant non pas face au tableau, mais de côté, afin d'éviter les reflets. Cela modifie un peu le format : la copie semble plus étroite et haute que l'original, ce qui n'est pas le cas en réalité. Le rapport hauteur/largeur du tableau de Vermeer et de la copie ci-dessus sont donc identiques. En revanche, la taille du tableau n'est pas exactement la même. Le règlement du bureau des copistes du Musée du Louvre impose en effet une différence d'au moins 20% entre la taille de l'original et celle de la copie. La version de Thierry Moutard-Martin est donc 20% plus grande que son modèle.
Enfin, Thierry Moutard-Martin tient ici à remercier le Bureau des copistes (et en particulier l'infatigable, efficace et bienveillante Madame Isabelle Vieilleville) et la Conservation du Musée du Louvre pour avoir permis que ce travail de reconstitution se fasse au musée, devant le tableau original, dans de bonnes conditions.