Expertise d'oeuvres d'art
Sur rendez-vous et après acceptation d'un devis, Thierry Moutard-Martin réalise expertise, constat d'état, estimation et analyse de tableaux. Ces services sont assurés en toute discrétion et sécurité.
Vous avez la garantie d'un travail soigné. L'expertise et l'estimation s'appuient sur une étude serrée de votre œuvre en particulier, et non sur une simple moyenne des derniers résultats d'enchères de votre artiste ou sur un recopiage sommaire d'une notice biographique du Benezit.
Ci-dessous, vous pouvez lire un exemple d'expertise réalisée par T. Moutard-Martin. Pour des raisons de confidentialité et de sécurité, certaines parties du rapport ne sont pas publiques. Thierry Moutard-Martin remercie vivement les ayants-droit de ce rapport et propriétaires actuels de l’œuvre expertisée, qui ont donné à titre gracieux leur autorisation pour que ce travail soit mis en ligne. Dans la mesure où le tableau qui fait l'objet de cette étude est une œuvre importante qui complète et éclaire d'autres œuvres connues du même artiste, ces collectionneurs ont souhaité apporter leur contribution à la mise à jour du catalogue en rendant public le rapport qui authentifie la toile en leur possession.
Toute reproduction et utilisation du texte qui suit dans un but autre qu'un usage strictement privé et non lucratif, faite sans le consentement formel des ayants-droit, est illégale et passible de poursuites. Pour obtenir une autorisation, contactez l'auteur du rapport en écrivant à l'adresse suivante dont vous aurez retiré la lettre k destinée à tromper les robots publicitaires en ligne: thierrymouktardmartin@gmail.com
Exemple de travail d'expertise d'un tableau de Giambattista Piazzetta
Nom de l’artiste : Giovanni Battista Piazzetta
Titre de l’œuvre : la leçon d’astronomie
Propriétaire : (...)
Numéro d’inventaire : (...)
Localisation : (...)
Étude, authentification et attribution par Thierry Moutard-Martin le (...)
fig. 1 Giovanni Battista Piazzetta (1682-1754), La leçon d’astronomie, huile sur toile, 76.3 x 61.5 cm, collection particulière. (Photographie du tableau sans cadre )
1) Conditions d’examen
Le tableau a été examiné in situ, hors de son cadre, en lumière visible directe, à l’œil nu et à la loupe monoculaire (grossissement x27). Aucun examen en lumière transmise n’est possible car le rentoilage rend l’ensemble complètement opaque.
Les protections en papier kraft qui recouvrent les bandes de clouage n’ont pas été retirées. En effet, étant donné le bon état général du tableau après une récente intervention de conservation-restauration, il est préférable de ne pas dérestaurer ce qui vient d’être fait et de s’en tenir uniquement à des examens non invasifs.
2) Encadrement et protection.
Tableau encadré. Le cadre est très récent. Bien posé, il protège correctement le tableau. Le tableau est maintenu dans son cadre par des pattes de fixation à ressort fixées dans le cadre. Elles appuient sur le châssis sans y exercer de trop forte pression. Dimensions extérieures du cadre :
Hauteur : 96.3cm
Largeur : 82cm
Épaisseur : environ 2.5cm
figs. 2 et 3, vues partielles du cadre entourant le tableau.
3) Format de l’œuvre
Hauteur : 76.3cm
Largeur : 61.5cm
Épaisseur : environ 2.5cm.
Ce n’est pas un format standard actuel. Le tableau est très probablement dans son format d’origine car des guirlandes de tensions sont visibles sur les quatre côtés et aucune couture visible n’indique une reprise ou un agrandissement. En outre la composition de l’image est cohérente avec les limites actuelles du tableau.
Cette composition est organisée autour de points d’accroche fonctionnant par trois et formant ainsi des triangles imbriqués. Ceux-ci se répondent grâce au fait qu’ils aient tous un de leurs côtés parallèle à un côté des autres triangles, produisant une impression de stabilité dans une image ou les cheveux et les plis sont pourtant assez ondoyants. Ces triangles sont disposés de façon à créer assez de variété pour le regard sans aller jusqu’à la dispersion, ils s’insèrent de façon harmonieuse dans le format actuel de la composition.
fig. 4, la composition et ses lignes de force.
4) Châssis
Châssis à clefs. Il n’est pas celui sur lequel était tendue la toile d’origine à l’époque où le tableau venait d’être peint. Il est en effet d’un modèle plus récent que ceux qu’on employait alors. En plus des quatre barres périmétriques, une barre horizontale supplémentaire vient le renforcer. Le type d’emboîtement des angles n’est pas visible en l’état actuel. Le bois est bruni et patiné, vieux d’au moins plusieurs décennies. Il est très stable et ne s’est pas voilé. Les clefs sont positionnées correctement. (...)
5) Mise en œuvre de la toile sur le châssis : le rentoilage
La toile d’origine a été rentoilée. Au dos du tableau, cette toile de rentoilage est visible. Elle est d’excellente qualité, fine, régulière et serrée, avec un clos élevé et une armure toile.
(...)
La façon dont la toile est accrochée au châssis n’est pas visible, car des bandes de papier kraft sont collées sur les tranches du tableau. Ces bandes recouvrent également les quatre arêtes situées entre les bandes de clouage et la face avant du tableau. La mise en tension est régulière, sans pli ou sans déformation.
Il est possible qu’une gaze (maintenant noyée dans l’adhésif de rentoilage) ait été interposée entre la toile de rentoilage et la toile d’origine, car des craquelures pavimenteuses affectent la couche picturale, craquelures typiques de ce type de rentoilage.
La toile de rentoilage porte des inscriptions bien visibles au milieu en haut du dos du tableau : « del Piacetta / N°IV ». Elles sont écrites à la peinture noire avec un pinceau. Le N est tracé à l’envers.
Sous le nom del Piacetta, on peut encore distinguer un D majuscule, un l, un P majuscule presque effacés. L’inscription nette reprend donc une inscription similaire déjà présente. La calligraphie de l’inscription d’origine est très différente de celle de l’inscription actuelle, ce qui élimine la possibilité que ce soit la même personne qui ait écrit les deux. Deux hypothèses se présentent. La première est que le rentoileur a écrit la première inscription, puis celle-ci a été effacée partiellement, et un restaurateur ou un propriétaire ultérieur l’a réécrite au même endroit. Comme les pigments noirs (carbone, ou noir d’ivoire) sont très résistants, l’effacement de cette inscription supposerait que le dos de la toile de rentoilage a subi un lavage énergique avec un solvant susceptible de dissoudre en partie l’inscription. Mais la toile visible ne porte pas trace d’une opération aussi agressive.
La seconde est que lors du rentoilage le restaurateur chargé de ce travail a recopié sur la nouvelle toile l’inscription déjà présente sur l’ancienne, mais qu’ensuite plus personne n’est intervenu sur le dos du tableau ; c’est seulement par diffusion dans l’adhésif de rentoilage que cette inscription est réapparue au travers de la nouvelle toile. La présence éventuelle d’une petite part de solvant dans le mélange cire-résine (adhésif de rentoilage) et l’exposition à la chaleur lors du rentoilage peuvent avoir provoqué ce phénomène.
Dans les deux cas, l’inscription actuelle en reprend donc presque certainement une similaire présente sur la toile d’origine. Même si elle est appliquée sur la toile de rentoilage, il faut donc en tenir compte dans l’authentification. Une photographie du dos du tableau en IR soulignerait ces inscriptions et rendrait peut-être plus certaine la lecture de celle qui est presque effacée.
Le dos du tableau porte aussi les restes d’un petit cachet en cire rouge apposée sur la toile de rentoilage. Ce dernier a été partiellement ôté, et il n’y subsiste plus ni armes ni chiffre, même fragmentaire.
6) Support toile d’origine
La toile d’origine ne peut être examinée qu’à partir de la face avant du tableau, le dos étant masqué par le rentoilage. La préparation est assez épaisse, mais comme la couche picturale est fine, elle laisse encore distinguer sa texture.
Le mode de tissage est l’armure toile la plus simple. La densité est d’environ 6x9 fils par cm², donc faible. Le compte de cette densité a été fait à trois endroits où la trame du tissu est à peu près visible à chaque fois sur un centimètre carré.
Position des trois zones de comptage des fils :
Zone 1 : à 4cm du bord gauche et à 18cm du bord haut (dans le fond derrière les personnages). Résultat : 8 fils verticaux x 6 fils horizontaux.
Zone 2 : à 37cm du bord gauche et à 35cm du bord haut (sur le visage du vieillard). Résultat : 9 fils verticaux et 6 fils horizontaux.
Zone 3 : à 10cm du bord droit et à 15cm du bord haut (dans le fond derrière les personnages). Résultat : 9 fils verticaux x 6 fils horizontaux.
Les fils étant assez épais, le clos est suffisant pour que la toile ne soit pas trop lâche. Elle a l’aspect des toiles italiennes du XVIIe. Sa mise en tension a été faite sans se soucier du droit fil. Les bords en sont cachés par les protections en papier kraft, non retirées pour cet examen. La distinction entre trame et chaîne est difficile à faire en l’absence de vision directe du tissu. On peut supposer que la chaîne est constituée par les fils horizontaux, puisqu’ils ont un espacement plus régulier. En effet, lors du tissage, cet espacement est fixe, dicté par les dents du peigne lors du passage dans le métier à tisser, tandis que l’espacement des fils de trame peut varier avec la force et le nombre de coups de la battue destinée à la tasser dans le tissu.
7) Préparation
La toile a été recouverte d’une préparation d'un brun rouge assez foncé. Cette préparation a peut-être été passée sur la toile déjà encollée, comme c’était l’usage. Elle est épaisse, remplissant franchement les creux de la toile, et atténuant sa texture et son relief au point de les rendre presque imperceptibles en de nombreux endroits du tableau. Elle est utilisée comme mi-ton dans certaines ombres moyennes, et on la voit également très bien dans certains contours laissant de fines réserves entre deux couleurs adjacentes, comme le côté gauche du livre.
L’aspect de cette préparation colorée ainsi que la façon dont l’artiste s’en sert comme impression colorée participant pleinement à l’effet final sont absolument typiques d’une technique picturale antérieure ou contemporaine au XVIIIe siècle.
8) Couche picturale : technique d’exécution
La technique picturale est franche et directe. Peu ou pas d’empâtements, palette restreinte : blanc de plomb, terres naturelles, noir d’os, vermillon, le vert clair du gilet du garçon est probablement de la terre verte modulée par ajout de gris clair ou de blanc, du bleu foncé a été employé pour la manche du garçon (azurite). Couleurs couvrantes employées en couches assez fines, mais pas de glacis. Les pigments sont plutôt gros (broyage manuel des couleurs).
La technique picturale est rapide et décidée. Technique alla prima. On le voit très bien sur les contours : plusieurs sont nettement fondus, indiquant que des zones très différentes de la composition ont été travaillées dans le frais (cheveux, mains, visages…). Pour les endroits où l’artiste n’a pas souhaité que les couleurs différentes se mélangent un peu à leur frontière, ce travail dans le frais l’a obligé à laisser de fines réserves non peintes, alors qu’un travail en plusieurs séances avec séchage à chaque fois aurait permis des bord-à-bord sans risque de fusion involontaire même lors des légers débordement d’une couche picturale sur l’autre. Voir par exemple les contours de la chemise, du col et du gilet du vieillard, les contours du livre dans sa partie gauche.
Aucun dessin sous-jacent n’est visible à l’œil nu. Aucune reprise sur peinture sèche, aucun repentir apparent non plus.
La technique est celle d’un peintre expérimenté.
(...)
Nous pensons cependant qu’il n’y avait pas ou pratiquement pas de glacis à l’origine, même dans l’ombre du gilet, car ce trait stylistique consistant à s’en tenir à un à-plat fourni par le mi-ton du fond laissé en réserve pour traiter toute l’ombre du motif, sans chercher à enfoncer cette ombre par un glacis dans sa partie censée être la plus profonde, est propre au peintre auquel nous attribuons ce tableau (voir ci-dessous le paragraphe 11). On retrouve cette façon de faire dans de nombreux tableaux de lui, même très aboutis comme la mort de Darius de 1746 (huile sur toile, 240 x 480 cm, Museo del Settecento Veneziano, Ca' Rezzonico, Venise).
9) Couche picturale : état de conservation
La couche picturale présente les signes normaux du vieillissement d’une peinture saine et bien conservée. Elle est en bon état.
Comme il a été remarqué plus haut, la couche picturale est traversée par des craquelures d’âge de type pavimenteux, dues au rentoilage (qui tient encore très bien et n’est pas à reprendre). Les craquelures sont profondes, affectant jusqu’à la préparation, comme c’est traditionnellement le cas pour les couches picturales ayant subi un long vieillissement. Le tableau ayant été bien conservé, l’ensemble des craquelures d’âge du tableau est cependant suffisamment discret et ne gêne pas la lecture de l’image.
En examinant le tableau à la loupe, on peut également déceler de petites abrasions sur les reliefs de la couche picturale (reliefs qui suivent la texture de la toile d’origine en l’atténuant considérablement). Ces petites abrasions sont un témoignage normal d’usure. A ces endroits et dans les zones d’ombres moyennes, on peut voir la préparation brun rouge foncé.
Aucun écaillage important ou soulèvement de matière picturale n’est à déplorer. Il est probable que la récente intervention de restauration menée sur le tableau comprenait un refixage si nécessaire.
(...)
10) Signature, date
Relevé de signature et inscriptions : pas de signature visible en lumière naturelle sur la face avant. Une image en IR est nécessaire pour rechercher une éventuelle signature, notamment dans les parties foncées où elle serait peu visible.
Pas de date non plus : même recommandation que ci-dessus.
Présence d’une signature au dos de la toile : « del Piacetta / N°IV », écrite à la peinture noire avec un pinceau. Le N est tracé à l’envers. Cette signature n’est pas d’origine, mais elle reprend presque certainement une signature antérieure apposée sur la toile originale et masquée depuis par le rentoilage (cf. ci-dessus paragraphe 5).
Le numéro peut indiquer un rang dans un inventaire, ou bien la place du tableau dans une série (voir ci-dessous paragraphe 12).
Dans l’œuvre actuellement catalogué de Piazzetta, seules deux autres huiles sur toile ont le même format que notre Leçon d’Astronomie (qui mesure 76.3cm de hauteur et 61.5cm de largeur): Le Christ en croix entre les deux larrons (huile sur toile, 76x62cm, Galerie de l’Académie, Venise), et une Vierge à l’Enfant (huile sur toile, 77x61cm, collection Viezzoli, Gênes).
Aussi bien par leurs sujets que par leurs compositions, aucune des deux ne peut avoir fait pendant ou avoir complété la Leçon d’Astronomie. De toute façon, la parité éventuelle des formats est sujette à caution dans la mesure où ils ont fréquemment subi des altérations lors de l’histoire matérielle des tableaux. Elle ne peut servir à apparier des tableaux qu’après vérification qu’ils sont bien dans leurs formats d’origine.
En l’état actuel des connaissances sur Piazzetta, on ne peut donc pas trancher entre l’hypothèse selon laquelle le numéro inscrit au dos de la toile serait un numéro d’inventaire ou une indication portée dessus lors d’une vente passée, par exemple, et celle selon laquelle ce numéro indique que le tableau prenait place dans une série.
11) Authentification et attribution
Les matériaux et leur mise en œuvre obligent à dater ce tableau de la fin du XVIIe ou du XVIIIe siècle. Même si l’orthographe n’est pas exacte, la signature au dos désigne le peintre Piazzetta.
Le style et l’exécution confirment cette information. Nous attribuons cette œuvre à Giovanni Battista Piazzetta (1682-1754).
Il s’agit d’une œuvre autographe. La sûreté d’exécution et la personnalité bien visible du peintre excluent un tableau d’atelier (Domenico Maggiotto ou Giuseppe Angeli) ou de suiveur (Federico Bencovich) ; cette « leçon d’astronomie » est sans conteste de la main du maître.
Le jeune garçon est le même modèle que celui du jeune mendiant du Chicago Art Institute (fig. 6). Un beau dessin de la même période, conservé également à Chicago, nous donne même son nom : il s’appelait Giacomo (fig. 7).
Fig. 6, Giovanni Battista Piazzetta, jeune mendiant, 1738-39 (huile sur toile, 67.7 x 54.7 cm, Chicago Art Institute).
Fig. 7, Giovanni Battista Piazzetta, Giacomo donnant à manger à un chien, craie noire avec estompe et traces de fusain, rehauts de craie, sur papier teinté bleu – maintenant décoloré en couleur crème –, 535 x 422 mm, vers 1738-39.
On peut rapprocher ce tableau sans difficulté de nombreuses autres œuvres de Piazzetta.
Les mains du vieillard par exemple sont très ressemblantes à celles du Saint Benoît de l’église San Nicolo del Lido, (Venise). En particulier, la main de Saint Benoît tenant la crosse est presque identique à celle du vieillard tenant la lunette astronomique (fig. 8).
Fig. 8, Giovanni Battista Piazzetta, Saint Benoît, église San Nicolo del Lido, Venise.
Outre celles que nous avons indiquées plus haut, la Leçon d’Astronomie doit être rapprochée de plusieurs autres œuvres connues de Piazzetta.
Elle présente une forte analogie avec un autre tableau représentant un vieillard en compagnie d’un enfant, actuellement dans une collection privée à Trévise (fig 9).
Fig. 9 : Giambattista Piazzetta (1683-1754), Vieillard et jeune adolescent, huile sur toile, 45x37cm, collection particulière, Trévise.
Et il faut noter que ce tableau si proche de celui qui nous occupe était conçu comme pendant à une autre œuvre (fig. 10) qui se trouve encore dans la même collection privée. Cela ne fait que renforcer la possibilité que la Leçon d’Astronomie ait pu prendre place dans une série de tableaux similaires qui restent encore à découvrir. En effet, même si le peintre ne produisait pas beaucoup, le catalogue de Piazzetta contient de nombreuses peintures détruites, perdues ou conservées dans des lieux inconnus, peintures auxquelles il faut ajouter toutes celles dont on n’a ni mention ni souvenir écrit mais qui attendent encore d’être redécouvertes et publiées.
Les Vieillard et jeune adolescent de la collection de Trévise (fig. 9) présentent un autre trait caractéristique de Piazzetta : les éléments qui composent l’image ont été repris d’autres (ou dans d’autres) tableaux. La tête du vieillard est reproduite à l’identique dans un tableau des Offices (Suzanne et les Vieillards, huile sur toile, 100x135, galerie des Offices, Florence) et dans un Sacrifice d’Iphigénie (huile sur toile, 143x210cm, Pinacothèque Civique de Cesena).
Les mains du jeune homme sont copiées d’un dessin de la bibliothèque royale de Windsor, où elles appartiennent à une jeune femme.
Fig. 10 : Giambattista Piazzetta (1683-1754), Couple d’adolescents, huile sur toile, 45x37cm, collection particulière, Trévise.
Piazzetta réutilisait donc couramment tout ou partie de ses compositions d’un tableau à l’autre, parfois à plusieurs années de distance.
C’est probablement ce qui s’est passé aussi pour la Leçon d’Astronomie, car elle est reproduite dans une gravure de Piazzetta où le cadrage des figures est différent (fig. 11).
Il reste aujourd’hui au moins trois épreuves de cette gravure, celle de la bibliothèque Pierpont Morgan, une autre à l’Ermitage, et une troisième à la bibliothèque royale de Turin. Un dessin à la sanguine de cette composition, probablement exécuté en vue de la gravure existe aussi, mais la source que nous avons consulté sur ce sujet (A. Mariuz, L’opera Completa del Piazzetta, ed. Rizzoli) ne donne pas sa localisation actuelle et ne le reproduit pas.
Si le dessin reproduisait fidèlement la composition de notre tableau, cela signifierait que le tableau a été amputé sur trois côtés autour des deux figures de premier plan. Mais l’examen des guirlandes de tension de la toile contredit cette hypothèse. Piazzetta a donc repris sous forme de tableau entier une partie de sa composition dessinée, ou bien au contraire il a étendu sur le dessin la composition initiale du tableau en prolongeant les personnages vers le bas, et en rajoutant un décor conventionnel de rochers et de livres ainsi qu’un troisième personnage, vu de dos et plus éloigné, afin de donner un peu de profondeur à la composition.
L’aspect artificiel et conventionnel de ces ajouts plaide pour la deuxième solution. Il est probable qu’en vue de la gravure, souhaitant donner davantage d’ampleur à la composition initiale très resserrée, Piazzetta l’a agrémentée d’un décor. Le dessin à la sanguine a servi à mettre en place et adapter au nouveau format la composition destinée à être ensuite gravée.
Fig. 11 : Giambattista Piazzetta (1683-1754), la Leçon d’Astronomie, gravure, bibliothèque Pierpont Morgan, New-York.
Enfin il existe un dessin dont la composition est similaire au tableau de Trévise avec les mêmes figures mais où un livre ouvert rappelle encore davantage notre Leçon d'astronomie. Ce dessin est passé en vente en 2007 :
Dessin piazzetta vieillard et enfant
12) Titre, sujet et interprétation
La tradition orale de la famille des propriétaires actuels nomme ce tableau « la leçon d’astronomie ». Effectivement, un vieillard tient une lunette astronomique et pointe un compas sur les pages d’un livre ouvert tenu devant lui par un jeune garçon. Il s’agit donc d’une scène de genre autour d’un thème scientifique illustrant la transmission des connaissances d’une génération à l’autre. La répartition des lumières souligne que la connaissance se trouve encore du côté du vieil homme qui concentre sur lui toute la clarté de la composition et qui est actif : il est à la fois absorbé par ses pensées, attentif au contenu du livre, et en train d’y vérifier une donnée à l’aide du compas. Par opposition, le jeune homme reste dans l’ombre et ne regarde même pas le livre qu’il tient. Il n’a pas encore été initié à la connaissance. Son regard est dirigé vers nous, contrairement à celui du vieillard qui nous ignore. Cela donne un aspect plus naturel et vivant, comme si nous venions de détourner son attention de la leçon. Il fait ainsi le lien entre les figures du tableau et le spectateur, servant de personnage introducteur.
Mais la figure de ce noble vieillard juxtaposé au jeune garçon est assez riche de symboles pour être vue également comme une allégorie. Le vieil homme est en effet très proche des représentations classiques du temps, personnage imposant à la barbe et aux longs cheveux blancs. Le thème astronomique lui-même se prête très bien à ce lien, car le Temps était aussi représenté autrefois avec des étoiles sur son manteau, celles-ci contrôlant toutes choses terrestres soumises au temps, et un cercle zodiacal sous ses pieds pour faire allusion au fait que le temps est mesuré à l’aide du mouvement des corps célestes. Comme souvent jusqu’au XVIIIe siècle, la représentation de l’astronomie est teintée d’astrologie : l’homme proche de sa fin placé côte à côte avec celui qui s’éveille à la vie intellectuelle portent avec eux l’idée de destinée. Rien ne permet de dire que le livre soit un exemple de pensée rationnelle copernicienne. Il peut tout aussi bien s’agir d’un thème astral au sens où l’entendent aujourd’hui les astrologues diseurs de bonne aventure.
Outre ce thème astronomique la scène contient les trois modes principaux d’acquisition de la connaissance : par l’observation ou l’acquisition de nouvelles données (la lunette), par le raisonnement ou la mise en relation des données déjà disponibles (le compas et le vieil homme absorbé dans ses pensées) et par la transmission (le livre ouvert et le rapport de maître à élève). On peut donc y voir plus largement une allégorie de la connaissance et de sa transmission. Le compas étant plutôt l’attribut de la géométrie que de l’astronomie, sa présence au-dessus du livre contribue à cet élargissement du thème.
Ainsi, tout en faisant la part belle à la sensibilité visuelle caractéristique du rococo par sa touche légère et pleine de mouvement, cette leçon d’astronomie est aussi en prise avec les préoccupations intellectuelles des élites cultivées du siècle des Lumières.
Des recherches supplémentaires permettront peut-être de trouver d’autres tableaux de Piazzetta ayant les mêmes dimensions, peints à peu de distance dans le temps et se situant de la même façon à mi-chemin entre la scène de genre et l’allégorie. Ce tableau prendrait alors place dans une série dont il serait le numéro 4 (voir paragraphe 10), ce qui donnerait encore davantage de renseignements sur son contenu iconographique.
En fin de compte, la découverte et la publication de cette Leçon d’astronomie permet de mettre à jour le catalogue de Piazzetta et souligne la grande cohérence de son œuvre où certaines figures de prédilection étaient reprises sous forme de variations et d’adaptations.
13) Estimation
L’œuvre de Piazzetta compte surtout des tableaux religieux de commande (crucifixions, figures de Saints, etc.). Le thème plus rare et plus personnel de cette Leçon d’astronomie, la certitude de son attribution ainsi que le bon état du tableau, en font une pièce spécialement intéressante dans le catalogue du peintre.
(...)
Thierry Moutard-Martin