L'amour et le couple

On a souvent une vision partielle du monde, cette manière de voir ramène tout à l’autre ou à soi. C’est en grande partie à cause de cette manière de penser que les couples se disputent. Aucun n’essaie de se mettre à la place de l’autre parce qu’il ne peut pas prendre en compte à la fois sa vision du monde et celle de son partenaire.


AU DÉBUT :

Au cœur de la passion, dès la première rencontre, un contrat initial implicite vient, pour le meilleur et pour le pire, sceller la relation des deux amants.

Si la passion amoureuse permet sans aucun doute de sceller une relation très intense entre un homme et une femme, elle ne facilite pas pour autant son évolution et sa stabilisation.

Dans ce moment de passion, qui est aussi un moment de fusion « l’un est l’autre », chacun projette dans l’autre tout ce qu’il ou elle a de meilleur en soi. L’autre est tellement idéalisé, tellement parfait que, au moment où il faut que chacun reprenne ses billes, c'est-à-dire au moment où l’on passe de la passion à l’amour, peu de couples résistent à ce travail particulièrement difficile.

Les rôles se répartissent très tôt à l’insu des amoureux. Insidieusement et dans des gestes très quotidiens, l’un des deux prendra le pouvoir et l’autre finira par ne même plus savoir conduire.

Certains vivent de passion en passion. La durée moyenne d’une passion est de deux environ.

Contrairement à ce que raconte notre conte de fées moderne, le coup de foudre n’est pas nécessairement le début d’un couple. On peut aimer sans avoir été frappé par la foudre, même si notre mythologie amoureuse considère comme un pis-aller de fonder un couple sur la raison et non sur la passion.


La « folie » amoureuse

L’illusion duelle procure de tels bénéfices et une telle satisfaction que les deux amants font tout pour la maintenir. Pendant cette période idéale et idyllique, ils fuient toute éventualité de crise qui leur permettrait de définir un peu plus clairement les attentes, les besoins et les désirs de chacun. Ils sont tellement convaincus de penser et de ressentir les mêmes choses qu’ils n’envisagent même pas de le vérifier.

Chacun développe à son insu des mécanismes de défenses pour fuir la réalité et refouler un certain nombre de contenus désagréables qui pourraient jouer le rôle de signaux d’alerte et le mettre en garde : « la réalité est loin d’être aussi idéale que cela, nous avons telle et telle différence, tel et tel désaccord et il va bien falloir qu’un jour, nous relevions nos manches pour les aborder. »

Les hommes et les femmes amoureux de l’amour ne franchissent jamais ce cap.

Comment sortir de ce collage ? Certains ne le font pas.

Il y a deux façons de maintenir la collusion initiale : ne jamais se disputer ou se disputer tout le temps ! Sur le plan dynamique, cela revient au même.

Entre le « rien » et l’agitation qui permet d’éviter le « rien », le processus est le même : on évite de se voir tel que l’on est vraiment.

Dans l’état d’exaltation amoureuse s’instaure une double croyance.

Que le partenaire soit cet autre qui compte par-dessus tout pour moi, et qu’il ait lui-même le désir que je sois cet autre primordial.

« Tu dois penser comme moi, tu dois réagir comme moi, tu dois sentir les mêmes choses que moi », chacun demande a l’autre de donner un sens a sa vie.

Quelquefois, certaines personnes demeurent blessées par des séparations, des pertes, des abandons, ou sont hantées par des fantômes, elles vivent dans l’illusion d’un autre parfait qui viendra combler ces pertes ou chasser ces fantômes, mais ce double parfait n’existe pas et elles errent dans une éternelle incomplétude.

L’insatisfaction qui les tenaille les précipite dans une série de rencontres qui ne sont que de mornes processus de répétition ? Comment aborder une nouvelle rencontre si l’on n’est pas désengagé des liens antérieurs ou de loyautés aliénantes, chevillés à l’âme et au corps ? Faute de s’aimer soi même, on peut mettre toute son énergie à aimer un autre que l’on enferme dans la prison de sa propre exigence.

Dans chacun des reproches de la vie courante il y a derrière : tu ne me comprends pas, tu es différent de moi, tu ne me parles pas de moi, tu ne me parles pas de toi, tu fais perdre tout sens a ma vie.

Il n’en demeure pas moins que bien des conflits trouvent leur origine dans des dimensions profondes, méconnues, inconscientes. Ne pas communiquer ou mal communiquer avec l’autre, et ne pas comprendre son propre désir et le désir de l’autre, peut donner le même aspect de surface mais ne relève pas de la même dynamique.


Comment passer du 1+1=1 au 1+1=3 ?

Aucun couple n’évolue de façon linéaire, il y a des crises : de la rencontre à la retraite en passant par tout les « cycles de la vie ».

Le principe de l’égalité à tout prix conduit rapidement à des attitudes de compétition, de combativité : à l’ironie répond l’ironie, à l’hostilité répond l’hostilité, à la colère répond la colère.

La seule façon de sortir de la symétrie, c’est de passer à la complémentarité, c'est-à-dire de communiquer sur la communication qui est en train de se dérouler.

Il n’y a pas de couples sans crises. Certains amants pourraient nous le faire croire, mais en réalité, ils ont tellement besoin de maintenir leur contrat initial qu’ils font tout pour gommer la différenciation qui pourrait se produire au cours de leur évolution.

Tout se passe comme s’ils se sacrifiaient entièrement tout les deux à la cause couple et renonçaient à leur propre autonomie. Disons-le tout net : un couple qui ne traverse pas de crise est un couple suspect.

Personne ne peut exister uniquement à travers le couple. L’autonomie de chacun est une dimension fondamentale de la relation.

Un véritable travail de deuil doit alors s’accomplir pour affronter la réalité et réorganiser les liens. Cette première crise est fondatrice pour l’histoire du couple car elle sera suivie de beaucoup d’autres, plus ou moins intenses. Chacun doit évaluer jusqu’où il peut s’autoriser l’expression de son insatisfaction. Il faudrait alors être capable de sentir que l’insatisfaction est une demande de changement et pas une simple destruction de l’autre ou de la relation. Ce n’est pas l’autre qui est responsable de la souffrance que l’on éprouve, mais la relation que l’on a construite ensemble.

L’autre n’a pas changé, mais nous le percevons différemment. Du coup, nous percevons différemment notre couple et nous devons réaménager sa représentation.

Cette transformation de l’image de l’autre et de l’image du couple est assez tragique, parce qu’elle impose une transformation de notre vision du monde. Le couple n’est plus le centre du monde, il redevient une simple partie de notre propre existence et chacun doit alors trouver d’autres investissements qui peuvent être alimentés par la dynamique de couple mais qui coexistent avec lui.

Nous devons alors revenir sur le clivage initial et commencer à voir ce que nous avions refusé de voir jusque là, c'est-à-dire à la fois les « démons » de l’autre et les nôtres, ce dont ni nous ni notre partenaire n’avons envie.

Nous devons reconnaître et admettre notre propre agressivité vis-à-vis de l’autre et l’agressivité de l’autre vis-à-vis de nous comme des composantes normales de la relation.

Quel couple allons-nous construire, qui va me permettre d’exister, moi comme individu, avec mes qualités et mes défauts ?

Nous prenons assez brutalement conscience que notre couple ne va pas répondre a tous les questionnements existentiels qui ont été gommé pendant la lune de miel. Aucun couple ne peut faire l’économie de cette crise. Si certains sont capables de tout laisser tomber parce qu’ils rencontrent l’homme ou la femme « de leur vie », même si ils sont déjà mariés, c’est bien parce qu’ils ont l’illusion que cette nouvelle relation va répondre a toutes leurs questions et combler leurs manques. Ils repartent de zéro. Mais il en ira de même de leur deuxième couple comme du premier.

Le pacte fondateur :

Il s’initie un contrat initial implicite dès les premiers liens. Ce contrat peut se pérenniser et devenir le socle de la relation conjugale. Petit problème, les liens ne se décident pas consciemment et délibérément. Tout se joue comme si les deux inconscients concluaient un contrat implicite dont les partenaires ne voudront jamais parler.

Chaque partenaire perçoit très tôt un point vulnérable chez son conjoint. Inconsciemment c’est précisément parce que cette vulnérabilité fait écho a l’une de ses propres vulnérabilités qu’il le choisit, mais en même temps ni l’un ni l’autre ne peut en parler. Car la relation de couple comme engagement réciproque et fidélité à cet engagement peut s’opposer à la fidélité des loyautés familiales et a sa culture d’origine. La fidélité est un choix, la loyauté une contrainte.

Il existe plusieurs types de pacte.

Certains optent pour la communauté réduite aux acquêts, chacun continue à conserver la propriété des biens qu’il possédait avant le mariage, ses gouts et sa personnalité, et ne met dans le pot commun que ce qui appartient au couple. Ils obéissent a la formule 1+1=3 (toi, moi, notre couple)

Le « je » ne devient pas en permanence un « nous ».

D’autres oscillent entre la juxtaposition et la fusion, entre le « nous » et le « je ». Les partenaires se définissent toujours par référence au couple, ils y sont complètement immergés ou, a l’inverse en opposition totale. Ils dansent sans réellement se toucher, ils sont face à face, ils partagent le même appartement, mais pas leur intimité. C’est le régime de la séparation des biens, c’est le 1+1=1+1 ou encore 0.

Chacun est dans son monde, vaque a ses propres occupations, a ses propres valeurs et ne confond jamais son univers avec celui de l’autre. Ce sont des couples SARL, une association de deux personnes qui partagent un appartement plutôt que deux amants qui créent ensemble une collectivité.

Quant aux couples fusionnels, adeptes probables du régime de la communauté universelle, leur rythme est évident : 1+1=1

Il existe des couples ou chacun est pris dans sa propre trajectoire et ni l’un ni l’autre ne peuvent se différencier le leur milieu familial ; dans ce cas la relation conjugale a pour fonction d’apaiser la souffrance et la détresse de chacun ce type de couple peut être assimilé a une paire de béquilles.

Chacun demande à son partenaire d’être le thérapeute parfait qui lui permettra de prendre son autonomie pour devenir un individu bien portant sain et heureux de vivre.

Croire que chacun est le thérapeute de l’autre bloque toute possibilité d’évolution. La protection mutuelle n’est intéressante et n’aide à l’évolution que s’il est possible d’alterner avec l’absence de protection. Autrement tout est figé et complètement bloqué.

Un état de crise est toujours un moment de réaménagement d’un équilibre plus ou moins ancien ; c’est tout le contraire d’un état pathologique : la crise survient pour tenter d’éviter une catastrophe.

Ainsi comme sous l’effet d’une ardoise magique, le couple cherche à gommer le passé pour fabriquer ses règles de vie et élaborer le récit de son histoire. Mais le passé n’est pas loin, qui toujours nous rattrape… construire ensemble, c’est avant tout intégrer l’héritage des générations antérieures, parfois même liquider certaines dettes.

Le bouc émissaire n’est plus une personne extérieure mais son conjoint, cela touche à une logique très adolescente qui sommeille en chacun de nous, au nom de laquelle on préfère toujours désigner un coupable ou un responsable de son infortune plutôt que de se remettre en question.

En réalité, on exige plus que ce que l’on se demande à soi-même. On voudrait qu’il comprenne ce qui nous agite alors que nous n’y arrivons pas nous-mêmes. C’est exactement ce qui se passe à l’adolescence.

L’ado qui claque les portes et se plaint en permanence que ses parents ne « comprennent rien » exprime seulement le fait que lui-même est perdu à cause de tous les chamboulements qu’il expérimente, des envies contradictoires qui l’assaillent ; il demande implicitement à ses parents de les lui expliquer. Mais pour peu que ces derniers tentent de le faire, ils se voient rembarrés parce que cela lui est insupportable.

Cette politique du bouc émissaire renvoit toujours à une douleur personnelle.

Lorsque la vie devient un enfer, nous avons la possibilité d’en prendre acte et de nous quitter, avec amitié ou animosité. C’est tant mieux ? Prenons simplement le temps.

Celui de faire la part des choses entre la haine de l’autre et la haine de soi. Entre la place que votre histoire nous assigne et la partition que l’autre nous contraint d’exécuter. Changer de couple n’est pas forcément un changement. Ce peut être simplement répéter ailleurs les ratés de sa propre histoire.

Lorsque des individus prennent le risque de transformer une relation, cette relation possède à son tour le pouvoir de les transformer. En mieux.

L’amour est davantage une représentation sociale qu’une donnée naturelle, et le mariage d’amour est une invention récente.

L’idéal de l’amour absolu, donnée très romanesque, est en train d’être remis en question. Cet idéal amoureux impose une fusion totale avec l’autre et une indéfectible fidélité.

Dès la première lassitude sexuelle, le couple est mis en péril et laisse surgir le spectre de la séparation. Or cet idéal se heurte de plus en plus aux exigences de la modernité : exister pour soi-même, être autonome, ainsi qu’à une sollicitation sexuelle grandissante qui ramène la sexualité monogame au rang d’une tiède compromission.

De fait, nous nous retrouvons coincés entre deux mythologies, entre deux systèmes de représentation : rêver du prince charmant et savoir dans le même temps qu’on ne le supporterait plus au bout de 24 heures.

Du « ni avec toi, ni sans toi » qu’imprégnait la haine conjugale des couples contraints par névrose ou par convenance à rester ensemble, se substitue le « avec toi et sans toi » nouveau modèle de conjugalité.

Extrait du livre de Serge HEFEZ « la danse du couple ».