Doctorant : Jamal Ftouni
Collaboration avec l'UCCS (Lille 1) : Jean-Sébastien Girardon, Edmond Payen
Financement :
L’or fascine l’humanité depuis l'antiquité pour son extraordinaire stabilité chimique, cette inaltérabilité en a fait le métal de choix pour son utilisation en tant que monnaie. Depuis toujours il a été utilisé en bijouterie. Aujourd’hui encore, sur les 2 500 ou 3 000 tonnes d’or extraites chaque année, la principale utilisation de l’or reste la bijouterie (2 400 tonnes), suivie de l’électronique avec les contacts électriques (450 tonnes environ) et de la dentisterie (70 tonnes). Ce métal, tellement inerte qu’il n’intéressait pas les chimistes, a connu un regain d'intérêt au cours des 20 dernières années et a révélé des propriétés inédites quand il est conditionné à des tailles nanométriques. Les nanoparticules d’or, en effet, présentent trois particularités qui sont à l’origine de milliers d'articles scientifiques les concernant comme la particularité d'être d'excellents catalyseurs, leurs couleur qui varie avec leur taille leur confère des propriétés optique sans précédent et enfin l’or étant biocompatible, les nanoparticules peuvent être utilisées à des fins médicales. Les premières méthodes de synthèse reproductible de nanoparticules d'or remontent aux années 50 avec les travaux de Turkevich, depuis de nombreuses méthodes sont apparues pour contrôler leur taille. Il est à noter que l'on retrouve la présence de nanoparticules d'or dans des fragments archéologiques par exemple pour la fabrication de verres teintés de couleur rosée. Un exemple particulièrement cité est la coupe de Lycurgus (British Museum - Figure 1) en verre teinté datant de l'époque Romaine et présentant un alliage de verre et de nanoparticules d'or (1%, 50-100 nm) lui conférant des propriétés optiques particulières. La nanotechnologie remonterait ainsi à la Rome antique.
Figure 1. La coupe de Lygurcus (London, England: British Museum) - (gauche : lumière réfléchie ; droite : lumière transmise)
Différentes méthodes modernes de fabrication des nanoparticules ont désormais été dévellopées afin de synthétiser ces nanoparticules d'or de manière à contrôller la taille et l'homodispersité de ces nano-objets. Le premier protocole moderne a été dévellopé par Turkevich il y a plus de 50 ans. Ce protocole repose sur la réduction de l'acide tétrachloroaurique (HAuCl4) par le citrate de sodium dans l'eau bouillante et délivre des particules d'or de l'ordre de 15 nm. Le citrate de sodium joue un double rôle, tout d'abord il agit comme réducteur puis il permet d'assurer une certaine stabilité aux particules en recouvrant leurs surface et ainsi éviter tout phénomène agglomération. Toute modification de la concentration lors de leur synthèse influe directement sur ce phénomène d'agglomération et conduit généralement à la formation de particules plus grosses. Or la diminution de la taille de ces nanoparticules d'or est une stratégie de choix afin de considérablement augmenter leur surface de contact, entre autre il a récemment été montré que des activité catalytiques extraordinaires étaient observées pour des tailles inférieures à 5 nm. Des effets similaires pourraient être attendus dans le domaine biomédical avec la recherche de nouvelles stratégies anticancéreuse à base de nanoparticules d'or. Les particules de "Turkevich" sont sur ce point particulièrement intéressantes de par la présence de citrate de sodium non toxique en surface qui en font d'excellents candidats pour leur administration dans l'organisme. D'autres procédures ont ensuite été développées afin de diminuer la taille de ces particules d'or en changeant la nature du réducteur (ex: NaBH4) et en jouant sur la nature de de l'agent stabilisant de surface par l'introduction de molécules organiques à la toxicité relative (ex : PPh3) ou encore par des polymères organiques (ex : PVP, PVA). Concernant la synthèse de nanopaticules de type "Turkevich" de taille réduite, une approche intéressante repose sur la diminution brusque de la température en fin de réaction qui permet ainsi d'atteindre au plus petit des tailles de l'ordre de 7 nm. Jusqu'à aujourd'hui aucune méthode dans la littérature ne décrit de tailles inférieures à 7 nm pour la synthèse de particules d'or de type "Turkevich" et les temps de réaction constatés sont généralement de l'ordre de 30 minutes. Ce résultat soulève des question pertinentes sur le mécanisme de formation des nanoparticules, en effet, le mécanisme admit aujourd'hui, étudié par l'équipe de Kraehnert en 2010 par XANES, se décomposerait en 4 étapes fondamentales : (i) dans les premières secondes l'HAuCl4 est réduit en en Au(0) (ii) au cours des 8 premières minutes suivantes se produit une phase de nucléation ou les particules naissantes atteignent une taille de 2 nm (iii) ensuite les particules s'aggrègent jusqu'à atteindre une taille de 3 nm pendant 15 minutes (iv) enfin les particules croissent doucement jusqu'à atteindre une taille finale stable de 7,7 nm pendant une dizaine de minutes (Figure 2).
Figure 2. Mécanisme de formation des nanoparticules d'or.
La technologie microréacteur, qui permet à la fois de réduire considérablement le temps de diffusion intermoléculaires en flux laminaires et de maximiser les échanges thermiques compte tenu des faibles dimensions de ces microcanaux réactionnel, apparaît comme une solution de choix pour étudier finement la cinétique d'une telle réaction à des temps courts, tout en permettant un contrôle élevé des temps de chauffe et de refroidissement thermique de la réaction. Nous supposions à ce stade que l'arrêt brutal du chauffage permettrait de stopper la croissance des particules d'or, nous permettant ainsi d'accéder à des tailles de particules plus petites que celles obtenues classiquement. La question de la stabilité de ces particules étant soulevée ainsi que celle de la conversion, espérée quantitative, de l'or (III) en or(0) dans ces nouvelles conditions.
Dans la présente étude, nous décrivons la transposition des conditions classiques de Turkevich en flux continu, en utilisant un montage composé de deux seringues contenta soit HAuCl4 soit le citrate de sodium, un pousse seringue et un mélangeur en T pour permettre un mélange diffusif des réactifs dans un microréacteur fabriqué avec un capillaire en silice fondue (1,5m, 200 µm de diamètre) chauffé sur 1,05 m à 100°C par une plaque chauffante (Figure 3). Ce montage élaboré à partir de pièces et appareils commerciaux peut être reproduit dans la plupart des laboratoires. Il permet un chauffage rapide des réactifs mélangés et un refroidissement avec retour à température ambiante lui même très rapide en sortie de capillaire. Avec ce montage, les fluides ne rencontrent que des matériaux inertes comme du verre du PEEK ou de la silice fondue, ce qui permet d'éviter tout phénomène parasite de réduction de HAuCl4 par des surfaces métalliques. Les seringues utilisées (GASTIGHT) peuvent délivrer jusqu'à un débit total de 150 mL.min-1 sans fuir ni casser, ce qui correspond à un temps de résidence minimal de 20 s dans notre système.
Figure 3. Montage de synthèse des nanoparticules d'or en microréacteur.
A notre grande surprise, l'analyse DLS (diffusion dynamique de la lumière) donne une moyenne de taille des particules de l'ordre de 1,8 nm pour une synthèse réalisée à une solution concentrée de HAuCl4 (5.4 x 10.-3 mol.L.-1) et un ratio citrate/or de 3,15 dans dispositif microfluidique pour un temps de résidence de 35 s (débit = 80 µL.min-1) à 100°C en comparaison avec les particules réalisées en ballon dans les conditions classiques qui présentent un diamètre moyen de 15 nm au bout de 30 minutes. En appliquant une telle concentration en ballon, le mélange conduit à un dépôt noir caractéristique d'un phénomène d'agglomération des particules dans le milieu. De plus les particules synthétisées sont stable dans le temps au delà d'une durée de 3 mois quand elles sont stockées au froid et à l'abri de la lumière. Ce résultat traduit la qualité du mélange et du transfert thermique dans notre dispositif comparé à un mélange lent en verrerie classique.
Figure 4. Analyse DLS des particules synthétisées en (a) microréacteur et (b) ballon.
Figure 5. Caractérisation microscopique (TEM) des particules synthétisées en ballon (gauche) et en microréacteur (droite).
La variation du débit afin de faire varier le temps de résidence a ensuite été étudiée et analysée par DLS. De 35 à 95 s (débits allant de 80 à 30 µL.min-1), la distribution est plus fine à bas débits pour atteindre un minimum à 48 s. En parallèle, nous observons un minimum en taille pour un temps de 48s correspondant à un diamètre de 1,5 nm. Un temps de réaction de 48 s correspondrait à une transition dans l'étape de nucléation pour aller vers l'étape d’agrégation. Une taille de 1,8 nm est proche de la valeur attendue pour des particules de type Au55 (55 atomes d'or) et pourrait expliquer une telle stabilité.
Figure 6. Variation de la taille des nanoparticules d'or avec le temps de résidence en microréacteur (Analyse DLS).