LA VALLÉE DE LA RENARDE (Résumé) par Simonne RIVIERE
in « Sites et Monuments » n°102 du 3ème trimestre 1983 ISSN 0489 - 0280 (pages 28 à 32) revue de la Société pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France (SPPEF) Textes et photos issus du site GALLICA. BNF.FR (Bibliothèque Nationale de France) Identifiant du document : ark:/12148/bpt6k97805399
Situé à quarante kilomètres de Paris, c'est un bien petit cours d'eau qui serpente dans les prés. Discret, il se glisse dans l'herbe comme un renard dans sa tanière. L'eau en est claire car le fond de son lit est fait de sables grossiers, des « arènes » disent les géologues. Ces sables, dits de Lozère, viennent de loin puisqu'ils ont été apportés, au début du Tertiaire, par les eaux douces ruisselant du Massif Central. Tout autour, les yeux se reposent sur des vallonnements couverts de châtaigniers et de chênes aux feuilles desséchées, roussies en hiver. Par terre, un tapis de grandes fougères « aigle » ou de bruyères, parsemé de gros blocs de grès sur les hauteurs ; dans les creux, des prairies et des sources qui jaillissent partout, à la limite des sables et des argiles.
C'est ce paysage que le promeneur, dépassant la zone urbanisée d'Arpajon, l'aire pavillonnaire d'Egly, découvre peu à peu avec ravissement, en allant en direction de Dourdan et en remontant la vallée de la Renarde.
Pour comprendre cette vallée, il faut, en premier lieu imaginer sa mise en place à l'ère tertiaire. Ces buttes sablonneuses nous rappellent que, sur un sol déjà plissé, la mer s'est engouffrée pour la dernière fois dans le Bassin Parisien. Elle a laissé sur place des sédiments si fins que les courants d'eau profonds qui les ont brassés ont laissé leurs traces visibles dans les coupes de carrière, pour l'homme de 1982.
La Renarde occupe à peu près le centre du Hurepoix. Cette zone régionale si longtemps méconnue, a été souvent considérée négativement comme un « vide » entre des formations géologiquement et administrativement bien définies telles le Gâtinais ou la Beauce. Une étude attentive du terrain permet, au contraire, de dégager le caractère très spécifique et très original de cette région. Composée d'argiles et de sables, dits « de Fontainebleau » en aval, cette vallée, en amont, atteindra la zone de transition entre la plaine calcaire de la Beauce au sud et la partie calcaire meuliérisée au nord.
Les orientations différentes des vallonnements produisent des microclimats, qui, joints à la diversité des sols, sont favorables à des végétations variées. Dans les endroits abrités se sont réfugiés des plantes et des insectes à la limite nord de leurs possibilités de vie en France.
Cette région boisée, relativement tranquille et aux eaux abondantes est aussi un habitat idéal pour les oiseaux.
Hélas, cette « réserve » naturelle, non officiellement reconnue, non spécialement protégée, est à la merci des aléas destructeurs de la vie moderne.
Des vallonnements dont les crêtes dominent les alentours et peuvent servir de postes d'observation ou de défense, des forêts, des sources en abondance, un fond de vallée avec des marécages et des prairies, quel meilleur refuge pour l'homme !
Aussi cette vallée fut-elle habitée, dès les temps néolithiques, comme en témoignent les outils de silex, les imposants polissoirs et les grès gravés de signes mystérieux, nommés pétroglyphes. Située en charnière entre les tribus des Parisii, des Carnutes et des Senons, la région fut peuplée à l'époque celtique comme en témoignent les monnaies trouvées à Saint-Yon, Saint-Sulpice de Favières et Souzy. A Saint-Yon, sur la butte, les fouilles bénévoles et non scientifiquement menées révèlent néanmoins la présence d'un ancien oppidum. Il est regrettable qu'un lotissement, en cours de réalisation actuellement, menace de faire disparaître à jamais les traces de l'habitat gaulois en ce lieu. A quelques kilomètres, à Souzy, des photographies aériennes et des sondages au sol, dirigés par M. de Saint-Périer ont permis d'identifier un vaste domaine d'époque gallo-romaine avec temple, amphithéâtre, thermes etc... Là aussi de nouvelles fouilles rationnellement conduites seraient souhaitables. Aux XIe, XIIe et XIIIe et jusqu'au XIXe siècle la vallée connut l'afflux des pèlerins qui venaient vénérer les reliques de Saint-Yon et celles de Saint-Sulpice. A Saint-Sulpice de Favières une magnifique église du XIIIe étonne le visiteur par ses dimensions imposantes, son architecture élégante et la beauté de ses vitraux.
Cette église, chef d'œuvre de l'architecture rayonnante, est contemporaine de la Sainte-Chapelle de Paris, de la chapelle de Saint-Germain-en-Laye, et de Saint-Germer de Fly. Les voûtes simples et élancées, les trois étages vitrés donnent une impression de lumineuse harmonie. Trois verrières, dont deux colorées (baie axiale du chœur et chapelle de la Vierge) et une grisaille, relevée de bordures et fermaillets en couleurs dans le collatéral de gauche, datent de la construction de l'église. Ces vitraux ont d'ailleurs été temporairement déposés et exposés au Pavillon de Marsan à Paris en 1953 et sont bien connus des spécialistes. Si l'architecte de ce chef-d'œuvre d'art gothique est inconnu, tout concourt à l'attribuer aux bâtisseurs d'Ile-de-France du roi Louis IX.
Ainsi, des premiers âges à nos jours, cette vallée a abrité l'activité humaine comme en témoignent les nombreuses traces du passé : vieux moulins, fermes fortifiées, châteaux de Segrez, La Briche, Villeconin, Saudreville, Boissy-le-Sec, etc... Si les vignes, si abondantes sur les coteaux, ont pratiquement disparu, une économie rurale persiste encore : cultures maraîchères et petit élevage dans la vallée, étendues de blé, maïs, colza, sur les plateaux.
Les châteaux ont connu, tour à tour, des périodes de notoriété. Villeconin fut construit en 1388 par Jean de Montagu qui devint Grand Maître de France et surintendant des finances sous Charles VI. Saudreville fut acquis en 1650 par Pierre de Rotrou. Celui-ci finit sa carrière comme maître d'hôtel du Roi (Louis XIV). Il était le frère du poète dramatique, Jean de Rotrou, contemporain de Corneille. Le château de La Briche appartint à la famille de Saint-Pol, du XVIe siècle à la Révolution, enfin Segrez fut le cadre des fastueuses réceptions de René-Louis Voyer de Paulmy, marquis d'Argenson, secrétaire d'Etat des Affaires étrangères de Louis XV, de 1744 à 1747.
Au cours du survol de l'histoire de cette vallée, on constate que l'action exercée par la capitale, Lutèce, puis Paris, sur cette région limitrophe, se traduit par des phénomènes contraires.
Elle a d'abord des effets bénéfiques. Les habitants de la ville (et ceci dès l'occupation romaine) ont cherché à s'implanter autour de Paris : villas, domaines, châteaux petits et grands. La calme vallée de la Renarde a toujours attiré les citadins qui y ont installé leur demeure des champs, soit à titre de placement financier, soit pour y trouver un lieu de repos.
Par ailleurs, dès son origine, la ville a créé des besoins incessants dans le domaine alimentaire. Il s'est toujours établi un marché très lucratif de viandes, céréales, légumes et fruits entre la capitale et sa grande banlieue à partir des vallées de la Renarde, de la Juine et de l'Orge. Si, maintenant, les ententes internationales sont venues perturber les échanges proches, ces derniers retrouvent toute leur vitalité en temps de crise. Nous avons pu le constater durant la dernière guerre.
Mais la proximité de Paris n'apporte pas que des avantages. Lors des guerres civiles, lors des invasions, Paris fut toujours le premier objectif à conquérir. Investir la région parisienne c'était tenter d'affamer la capitale pour détruire le cœur même de la France. C'est pourquoi la région considérée ici, située dans le prolongement des plaines plates de la Beauce, comme toute celles de la grande banlieue, eut à subir périodiquement des invasions, des pillages, des destructions de récoltes, avec les répercussions inévitables : famines et épidémies. C'est là qu'il faut admirer la ténacité des habitants du Hurepoix et de la vallée de la Renarde. Au cours de l'histoire, chaque désastre fut suivi d'un rebondissement, d'un progrès. Pour la plupart petits propriétaires fonciers, ils surent s'adapter aux situations et n'émigrèrent pas.
Actuellement, une menace non moins grave se dessine, une expansion anarchique de la grande ville, qui grignote peu à peu terres et bois. D'une part, s'implantent les métiers qui ont besoin de place comme : centre de récupération de ferraille et de vieilles voitures, super-centres commerciaux ; d'autre part, des habitations individuelles s'installent, morcelant en très petits lopins des terres cultivables (et cultivées) et les bordures de bois. Ces constructions sont souvent faites de matériaux disparates, aux couleurs voyantes, en dépit des règlementations.
S'il est indispensable que les villages vivent et accueillent de nouveaux membres, il est déplorable que le trésor irremplaçable de notre environnement naturel soit altéré par ces sortes d'envahisseurs plus ou moins sournois. Nul doute qu'une fois encore, le bon sens naturel des habitants saura trouver une juste mesure ; car c'est la ceinture verte des bois qui est menacée, ce sont les grandes étendues cultivées sur une terre bien irriguée et riche en humus qui sont destinées à disparaître. En un mot, c'est le caractère ancestral rural de cette région qui est menacé et avec lui ses trésors d'art et la beauté de son équilibre naturel.
SIMONNE RIVIERE
Le texte ci-dessus résume partiellement le livre, paru récemment, de Simonne Rivière, « La Vallée de la Renarde ». Cet ouvrage, très sérieusement documenté est précédé d'une préface de Jean Piveteau membre de l'Institut. Un volume (17 x 21,5 cm), 185 pages, environ 60 illustrations dont un grand nombre reproduisent des gravures anciennes. En vente, 50 F, chez les deux antiquaires de Saint-Sulpice, de Favières Essonne ; ou chez l'auteur : 35, avenue de Ségur 75007 Paris, plus 12,00 F de port).