Atacama : à l'assaut du Cerro Toco (5604 mètres)

J14 : Mer 11/05/11


Il a fait très mauvais hier soir et neigé en altitude. En regardant par la fenêtre, on distingue une fine couche de neige fraîchement tombée sur les sommets et sur l'altiplano. La température matinale s'en ressent aussi.

Dans ces conditions, tenter l'ascension du Cerro Toco (5604 mètres) tombe à l'eau.

En revanche, c'est un temps idéal pour faire du vélo. Nous laissons el Coche sur le parking municipal de San Pedro et arpentons dès 8 h 30 les rues du village à la recherche d'un loueur. Nous en repérons un, au joli nom de "Km Zero", qui devrait ouvrir à 9 heures. En attendant, capuccino et expresso au salon de thé O2 en face nous font patienter. 9 h 15, toujours personne dans la "tienda de bicicletas". Le patron du café que nous sollicitons s'empresse de se renseigner par téléphone. Le loueur est à Calama et ne comptait pas ouvrir sa boutique mais il nous envoie son père. Dix minutes plus tard notre homme est sur place et, à 9 h 45, nous enfourchons enfin nos montures pour une demi-journée (cinq heures) ou plus.

Le soleil a fini par triompher des nuages. Il fait très beau et déjà chaud.

Au programme, une boucle par la vallée de Quitor et le tunnel de l'ancienne route de Calama puis retour par l'actuelle route de Calama jusqu'à notre point de départ.

Dès la sortie du village, le ton est donné ! Avec tout ce qu'il a plu en montagne, le rio est bien alimenté et s'étale sur toute la largeur de la vallée de Quitor. On a beau zigzaguer entre les petits îlots en évitant de poser le pied par terre, on finit inévitablement par se tremper les extrémités après plusieurs gués consécutifs.

La Quebrada del Diablo est la première curiosité au programme de cette sortie mais un rio encore plus profond que les précédents va faire capoter le projet.

Nous revenons sur nos pas dans cette vallée verdoyante parsemée d'herbes de la pampa ondulant sous le souffle du vent… pour nous diriger directement vers le fameux tunnel.

Commence alors une rude montée dans une gorge aux roches rouges. Altitude de la vallée 2480 mètres, altitude du tunnel 2640 mètres, dénivelé 160 mètres.

Jusqu'à 100 mètres de dénivelé, je résiste, je serre les dents et je reste en selle. Au-delà, je triche un peu en poussant mon destrier. Encore quelques tours de roue et place à un beau panorama sur les crêtes environnantes, tout juste avant le tunnel !

La traversée se fait dans la pénombre (on a oublié de prendre nos lampes frontales) à peine percée par un filet de lumière venant de l'extrémité opposée.

C'est maintenant la descente tout en douceur mais par endroits dans du sable mou, ce qui oblige à pédaler même en descendant.

Le pique-nique permet heureusement de recharger les batteries. Hervé annonce qu'il reste 4 km jusqu'au carrefour avec la route asphaltée mais j'ai l'impression que plus je pédale, plus la route s'éloigne.

Le parcours devient vraiment inconfortable avec une alternance de caillasse et de sable mou. Par moments, il faut carrément s'écarter de la piste, trop mauvaise, pour pédaler hors trace. Les kilomètres s'accumulent. Ça use, ça use !

Enfin la route ! A ce point du parcours, il reste 15 km à couvrir jusqu'à San Pedro… que j'espérais en descente. Pas du tout, la descente finale n'est pas pour tout de suite. D'abord 10 km de montée… de quoi nous mettre le moral à plat. Heureusement une bonne orange bien juteuse va nous prodiguer l'énergie nécessaire pour les juguler. Après cet ultime effort, c'est la descente libératrice, cinq kilomètres qu'Hervé dévale à tombeau ouvert pendant que je reste loin derrière, agrippée à mes freins.

Nous posons pied à terre au "Km Zero" à 14 h 45, au bout de cinq heures de pédalage, soit une demi-journée de location (8000 CHP = 12 € pour deux), avec 35 km au compteur dont 20 de piste défoncée… un sacré périple !

Nous sommes fourbus mais contents. Un entraînement bénéfique dans la perspective d'une prochaine ascension de sommet !

Fin d'après-midi cool à la terrasse d'un café à San Pedro puis retour au lodge pour un repos bien mérité.

Notre terrasse

La vue depuis la terrasse : en face de nous, le cône parfait du Licancabur (5916 mètres), le Juriques (5740 mètres), légèrement en retrait du précédent, et complètement à droite le Cerro Toco (5604 mètres)..!

En cours de soirée, Hervé entend un craquement en se baissant. Une fermeture Eclair qui a cédé ? Non, plus grave… il sort de sa poche la carte bleue… cassée en deux (c'est la seule en notre possession !). La puce électronique est certes intacte mais ici c'est la bande magnétique qui importe. Nous avons bien encore quelques devises mais pas de quoi terminer le voyage. Alors sommes-nous condamnés à finir clochards ? Histoire à suivre…


J15 : Jeu 12/05/11


Ciel très dégagé ce matin ! C'est l'occasion ou jamais de tenter l'ascension du Cerro Toco que nous contemplons depuis notre fenêtre depuis quatre jours maintenant.

Le voici, photographié au téléobjectif depuis notre lodge… les Chiliens le qualifient de montagne à vaches… mais il culmine tout de même à plus de 5600 mètres…

Entre les différents sommets qui nous entourent, celui-ci a l'avantage de pouvoir être tenté sans guide et sans équipement technique. En outre, une piste menant vers un ancien camp minier permet de monter en véhicule jusqu'à 5200 mètres et quelques… réduisant à moins de 400 mètres le dénivelé à gravir.

Certes nous sommes déjà montés à 4810 mètres au refuge du volcan Cotopaxi en Equateur… mais jamais davantage ! Comment allons-nous réagir et pourrons-nous même y arriver ? That is the question !

C'est donc un peu fébriles que nous prenons, dès 8 heures, la direction du Toco par la route du Paso de Jama. C'est la route internationale reliant le Chili à l'Argentine, largement empruntée par les poids lourds. Leur vitesse témoigne de l'extrême inclinaison de la pente… on dirait qu'ils sont arrêtés tant ils ont du mal à monter. Derrière eux, el Coche est à peine plus vaillant, la plupart du temps en seconde. De surcroît, la route est jonchée de grosses pierres ayant servi aux chauffeurs de camions à bloquer leurs véhicules en panne pour les empêcher de reculer. Prudence !

Régulièrement, on se concerte ! "Ça va ? - Oui, moi ça va, et toi ? - Pour l'instant tout est OK."

A 4200 mètres d'altitude et à une quarantaine de kilomètres de San Pedro, nous quittons la route asphaltée pour une piste caillouteuse et pour 1000 mètres de plus à grimper. Nous dépassons le véhicule d'une agence, à l'arrêt pour une pause.

4800 mètres : ça y est, nous sommes à la hauteur du mont Blanc et à celle du refuge du Cotopaxi.

5000 mètres : la piste devient de plus en plus étroite et pentue.

5260 mètres : fin de la piste près de l'ancien camp minier. Il fait très beau et moins froid qu'on ne le craignait. Nous nous équipons cependant soigneusement : chaussures de marche, pantalons épais, polaires, doudounes, bonnets, gants, bâtons de marche, sacs à dos avec boisson chaude et en-cas… et bien sûr l'appareil photo. Le véhicule croisé précédemment nous rejoint.

Nous nous sommes fixé la consigne suivante : marcher très lentement et surtout redescendre au moindre signe de mal des montagnes.

9 h 45 : c'est parti sur un sentier bien tracé, légèrement verglacé par endroits. Nous avançons tout doucement, en veillant à bien ventiler à chaque pas. Les gars conduits par l'agence entament leur montée derrière nous.

10 heures, 5309 mètres : déjà une première pause et une vue magnifique !

Une pause plus loin, des "jeunes", un Français et un Russe conduits par un guide chilien,… nous rattrapent ! Ils viennent d'abandonner leur coéquipier brésilien déjà gagné par le mal des montagnes. Ils nous invitent à les suivre mais nous n'avons ni le même âge ni le même rythme. Nous avons besoin de prolonger notre halte car chaque mètre gagné demande un gros effort.

Quand nous nous mettons enfin debout, ils sont déjà loin !

11 heures, 5440 mètres : nous arrivons dans un secteur de plus en plus enneigé. Le sentier, au début très visible, disparaît entre les pierres et sous la neige.

Ni cairn, ni balisage… alors par où passer ? On a beau scruter la montagne, les gars devant nous ne sont plus en vue ! Et voilà qu'on a aussi perdu leur trace !

Heureusement, Hervé, rusé comme un Sioux, finit par retrouver quelques marques de pas ténues, lui paraissant fraîches… nous voilà pour l'instant tirés d'affaire et prêts à reprendre la lente ascension.

12 heures, 5545 mètres et un arrêt de plus ! Côté souffle, tout va bien mais la fatigue est réelle. A chaque halte, je ne peux m'empêcher de m'écrouler sur un rocher et ai toutes les peines du monde à me relever. Pendant que je m'attarde, Hervé en profite pour explorer le large plateau devant nous à la recherche du meilleur panorama.

Il cherche en outre un indice pour valider la suite de l'itinéraire car nous sommes à nouveau dans l'interrogation. Pas l'ombre d'une silhouette en vue ! Mais où sont passés les gars ? Hervé m'affirme être sûr de son itinéraire mais, moi, je commence vraiment à douter. Et si nous n'étions pas sur la bonne trace ? Franchement, parmi les sommets qui nous entourent, lequel est celui que nous cherchons ?

Hervé, confiant, décide de se fier à son intuition et moi je n'ai pas d'autre choix que de le suivre tout en continuant à douter à haute voix quand, soudain, du sommet de la montagne, dévalent à toute vitesse les trois gars de tout à l'heure. Nous sommes bien sur la bonne voie et cette excellente nouvelle nous donne des ailes pour vaincre les dernières difficultés.

12 h 30, 5600 mètres : Yes ! plus que quelques pas et déjà la vue sur… l'autre versant… vers les lagunes Verde et Blanca en Bolivie ! Extraordinaire ! Dire que nous serons à leur pied dans quelques semaines.

Sur le chemin de crête… l'arrivée est imminente !

12 h 35 : ça y est... après un parcours de trois heures, Hervé est le premier à poser devant le mât du sommet !

Le GPS affiche 5622 mètres… nous avons du mal à le croire… mais nous avons vaincu le Cerro Toco !

Nous nous accordons quelques minutes pour savourer notre performance et… contempler le panorama... Magique !

De gauche à droite, le Licancabur, le Juriques et les lagunes boliviennes.

Mais déjà il faut se dépêcher de descendre pour éviter le mal des montagnes qui tente de nous envahir. Nous essayons de limiter les arrêts mais je me sens curieusement moins bien dans la descente que dans la montée… un peu comme si j'étais ivre. Au bout d'une heure dix, nous atteignons néanmoins la voiture... fatigués mais fiers de notre petit "exploit".

Epilogue

Quelques semaines plus tard alors que je fais des recherches sur Internet avec comme mot clé "Cerro Toco", je tombe sur un blog au joli nom de "Marche ou rêve". Son auteur y publie des photos de son ascension du Cerro Toco. En observant attentivement ses images, quelle ne fut ma surprise de découvrir que c'est nous qu'il a photographiés en train de gravir le cerro. Le photographe est l'un des trois gars ayant fait la montée devant nous et dont on essayait de suivre la trace. Ça fait drôle de se retrouver ainsi sur les photos d'un "inconnu" mais en même temps, ça fait très plaisir et c'est tout bonnement... incroyable ! Merci Laurent !

Les images sont ICI

A 5000 mètres, nous obliquons vers le plateau du Chajnantor afin de voir à quoi ressemblent les radiotélescopes en construction. Avec la mise en service en 2012 du plus grand observatoire de radioastronomie jamais construit au monde (projet regroupant Américains, Européens et Japonais), la région est en passe de devenir une plate-forme scientifique incontournable sur la planète.

Un bel alignement !

Retour à San Pedro par la route internationale, encore plus impressionnante et dangereuse dans la descente, pourvue de nombreuses voies de freinage d'urgence, tous les kilomètres, pour les poids lourds en détresse. El Coche, qui se traînait à l'aller, a maintenant besoin d'un sérieux coup de bride pour être ralenti.

Arrêt au village pour tester la carte bancaire que nous avons pris soin de réparer à la bande adhésive. Mais les terminaux informatiques sont en panne dans tous les commerces, notamment au distributeur automatique et à la station d'essence. Nous ne sommes donc pas encore fixés sur notre sort et réglons nos dépenses en devises… tant qu'il nous en reste !

La fin de l'après-midi est consacrée à la préparation des bagages (départ demain matin pour l'Argentine) et accessoirement à un peu de repos car la journée n'est pas finie. Ce soir, nous avons rendez-vous avec la Lune !

A 21 heures, nous rejoignons un groupe d'une vingtaine de francophones dans le jardin d'Alain Maury pour une séance d'observation du ciel, d'abord à l'œil nu puis à l'aide de télescopes performants. Etoiles, planètes, nébuleuses, galaxies, tout y passe. Bientôt, grâce aux explications passionnées de l'astronome et de son épouse chilienne Alejandra, la Croix du Sud, la Mouche, Alpha du Centaure ou Saturne n'ont plus de secret pour nous ! Mais le clou du spectacle revient incontestablement à… la Lune !

Une belle soirée qui nous a permis d'améliorer nos connaissances du ciel tout en passant un agréable moment ! A recommander !

Dernière nuit à l'Atacama Lodge.