Colloque

Lacan & Grothendieck : l'impossible rencontre ?

21 et 22 mai 2022

Argument


« La découverte est le privilège de l’enfant.

C’est du petit enfant que je veux parler,

l’enfant qui n’a pas peur encore de se tromper,

d’avoir l’air idiot, de ne pas faire sérieux,

de ne pas faire comme tout le monde »


A. Grothendieck


Le week-end des 21 et 22 mai 2022, l'association de psychanalyse Lysimaque présidée par René Lew organise un colloque sur le thème très vaste des relations entre les mathématiques, l'inconscient et la psychanalyse.

Si la psychanalyse contient bien d’autres courants de pensée que ceux qui se réclament de Lacan, et si tous les mathématiciens sont loin de poursuivre leurs recherches dans le sillage de Grothendieck, ces deux personnalités atypiques, dérangeantes, ont du moins en commun d’avoir profondément marqué notre époque dans leurs domaines respectifs et pour cela d’avoir eu à cœur de puiser dans bien d’autres domaines que le leur. Lacan se passionna comme on sait pour certaines mathématiques, notamment la logique temporelle et la théorie des nœuds, où il estima trouver matière à faire progresser la théorie de la psychanalyse. De son côté, Grothendieck témoigne dans ses écrits non strictement mathématiques de sa passion pour la psyché, comme le montrent bien des pages de ses Récoltes et Semailles [pdf] que viennent d'éditer Gallimard (en janvier 2022), ou encore, parmi les dizaines de milliers de pages découvertes à sa mort et dont nous ne savons quasiment rien, les 3700 pages de mathématiques regroupées sous le titre Structure de la Psyché.

On pourrait dès lors s’étonner que les deux génies ne se soient jamais rencontrés. En fait, un déjeuner a bien eu lieu, au début des années 1970 organisé par le mathématicien et psychanalyste Daniel Sibony. Mais un déjeuner ne fait pas nécessairement une rencontre, et il semble bien que celle-ci ne se soit malheureusement pas produite. Quel est le sens de cette non-rencontre ? A quel impossible renvoie-t-elle ? Au-delà de leurs personnes et même des courants de pensée qui en revendiquent parfois les héritages, l’impossible rencontre entre Lacan et Grothendieck nous interroge sur les possibilités et les limites d’un enrichissement réciproque de la psychanalyse et des mathématiques. Elle rappelle aussi les relations pour le moins conflictuelles de chacun d’eux avec les institutions de son propre domaine. Ultimement, elle semble vouloir renvoyer au paradoxal impossible que serait par nature toute rencontre...

Et pourtant, comme tous les deux en ont donné l'exemple, le dialogue entre les mathématiques et la psychanalyse gagne à être sans cesse maintenu, approfondi et surtout renouvelé. Du reste, une heureuse coïncidence nous interpelle qui place ce colloque au moment même de la sortie chez Odile Jacob d'un ouvrage d'Alain Connes et Patrick Gauthier-Lafaye intitulé A l'ombre de Grothendieck et Lacan, qu'ils nous présenteront dans leur intervention. Le sous-titre de leur livre, Un topos sur l'inconscient, signale l'un des concepts phares du colloque, celui de topos, dont les intervenants auront sûrement à cœur de donner à l'assistance une idée intuitive, chacun à sa façon..

Ce type d'investigations pourrait bien à l'avenir se révéler d'une richesse inouïe. Les obstacles sont nombreux, à commencer par ceux liés aux difficultés techniques propres aux deux disciplines concernées. Certes, les deux disciplines ont en commun l'expérience de ne pas comprendre ! On passe même une grande partie de son temps à ça... ce qui permet le surgissement, parfois, d'un éclair de compréhension ! La qualité des intervenants de ce colloque et la profondeur de leurs réflexions en augurent d'intenses pour ces deux journées des 21 et 22 mai 2022 inspirées par ces auteurs à bien des égards exceptionnels que sont Alexandre Grothendieck et Jacques Lacan.



Stéphane Dugowson


Table