HISTOIRE DE BERLINETTE

1994, de retour dans la région après en être parti 12 ans, je découvre que Daniel habitait à deux maisons de celle que je venais d'acheter. Nous-nous étions perdus de vue quand j’avais quitté la région début 80.

Après un essai de mon A 310 V6, il se met à consulter les petites annonces pour trouver la même. Il découvre un modèle 78 rouge dans le bordelais, puis après être rentré au CAGPC, il commence à rêver de Berlinette.

Tout s’emballe, petites annonces à nouveau, mais en 1995 les prix sont déja élevés…

Il se décide pour une 1300G de 1968, 4 vitesses (ex Gr.4, 92 000 km, selon l’annonce). D’après les photos et les dires de son propriétaire, la belle semble correspondre à ce qu’il recherche. Son prix modéré est justifié par quelques travaux de restauration…

Début janvier 1996, nous quittons Carcassonne pour la Bretagne, avec mon Range et un porte voitures, dans un froid polaire en pleine grève des routiers...

Après douze heures de route et une nuit réparatrice, nous nous présentons à la concession Renault d’Erquy (Côte d’Armor), dirigée par le père du vendeur. La voiture, sale et défraîchie, s’ennuie en compagnie d’autres véhicules dans un grand hangar. Elle n’a jamais « tapé » aux dires de son propriétaire. Le moteur est «refait» depuis 5 000 km mais ne tourne que sur deux cylindres, je pense que ce n’est qu’un problème d’allumage et de carburation… Le collecteur d’échappement ainsi que le pot sont bricolés dans du tube plombier soudé à angle droit, mais le propriétaire possède toujours le collecteur double Y d’origine. Une glissière du siège chauffeur traverse le plancher et le châssis porte quelques traces de rouille...

Un essai rapide révèle un freinage hasardeux et louvoyant, un moteur bien sûr sans aucune vigueur, un embrayage très dur… Après discussion, l’affaire est conclue pour 60 000 fr (9 000 euros). Retour vers la maison le jour même.

Dès notre arrivée, nous n’avons qu’une hâte, c’est de faire tourner le moteur. Le Delco a besoin d’un sérieux nettoyage et d'une bonne rénovation. Fils de bougie, bougies, vis platinées et condensateur sont changés. Après réglage de l’allumage et de la carburation, le Gordini se décide enfin à tourner correctement sur ses quatre cylindres, sans tousser ni pétarader. Le diagnostic fait lors de l’achat semble bon, ouf!


En revanche, il est impossible de remédier aux problèmes de tenue de route. La voiture accélère bien, les vitesses passent correctement, mais le freinage est toujours aussi imprévisible. Les essais s’arrêtent là.

La voiture est rangée au fond du garage et nous passons l’hiver à rassembler le maximum de documentation, tout en réfléchissant à la meilleure façon de restaurer la voiture. La chasse aux pièces est ouverte, deux R8 et une R16 en font les frais.

DÉBUT DES TRAVAUX

Les beaux jours reviennent et le 8 Mai 1996, nous commençons le démontage de la mécanique pour procéder à une évaluation plus précise de la restauration. L’ensemble moteur boîte transmission est sorti (après avoir tronçonné le tirant gauche soudé à la poutre par la rouille), le train avant est démonté. L’explication de la mauvaise tenue de route semble trouver un commencement d'explication. En effet, un ressort est tordu et plus court que l’autre, la partie avant du châssis est coupée par la corrosion en avant de la traverse…

Après changement des roulements, joint, cardans, axes, silentblocs… l’ensemble moteur, boîte, trains roulants, amortisseurs et échappent (neufs) sont remontés. Toute la mécanique est rangée pour plus tard.

LE CHÂSSIS

Au mois de juin 96, on nous suggère de couper la voiture au niveau des passages de roue avant pour voir l'étendue des dégâts ! Effectivement après l'opération, on se rend bien compte des dommages occasionnés par la rouille sur la partie avant du châssis et c’est certainement ce jour là que nos chères moitiés ont été sûres d’avoir épousé deux fous…

Le diagnostic est sévère, il faut « sortir » le châssis. Sur la douzaine de point de collage, la moitié seulement étaient acceptables. Des " plaques à trous " de collage sont cassées au niveaux du plancher arrière, les deux tubes transversaux avant sont corrodés sous le polyester. La partie en avant de la traverse n’est plus que de la dentelle… voir ci-dessous.



Une fois le châssis hors de la caisse, nous pouvons vraiment mesurer l’étendue des dégâts causés par les 28 ans passés sous le climat breton. Malgré sa piteuse apparence, la poutre centrale et la traverse avant sont en bon état, ni vrillées ni tordues.


Petit à petit nous découvrons dans le polyester et autre choucroute, l’histoire cachée de la voiture, qui contrairement à ce que l’ancien propriétaire prétendait, avait certainement « tapé » plusieurs fois.

Il semble maintenant qu’une restauration importante soit à envisager…

Avant de poursuivre, le châssis et les parties métalliques sont complètement sablés. Les deux tubes transversaux avants sont remplacés, ainsi que le tube carré tout à l'arrière, qui était en première ligne lors des chocs...

La restauration du châssis se révèle plaisante et rapide.










Le tirant tronçonné est refait à l'identique avec un frère d’origine R8.

Les pièces rouillées sont remplacées ou refaites, traitées et peintes. La fixation cassée de la partie avant est reconstruite, le boîtier de direction est ouvert, graissé et le roulement changé. Tous les silentblocs des triangles sont remplacés ainsi que les rotules, roulements, soufflets de direction, buttées de suspension… le système de chauffage est rénové et stocké.

Un professionnel séduit par l’entreprise refait même le radiateur à l’identique pour un prix « canon ».

Les petites annonces permettent de trouver tout le système de freinage pratiquement neuf, du maître cylindre aux disques.

Petit à petit toutes les pièces reprennent leur place sur le châssis au cours du mois de novembre 96.

Notez le réservoir central d'époque en alu.

Au printemps, toute la mécanique est montée " à blanc ", ainsi que le système de refroidissement.

Les 6 amortisseurs neufs (des Koni réglables) sont placés, ainsi que des " flexibles de frein aviation ".

Grâce aux conseils avisés des mazamétains, les biellettes de direction de R8 sont remplacées par des rotules de Fiesta et des biellettes de R5, beaucoup plus faciles à régler et qui se montent sans transformation.

Enfin le circuit de refroidissement est rempli et le moteur redémarré pour vérifier que tout fonctionne correctement.

Il sera mis en route régulièrement, juste pour le plaisir ...

LA CARROSSERIE

On passe maintenant à ce qui va demander le travail le plus long et occasionner le plus de démangeaisons…

Le plancher côté chauffeur avait été rafistolé avec une tôle rivetée noyée dans le polyester, la rouille a attaqué le métal et le rail du siège est passé au travers.

Pour nous « faire la main » avec le polyester et parce qu’il faut bien commencer quelque part, nous refaisons les planchers, avec la plaque de contre-plaqué "noyée ", comme à l’origine.

Le tunnel de refroidissement et l’emplacement du radiateur sont confectionnés et greffés dans la partie avant toujours désolidarisée.

Le bloc avant est enfin recollé à la caisse au grand soulagement de nos admiratrices…

Le bas des passages de roues arrières, autre partie vulnérable, sont refaits.

Pour quelques bouteilles de boisson anisée, les « mazamétains » qui possèdent le moule complet de la voiture et une énorme expérience sur berlinette, nous font les écopes, le support de plaque, toute la partie inférieure avant, la gueule de requin, le nez, (l’avant avait été percé pour recevoir une entrée d’air frontale).

Comme sur beaucoup de voitures de cet âge, les deux bas de caisse sous les portières sont en très mauvais état. Le polyester n’a plus de secrets pour nous et les longerons sont fabriqués en utilisant comme moule, un chéneau PVC … puis remplacés de l’avant à l’arrière, après avoir découpé la partie malade.

Des endroits inaccessibles et difficiles à mouler, comme les emplacements du cric, sont remplis de mousse en bombe, mis en forme et enfin recouverts de polyester.

En manipulant la caisse, la jupe arrière s’est détachée… Une jupe arrière démontable avait remplacé celle d’origine certainement après un choc... Comme pour le plancher, le carrossier ne s’était pas foulé, elle ne tenait que par quelques rivets et du mastic…Il faudra l’ajuster et la coller.

Les deux capots avaient été traités comme le reste par le même "maçon" et alourdis avec du mastic disgracieux, ils sont impitoyablement changés grâce à nos fournisseurs habituels.

Notez la trappe de remplissage du réservoir central, ainsi que l’absence de montant sur ce modèle de 1968. L'intérieur du longeron est également différent.

Les portes qui «gondolaient» sont renforcées et remises en forme…

Tout le collage des partie neuves en polyester est terminée, le ponçage de la carrosserie jusqu’au gel-coat d’origine peut alors commencer. Nous découvrons suivant les endroits entre 6 et 7 couches de peinture (apprêt et vernis) et de nombreux collages témoignant d'une vie passée agitée.

Le ponçage se poursuit et fait ressortir une multitude de petites fissures et criques invisibles sous les nombreuses couches de peinture, ainsi que des rivets pris dans la matière, qui à la longue finissent par réapparaître sous forme de cloques. L’anti-gravillons est gratté ainsi que la colle des revêtements intérieurs.

Nous constatons avec joie que la caisse qui était toute " molle " est maintenant parfaitement rigide, sans que son poids n’ait trop augmenté. En effet nous arrivons toujours à la manipuler à deux et même à la retourner.

Au printemps 98, le châssis est recollé dans son emplacement et l’ensemble, beaucoup plus lourd maintenant, remis « à l’endroit » très soigneusement mais cette fois avec l’aide de toute la famille…

En parallèle avec les travaux de restauration, les sièges ont été rhabillés de neuf, le réservoir central en alu (groupe 4 d’origine) nettoyé et ressoudé. Toujours les petites annonces pour trouver les feux arrières, un réservoir de Floride (absent sur la voiture) qu’il faut adapter, le volant, les rétroviseurs…Ce qui est récupérable est remis à neuf et pas mal de choses sont carrément fabriquées, comme la fermeture du capot arrière (avec un mécanisme de R8), le frein à main hydraulique qui fonctionne avec la commande et le câble d'origine, prend place sous la traverse arrière.

Je me transforme en couturier sur la machine à coudre de ma femme, pour confectionner les garnitures intérieures, tunnel central, bas de portes, custode, moquettes, habillage des portes, plafond, soufflets du levier de vitesse et d’accélérateur… Un vide-poches de R16 sera adapté et prendra place sur le tunnel central.

La lunette arrière en plexi, les bulles de phares, les vitres, les optiques principales seront remplacées par du neuf.

Nous fabriquons les moules en polyester des butoirs avants, des pare-chocs, plus rien ne nous arrête...

LA PEINTURE

La mécanique est remise en place pour faciliter les déplacements et fin 98, la voiture est enfin confiée à un ami carrossier pour la finition et la peinture. Pour rester dans un prix raisonnable il ne travaille pas sur l’auto à plein temps.

Il la gardera un mois et demi…


Deux couches d’apprêt polyester, poncées soigneusement, sont appliquées.

La carrosserie reçoit enfin sa couleur définitive et passe le weekend sagement en cabine à sécher doucement.

Le carrossier avait dans ses réserves une paire « d’Oscars Cibié » neufs, dans leur emballage, il les cédera gentiment.

LES FINITIONS

La voiture revient enfin à la maison. La peinture est magnifique et le remontage peut se poursuivre.

En rassemblant mes souvenirs de lycée, je refais le circuit électrique de A à Z avec fusibles et relais.

La voiture reprend vie, avec un compteur à zéro…

Tous les instruments et interrupteurs retrouvent leur place.

Le circuit électrique fonctionne, le moteur est en place... Impossible de résister à l’envie de faire le tour du quartier sans portes ni vitres, pour la plus grande joie des enfant. A cette occasion nous perdons encore quelques points avec nos épouses et les voisins...

Les capots et les portes sont finalement montés et ajustés.

Les encadrements de portes, les joints, les vitres avec leurs mécanismes d’ouverture, les serrures, les gâches seront placés et réglés avec soin. Les écopes, support de plaque, phares, feux arrières, baguettes et autres lettres, rétroviseurs… retrouvent leur emplacement, suivis par les garnitures intérieures, les sièges, le plafond… Pour que le résultat soit parfait, ce travail demande beaucoup de temps et de patience.

Tout l’intérieur trouve sa place petit à petit et sent bon le neuf.

Le levier de vitesse qui avait été raccourci, retrouve la bonne longueur, " l’interdiction de marche arrière course" copiée sur la mienne, est fabriquée et mise en place. Même le cendrier (bien qu’il sera interdit de fumer dans la voiture) est prélevé sur une Estafette, rénové et fixé à son emplacement.

La plaque métallique du tableau de bord avait été massacrée. Nous l’avons fabriquée dans une plaque d’alu brossé du meilleur effet.

Le bloc chauffage est monté avec son ventilateur à deux vitesses.

L'arceau de sécurité est solidement fixé à la caisse.

Le travail s'achève avec la mise en place du pare-brise et de la lunette arrière.

En cherchant bien, il semble qu’aucun élément de la voiture ne soit pas « passé » entre nos mains…

PREMIERS TOURS DE ROUES

Par une magnifique journée de mai 99, pratiquement 3 ans jour pour jour après le début de l’entreprise, nous pouvons aller faire les "essais officiels" de la voiture. Tout fonctionne, la tenue de route est parfaite, la mécanique tourne rond, la voiture freine droit… Elle n’a plus rien à voir à ce qu’elle était il y a trois ans. Quel plaisir de voir les têtes se tourner à notre passage et les sourires apparaître.

Je tiens à remercier nos épouses qui ont douté quelque fois et nous ont souvent maudit, surtout pendant la période polyester et ponçage…ainsi que tous ceux qui nous ont donné des conseils précieux et apporté leur aide souvent désintéressée. On oubliera les narquois et les moqueurs…

Nous avons toujours été sûrs du résultat malgré des périodes d’arrêt plus ou moins longues durant ces trois ans, il n’y a pas que la voiture…

Le prix de la restauration (hors peinture) revient à 35 000 fr (5 300 euros) ce qui est remarquable, soit 95 000 fr (14 500 euros) avec le prix d'achat (en 1999). L'essentiel du travail a été fait hors du circuit des professionnels et le moteur et la boîte n'ont pas subi de démontage, juste une mise au point a été nécessaire.

Les années qui ont suivi, ont apporté quelques évolutions.

Pour un prix défiant toute concurrence, c’est çà les amis, René lui vend un moteur 1296 qui traînait sur ses étagères mais qu’il faudra "fiabiliser" avec l'aide de Philippe, en changeant chemises et pistons, ça arrive...

Peu après une boîte 5 remplace avantageusement celle à quatre rapports.

La dernière intervention sera le montage de jantes Gotti 073R et les « gros freins », sur les quatre roues avec tirants avants et maître cylindre en 22.