Le Canal de Panama - Mars 2013

Journal de Bord – Dominique Mars 2013

Il était une fois...., dans un salon d'une « toulousaine » de la rue des Princes à Toulouse, des amis, Sylvie et Rémi, qui évoquaient devant Michèle et moi leur projet de tour du monde à la voile au moment de leur retraite. Cela se passait il y a 5 ou 6 ans devant diverses documentations de voiliers pour des courses au long cours, dont celle du super maramu de Amel-La Rochelle.

Sous la forme d'une boutade, j'ai alors déclaré que si leur projet aboutissait et si un jour ils passaient le canal de Panama, je serai volontaire pour être alors à bord bien que n'ayant aucune expérience en matière de navigation.

Nous voilà en Mars 2013, et après qu'ils aient navigué trois ans et demi en Méditerranée puis dans les Caraïbes, j'ai retrouvé Sylvie et Rémi à la marina « Shelter Bay » en face du port de Colon, porte d'entrée du canal de Panama côté atlantique. Malheureusement, Michèle n'a pas pu être du voyage et nous l'avons tous regretté.

Pour un grenoblois, sortir de l'hiver pour rejoindre le bateau dans la chaleur tropicale après un vol via Madrid, puis une nuit à Panama City et une route au « radar » vers Colon et la marina est un dépaysement total. Deux jours avant moi, Belissima avait rejoint Colon après une navigation de 5 jours depuis Cuba, dernière escale avant le Pacifique. Il s'agit maintenant de faire toutes les formalités pour emprunter le canal et ce n'est pas des plus simples. Et cela donne lieu à des épisodes cocasses; par exemple le préposé au « mesurage » du bateau qui précise ce que l'on doit donner à manger et à boire au pilote qui montera à bord pendant toute la traversée du canal. Et les dollars coulent à flot lorsqu'il faut régler le droit de passage, payer l'agent « facilitateur » de formalités etc.

Les quelques jours d'attente du passage permettent à Rémi d'installer une partie du nouveau matériel informatique dont j'assurais le transport, et ce n'est pas une chose facile quand les connexions internet sont aléatoires. Il s'agit pourtant de matériels décisifs pour la navigation en haute mer et les communications en général.

J'ai pu constater un partage des tâches parfaitement rodé entre les deux navigateurs:

- à Sylvie (le ou la Capitaine) tous les problèmes d'intendance (et ce n'est pas rien quand on entreprend des traversées de plusieurs semaines) à terre comme à bord et l'ensemble des formalités administratives (entrées, sorties, permis de naviguer, etc) à redécouvrir chaque fois dans un nouveau pays et un nouveau contexte, et en essayant de ne pas se faire « arnaquer »

- à Rémi (le skipper) tous les problèmes techniques et tout ce qui touche à la navigation et en particulier le matériel informatique et de liaison téléphonique permettant d 'avoir les cartes, la position et la météo à chaque instant afin de faire naviguer Belissima dans les meilleures conditions de sécurité.

Une semaine a été nécessaire pour obtenir un créneau de passage. Cela nous a permis d'effectuer quelques visites dans le secteur de Colon : bien sûr les écluses de Gatun sur le côté atlantique du canal, mais aussi le fort San Lorenzo au débouché du rio Chagres sur l'atlantique, le village de Portobelo et ses indiennes « Kuna » ainsi qu'un aperçu du chantier « colossal » des futures très grandes écluses de Gatun. J'ai même pu tester les vélos pliants du bord pour quelques kilomètres au milieu de la forêt tropicale et ses singes hurleurs (que j'ai entendu sans les voir). Mais ce qui a été le plus visité, c'est le « supermercado » Rey à 20 km de la marina et point de passage obligé pour un ravitaillement complet.

Ca y est; le Vendredi 8 Mars, passage au mouillage devant Colon pour récupérer le pilote « obligatoire » et direction les écluses de Gatun en compagnie de 5 autres voiliers convoqués pour le même créneau. En fait, nous passons 3 par 3. Belissima est dans le premier groupe, amarré par babord à « Refola » super maramu italien voisin de ponton à la marina On nous place en arrière d'un cargo. Il est 16h et les premières portes se ferment. C'est parti pour le Pacifique.....!

Après deux heures et 3 écluses en cascade, mouillage pour la nuit à l'entrée du lac Gatun, à 26m d'altitude (record pour Belissima). Amarrage à une bouée avec nos partenaires de la marina: Refola, Wind Song et Frieda. Sylvie a préparé un gros apéro pour fêter l'évènement.

Nous sommes 5 à bord de Belissima car les autorités du canal imposent un skipper et 4 « handliners » à la manoeuvre des aussières. Nous avons donc embarqué un navigateur russe grand amateur de vodka, Alexey, qui « suit » les Barré sur son bateau depuis Cuba, et qui doit rejoindre Panama pour retrouver sa femme arrivant de Moscou. Il y a également un « handliner » local : Gabriel, jeune étudiant infirmier discret et efficace qui vient se faire un peu d'argent de poche.

Nuit courte sur le lac car le départ du Samedi est à 6h30 dès le retour du pilote « Moïse » qui nous accompagne pour la longue traversée: 3h de navigation sur le lac Gatun,

puis 1h30 dans le « Gaillard cut », zone de très fortes excavations qui ont nécessité les plus gros efforts il y a cent ans (centenaire de l'inauguration du canal en 2014)

Puis c'est alors la succession des 3 écluses descendantes vers le Pacifique: d'abord l'écluse de Pedro Miguel puis, un mile plus loin, les 2 écluses de Miraflores.

On est presque « blasé », mais quand la dernière porte s'ouvre sur le côté pacifique, il y a quand même à bord une petite pointe d'émotion.

Les webcams au droit des écluses permettent à certaines des filles Barré de voir en direct le bateau de leurs parents. Rémi a même récupéré une « capture d'écran » envoyée par Aude.

Reste à passer sous le pont des Amériques, à débarquer nos passagers à la jetée de Balboa, puis à rejoindre un mouillage pour la nuit ce que l'on fait vers 15h à la pointe sud de Panama City (la Playita).

Et voilà, le canal est passé et s'ouvre devant Belissima la route des Galapagos puis des Marquises.

Mais côté Pacifique, le vent n'est plus là. Le mouillage à la « Playita » n'est pas des plus agréable (musique à fond dans la zone touristique voisine et péage surprise pour descendre à terre en dinghy), on entreprend au moteur dès le lendemain les 7 miles qui nous séparent de l'île de Taboga. Mouillage devant un petit village sympa que l'on visite à pied au milieu des panaméens de la ville venus à la plage (on est Dimanche).

Et c'est parti pour l'archipel des Perlas, que l'on va découvrir du nord vers le sud après 7 heures de navigation pour atteindre l'île de Pacheca.

En route, premières prises du Pacifique: 2 beaux maquereaux de 25 à 30 cm qui seront bientôt au menu.

A Pacheca, des pêcheurs locaux offrent un poisson de 7 kg (non identifié mais proche du thon) que Rémi mettra une heure à découper en filets. Il est un peu « ferme » mais Sylvie le prépare avec une sauce au gingembre du meilleur style.

Grande surprise à Pacheca au moment du bain : l'eau est à 18 degrés et pas claire du tout. Cela donne un petit effet « Bretagne » hormis la température de l'air qui oscille entre 24 mini et 35 maxi.

Ce sera ensuite le défilé des îles de l'archipel:

- Tout d'abord passage à Bartolomé (micro île)

puis mouillage à Contadora. C'est la seule île des Perlas assez développée avec petit aéroport et résidences secondaires pour riches panaméens.

L'hôtel « Romantico » devant le mouillage est apprécié pour sa wi-fi. A Pacheca comme à Bartolomé, des hommes édifient sur la plage des structures en bois créant des plateformes surélevées. Nous comprenons en les interrogeant avec un espagnol hésitant qu'il s'agit de construction pour l'observation et la protection des tortues de mer et des oeufs qu'elles vont pondre.

- On atteint Casaya après un passage « chaud » dans une zone étroite entre les îles de la Mina et de Viveros. Le mouillage dans 7,2m d'eau est super, face à une petite plage propice à la baignade (eau à 20 degrés). Mais vers 22h30, à la marée basse, il n'y a plus que 2,6m d'eau sous le bateau... mais cela n'inquiète pas Rémi, certain à juste titre de ses évaluations. Pour rappel, le tirant d'eau de Belissima est de 2,2m....mais pour les initiés, il restait le « pied de pilote » ! Et question marées, Rémi est ravi de retrouver ce phénomène naturel qu'il n'avait pas rencontré en navigation depuis 2007 en Manche !

-Traversée ensuite vers l'île de Pedro Gonzalez et son petit village de pêcheurs aux ressources modestes et heureux de vendre quelques fruits tropicaux aux seuls touristes de la journée. Un petit 25 noeuds de vent et une allure sous voile à 8 noeuds nous permettent de rejoindre alors le sud de l'île de Viveros où l'on retrouve nos compagnons de « canal »: Refola. Invitation à bord pour un dîner « italien » où les échanges d'informations, en particulier sur les formalités aux Galapagos, vont bon train. Le retour en dinghy, en pleine nuit, vers Belissima est pour moi saisissant.

- Halte d'une matinée sur l'îlot de Platanal, proche de Viveros. Plage et cocotiers de carte postale et plein les yeux pour le voyageur venu de l'hiver. C'est magnifique! Encore quelques miles pour rejoindre le sud de l'île de Pedro Gonzalez non visité la veille et qui offre un mouillage « scenic » selon la bible du navigateur au Panama.

- Navigation cool vers l'île de Chapéra en face de Mogo-Mogo où nous retrouvons .quelques Panaméens bruyants en week-end (on est Samedi) sur leurs vedettes clinquantes. Heureusement, ils quittent le mouillage en milieu d'après-midi et nous profitons pour la première fois d'une eau claire (mais toujours fraîche). Quelques raies « pastenagues » se font même admirer dans moins de 2m d'eau. Le lendemain dimanche, on est tous à l'eau avant le retour des panaméens en vedettes sur-motorisées. Nouvelles rencontres avec des raies, des perroquets, des diodons... et même de petits iguanes sur Mogo-Mogo (décidément, ce nom me plait bien).

- Trois heures de navigation en musardant entre les îles et on retrouve Contadora et son mouillage devant l'hôtel Romantico. On y fera un long séjour « internet » avant de déguster un très bon mérou au restaurant dominant la mer et Belissima. Lors de l'enquête de l'inspectrice Sylvie auprès du patron de l'hôtel (du style Titouan Lamazou), celui-ci se révèle être français (de Vannes). Il a acheté l'hôtel il y a 4 mois après avoir fait de l'immobilier et bourlingué dans les mers du sud. Il n'est pas avare de détails sur la vie dans les Perlas, les coins de pèches somptueux, les rapports avec les autorités locales (simples) et les forces aéronavales qui quadrillent le secteur pourchassant les trafiquants de drogue (la Colombie n'est pas loin). On les a croisés plusieurs fois sur leur « speed boats ».

Mais ce qui nous a fait le plus rire, c'est quand il nous a dit que les structures en bois édifiées sur quelques îles n'étaient absolument pas destinées à la protection des tortues (voir plus haut). Il s'agit d'éléments pour le tournage d'une ènième série de « Survivor », sorte de Koh Lantah américain repris par toutes les télévisions du monde. Cette fois-ci, ce sont les turcs qui s'annoncent. En fait, notre bonne compréhension de l'espagnol nous avait fait confondre « huevos »(les oeufs) avec « juegos »(les jeux)......!

- Dernière navigation pour moi avec le retour sur Panama City. Huit heures au total sans beaucoup de vent et un temps brumeux puis nuageux. Ce n'est que vers la fin, la nuit tombée, qu'un tiers de lune donnera un aspect magique à l'approche de la grande ville célébrée par des dauphins jouant avec Belissima. Dîner en mer : Sylvie a préparé un gigot mariné au citron et des crèmes caramel maison succulents et vraiment surprenants en pleine mer.

Pour finir, et sous un feu d'artifice tiré au loin, Rémi nous a mijoté une arrivée au radar jusqu'au mouillage de Las Brisas, proche de celui où on était il y a huit jours. La navigation de nuit dans des secteurs encombrés de bateaux est toujours impressionnante.

C'est donc le retour à la grande ville.

Avant de partir à la découverte du vieux quartier historique, on assiste au petit matin au " naufrage " de notre voisin de mouillage. Une voie d'eau en pleine nuit et aux premières heures, l'eau atteint le pont du bateau...! Les militaires du coin réussissent à pomper et redressent la situation avant qu'il ne soit trop tard.

Promenade sympa dans le vieux quartier en pleine réhabilitation. Il y a beaucoup de vieux bâtiments dans les styles variés: colonial, espagnol, caribéen, néo-classique et art déco. On apprécie la fraîcheur d'un resto-bar « branché » à la décoration recherchée.

Passage obligé au marché San Felipe pour des fruits, légumes et poissons. De belles grosses crevettes seront au menu du dîner où Belissima rend l’invitation à Refola de nouveau à proximité.

Belle ambiance aidée par le cocktail maison de Rémi. Les crevettes marinées sauce thaï de Sylvie font un malheur.

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Et voilà, c'est fini pour moi. Les 20 jours avec Sylvie et Rémi sont passés comme un éclair. Tout d'abord, il y a eu toutes les découvertes relatives au pays, à la vie sur le bateau en poste à la marina, au passage « mythique » du canal, puis la vie à bord en navigation « de loisirs » dans un chapelet d'îles tropicales avec certains mouillages devant des plages de rêve comme sur les dépliants touristiques.

Mais surtout, il y a eu l'accueil exceptionnel à bord de leur bateau des navigateurs au long cours. Sans parler des apéros au coucher du soleil, des magnifiques salades et les bons petits plats de Sylvie, du coup d'oeil marin de Rémi pour se faufiler entre les rochers et trouver le mouillage optimal, de l'ambiance « tripot » d'après dîner et j'en passe et des meilleures.

En résumé, un séjour plus qu'agréable illustré par des centaines de photos dont le tri va permettre de revivre ces belles journées pendant que Belissima voguera sur le Pacifique. Il sera plus facile pour moi maintenant de les imaginer dans leur univers et de profiter à fond de leur blog qu'ils mettent un point d'honneur à faire vivre mois après mois.

Encore merci; bons vents et bonne route.

Dominique

(Commentaire : ne pas confondre COCHET Dominique et Corps Diplomatique svp !)

A bientôt…