Au-delà du capitalisme

  • En l'espace de cinquante ans, un monde nouveau surgit. (page 9)

  • Et les hommes qui naissent alors sont incapables ne serai-ce que de se représenter le monde où vivaient leurs grands-parents, et où leurs propres parents étaient nés. (9)

  • La seule chose dont on puisse être sûr, c'est que le monde qui va sortir de l'actuel remaniement des valeurs, des croyances, des structures sociales et économiques, des idées et des régimes politiques, bref de notre conception du monde, ne ressemblera à rien de ce que l'on peut imaginer aujourd'hui. (12)

  • Il est pratiquement certain que cette nouvelle société sera post-capitaliste et ne sera pas socialiste.

  • Il est certain aussi que le savoir y sera la principale ressource. (12)

  • Il en découle que cette société devra reposer sur les grandes organisations. (12)

  • Autre certitude, celle-là dans le domaine politique : l'ère de l'État-nation souverain, qui dure depuis quatre cents ans, a déjà cédé la place à une ère pluraliste, dans laquelle l'État-nation ne sera qu'un instrument parmi d'autres de l'intégration politique. Il ne sera qu'une composante - une composante majeure, certes - de ce que j'appelle le " régime politique post-capitaliste", dans lequel diverses structures - transnationales, continentales, nationales, locales, voire tribales - coexistent et rivalisent. (12)

  • La nouvelle société - elle est déjà là - est une société post-capitaliste. Il est certain, redisons-le, qu'elle utilisera le marché libre comme le seul instrument éprouvé d'intégration économique. 15)

  • La ressource économique de base - les "moyens de production", pour parler comme les économiste - n'est plus le capital, ni les ressources naturelles (la "terre"), ni le travail. (16)

  • La valeur est créée désormais par la productivité et par l'innovation, qui sont toutes les deux des applications du savoir au travail. (16)

  • Les groupes sociaux dominants, dans la société du savoir, seront les travailleurs du savoir - c'est-à-dire les cadres du savoir, compétents pour l'allocation de celui-ci aux usages productifs tout comme les capitalistes sont compétents pour l'allocation du capital, les techniciens du avoir et les employés du savoir. Tous, pratiquement, travailleront dans des organisations. (16)

  • Le défi économique de la société post-capitaliste consistera donc à assurer la productivité du savoir et des travailleurs du savoir. (16)

  • Aujourd'hui, le savoir est la seule ressource qui compte. Les facteurs de production traditionnels, la terre (c'est-à-dire les ressources naturelles), le travail et le capital n'ont pas disparu, mais sont passés au second rang. On peut se les procurer, et facilement, pourvu qu'on ait le savoir. Et le savoir, dans ce sens nouveau, est devenu une utilité économique, en tant que moyen d'obtenir des résultats dans les domaines économique et social. (51)

  • Ce troisième tournant dans la dynamique du savoir peut être baptisé la révolution du management. (52)

  • Comme les deux qui l'ont précédée - l'application du savoir d'abord aux outils, aux procédés et aux produits, ensuite au travail de l'homme - la révolution du management a submergé la planète. (52)

  • Il avait fallu soixante-dix ans, de 1880 à la fin de la Seconde Guerre mondiale, pour que la révolution de la productivité s'impose a son tour. Il a fallu moins de cinquante ans - de 1945 à 1990 - pour que la révolution du management conquière le monde. (52)

  • Nous savons désormais que le management est une fonction générique pour toutes les organisations, quelle que soit leur mission. C'est l'organe générique de la société du savoir. (52)

  • Le management a été inventé il y a des milliers d'années, mais il n'a été découvert qu'après la Seconde Guerre mondiale. (53)

  • Lorsque j'ai commencé à étudier le management, pendant et immédiatement après la Seconde Guerre mondiale, un manager était défini comme "quelqu'un qui est responsable du travail de ses subordonnés ". En d'autres termes, le manager était un "chef ", et management signifiait pouvoir hiérarchique. C'est encore probablement ainsi que beaucoup de gens le conçoivent. (54)

  • Dès le début des années cinquante, cependant, la définition avait déjà changé : "Le manager est l'homme responsable de la performance des gens ". (54)

  • Nous savons maintenant que cette définition aussi est trop étroite. La bonne définition est celle-ci : "Le manager est l'homme responsable de la mise en oeuvre du savoir et de sa performance.". (54)

  • Cela veut dire que l'on considère désormais le savoir comme la ressource principale. (54)

  • Ce qui rend notre société post-capitaliste, c'est que le savoir est devenu la ressource, et on une ressource parmi d'autres. (54)

  • Ce que nous appelons savoir, c'est de l'information efficace dans l'action, de l'information visant des résultats. (55)

  • Les résultats sont extérieurs à la personne, ils concernent la société et l'économie, ou bien l'avancement du savoir lui-même. (55)

  • L'organisation est une institution avec un objectif spécialisé. Elle est efficace parce qu'elle concentre son action sur une tâche unique. (62)

  • Le prototype de l'organisation moderne, c'est l'orchestre symphonique. Chacun des deux cent cinquante musiciens d'un orchestre est un spécialiste, et hautement qualifié, en plus, mais ce n'est pas le jour de tuba, dans son coin, qui produit la musique; c'est l'orchestre, et lui seul. L'orchestre joue son morceau parce que, et seulement parce que, chacun des deux cent cinquante musiciens dispose de la même partition. Tous subordonnent leur spécialité à la tâche commune. Et à chaque moment, ils ne jouent tous ensemble qu'un seul et même morceau. (63)

  • Cela exige - préalable absolument indispensable à la performance - que la tâche et la mission de l'organisation soient définies avec une clarté absolue. Les résultats à obtenir doivent être énoncés clairement, sans ambiguïté, et, si possible, de façon chiffrée. (65)

  • Cela exige aussi que l'organisation s'évalue et se juge elle-même, ainsi que sa performance, en fonction d'objectifs clairs, publics et impersonnels. (65)

  • Dans la société post-capitaliste, il y a gros à parier que tout détenteur d'un savoir donné devra en acquérir un autre tous les quatre ou cinq ans, sous peine de devenir périmé. (68)

  • Toute organisation, aujourd'hui, doit intégrer dans sa structure même le concept de management du changement. (69)

  • Elle doit prévoir et organiser l'abandon de tout ce qu'elle fait. Elle doit s'entraîner, pour tous ses procédés, tous ses produits, toutes ses procédures, toutes ses politiques, à se poser périodiquement la question : "Si nous n'étions pas engagés dans telle activité, et sachant ce que nous savons maintenant, est-ce que nous nous y lancerions ? " Et au cas où la réponse serait négative, l'organisation doit se demander : "Alors, maintenant, qu'est-ce qu'on fait ? " (69)

  • De plus en plus, les organisations devront planifier l'abandon d'une politique, d'une pratique, d'un produit, si performants soient-ils, plutôt que de s'efforcer de les maintenir en vie le plus longtemps possible. (69)

  • L'organisation doit aussi inscrire dans ses fibres la création de la nouveauté. (69)

  • L'organisation doit recourir systématiquement à trois pratiques. d'abord, elle doit améliorer continuellement tout ce qu'elle fait - procédé que les Japonais nomment kaizen, c'est-à-dire un progrès continu, organisé, sur soi-même. (69)

  • Le but du kaizen est d'améliorer le produit ou le service de façon qu'il devienne en deux ou trois ans un produit, un service réellement différents. (69)

  • Ensuite, l'organisation doit apprendre à exploiter ses succès, c'est-à-dire à en tirer de nouvelles applications, (70)

  • Enfin, l'organisation doit apprendre à innover - et l'innovation peut, et doit, être organisée systématiquement, comme une procédure en soi. (70)

  • Alors, bien sûr, vient la phase d'abandon, et tout le processus recommence. (70)

  • La société du savoir doit être décentralisée. Les organisations doivent y être capables de décider rapidement, doivent coller à la performance, au marché, aux techniques, aux changements qui interviennent dans la société, dans l'environnement, au niveau de la démographie, du savoir, et qui doivent être perçus et utilisés comme autant de possibilités d'innovation. (70)

  • La seule politique valable à long terme pour les pays développés, c'est de passer de la production basée sur le travail physique à la production fondée sur le savoir. (85)

  • Gérer une affaire dans le seul intérêt des actionnaires ne peut que démoraliser les travailleurs du avoir, de la motivation desquels dépend le sort de l'entreprise moderne. Un ingénieur n'a pas envie de travailler dans le seul but d'enrichir un spéculateur. (92)

  • Le défi nouveau qui est lancé à la société post-capitaliste, c'est celui de la productivité des travailleurs du savoir et des services. (95)

  • Au travailleurs du savoir et des services, il faut constamment poser la question : ce travail que vous faites est-il indispensable à votre fonction principale ? Contribue-t-il à améliorer votre performance ? Vous aide-t-il dans votre carrière ? (103)

  • Définir la performance attendue, déterminer le déroulement approprié du travail, mettre sur pied la bonne équipe et la faire se concentrer sur l'accomplissement de sa tâche, telles sont les conditions nécessaires de la productivité dans les domaines du savoir et des services. (103)

  • On pense aujourd'hui que celui qui fait un travail en sait davantage que quiconque sur le sujet. Il ne sait peut-être pas exprimer son savoir, mais il sait ce qui marche et ce qui ne marche pas. (103)

  • Au cours des quarante dernières années, on a appris aussi que pour améliorer les tâches, il faut commencer par consulter ceux qui les accomplissent. (103)

  • Dans les activités du savoir et des services, faire du travailleur un partenaire responsable est la seule façon d'améliorer la productivité. En dehors de cela, rien ne marche, du tout. (104)

  • Vers 1970, l'informatique a commencé à transformer les organisations. On constata bientôt que le fait d'introduire l'informatique dans l'organisation en tant qu'organe structurant entraînait l'élimination d'un grand nombre d'échelons hiérarchiques. (119)

  • L'organisation fondée sur le savoir exige que chacun prenne la responsabilité de ses objectifs, de sa contribution, et même de son comportement. (120)

  • Cela implique que tous les membres de l'organisation pensent constamment à leurs objectifs et à leur contribution, et en acceptent la responsabilité. (120)

  • En d'autres termes, cela exige que tous les membres se comportent en décisionnaires responsables. tous doivent se voir comme des dirigeants. (121)

  • Chacun est en position de se voir demander : "De quoi devons-nous vous tenir responsable ?" (121)

  • Chacun se voit demander : "De quelle information avez-vous besoin ?" Et, en retour : "Quelle information devez-vous donner aux autres ?" (121)

  • Ce qu'il faut viser, c'est rendre les gens responsables. Ce qu'il faut demander, ce n'est pas : "Quelles sont vos attributions ? mais bien : "De quoi êtes-vous responsable ?" (122)

  • Le management, dans l'entreprise fondée sur le savoir, n'a pas pour tâche de faire de chacun un patron. Sa tâche, c'est de faire en sorte que tout le monde contribue. (122)

  • Nous n'allons pas vers le « nouveau ordre mondial » que les hommes politiques invoquent constamment, mais vers un nouveau désordre mondial, dont personne ne peut prévoir la durée. (125)

  • De plus en plus, la productivité du savoir va devenir pour un pays, une industrie, une entreprise, le facteur de compétitivité déterminant. (208)

  • En matière de savoir, aucun pays, aucune industrie, aucune entreprise ne possède un avantage ou un désavantage « naturel ». (208)

  • Le seul avantage qu'il ou elle puisse s'assurer, c'est de tirer du savoir disponible pour tous un meilleur parti que le autres. (208)

  • Le facteur qui va désormais compter le plus dans l'économie nationale et internationale, c'est l'aptitude des managers à rendre le savoir productif. (208)

  • Dans la société du savoir, les gens devront apprendre à apprendre. Dans une telle société, en fait, les matières connues importent moins que l'aptitude des étudiants à continuer à apprendre, et leur motivation à ce faire. (216)

  • Dans la société post-capitaliste, il faudra apprendre toute sa vie, et donc se donner cet objectif pour règle. (216)

  • La perfection ne consiste pas à faire un peu moins mal ce pour quoi l'on n'est pas spécialement doué. La perfection qui motive, c'est de faire exceptionnellement bien ce que l'on réussit déjà brillamment. (217)

  • Ce qu'il faut maintenant, c'est adopter un nouvel axiome selon lequel « plus on aura reçu de formation, plus on devra en recevoir. » (220)

  • Sous une forme ou sous une autre, la formation va s'étendre sur la vie entière. (222)

  • Tout va être profondément changé au cours des prochaines décennies : les matières enseignées, la façon de les enseigner, les usagers de l'enseignement, et la position de l'école dans la société. En réalité, aucune autre institution ne va connaître un défi aussi radical. (224)

  • Mais le changement le plus important - et auquel nous sommes le moins préparés - c'est que l'école devra s'engager sur ses performances. (224)

  • Mais on peut cependant annoncer une chose : le changement le plus important à attendre, c'est celui qui portera sur le savoir, ses formes, son contenu, sa signification, sa responsabilité - et sur ce que cela signifie d'être un Homme instruit. (233)


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BAROMÈTRE PETER DRUCKER