CHRONIQUES

-Chroniques de Nino Bernardo

ARTICLES DE NINO BERNARDO

(Traduction : Frédérique Boucher)

LE WING CHUN ET LE COMBAT – DISSOCIER LA VIOLENCE DE L’INTENTION VIOLENTE.

LES EFFETS SECONDAIRES DU WING CHUN.

VOIR, ENTENDRE ET COPIER.

LA CONCEPTION DU PROGRAMME DE WING CHUN.

LA LIGNE CENTRALE ET AUTRES RÉFLEXIONS SUR LA GÉOMÉTRIE, L'AUTRE MAIN ET DIVERSES INFORMATIONS ERRONÉES.

LA JALOUSIE ET LES ARTS MARTIAUX.

MON VOYAGE AU CŒUR DU WING CHUN.

L'ART DÉLICAT DE LA PARESSE INTELLIGENTE.

SAFARI WING CHUN – LA PROCHAINE ÉTAPE DE MON VOYAGE.

L'EGO ET LE MARKETING DANS LES ARTS MARTIAUX.

LA SENSIBILITÉ ET L'ATTENTION AUX DÉTAILS DANS LE WING CHUN.

L'ESPRIT DU BASEMENT.

PENSÉES SUR L'HISTOIRE ET LES LÉGENDES DU WING CHUN.

L'UTILISATION DU WING CHUN COMME OUTIL DE DÉVELOPPEMENT PERSONNEL.

L'ENCYCLOPÉDIE DU WING CHUN.

L'OUTIL DE RÉVISION.

LE WING CHUN « PUR».

LA VRAIE BONNE AFFAIRE.

LE WING CHUN ET LE COMBAT : DISSOCIER LA VIOLENCE DE L’INTENTION VIOLENTE

Bon nombre de personnes confondent les arts martiaux et le combat, mais ils sont bien distincts, même s'ils ont certaines choses en commun.

Je vois le Wing Chun, art martial chinois que j'étudie depuis plus de trente ans, comme un outil qui peut être utilisé de différentes manières. Par exemple, un tournevis est un outil qui permet aussi bien de visser que de dévisser. On peut cependant aussi l'utiliser pour remuer le café.

Le Wing Chun peut être perçu comme un art de combat, mais je ne suis pas particulièrement fier de cet aspect. Mon conseil aux élèves est que s'ils sont sur le point de se battre, il vaut mieux juste se battre. Ils pourront peut-être appliquer certaines des leçons qu'ils ont apprises pendant l'entraînement, mais il vaut mieux ne pas être trop obsédé par les techniques personnelles au milieu d'un combat.

Il est de toute façon mieux d'éviter totalement les combats. Je pense que les intentions violentes sont un virus mental qui est particulièrement répandu chez les jeunes hommes. Il faut s'efforcer de supprimer ce virus si l'on veut étudier le Wing Chun en détail.

Si l'on supprime l'intention violente de l'équation, on peut présenter le Wing Chun comme une étude du corps humain. Nous devenons alors des ingénieurs ou des architectes qui étudient la biomécanique et la structure du corps. Ceci est une attitude bien plus saine que d'essayer de revendiquer la propriété du système, comme beaucoup d'élèves essaient de le faire.

La mentalité qu'il faudrait essayer de développer pour le chi sao (« mains collantes »), le jeu-combat au cœur du Wing Chun, est l'indifférence. Il faut être patient, mais préparé à l'inattendu. Il faut être conscient de sa propre peur et essayer de ne pas se mettre en colère ni de s'énerver. Il faut attendre les opportunités et développer les coups nets qui minimisent le risque pour nous et pour nos partenaires. Il ne devrait y avoir aucune intention de faire mal ou de blesser nos partenaires. Nous ne devrions pas attendre d'applaudissements après avoir trouvé une ouverture, mais nous devrions plutôt ressortir rapidement.

Cette indifférence devrait s'étendre à notre attitude envers nous-mêmes et envers nos partenaires. Nous ne devrions pas nous encenser pour avoir bien fait les choses ni nous flageller pour avoir mal fait les choses. Nous devrions également être totalement honnêtes envers nous-mêmes et envers nos partenaires. Il n'y a pas de place pour la politesse, les bonnes manières ou l'aveuglement à notre propre égard dans une salle d'entraînement.

Une autre façon de décrire cette mentalité est celle de l'innocence. Imaginez un enfant qui ramasse des galets sur la plage et qui les examine un par un. C'est là l'attitude que nous devrions essayer de cultiver dans notre étude du Wing Chun. Comparez cette approche avec celle d'un adulte qui recherche désespérément ses clefs de voiture.

J'aimerais que vous imaginiez deux élèves de haut niveau qui se connaissent depuis de nombreuses années. Ils apprécient en silence une séance de chi sao intense et rapide. Chacun étudie un aspect de l'art. Peut-être qu'un des deux fait délibérément des erreurs afin de provoquer une réaction chez l'autre. L'autre peut essayer de s'ajuster légèrement dans sa position du cavalier. Le jeu continue ainsi, coup après coup.

Soudain, apparaît une ouverture. Un bras très entraîné passe dans cette ouverture avec un coup de poing. L'autre élève ne réagit pas assez vite. Pam ! « Merde, pardon ».

Ils se reposent un moment, le temps pour l'un des deux d'aller soigner sa lèvre en sang. Ils discutent de ce qui vient de se passer et petit à petit essaient différentes solutions. Pourquoi l'incident s'est-il produit ? Comment aurait-il pu être évité ? Quels mouvements auraient pu contrer ce poing ?

Tout comme il n'y a pas de mauvaises notes en musique, un incident comme celui-ci peut inciter les élèves qualifiés à mener leur étude du Wing Chun à un autre niveau.

Maintenant, imaginez deux adolescents qui les regardent. Ils décident de faire un chi sao. Un des deux jeunes donne un coup de poing à l'autre. Pam ! « Merde, pardon ».

Il y a une énorme différence entre les deux scénarios. Dans le premier exemple, il n'y avait aucune intention de blesser l'autre. L'incident a été une conséquence d'une séance d'entraînement rapide entre deux amis. Ils utilisent ensuite cet incident comme « excuse » pour ralentir et pour examiner le système en détail. Dans le second exemple, les adolescents ont fait une analyse très superficielle de ce qui s'est passé et ont copié les effets les plus indésirables, tout en ajoutant une bonne dose d'hypocrisie.

L'idée que les incidents violents peuvent être dissociés des intentions violentes a de profondes implications dans notre étude des arts martiaux. Cela explique pourquoi les vieux maîtres de kung-fu préviennent les gens de faire attention à ne pas les réveiller, car ils pourraient être en train de rêver de chi sao. Pam ! « Merde, pardon ».

De la même manière, les pratiquants de Wing Chun sont connus pour donner un coup de poing à de possibles agresseurs avant même de réaliser qu'ils étaient agressés. Il n'y a aucune intention de blesser qui que ce soit, mais si quelqu'un vous attrape le bras avec une intention violente, votre corps réagit automatiquement. Pam ! « Merde, pardon ».

Je suis venu à la conclusion que les intentions violentes doivent être supprimées du chi sao après de nombreuses années d'étude du Wing Chun, tout d'abord avec mon maître, Wong Shun Leung, à Hong-Kong, puis au Basement, à Londres, et maintenant dans ma nouvelle école, « Ibiza Kwoon ». Je ne veux pas que les gens prennent mon interprétation pour parole d'évangile, je veux qu'ils testent mes points de vue.

Si vous décidez de vous entraîner avec moi, je vous demande seulement d'écouter ce que je dis, de regarder ce que je fais et de le copier. Essayez de voir si cela a un sens pour vous.

Je pense que si vous écoutez, regardez et copiez avec l'attitude correcte, vous remarquerez petit à petit des répercussions sur d'autres domaines de votre vie. La conscience de ce qui vous entoure pourrait s'améliorer. Vous remarquerez peut-être une amélioration de votre état de santé. Vous trouverez peut-être que vous être plus fier de votre travail. Ne me croyez pas sur parole. Essayez et voyez.

Bien sûr, d'autres écoles et d'autres professeurs ont d'autres interprétations de la relation entre le Wing Chun et le combat. Essayez- les également. Testez leur point de vue.

LES EFFETS SECONDAIRES DU WING CHUN

Lorsque l'on vous prescrit un médicament, vous avez toujours une notice qui contient les mentions requises par la loi. Ces informations vous préviennent notamment des effets secondaires du médicament, et cela est écrit, en général, le plus petit possible. Ces informations comprennent les mises en garde contre les effets secondaires, qu'ils soient positifs ou négatifs, et également les précautions à prendre, comme par exemple ne pas prendre le volant avec ce traitement.

Je crois sincèrement que nous avons besoin de ce type d'observation dans les arts martiaux. Si j'étudie un certain art, quelles sont les répercussions, bonnes et mauvaises ? Quelles précautions dois-je prendre ? Quelle personne vais-je devenir si je me consacre à cet art martial ?

Pendant les trente dernières années où j'ai pu étudier le Wing Chun, j'ai noté plusieurs effets secondaires. Une des conséquences imperceptible est la manière dont le système développe la capacité de penser avec les deux hémisphères du cerveau de manière coordonnée.

Le cerveau est un organisme complexe qui est séparé en deux. L'hémisphère droit contrôle la partie gauche du corps qui est la partie la plus intuitive, la pensée créative. L'hémisphère gauche contrôle la partie droite du corps qui concentre les pensées plus rationnelles, analytiques.

Dans la première forme du système, siu lim tao, la première section commence avec une série de mouvements du côté gauche puis enchaîne avec les mêmes mouvements du côté droit. La seconde section nécessite l'utilisation des deux côtés du corps de manière coordonnée. La troisième section utilise des techniques alternées, en premier lieu à gauche, puis à droite.

Les élèves trouvent cette même symétrie au fur et à mesure de leur progression dans le système. Cependant, une fois qu'ils arrivent au bâton, ils se rendent compte que la main droite est utilisée pour la force alors que la gauche est utilisée pour contrôler. Cela me fait penser que les pratiquants d'arts martiaux qui ont développé ce programme ont voulu une approche équilibrée, mais - si l'on devait pencher pour un côté - ils choisiraient probablement l'hémisphère droit (intuitif) du cerveau.

Il y a plein d'autres effets secondaires que remarqueront les élèves de Wing Chun. Les pratiquants développent, par exemple, une incroyable connaissance et conscience du corps et de sa musculature. Nous nous transformons en architectes ou ingénieurs du corps humain. Nous développons également notre force et notre posture à travers les exercices.

Un des effets secondaires particulièrement intéressant du Wing Chun est la façon dont les élèves qui étudient cet art développent des compétences dans d'autres domaines. Par exemple, un acteur qui étudie le Wing Chun en détail est capable d'améliorer ses talents d'acteur. Il en est de même pour les musiciens, les comédiens et pour plein d'autres branches. Il y a également le cas des pratiquants d'autres styles, des boxeurs ou des sportifs qui retournent souvent vers leur sport d'origine après avoir étudié le Wing Chun et qui se retrouvent à un très haut niveau dans leur sport.

Mais pourquoi ? Une des raisons est que le Wing Chun est très difficile à apprendre. Si les élèves aiment l'entraînement, ils s'aperçoivent souvent que leur façon de voir l'enseignement progresse alors qu'ils luttent avec le système. Une autre raison est que le chi sao (« mains collantes »), le jeu-combat au cœur du système, nous enseigne l'art d'improviser sous pression, ce qui est une compétence vitale dans de nombreuses professions, dans l'art et dans le sport.

Le chi sao peut être présenté comme un exercice de mise en danger. Les coups de poing sont présents pour rendre le jeu un peu effrayant. En pratiquant le chi sao, nous développons notre capacité à penser rationnellement sous pression. En écoutant et en affinant nos peurs, nous sommes capables de développer notre intelligence. Le jeu devient alors un moyen de trouver des réponses intelligentes (des techniques subtiles et efficaces) à des questions stupides (les coups de poing).

Bien que le chi sao doive être un peu effrayant, le jeu est plus sûr, plus amusant et les élèves progressent si cela ne dérape pas. Il est important de toujours garder à l'esprit que ce n'est pas un combat. Il faut essayer de développer la sensibilité que nous avons face aux mouvements de notre partenaire plutôt que notre désir de le blesser. Tout cela est beaucoup plus recherché que le simple fait de se donner des coups de poing.

Je dis souvent à mes élèves que le chi sao est un exercice qui apprend à ne pas avoir peur. La première personne qui se met en colère ou qui s'énerve perd. Cela est difficile, car tout ce jeu est conçu pour rendre les gens fous.

Le côté effrayant de l'art fait aussi battre plus rapidement la pompe du cœur. Cela nous fait transpirer, nous fait sortir de nos systèmes et nous aide à nous vider.

Le chi sao développe également une mentalité particulière que j'appelle un caractère impitoyable allié à l'intelligence. Cette façon de penser est particulièrement utile dans la vie, quel que soit la voie que vous choisissiez. Le truc est d'être impitoyable sans avoir jamais recours à l'aspect physique. Bien sûr, ceux qui s'accrochent à la violence ont de grandes chances de finir en prison.

Jusque là, tous les effets secondaires que j'ai listés ont été positifs. Un des effets secondaires que les élèves doivent essayer d'éviter est de devenir des spécialistes en questions stupides. Pour pouvoir répondre intelligemment à des questions stupides, nous devons poser des questions stupides. Mais vous ne voulez pas être la personne qui sort diplômé de l'école des réponses intelligentes avec le diplôme des questions stupides !

VOIR, ENTENDRE ET COPIER

Lors d'un stage il y a peu de temps, j'ai demandé aux élèves de regarder et d'écouter pendant que j'expliquais le coup de poing direct depuis la position du cavalier. Je leur ai ensuite demandé de copier ce mouvement. Les résultats ont été fascinants.

Le but de cet exercice était de vérifier que les élèves voyaient ce qui se passait réellement plutôt que ce qu'ils pensaient qu'il se passait. Nous avons ensuite vérifié qu'ils ont entendu ce que je disais, et non pas ce qu'ils pensaient que j'ai dit. Nous avons ensuite vu s'ils copiaient réellement l'exercice tel qu'il devait l'être, ou s'ils faisaient quelque chose de totalement différent.

En d'autres termes, plutôt que d'étudier le coup de poing pour le coup de poing, nous l'avons utilisé comme un tremplin pour évaluer les capacités des élèves à voir, écouter et copier. Je voulais améliorer leur niveau et rendre ces trois qualités plus faciles pour eux.

Nous nous sommes bien amusés avec l'exercice pendant environ deux heures, en travaillant par deux. Tout le monde n'a pas compris, mais vers la fin de la séance, ce fut le cas pour la majorité.

Ce qui m'a particulièrement intéressé, est qu'une personne n'ayant aucune expérience était capable de corriger le coup de poing de son partenaire jusqu'à ce qu'il semble parfait. Cependant, un instructeur de Wing Chun n'arrivait pas à le faire avec ses propres partenaires. J'ai appelé la personne qui n'avait aucune expérience et il a été capable de corriger le coup de poing du partenaire de l'instructeur, qui était un novice avec quatre séances à son actif.

Il est alors devenu clair que certaines personnes ont un bon coup d'œil, alors que d'autres non. Certains ont une bonne oreille, alors que d'autres non. Certains sont bons pour copier, alors que d'autres non. Il arrive parfois que le novice ait un meilleur coup d'œil que l'instructeur.

Je pense que beaucoup de pratiquants d'arts martiaux sont complexés par le chi et par d'autres mystères lorsqu'il s'agit de mécanique pure. On ne peut comprendre la mécanique que si l'on voit réellement ce qui se passe, si l'on entend ce qui est dit et si on copie ensuite. C'est aussi simple que cela.

Je m'amuse toujours beaucoup avec les novices lors de mes stages. J'aime travailler avec des gens qui n'ont pas d'expérience et qui arrivent avec des yeux et des oreilles non corrompus.

Wing Chun veut dire en fait « joli printemps » en chinois. Une autre traduction pourrait être « jeune pour toujours ». Je crois que l'une des choses que le système nous apprend est de voir les choses avec le regard d'un enfant.

Si quelqu'un est complètement innocent, il regardera le monde les yeux grands ouverts. Il pleurera lorsqu'il aura peur. Il vivra sa vie au moment présent, plutôt que de ressasser le passé ou de s'inquiéter à propos de l'avenir. Les enfants sont complètements spontanés.

Je pense que c'est le type de mentalité que nous pouvons développer grâce au chi sao (« mains collantes »), le jeu-combat au cœur du système. Si nous pratiquons ce jeu correctement, nous pouvons apprendre à nous conditionner pour répondre automatiquement à certains stimuli, sans avoir à traiter les informations avec notre cerveau.

En d'autres termes, nous pouvons acquérir une sorte de pilote automatique. Nous pouvons utiliser ce pilote automatique pour améliorer notre capacité à improviser sous pression, qui est une autre capacité impressionnante, tout comme voir, écouter et copier.

LA CONCEPTION DU PROGRAMME DE WING CHUN

Si vous dites à quelqu'un de Hong-Kong que vous étudiez le Wing Chun, on vous posera toujours deux questions pour évaluer votre niveau. La première est : « Avez-vous étudié la deuxième forme ? »

Si la réponse est oui, on vous posera toujours cette seconde question : « Vous a-t'on déjà montré le mannequin de bois ?»

Ces questions sont importantes, car le programme de Wing Chun est conçu de manière chronologique. Les élèves ne peuvent passer d'une étape à la suivante qu'une fois qu'ils sont prêts.

Il est important de se rendre compte que chaque personne évolue à son propre rythme. Certaines personnes progressent plus vite que d'autres. Il est important de passer assez de temps à chaque étape pour que les étapes suivantes soient bâties sur de solides fondations.

Les débutants commencent par apprendre la première forme, « siu lim tao». On attend d'eux qu'ils s'entraînent et s'entraînent jusqu'à ce que ça ait l'air plus ou moins correct. On leur montre également comment faire un coup de poing direct depuis la position du cavalier et avec le pas. Là aussi, on attend d'eux qu'ils s'entraînent, s'entraînent, et s'entraînent.

Les premières étapes impliquent nécessairement beaucoup de travail. Si le débutant aime le travail, sa progression sera plus facile.

Lorsque l'élève est prêt, l'instructeur fera alors travailler le débutant avec un partenaire. Tout le monde doit passer beaucoup de temps à faire tout l'éventail d'exercices à deux avant de pouvoir passer au chi-sao (« mains collantes »).

Le chi sao est souvent mal compris. Je le nomme aussi « jeu combat», à jouer entre amis. À un niveau plus élevé, le chi sao a les subtilités et les enjeux tactiques d'un jeu d'échecs.

Toute cette partie du programme fonctionne sur les mêmes principes. On doit bloquer ses hanches pour que le torse forme un bloc, ramener ses coudes vers le milieu, avoir constamment une poussée vers l'avant et enfin défendre et attaquer le centre.

Une fois que l'élève a acquis une bonne compréhension de cette partie du programme, il est temps pour lui de passer à la seconde forme (chum kiu), qui enseigne la façon de bouger ses hanches, d'utiliser les angles et qui introduit le travail des pieds présent dans le système. Le test pour voir si un élève est prêt ou non est de voir s'il peut donner un coup de poing en twistant les hanches.

On ne montre la forme du mannequin de bois qu'aux élèves qui ont une bonne compréhension de la deuxième forme. Cela s'explique par le fait qu'il est impossible de faire du mannequin de bois sans une bonne connaissance du travail des pieds du système, qui est basé sur une bonne connaissance de la position du cavalier.

Le mannequin de bois est souvent mal compris. En fait, c'est un gros morceau de bois. On utilise notre corps comme un outil de précision pour bouger autour de celui-ci. On peut développer les idées apprises dans toutes les formes du Wing Chun sur le mannequin de bois.

Les élèves qui ont commencé la deuxième forme et le mannequin de bois constatent souvent une nette progression dans leur chi sao avec l’intégration du travail des pieds dans le jeu. À des niveaux plus élevés, ont peut apprendre plein d'autres choses du chi sao : comment tricher, comment manipuler les réactions de notre partenaire et comment comprendre ce qu'il pense.

Selon moi, tous ces éléments forment le vrai programme du Wing Chun. Tous les exercices mentionnés plus haut fonctionnent sur les mêmes principes et sur la même mécanique. Le reste du programme est en fait une légère déviation de celui-ci.

Beaucoup de cela se résume dans la troisième forme (biu gee), qui était enseignée traditionnellement uniquement aux élèves qui avaient une compréhension très mûre du cœur du programme et qui étaient eux-mêmes mûrs. Ces personnes étaient prises à part et on leur enseignait la troisième forme derrière une porte close, à l'écart du reste de l'école. On leur disait que cette forme s'écarte de la mécanique est des principes au cœur du programme et que de nombreux mouvements peuvent impliquer des traumatismes, qui sont dangereux.

Selon moi, cela veut dire que les mouvements de la troisième forme ne sont pas recommandés. Ils doivent être utilisés uniquement en dernier recours, lorsque tout le reste du programme n'a pas fonctionné. Autrefois, elle était uniquement enseignée aux élèves mûrs derrière des portes closes pour éviter que les débutants et les élèves intermédiaires la comprennent de travers et essaient de la copier.

Malheureusement, la nature humaine étant ce qu'elle est, certains élèves apprennent la forme avant d'être pleinement mûrs et sans totale compréhension de ses dangers. Ils se mettent délibérément dans des positions difficiles dans le chi sao pour exhiber ce qu'ils considèrent comme des mouvements compliqués. D'autres élèves qui n'ont pas terminé d'étudier le système sont parfois impressionnés par ces mouvements et les insèrent dans leur entraînement. De cette manière, la mécanique du cœur du programme peut être compromise.

Le système comprend également deux formes avec des armes. La forme du bâton nous apprend à développer une force linéaire. Traditionnellement, cette forme était uniquement enseignée aux personnes qui pouvaient faire dix longueurs de couloir dans une position très solide. Cet exercice est extrêmement difficile et est conçu pour tester le fanatisme des élèves.

J'ai moi-même fait partie de la poignée d'élèves qui ont appris la forme du bâton auprès de Wong Shun Leung, de la façon traditionnelle. Toute personne qui a appris la forme du bâton de bois avec moi a dû payer le même prix, même les élèves « seniors» du « Basement”. Je me souviens d'un élève qui m'a dit qu'il aimait payer les choses au prix fort, et il a fait 11 longueurs de couloir. J'aime cette attitude.

La dernière forme du système utilise les couteaux. Cette forme est une étude de la mécanique pure. Elle nous apprend à comprendre la trajectoire de la lame. On apprend ce que veut dire tailler, hacher, taillader, écraser, couper, etc.

L'important n'est pas le niveau que l’on atteint dans le système, mais le fait de toujours revenir aux bases. Il est recommandé de faire la première forme tous les jours. La vraie répétition de la forme se fait lorsque l’on est seul et relâché pour pouvoir se recentrer sur la mécanique du cœur du programme. Il est bon de s'entraîner tôt le matin ou le soir si vous n'arrivez pas à dormir.

Une autre implication est que les grands maîtres et les débutants étudient tous deux les mêmes mouvements. La seule différence est l'étendue de leur compréhension.

LA LIGNE CENTRALE ET AUTRES RÉFLEXIONS SUR LA GÉOMETRIE, L'AUTRE MAIN ET DIVERSES INFORMATIONS ERRONÉES.

Lorsque vous dites à quelqu'un qui a déjà entendu parler de Wing Chun que vous pratiquez cet art martial, une des choses qui revient souvent est la théorie de la ligne centrale. En fait, il y a plusieurs définitions de la ligne centrale. Par exemple, certaines personnes pensent que la ligne centrale est parallèle au sol et passe par votre poitrine pour rejoindre celle de votre adversaire.

Cependant, mon maître, Wong Shun Leung, pensait que la ligne centrale est définie au début de la première forme. Le premier mouvement que nous faisons après avoir trouvé notre positon est de croiser nos mains devant nous. Pour la plupart d'entre nous, nos bras sont de même longueur. Nous pivotons ensuite les bras autour du point fixe des coudes. Cette action trace une ligne verticale invisible, qui est perpendiculaire au sol, plutôt que parallèle.

Lorsque l'on fait les coups de poing du Wing Chun, les jointures des doigts touchent la ligne lorsque les bras vont vers l'avant. Ce poing descend ensuite légèrement pour laisser la place au second poing dans la série. Le premier poing revient dans sa position initiale, prêt à repartir.

La ligne centrale est également vitale pour la compréhension de la position du cavalier. Imaginez par exemple deux pratiquants qui se mettent dans la position du cavalier avec une jambe en avant. Ils se touchent respectivement les bras pour créer une unité. Dans cette position, leurs mains vont passer par la ligne centrale. La forme que j'ai décrite ressemble presque – mais pas exactement – à une position de boxe. Cela peut être en garde ou en fausse garde, selon la jambe qui se trouve devant.

Un des principes les plus importants du Wing Chun est qu’il n’y a pas de position de côté. Le corps est face au lieu où vous voulez aller. Si vous êtes engagé dans une certaine direction, vous devez vous tourner vers ce côté. Cela fait tourner votre ligne centrale.

Cependant, la théorie de la ligne centrale disparaît de ma tête lorsque je fais du chi sao. Dans le jeu, j'essaie de me bloquer sur un point et de réunir des informations. Une des questions que je pose constamment à mes élèves est : « Que fait l'autre main ? ». Vous devez très bien contrôler une main pour ne pas perdre la notion de l'autre.

Il est également important de comprendre le principe qui se trouve derrière le dan chi sao, un exercice à une main qui se fait avec un partenaire. Dans cet exercice, vous devez sentir le mouvement de votre partenaire avant d'agir. Le principe est que si vous agissez avant votre partenaire (ou adversaire), vous lui donnez des informations. Une des conséquences de ce principe est que l'on peut délibérément donner de fausses informations à l'adversaire dans le chi sao.

Si l'on imagine deux pratiquants faisant du chi sao, ils pourraient tous deux essayer d'induire l'autre en erreur. Cependant, en tant qu'observateur, on peut voir la géométrie sous-jacente de leur jeu. Imaginez deux masses qui ne sont pas nécessairement égales. Elles ont toutes les deux des pointes qui dépassent et sont soutenues par deux jambes flexibles. Ces structures, qui pourraient être des grues, se rapprochent jusqu'à ce que leurs points s'emboîtent.

À cet instant, le poids des deux masses reste égal. Elles forment une seule et unique masse, peut-être un pont. Si ce pont s'écroule, les pointes qui dépassent des grues iront directement vers l'avant en passant par la ligne centrale, et pourraient même percer le tronc de la masse opposée. Cependant, les ordinateurs présents au sommet des structures sont programmés pour rétablir le contact s'il est rompu et pour recréer la structure du pont.

Cette analogie est le type de structure géométrique que nous devrions nous efforcer de trouver dans le chi sao. Comme je l'ai mentionné dans le premier article de cette série, l'idée est de supprimer l'intention violente du jeu. Une douleur sera causée lorsque la structure du pont s'écroule et lorsque les mains vont automatiquement vers l'avant, en passant par la ligne centrale.

LA JALOUSIE ET LES ARTS MARTIAUX

Que se passe-t'il lorsqu'un élève senior commence à éclipser son professeur de Wing Chun ? C'est une situation qui se produit assez souvent dans le monde des arts martiaux et les professeurs doivent faire attention à la manière dont ils gèrent la situation.

Je me suis aperçu que normalement, dans de telles situations, les élèves ne savent pas comment remercier leur professeur. L'élève peut même ne pas se rendre compte que ses capacités ont surpassées celles de son professeur, car il passe de très bons moments dans la salle d'entraînement.

Parfois, cependant, la situation provoque un court-circuit dans la tête du professeur. Au lieu d'être fier et heureux, le professeur commence à ressentir de la jalousie et ne sera pas en mesure de le de reconnaître. Si ni le professeur ni l'élève ne se rendent compte de la situation, cela peut mener à une nouvelle relation plus amère qui pourrait les séparer.

Bien sûr, en théorie, il ne devrait rien y avoir de mal au fait qu'un élève dépasse son professeur. C'est un processus normal. Après tout, les parents sont très protecteurs avec leurs bébés, mais lorsque ces derniers deviennent adolescents, ils doivent bien commencer à suivre leur propre chemin.

Dans le monde du kung-fu, on voit souvent le professeur comme un père (ou, plus rarement, comme une mère). De la même façon, les élèves séniors sont nos grands frères ou grandes sœurs, alors que ceux qui sont arrivés après nous sont nos petits frères ou petites sœurs.

La manière dont le professeur gère la situation avec les élèves qui atteignent cette maturité dépend souvent de l'étendue de sa conscience de soi. Il est important, à cette étape, que le professeur soit honnête avec lui-même. J'ai déjà évoqué, dans un autre article, qu'il n'y a pas de place pour l'aveuglement à son propre égard dans une salle d'entraînement, et c'est particulièrement vrai dans ce cas.

Une fois que le professeur regarde la situation en détail et l’analyse, il peut décider d'accélérer le processus ou de le ralentir. Un professeur « sage » reconnaîtra, je l'espère, les symptômes de la jalousie et essaiera de rectifier ses émotions. Le professeur pourra alors finir d'enseigner à son élève, qui lui sera toujours reconnaissant.

Si le professeur laisse la jalousie l'emporter, la situation peut alors devenir très pénible. Cela est particulièrement vrai dans les cas où le professeur est issu d'une culture orientale, et l'élève d'une culture occidentale. Dans ces cas-là, les professeurs attendent de leurs élèves qu'ils restent affiliés après avoir atteint leur « maturité », et qu'ils continuent à soutenir leur salle d'entraînement originelle. Cela implique, par exemple, qu’ils n'ouvrent pas une salle rivale dans la même ville ou dans les alentours.

Au contraire, les élèves occidentaux pensent souvent qu'une fois le système fini, ils devraient pouvoir être libres de faire ce qu'ils veulent. Malheureusement, la jalousie et les incompréhensions culturelles sont souvent la source de nombreux conflits dans le Wing Chun.

MON VOYAGE AU COEUR DU WING CHUN

Ma découverte du Wing Chun date de mon adolescence à Hong-Kong. À l'âge de 16 ans, je faisais de la boxe avec un coach chinois. Il nous a montré des mouvements pour contre-attaquer qui, je l'ai appris plusieurs années plus tard, provenaient du Wing Chun.

Lorsque je m’en suis aperçu, j'étais un jeune musicien qui jouait au Sheraton Hôtel. Nous étions au début des années 70. Le maître d'hôtel était à ce moment là un italo-belge dont la passion était de les marathons. Il avait l'habitude d'aller au temple bouddhiste Po Lin sur l'île Lan Tao, où un vieux moine lui apprenait des techniques de conservation de l'énergie, ou qi gong pour coureurs de marathon.

Bien qu'un peu sceptique, je demandai au maître d'hôtel s'il pouvait demander au moine de me recommander un professeur de Wing Chun. Il est revenu avec le nom de Wong Shun Leun écrit sur un bout de papier. Je l'ai mis dans la poche de mon pantalon et l'ai totalement oublié.

Le temps est passé et finalement, un musicien me parla d'un ostéopathe à Grenville Road market, qui enseignait également le Wing Chun. Nous avons décidé d'y aller et de jeter un coup d'œil. Sur la porte, il y avait une plaque en laiton où était écrit :» Association Athlétique de Wing Chun, Wong Shun Leung». Je suis parti, ai cherché mon vieux pantalon et ai fouillé dans les poches pour trouver le morceau de papier. C'était le même nom.

Bien sûr, après tout cela, je n'avais pas besoin de plus d'encouragement. Il me semblait que je recevais assez de signaux pour aller voir ce type. Je suis retourné à la salle d'entraînement et suis rentré. Je me souviens de deux personnes dans l'entrée, avec les bras emboîtés et qui twistaient. Je leur ai demandé si leur sifu (professeur) était là. Un des deux s'est mis à crier « sifu» et ce petit homme vêtu d'un pantalon de jogging et d'un débardeur arriva. Il avait de la bedaine et fumait une cigarette sans filtre.

Nous avons discuté un peu. Il m'a demandé une pièce d'identité et deux photos, ce qui impliquait qu'il allait vérifier avec un de ses contacts à la police si j'avais ou non un casier judiciaire.

À l'époque, je ne savais pas qu'il s'agissait du légendaire « Wong aux mains qui parlent » qui avait gagné tant de combats. Tout ce que je savais c'est qu'un vieux moine sur l'île de Lan Tao me l'avait recommandé. Alors que je commençais l'entraînement ce qui m'impressionna réellement fut la façon qu'avait mon sifu d'expliquer les angles et les tactiques.

Pendant les années qui suivirent, je m’entraînai avec mon sifu presque tous les jours et souvent jusqu'à sept heures par jour. Je suis également devenu son ami, et nous sortions parfois manger ou prendre un verre quand nous ne nous entraînions pas.

Finalement, je suis devenu un des seuls élèves à finir le système complet avec lui. Je me souviens encore la façon avec laquelle il présentait soigneusement chaque étape du système dans un ordre chronologique. En tant que professeur, j'ai essayé de me souvenir du système dans le même ordre et de le présenter à mes élèves de la même manière, tout d'abord au Basement, à Londres, et maintenant au Ibiza Kwoon.

Un des risques de l'ancienne manière de fonctionner est celui de voir des erreurs se glisser de par la transmission de savoir de manière orale de génération en génération. Que pourrait-il se passer si j'avais mal compris la chronologie ? Et si mon sifu s'était lui-même trompé ? Et si une personne de la génération précédente avait tout mélangé ?

Je n'ai malheureusement aucune réponse à ces questions. Je peux seulement interroger mes souvenirs et analyser les réactions de mes élèves pour être certain que je ne déforme pas le système.

L'ART DÉLICAT DE LA PARESSE INTELLIGENTE

Certaines personnes sont perplexes lorsque je leur décris le Wing Chun comme « l'art délicat de la paresse intelligente», surtout quand ils ont vu mes élèves ruisselant de sueur dans les cours ou lors des stages. Permettez-moi d'utiliser cet article pour expliquer ce que je veux dire par là, tout d'abord en définissant le mot « paresse », puis avec quelques histoires et digressions.

Le dictionnaire anglais Oxford définit le terme paresseux comme : adjectif qui signifie « 1. non disposé à travailler ou à utiliser de l'énergie. 2. qui montre ou qui est caractérisé par un manque d'effort ou de soin ». La partie de cette définition qui nous intéresse est la première section. Mon argument devient plus clair si on adapte la définition pour qu'elle devienne « non disposé à utiliser de l'énergie excessive».

Je me souviens d'un stage que j'ai fait à Kentucky sur « l'art de la paresse». Une fille a levé la main et a dit : « Nous n'avons pas besoin que vous nous enseigniez la paresse, nous sommes déjà des experts ! ». Bien sûr, tout le monde s'est mis à rire.

Ma réponse, ce jour-ci, a été que si vous détestez faire la vaisselle, il est parfois plus facile d'en faire un peu chaque jour. Si vous laissez tout de côté, cela va finalement se transformer en une énorme pile et cela devient un vrai travail de titan pour réussir à se débarrasser de tout ça. Au plus vous laisserez la vaisselle de côté, au plus vous aurez besoin d'énergie pour vous en débarrasser. En d'autres termes, si vous voulez être paresseux, vous devez être malin. La paresse combinée à la stupidité est une combinaison fatale.

Les gens qui ont réussi font souvent le strict nécessaire, et pas plus. Ils ne perdent pas leur énergie dans des choses inutiles. Si on utilise l'adaptation de notre définition, ils sont « non disposés à utiliser de l'énergie excessive”. C'est ce qu'on appelle être paresseux et intelligent, le type de mentalité que l’on doit rechercher dans les arts martiaux. Il faut faire juste ce qu'il faut pour qu'une technique fonctionne, et ne pas aller au-delà sous peine d’être trop fatigué pour pouvoir continuer l'entraînement.

Ce que je veux dire, par exemple, c’est que, lorsque l’on pratique une technique, il faudrait essayer de supprimer toute activité inutile. Cela comprend le fait de s'agiter sur sa position, agiter ses pieds, tourner les épaules, se mordre les lèvres, remuer la tête, etc.

Une autre façon d’évaluer ce que j'appelle l'art de la paresse serait de parler aux professeurs de Ronaldinho, David Beckham et d'autres stars du football. Demandez-leur s'ils étaient bons élèves. Bien sûr, la plupart des professeurs répondraient qu'ils étaient très paresseux et avaient toujours un ballon au pied.

En d'autres termes, ces riches et célèbres footballeurs étaient perçus comme paresseux (« non disposé à travailler ou à utiliser de l'énergie; caractérisé par un manque d'effort ou de soin ») lorsqu'ils étaient jeunes. Cependant, pendant cette période, ils ont su acquérir une réelle adresse dans le maniement du ballon grâce à un entraînement quotidien, entraînement que personne ne considérait, même pas eux, comme du travail acharné.

Lorsque ces footballeurs étaient jeunes, ils devaient sans aucun doute s'amuser avec leur ballon juste pour le plaisir, sans peur de l'échec et sans arrière-pensée. Selon les mots du dictionnaire, leurs années d'entraînement, avant d’être découverts, auraient été « caractérisées par le manque de soin ».

Si l'entraînement est amusant et littéralement insouciant, vous n'y pensez pas comme un à un travail ou comme à une tâche et vous continuez juste à le faire. En fait, vous n'en avez jamais assez. Votre patron, vos parents ou votre compagnon pensent peut-être que vous êtes paresseux car vous allez à la salle d'entraînement alors que vous pourriez faire quelque chose d'autre, mais l'êtes-vous vraiment ?

Quelques vieux dictons m'aideront, avec un peu de chance, à expliquer mon propos sous un autre angle. Il y a l'histoire d'un élève qui demande à son professeur de lui expliquer le secret du bonheur. Le professeur, un vieil homme, réfléchit un instant et dit : « Deux mots. Bonnes décisions ».

L'élève se met à réfléchir un instant puis demande comment on peut prendre les bonnes décisions. Le professeur répond : « Un mot. Expérience ». L'élève se met de nouveau à réfléchir et demande comment on peut acquérir de l'expérience. « Deux mots. Mauvaises décisions ».

Dans la même veine, un dicton, populaire parmi les comédiens dit : « Ne vous inquiétez pas si vous mourez sur scène, vous mourez au sommet ». Les musiciens disent également qu'il n'y a pas de fausses notes en musique.

Pour résumer mes propos, je pense que l’on ne devrait pas avoir peur de faire des erreurs lors de l'entraînement. De même, l'atmosphère dans la salle d'entraînement devrait être insouciante, gaie et agréable. Il faudrait essayer de supprimer tous les mouvements superflus, peu importe la technique, pour éviter de gaspiller de l'énergie excessive. Et c'est ce que je veux dire lorsque je décris le Wing Chun comme l'art délicat de la paresse intelligente.

SAFARI WING CHUN – LA PROCHAINE ÉTAPE DE MON VOYAGE...

Récemment, deux garçons qui ont passé l'été à s'entraîner au Ibiza Kwoon ont rencontré d'autres pratiquants de Wing Chun, qui écrivent le nom de cet art différemment. Lorsque mon nom fut mentionné, les autres pratiquants ont immédiatement répondu qu'ils avaient entendu parler de moi. « Notre style de Wing Chun est meilleur», dirent-ils. « Nous, nous battons dans notre école ».

Quand mes élèves sont revenus, ils m'ont parlé de cet incident. Ma première réaction a été de ressentir de la colère et de l'inquiétude. J'étais en colère de penser que l'on puisse juger mon Wing Chun comme inférieur à un autre style. J'étais également préoccupé car je vis de mon enseignement du Wing Chun, et je ne veux pas promouvoir ni encourager la frappe. Tout cela, je l'ai fait lorsque j'apprenais le Wing Chun à Hong-Kong, et c'est aussi l'approche que j'ai suivie pendant la quasi-totalité des dix premières années où j'ai enseigné au Basement, à Londres.

Pendant mes années au Basement, j'ai commencé à trouver des similitudes entre le Wing Chun et le safari. Autrefois, les personnes qui faisaient des safaris étaient très riches. Ces dernières payaient pour qu'un groupe de natifs portent la nourriture, la tente et toute autre chose dont les « courageux chasseurs » venus de lointains pays avaient besoin pour survivre dans la jungle, alors qu'ils cherchaient des animaux sauvages à tuer, de la fourrure ou de la peau qu'ils ramenaient ensuite chez eux, comme un trophée. Le résultat de tout cela a été un commerce, un énorme business pour les peaux et tout autre produit dérivé de la mort de ces animaux.

Bien sûr, les safaris existent toujours aujourd'hui, mais les appareils photos ont remplacé les fusils. Au Basement, à la fin des années 80 et au début des années 90, j'ai progressivement introduit l'idée de « prendre des photos» avec nos mains, poings, coudes, genoux et pieds, au lieu de frapper.

Une des conséquences a été que nous pouvions désormais pratiquer le chi sao sans s'arrêter pour nettoyer des lèvres ensanglantées, pour ouvrir la trousse de premier secours ou pour se dépêcher de conduire un camarade à l'hôpital (bien que ce ne soit arrivé que deux fois). Personne ne ratait l'entraînement pendant des semaines afin de permettre à ses côtes cassées de guérir. La trousse de premier secours prenait la poussière sur l'étagère et a très vite été oubliée.

Une autre des conséquences a été que nous avons pu élaborer et développer une attitude stratégique, entrevoir un schéma dans notre chi sao et percevoir, reconnaître et éviter les zones de danger. Cela nous a permis d'avoir des entraînements plus fluides et plus agréables avec parfois le petit bleu causé par l'utilisation accidentelle de plus de force que nécessaire. Une des autres conséquences est le développement d'une certaine façon de penser. Autrement dit, on atteint ici un niveau plus élevé de bon sens.

Bien sûr, il y aura toujours les durs qui préfèreront une approche plus « réaliste » du chi sao, avec son lot de blessures réelles. Je ne me mettrai pas en travers du chemin de deux personnes qui choisissent de pratiquer la méthode « dure », mais dans mon école, cela doit rester une activité entre deux adultes consentants et n'a pas lieu en présence de nouveaux ou de jeunes pratiquants.

Dans un combat réel, il n'est pas inhabituel pour une personne de mourir et pour l'autre d'être sérieusement blessée. Si une personne meurt, il n'y aura plus de tension, mais plus de bonheur non plus. De l’autre côté, le deuxième combattant continue de vivre, avec souvent des blessures graves, et pourrait même ne plus jamais pouvoir combattre.

Je sais et je suis d'accord que le Wing Chun, de quelque façon qu'il soit épelé est efficace en tant qu’outil pour le combat. Les combats efficaces se retrouvent aujourd'hui dans de nombreuses écoles. J'ai tout simplement choisi de ne pas promouvoir cet aspect de ce système phénoménal.

J'admirerai et respecterai toujours les aptitudes de mon sifu, feu Wong Shun Leung. Cependant, l'unique personne qualifiée pour nous offrir le Wing Chun de Wong Shun Leung est l'homme lui-même, et il n'est plus de ce monde. Je peux uniquement offrir mon expérience, mes opinions et mes interprétations du Wing Chun. J'espère que vous ne croirez pas un seul mot de cet article. Vérifiez à nouveau avec votre conscience et faites-vous votre propre idée.

L'EGO ET LE MARKETING DANS LES ARTS MARTIAUX

Dans l'article de ce mois-ci, j'aimerais aborder un des principaux obstacles qui peut empêcher les pratiquants de s’entraîner avec ce que je considère être la bonne attitude : l’ego. Je parlerai également de la façon dont des stratégies marketing agressives peuvent nourrir l'ego du professeur.

Laissez-moi vous expliquer ce que je veux dire en vous donnant un exemple. Il est souvent difficile pour des pratiquants expérimentés de s'entraîner avec des débutants. La raison en est que le débutant ne reconnaît pas les coups qui n'ont pas été portés. En d'autres termes, un pratiquant expérimenté sera en position de force, mais il refusera toute possibilité « d'écraser » le débutant pour continuer à jouer. Cependant, le débutant ne réalisera pas ce qui s'est passé, et pourrait réussir à donner un coup par chance, et ce depuis une mauvaise position.

C'est comme être tué par balles, par un homme mort. Pendant une fraction de seconde le pratiquant expérimenté va ressentir de la colère. Une ligne invisible vient d'être franchie. Son ego va souffrir d'avoir été frappé par un débutant et ce, devant tout le monde dans la salle d'entraînement. Si l'ego du pratiquant expérimenté est plus fort que sa conscience et que sa patience, il sera alors tenté de pulvériser le débutant, attitude qui est à l'encontre de tout ce que j'ai pu exposer brièvement dans les articles précédents.

Comme je l'ai déjà dit, je pense qu’il faut essayer de supprimer l'intention violente du jeu du chi sao pour devenir des ingénieurs ou des architectes qui étudient la biomécanique et la structure du corps. Il faut essayer de développer un sentiment d'innocence, d'indifférence et de la patience, tout en étant préparé aux surprises. Frapper des débutants va à l'encontre de tout cela.

Dans l'état d'esprit que je pense nécessaire de développer, la violence est un accident, pas quelque chose que nous cherchons. Les coups de poing au Wing Chun sont là pour rendre le chi sao un peu « effrayant » et non comme outil pour écraser ceux qui, sans le savoir, nous ont blessés. Lorsque l'on pratique le chi sao, il faut essayer de ne pas se mettre en colère ou s'énerver et s'efforcer de ravaler ses émotions négatives. Dans le même temps, il faut également développer son intelligence en écoutant ses peurs.

Je pense que dans le chi sao, les pratiquants devraient attendre d'avoir des opportunités plutôt que d'essayer de rentrer en force pour marquer un point. Il faudrait développer les entrées nettes qui minimisent le risque pour nous et pour nos partenaires plutôt que d'essayer de les écraser. Dans le même temps, nous devrions nous efforcer d'être honnête avec nous-mêmes ainsi qu'avec nos partenaires, ou alors nous perdons notre temps.

Dans le jeu du chi sao, nous pouvons apprendre à donner de fausses informations à nos partenaires et à ne pas utiliser d'énergie excessive. Nous devons également apprendre à improviser ou à répondre aux questions stupides par des réponses intelligentes. Si une main bouge, nous devrions toujours être conscients de ce que fait l'autre main. Si vous concentrez sur un de ces aspects avant qu'un débutant ne réussisse à donner un coup par chance, vous devriez sourire et continuer après avoir été frappé.

Je pense que l'entraînement devrait toujours être amusant, agréable et insouciant. On ne devrait pas avoir peur de faire des erreurs. On ne devrait pas s’encenser pour avoir bien fait les choses ni se flageller pour avoir mal fait les choses.

Bien sûr, il peut être extrêmement difficile pour un pratiquant d'arts martiaux de laisser son ego à la porte de la salle d’entraînement. Un des dangers se situe dans la façon dont le professeur « vend» sa classe aux nouveaux. Une façon simple d'attirer de nouveaux élèves est de mettre en place une stratégie marketing qui met l'accent sur l'expérience, le talent et le caractère « mortel » du professeur. Les nouveaux élèves qui arrivent penseront alors que le professeur n'a jamais fait d'erreur. Cela peut nourrir l'ego du professeur et conduire à un plus grand nombre de débutants qui se retrouvent « pulvérisés» pour avoir innocemment franchi des lignes invisibles.

Personnellement, j'ai évité autant que possible de faire du marketing. Pendant 16 ans, j'ai dirigé le Basement qui a été connu principalement par le bouche à oreille. Cela fait seulement 5 ans, depuis que j'ai créé l’Ibiza Kwoon, que je cherche à avoir une image un peu plus publique, en écrivant par exemple ces articles et par la création par mon ami Alex du site Internet.

J'essaie d'éviter de dire à mes élèves et à mes élèves potentiels que je suis le plus expérimenté, talentueux, « mortel » et beau pratiquant d'arts martiaux en ville. Au lieu de cela, je leur dis de ne croire personne, et encore moins moi. Je pense réellement que l'on peut apprendre de n'importe qui. Si vous commencez à croire tout ce que je dis, nous sommes à mi-chemin de créer un culte. J'encourage mes élèves à faire des recherches sur ce que je dis, puis à être d'accord ou non avec mes arguments. Si quelqu'un est d'accord avec la majorité de ce que je dis, mais n'est pas d'accord avec une partie de ce que je dis, alors c'est super.

Je préfère également m'entraîner dans une tenue décontractée et voir tout le monde apprendre de tout le monde. J'utilise souvent, par exemple, de total débutants complets dans mes stages pour montrer innocemment des déformations de techniques aux élèves les plus expérimentés. Je pense que cela est plus sain que d'avoir plein de tenues et de ceintures de différentes couleurs et des élèves avec un niveau élevé qui se baladent dans la salle d’entraînement avec la grosse tête.

Je pense également que l'on n'a pas besoin de se déguiser comme un vieux Chinois pour pratiquer le Wing Chun, car l'attitude est plus importante que la tenue. Par exemple, si je voulais apprendre à utiliser un vieil arc dans mon jardin, je ne me déguiserais pas en Robin des bois !

LA SENSIBILITÉ ET L'ATTENTION AUX DÉTAILS DANS LE WING CHUN

Il est très difficile d'étudier le système complet du Wing Chun jusqu'au bout, car il y a toujours une chose, appelée la vie, qui n'arrête pas de se mettre en travers du chemin. Mon sifu, Wong Shun Leung, avait l'habitude de dire qu'il faudrait s’entraîner au moins toute une vie à plein temps pour réellement appréhender le Wing Chun, voire même plus.

Cependant, si vous continuez le Wing Chun même contre vents et marées, vous vous rendrez compte que les meilleures parties du système apparaissent lorsque vous avez atteint un certain niveau de maturité. Dans l'article de ce mois-ci, je vais aborder deux des récompenses que peuvent recevoir ceux qui aiment assez s'entraîner pour arriver à un niveau assez élevé.

L’une des récompenses est une sensibilité accrue. Bien sûr, la sensibilité est quelque chose de naturel, et nous en avons tous. Le Wing Chun se base sur cette sensibilité. La sensibilité qui est développée est celle d'un expert des échecs ou du poker, qui commence à pouvoir lire le caractère de son adversaire par sa façon de jouer.

Si vous avez passé pas mal de temps dans une salle d’entraînement de Wing Chun, vous avez appris petit à petit à vous intégrer. Vous développez votre propre vocabulaire pour décrire les techniques et vos propres critères de pensée à propos du chi sao. Cela implique que vous êtes capable de capter les aspects les plus importants de vos partenaires pendant les 30 premières secondes du chi sao. Je pense que le chi sao renforce notre conscience naturelle car il est basé sur le contact avec un autre être humain, chose qui apparaît souvent comme gênant.

Bien sûr, il est également important de garder en tête qu'un autre pratiquant expérimenté lira votre propre personnalité grâce au toucher pendant les 30 premières secondes du chi sao. Après ces 30 premières secondes, cette capacité semble s'évaporer et vous êtes alors bloqués dans le jeu. Comme mentionné précédemment, une des tactiques que l'on atteint au plus haut niveau est de donner de fausses informations à son partenaire une fois que le jeu est en place.

Une autre des récompenses du temps passé dans une salle d’entraînement de Wing Chun est l'attention aux détails que l'on développe. Par exemple, bon nombre de ce que j'appelle les spasmes moteurs peuvent être mis en évidence grâce à l'entraînement. Cela comprend les mouvements télégraphiques, les tics, les hésitations et d'étranges expressions du visage comme se mordre les lèvres, ou cligner des yeux juste avant de faire une technique.

Comme mentionné auparavant, il n'y a pas de place pour ce qui est communément appelé « gentillesse » dans une salle d’entraînement. Nous devons être honnêtes envers nous-mêmes et envers nos partenaires. C'est uniquement par une totale franchise que nous pouvons supprimer tous ces spasmes, dont nous ne sommes que rarement conscients au quotidien.

Bien sûr, il y a toujours le risque qu'un débutant arrive dans une salle d’entraînement et pense que le professeur et les élèves les plus avancés sont nés avec cette sensibilité et cette attention aux détails. C'est aux pratiquants expérimentés d'expliquer aux débutants qu'ils n'ont été capables d'atteindre ce niveau qu'en faisant beaucoup d'erreurs et en prenant beaucoup de mauvaises décisions.

L'ESPRIT DU BASEMENT

Nino Bernardo nous présente l'invité de cet article, Guy Cofie

Nino Bernardo :

Je suis heureux de vous présenter Guy Cofie dans l'article de ce mois-ci. Guy est un pratiquant d'arts martiaux très doué qui a fini le système complet du Wing Chun avec moi. C’est également un très bon professeur et un technicien du sport très compétent. Il dirige désormais le Warehouse, un grand club de Wing Chun au nord de Londres, que je recommande vivement.

Guy vient du milieu de la boxe. Il a étudié avec moi au Basement quand il était jeune. Il est ensuite revenu après un long congé sabbatique et son talent a éclaté au grand jour. Cela a été un privilège de le voir évoluer et mûrir au fil des ans. De tous mes élèves, je suis ravi qu'il soit celui qui ait choisi de reprendre le flambeau. Je ne pouvais espérer meilleur dénouement.

Guy Cofie :

Tout au long de mon parcours dans les arts martiaux, je pense avoir été chanceux. Depuis mon premier professeur de judo jusqu'à aujourd'hui, tous les professeurs que j'ai eus ont tous été des gens de grande qualité. Ne vous méprenez pas, certains professeurs n'avaient peut-être pas de très bonnes compétences techniques, mais ils étaient tous généreux et enthousiastes, et je ne serais pas au niveau où je suis actuellement dans les arts martiaux sans eux.

Cependant, je pense que le jour où j'ai eu le plus de chance a été celui où je suis entré dans l'école de Wing Chun de Nino Bernardo à Londres, le Basement. Au fil des ans, le Basement a acquis un statut presque mythique. On m'a même demandé s'il existait réellement. Et bien oui, il existait, et quels bons moments nous avons passé là-bas !

Au centre du Basement il y avait Nino et son enthousiasme contagieux. Le Basement n'était pas une salle de gym moderne, climatisée, stérile et avec des uniformes modernes. Au lieu de cela, il y avait juste quatre murs, pas de fenêtre et un petit ventilateur d'extraction. Il n'y avait pas de chauffage, et en hiver vous pouviez voir votre souffle lorsque vous faisiez vos formes. Il n'y avait aucun des apparats habituels d'une école de kung-fu comme les uniformes, les ceintures, les chaussons de kung-fu ou des rangées d'élèves qui essaient de copier le professeur tels des robots.

Les seuls indices étaient trois muk jongs (mannequins de bois) et les sacs de frappe, ainsi que deux manuscrits rédigés par le sifu de Nino (et maître calligraphe), le légendaire Wong Shun Leung. Ces manuscrits autorisaient Nino à enseigner le Wing Chun au Royaume-Uni.

Non seulement l'école ne correspondait pas à ma vision fermée d'une école de kung-fu mais elle était également difficile à trouver. Nino ne faisait pas de publicité et presque toutes les personnes qui y venaient avaient été présentées par un autre élève ou par l'ami d'un ami. Même le porche était caché et il m'est souvent arrivé d’aller à l'entraînement et de rencontrer une pauvre âme errante qui tournait dans l’arrière-cour à la recherche de l'entrée.

Toutes ces choses combinées ont contribué à la réputation du Basement, mais l'élément principal était le simple fait que le Basement était reconnu pour son Wing Chun de haute qualité. C'est ce qui m'a frappé en premier. Le niveau de compétence était évident et le dévouement et l'enthousiasme que montraient les élèves étaient exemplaires. Mais une des choses qui est restée gravée dans ma mémoire est que même si l'entraînement était difficile et parfois intense, vous pouviez toujours entendre les gens rire.

Cela ne veut pas dire que les élèves du Basement prenaient les entraînements à la légère, mais ils s'amusaient et aimaient autant découvrir de nouveaux problèmes que les résoudre. C'était là une des clefs du développement de l'école et de ses élèves. Nino avait l'habitude de dire « vous pouvez avoir toute la détermination et tout le dévouement que vous voulez, sans plaisir vous aurez peu de chance de finir le système complet ». C'est là que réside le secret du succès du Basement : les gens s'amusaient, donc ils restaient, ce qui voulait dire qu'en tant que débutant ou senior, vous aviez beaucoup de personnes expérimentées pour vous aider à avancer.

Nous parlons d'une époque différente. À cette époque, nous avions tous conscience d’étudier un art martial et en tant que tel, cela comportait un risque de blessure. Cependant, personne n'aurait eu l'idée d'attenter un procès pour une blessure qui, au pire, nécessitait quelques points de suture. Bien sûr, on n'essayait pas intentionnellement de se blesser, mais l'entraînement était si intense qu'il arrivait parfois que de telles blessures soient inévitables. Je garde toujours les cicatrices, témoins de cette intensité. Le Basement est le seul lieu où je me suis entraîné et où l'on se mettait à rire de ses propres erreurs lorsque l'on était blessé. Les excuses n'étaient pas nécessaires.

Quand j'y repense, nous avions de la chance d'avoir Nino, mais nous avions également de la chance de nous avoir mutuellement. C'était une période exceptionnelle avec ce que je considère être des élèves exceptionnels. Nous nous entraînions pour notre profit personnel, il n'y avait pas de ceintures, de badges ou de grades pour récompenser notre travail, mais uniquement notre propre motivation et parfois le hochement de consentement de la part de Nino ou de l'un des autres élèves. Notre enthousiasme et notre plaisir pour le Wing Chun est toujours présent. Ceci est un témoignage pour Nino Bernardo et pour la qualité de son école, le Basement.

PENSÉES SUR L'HISTOIRE ET LES LÉGENDES DU WING CHUN

Nino Bernardo nous présente l'invité de cet article, Eddie Yuen

Nino Bernardo :

Je suis heureux de vous présenter Eddie Yuen dans cet article. Il pratique les arts martiaux depuis de nombreuses années et a une grande connaissance de la culture chinoise. Il se présente lui-même comme mon élève, mais à chaque fois que je le vois, le mot « sifu » me vient sur le bout de la langue. En plus d'avoir une grande expérience des arts martiaux, c'est une personne sage et l'historien de notre groupe. Si quelqu'un me pose des questions à propos de Yip Man ou sur le Temple Shaolin, je leur réponds que je n'en sais rien, que je n'étais pas là, et je leur présente Eddie.

Eddie Yuen :

J'ai rencontré Nino pour la première fois en 1992 alors que je cherchais un professeur de Wing Chun pour approfondir mon étude du système. Je me suis aperçu dès le premier rendez-vous qu'il était le sifu qu'il me fallait. Ce n'est pas seulement une personne remarquable, mais également un professeur très talentueux avec une grande connaissance des arts martiaux. Sa méthode d'enseignement est dynamique, créative et philosophique, tout en étant très pratique. Il analyse toujours les forces d'un élève, ses faiblesses, sa personnalité et ses capacités d'apprentissage afin de façonner un programme adapté à la personne.

De nos jours, il est très rare de trouver un vrai sifu. Ce terme était utilisé à l'origine pour décrire les hauts fonctionnaires à l'époque impériale. Aujourd'hui, toute personne qui est douée dans les arts ou dans les travaux manuels est également appelée sifu. Pour devenir sifu dans les arts martiaux, il faut avoir d'excellentes techniques et posséder une connaissance approfondie du style, y compris son histoire et sa signification. Il faut également connaître les pratiques de base de la chiropraxie chinoise, les premiers soins et les traitements à base de plante. Enfin, la qualité la plus importante implique une éthique martiale. Si un sifu enseigne uniquement des techniques de combat brutales et encourage l'agressivité sans enseigner la moralité, ses élèves pourraient causer des ennuis à la société.

Au fil des ans, j'ai conduit de nombreuses recherches sur l'histoire des arts martiaux chinois, ou wushu, également connu sous le nom de kung-fu. Je pense que l'histoire du wushu a été mystifiée à travers les époques à cause d'un manque d'archives dans les livres d'histoire orthodoxe, d'un enjolivement dans les romans chevaleresques et dans les romances des arts martiaux mais également à cause de certaines écoles qui ont attribué leur fondation à des personnages de fiction.

Presque tous les pratiquants de Wing Chun connaissent quelques légendes. À Hong-Kong, la plupart des pratiquants partagent l'histoire suivante. Sous la dynastie Qing, la cour impériale brûla le Temple Shaolin dans le comté de Futian (province de Fujian) et chassa tous les moines et les disciples profanes. Un des disciples profanes, Yan Si (Yim Sei), s'échappa avec sa fille, Yon Chun (Wing Chun) et ils essayèrent de joindre les deux bouts en vendant du tofu. Un tyran local essaya d'obliger Wing Chun à l'épouser, mais elle demanda un répit de trois mois.

À cette époque, le grand maître Wy Mei (Ng Mui) était dans la région, et elle apprit à Wing Chun ses techniques de combat. Trois mois plus tard, Wing Chun battu le tyran et nomma une nouvelle école d'arts martiaux d'après son nom. On ne peut s'empêcher de penser que si quelqu'un pouvait devenir aussi bon en arts martiaux en seulement trois mois, le tyran devait être invalide !

En 1987, mon grand maître, feu Wong Shun Leung, donna une conférence au Basement de Londres. Il expliqua alors que l'histoire ci-dessus avait été inventée par un journaliste qui était un disciple du grand maître Yip Man. Le but de cette histoire était d'accroître la prééminence du Wing Chun, qui n'était pas très connu à l'époque à Hong-Kong. Ng Mui est en fait un personnage de fiction tiré d'un roman.

Entre 1998 et 2001, je suis allé trois fois à Foshan, en Chine du sud, pour rechercher les vraies racines du Wing Chun, style de wushu qui a été développé dans cette région. J'ai découvert que le style original du Wing Chun était appelé Hang Tan Wing Chun. Y a succédé le Chan Wah Sung, qui était le style enseigné par le grand maître Yip Man, à Hong-Kong, après la révolution chinoise. Ce style est le plus présent à travers le monde. Le professeur de Nino, Wong Shun Leung, était un des élèves de Yip Man le plus expérimentés et le plus doué dans ce style.

L'opéra Wing Chun est un style pratiqué par les acteurs d'opéra dans le sud-est de l'Asie et en Chine. Le Hok Saan Gu Lo Wing Chun, lui, n'a pas de formes standards, seulement des techniques individuelles. Un autre style, communément connu sous le nom du Wing Chun du serpent, a remplacé le mannequin de bois traditionnel par une boîte fixée au mur avec des tiges souples en plastique. Un autre style utilise la connaissance de la chiropraxie chinoise pour étudier l'attaque des points nerveux.

Lors de mes voyages, j'ai également découvert des informations sur un style de wushu appelé Yong Chun Quan, qui vient de Yong Chun Hall, du Temple Shaolin. Ce style a des similitudes frappantes avec le Wing Chun, non seulement dans le nom mais également dans le programme officiel. Sont-ils liés ? Si tel est le cas, le Wing Chun pourrait avoir toujours été un style faisant partie du répertoire des techniques de combat du Temple Shaolin, et toute autre légende serait alors très peu crédible.

Le nom Shaolin provient des montagnes du Shao Suc (Shao Shi). Le premier monastère Shaolin a été construit dans les bois, au pied de la montagne nord Wu Ru. Le nom fait référence à son emplacement.

Il y a en tout 11 monastères Shaolin en Chine, dont la plupart pratiquent les arts martiaux. Le monastère Shaolin le plus connu est à Shong Shian, dans la province de He Nan, et est connu sous le nom de Bei (Nord) Shaolin. À une époque, le monastère était composé de plus de 5 000 bâtiments qui couvraient une large zone et hébergeait 1 000 moines. Il y a un autre célèbre monastère Shaolin, connu sous le nom de Nan (Sud) Shaolin, construit sur la montagne Jiou Lian, dans la région de Pu Tian de la province Fu Jian.

Pour de nombreuses personnes, il est assez curieux que des religieux pratiquent des techniques de combat mortelles. La raison est que les moines ont organisé les monastères en différents « services» : la finance, les équipements, la maintenance, la nourriture, etc. Ils avaient également un service sécurité. Les moines qui travaillaient dans ce service en particulier se spécialisaient dans les arts martiaux pour protéger le monastère des vols et des invasions. À plusieurs occasions, ils ont également combattu pour l'empereur et ont parcouru de longues distances à travers des terrains hostiles, pour collecter les loyers des fermiers qui louaient leurs terres.

Nous pouvons dire avec certitude que le wushu n'a pas été inventé dans le Temple Shaolin. Je pense que le wushu a été développé beaucoup plus tôt, à la préhistoire chinoise, pour chasser et pour la guerre. Selon moi, les moines Shaolin ont le mérite d'avoir distillé l'expérience des premiers combattants dans des routines complètes et systématiques et les ont classifiées en catégories tout en supprimant toutes les impuretés.

Le Wing Chun est basé sur une étude approfondie des mouvements du corps et de la coordination du corps humain dans le combat. Cela implique que ce n'est pas très intéressant à regarder, contrairement à d'autres styles qui ont emprunté leurs mouvements aux animaux. En effet, lors d'une démonstration je préfèrerais regarder le style du singe plutôt que le Wing Chun.

L'UTILISATION DU WING CHUN COMME OUTIL DE DÉVELOPPEMENT PERSONNEL

Wong Shun Leung m'a tout d'abord été recommandé par un vieux moine bouddhiste du temple de Po Lin, sur l'île de Lan Tao. Pourquoi un homme de paix recommanderait-il un combattant comme professeur ? Se pourrait-il que ce moine, que je n'avais jamais rencontré auparavant, sache quelque chose sur le Wing Chun que j'ignorais alors ?

Et pourquoi les moines du temple Shaolin, dont Eddie Yuen vous parlera dans le prochain article, ont-ils mis au point des systèmes de wushu, y compris, peut-être, le Wing Chun ? Se pourrait-il qu'il y ait autre chose dans les arts martiaux chinois que les systèmes de combats intelligents ?

Lorsque j'ai commencé à m'entraîner avec Wong Shun Leung, je ne connaissais pas sa réputation. Je ne savais pas que c'était un célèbre combattant de rues. Je ne savais pas qu'il avait été le principal professeur de kung-fu de Bruce Lee. Aujourd'hui je suis content de cela, car mon ignorance m'a permis d'écouter tout ce qu'il avait à dire sans aucune idée préconçue.

Évidemment, la plus grande partie de l'enseignement de mon sifu était le combat. Il n'était certainement pas un moine et ne pratiquait pas la méditation. Il parlait plutôt d'utiliser ses peurs, sa colère et ses frustrations pour gagner les combats. Il était très autoritaire et précis dans son chi sao, qu'il utilisait comme outil pour lire le caractère des autres, pour développer les entrées et pour gérer le stress intense des combats. De nombreuses personnes ne connaissent que cette partie de lui.

Cependant, en tant que sinophone et grâce aux entraînements réguliers que j'ai pu avoir avec mon sifu, j'ai également pu repérer certains courants sous-jacents. Par exemple, même s'il n'essayait pas de développer les personnalités et le caractère de ses élèves, il prenait un grand plaisir à observer la façon dont ils s’amélioraient et dont ils changeaient au fil des entraînements de Wing Chun. À cette époque, dans sa salle d’entraînement, mes propres amis ont noté que ma façon de jouer de la guitare s'était améliorée. J'ai depuis compris que c’était là un des effets secondaires positif de l'apprentissage du Wing Chun.

Lorsque j'ai ouvert le Basement à Londres en 1984, une des choses qui m'a parue la plus difficile a été la façon dont les élèves occidentaux demandaient des explications détaillées de ce qu'ils devaient faire, plutôt que de tout simplement le faire. À Hong-Kong, poser ce genre de questions aurait été irrespectueux. Cependant, j'étais dans un nouveau pays, je devais donc m'adapter. J'ai alors commencé à chercher différentes façons de décrire le Wing Chun pour que mes élèves puissent comprendre.

C'est à cette époque d'étude intense que j'ai commencé à voir le chi sao (mains collantes) comme un jeu-combat qui aide les pratiquants à développer certains effets secondaires. Comme mentionné dans les articles précédents, cela inclut l'utilisation des deux hémisphères du cerveau, l’acquisition de la conscience du corps, l’amélioration de ses capacités dans d'autres domaines et l'acquisition d'une intelligence impitoyable. Un autre des effets secondaires est d'essayer de lire l'esprit ou le caractère de l'autre pratiquant grâce au contact physique que l'on a avec lui. Alors je continuais à développer cette idée, je commençais à voir le système dans son ensemble comme un outil de développement personnel intelligent, qui peut être utilisé par les combattants et toute autre personne pour développer et affiner certaines qualités.

J'ai parlé de cette nouvelle façon de penser dans mon premier article lorsque j’ai écrit que les outils peuvent être utilisés de différentes manières. Nous pouvons utiliser un tournevis pour remuer notre café ou pour retirer une vis. Nous n'avons pas à changer la conception d'un outil pour lui trouver un nouvel usage. J'ai également parlé de ce changement dans l'article sur le Safari Wing Chun où j'ai décrit la façon dont j'ai commencé à encourager mes élèves à prendre des photos plutôt que de tirer avec un gros fusil. En se concentrant sur les structures, sur la mécanique, sur les tactiques et les stratégies sous-jacentes, nous pouvons acquérir une connaissance plus approfondie du chi sao,

À quel point cette interprétation est-elle différente de l'enseignement que j'ai reçu à Hong-Kong ? Je pense que mon sifu, Wong Shun Leung, utilisait le Wing Chun essentiellement comme système de combat, ce qui avait des avantages implicites sur le plan personnel. Il était déjà combattant lorsqu'il a rencontré Yip Man, son propre professeur. Grâce à ses entraînements de Wing Chun, il a été capable de développer ses aptitudes de combattant à un niveau impressionnant.

Au contraire, j'insiste sur le développement personnel et je ne mets pas en avant les aspects combat du système. Il y a eu des moments dans ma vie où j'ai décidé de me battre. Cependant, je ne suis pas fier de cela. Je pense que la violence est une attitude stupide et négative. Je ne vanterai jamais le combat dans un but commercial et je n'accepte pas les demandes de combats. Si quelqu'un vient me voir parce qu'il veut devenir un dur et si la seule partie du système qui l'intéresse est la possibilité de casser la tête aux gens, je lui dirai de trouver un autre professeur.

En supprimant toute intention violente du chi sao, mes élèves et moi avons été capable d’étudier réellement la structure de nos corps sans être distrait par la volonté de se frapper. Cela a approfondi notre compréhension du système. Pour aller plus loin dans cette voie, j'ai tenté d'utiliser les sept piliers de l'attention dans le Wing Chun. Ce sont des séries d'attitudes tirées de techniques de méditation et qui ont été résumées dans une forme très simple par Jon Kabat-Zinn, un médecin qui s'est spécialisé dans la science derrière la méditation.

Les piliers de l'attention impliquent de ne pas juger nos pensées, nos sentiments, nos expériences; être patient; voir les choses avec l'esprit d'un débutant; avoir confiance en soit; ne pas lutter; accepter les choses telles qu'elles sont et laisser s'évader nos pensées. J'ai découvert qu'ajouter ces attitudes aux formes et aux exercices du Wing Chun, y compris au chi sao, a été très convaincant pour exploiter les courants sous-jacents du système.

Bien sûr, le Wing Chun fonctionne très bien comme outil de combat si on ajoute l'intention violente dans l'équation, mais il y a beaucoup plus que ce simple aspect. Le système est extrêmement intelligent et les combattants ne sont pas les seuls qui peuvent en bénéficier. Nous pouvons utiliser le Wing Chun pour lutter contre notre propre stupidité, nous permettant d’être aussi intelligent que nous devrions l'être avec notre famille, nos amis, nos professeurs, la télévision et tout ce qui peut se mettre en travers de notre chemin.

Certains de mes élèves m'ont dit que grâce au Wing Chin ils ont appris à développer assez de self-control pour éviter des combats stupides, et ce en apprenant à contrôler leur humeur et leur ego. Leur connaissance de techniques potentiellement mortelles leur a donné un sens des responsabilités qu'ils n'avaient pas auparavant. D'autres élèves ont trouvé que la possibilité d'improviser sous pression les a aidé à éviter la violence des rues.

Bien que certains puissent dire que cette conception est une nouvelle façon de voir le Wing Chun, le vieux moine de l'île de Lan Tao, qui m'a conduit sur ce chemin, aurait peut-être dit que cette conception vient d'une tradition beaucoup plus ancienne. Cependant, malgré tout cela, c'est le Wing Chun de Nino Bernardo. Si quelqu'un veut apprendre le Wing Chun de Wong Shun Leung, c'est trop tard, car mon sifu n'est malheureusement plus parmi nous.

L'ENCYCLOPÉDIE DU WING CHUN

On me demande souvent avec qui j'aurais aimé m'entraîner. Je réponds toujours franchement: « personne”. En effet, j'ai eu la chance d'avoir Wong Shun Leung comme sifu. Trois décennies après ma première rencontre avec lui, j'essaie toujours de délivrer quelques une des connaissances qu'il m'a données.

Lors de mes stages, je compare parfois le Wing Chun que mon sifu m'a enseigné avec une encyclopédie de techniques, de méthodologies d'entraînement, de jeux, d'exercices, d'attitudes et de qualités. Bien que le programme officiel soit relativement simple, il y a énormément d'informations présentes dans le système et elles sont très étendues.

J'ai passé beaucoup de temps à expérimenter l'encyclopédie lorsque j’ai dirigé le Basement à Londres entre 1984 et 2000. J'ai eu de la chance d'avoir de très nombreux pratiquants d'arts martiaux qui ont franchi mes portes, à un moment ou à un autre. Une des expériences que nous avons faites est de décomposer le système puis de le remonter, ce que l'on appelle le « reverse-engineering».

Le « reverse-engineering» est un processus typique du monde de l'industrie. Si un de vos concurrents sort un nouveau produit merveilleux, l'idée est de le démonter, d'étudier la mécanique, puis de le remonter, de le démonter, et ainsi de suite. Une fois que vous aurez compris comment fonctionne le produit exactement, vous serez alors en mesure de créer votre propre version sans enfreindre aucune loi sur le copyright.

Dans les arts martiaux, le « reverse-engineering » fonctionne de la façon suivante. Si quelqu'un qui vient d'un autre système me montre un mouvement sympa, je peux le décomposer et l'étudier. Si je cherche en détail dans l'encyclopédie du Wing Chun, je devrais pouvoir trouver des mécaniques similaires. Vous pourrez ensuite assembler ces techniques et adapter le mouvement à votre propre interprétation du Wing Chun.

Cela fonctionne également dans le sens contraire. Si quelqu'un trouve quelque chose d'intéressant dans le Wing-Chun, alors il devrait pouvoir le décomposer et le recomposer dans son propre système. J'ai personnellement entraîné des boxeurs et des spécialistes en karaté et d'autres qui sont devenus obsédés par la possibilité de pouvoir se frayer un chemin vers la tête de leur partenaire grâce au chi sao (mains collantes). Certains d'entre eux ont réussi à reconstruire cet incroyable talent dans leur propre style, ce qui les a souvent conduits à pas mal de réussites en compétition.

Le « reverse-engineering » fonctionne car le chi sao est un jeu qui développe certaines qualités chez les pratiquants. Ces qualités pourraient inclure une sensibilité tactile, la capacité de donner de mauvaises informations à une autre personne grâce à la mécanique du corps et un sens intuitif de l'espace.

Bien que le chi sao soit une des parties les plus intéressantes du système, les autres exercices de Wing Chun sont une autre partie tout aussi importante de l'encyclopédie et ne devraient pas être négligés. Il y a un certain nombre d'exercices dits « classiques», mais je suis très intéressé par la façon dont ces exercices peuvent être mis ensemble de manière créative pour créer de nouvelles versions de ces « exercices classiques », voire même pour créer de nouveaux exercices.

Dans un des récents stages que j'ai pu faire, j'ai demandé à mes élèves de créer leurs propres exercices avec un partenaire. Ils devaient le pratiquer jusqu'à pouvoir le faire de chaque côté et avec les deux mains. Ils changeaient alors de partenaire. Chaque personne devait apprendre à l'autre l'exercice qu'il avait créé.

Un des risques de cet exercice est que cela peut « surcharger» la tête des élèves. L'astuce est de mettre votre cerveau en pilote automatique et de laisser votre corps se souvenir des exercices. C'est pour cela que j'apprécie les rencontres occasionnelles avec les élèves avancés du Basement, car leurs bras sont fluides dans les exercices que nous avions développés par le passé.

Il est aussi important de garder en mémoire qu'il est très difficile de décrire ces exercices sur papier. La raison est que la partie la plus importante dans chaque exercice est la sensation, et celle-ci ne peut être décrite avec des mots. Si quelqu'un veut apprendre ces exercices, des jeux ou encore des méthodologies d'entraînement, je peux seulement lui conseiller de venir me voir à Ibiza ou lors d'un de mes stages.

L'OUTIL DE RÉVISION

L'enseignement est un des meilleurs outils de révision. J'avais l'habitude de demander aux élèves d'enseigner à d'autres, afin de voir s'ils avaient bien compris les mouvements. Je pense en effet que si une personne a réellement compris toute la mécanique, alors elle devrait être capable de l'enseigner à une tierce personne. Ce qui est intéressant c'est que la personne qui « enseigne » doit rembobiner et redonner les informations sans se rendre compte de ce qui se passe dans sa tête, car elle est plongée dans une autre tâche. « L'enseignement » cause cet effet secondaire, et c'est ce dernier qui aide au processus d'apprentissage.

Selon le dictionnaire, enseigner veut dire « transmettre du savoir ». Cela veut dire que la personne qui enseigne transmet simplement le savoir disponible.

Le scénario classique est lorsqu’un élève vient me voir pour étudier pendant une semaine puis rentre chez lui pour six mois avant de revenir pour apprendre davantage. Je lui conseille souvent de trouver un ami qui sera son partenaire d'entraînement et qui l'aidera à faire ses « devoirs ». Il doit désormais enseigner le jeu à son ami et, ce faisant, il est happé par le syndrome de « l'outil de révision ».

Lorsque j'ai commencé pour la première fois à enseigner après avoir fini d'apprendre le système complet, je n'avais toujours pas digéré ni assimilé toutes les informations accumulées pendant toutes ces années d'apprentissage. J'avais encore fréquemment besoin de rembobiner et de redonner les informations et je faisais encore souvent des erreurs, desquelles j'ai heureusement appris. J'ai eu la grande chance d'avoir le même groupe pendant plusieurs années avec lequel j'ai pu faire mes « devoirs» et en contrepartie ils ont eu la chance d'être activement impliqué dans cette progression pendant une période si soutenue. En regardant en arrière, je me dis que nous avons tout simplement passé de merveilleux moments ensemble ! Je ne pensais certainement pas à devenir un grand sifu, je m'amusais seulement à faire monter les gens à un bon niveau afin que je puisse faire mes « devoirs».

Ma vie entière se résume à une succession « d'accidents », certains très agréables, et d'autres beaucoup moins. La façon dont mes devoirs ont été faits a été un accident. Donc si quelqu'un venait à me demander quelle a été ma méthode, je lui répondrais « oui ! » ou je pourrais dire quelque chose comme « la méthode de la non-méthode », mais cela paraîtrait bancal.

LE WING CHUN « PUR»

De nos jours, si vous voulez cherchez quelque chose virtuellement, il faut aller en ligne… la merveille d'internet et du www !

Je voudrais faire une analogie. Un dealer de drogue dira toujours à de potentiels clients que sa « came » est la plus pure du marché. Il laissera même le futur client la tester. Malheureusement, les drogues étant illégales, on ne peut pas les tester sur internet, non ? Et pourtant, aussi étonnant que cela puisse paraître, si ! J'ai réduit cette page et j'ai cherché le terme « drogue » sur Google et j'ai passé la demi-heure suivante à lire des informations plus qu'étonnantes sur les drogues, leur histoire, les effets secondaires, etc.

Ce sur quoi j'aimerais écrire est le Wing Chun (transcription phonétique du terme cantonais qui signifie « joli printemps » ou « printemps éternel ») – l'art martial qui se développe le plus dans le monde aujourd'hui. Il est passé d'un « maître» connu à plus de quelques centaines de milliers de maîtres en plus ou moins soixante ans. Bien que je ne me considère pas comme un maître, je figure dans cette liste. De plus, il y a des noms sur cette liste avec lesquels je préférerais ne pas être associé.

Qu'est-ce qu'un élève potentiel devrait faire ? Le moins que l'on puisse dire, c'est que cela est déroutant pour qui que ce soit. J'ai tapé « Wing Chun pur » sur Google, j'ai cliqué sur « rechercher » et je suis tombé sur pas moins de quatorze pages sur des écoles, des maîtres et des livres. Chaque école prétend avoir la véritable version ou la version originale, chaque maître est le meilleur et certains ont reçu un enseignement secret de la part de grands maîtres, et d'autres de maîtres encore plus grands. La question qui se pose est : est-ce que le Wing Chun pur existe ? Sans vouloir paraître irrespectueux, Yip Man a-t'il appris l’original? Comment se fait-il que tous ses élèves prônent des choses différentes ? A-t'il secrètement enseigné à quelqu'un ? A-t'il gardé l’original pour ses fils ? A-t'il eu un « meilleur » élève ou un élève « préféré » ? Voici quelques unes des questions qui ont surgi dans ma tête et en voici une autre... Comment quelqu'un pourrait-il découvrir où le Wing Chun authentique peut être trouvé ?

Dans mes stages et dans mes ateliers, je demande à toutes les personnes présentes d'écouter et de ne pas croire tout sans avoir auparavant réfléchi et décidé si ce que je dis a du sens ou non. Je souligne également que ce n'est pas une question de croire ou non, mais plutôt d'être d'accord ou non avec ce que je dis.

Il est également important de noter que parmi les personnes à qui j'ai enseignées, il n'y en n'a pas deux qui sont pareilles. De même, parmi les personnes qui ont appris de mon sifu, il n'y en n'a pas deux qui se ressemblent. On pourrait dire que nous apprenons tous le même langage mais nous avons tous une écriture et une façon de parler différentes. Mais malgré tout cela, il y a également des interprétations différentes de ce qui a été appris. De nombreuses personnes viennent de différents arts martiaux et arrivent dans le Wing Chun avec un programme préétabli. D'autres programmes « personnels » préétablis jouent également un rôle important dans la formation de chaque individu. Je fais référence ici à la religion, à la tradition et à l'éducation. Cela mènera inévitablement au syndrome très redouté du « j'ai raison, il a tort » qui, à son tour, donne naissance au conflit politique.

Comment un élève potentiel peut-il déchiffrer et choisir qui sera son professeur ? De nombreuses personnes ont passé des années à apprendre avec le « mauvais » professeur avant de trouver le « bon ». Le vieux cliché qui dit « lorsque l'élève est prêt, le maître apparaît » doit provenir du syndrome « l'élève cherche le bon maître ». Mais là aussi, lorsque l'élève passe du « mauvais maître » au « bon maître », l'influence de l'enseignement précédent affectera le nouveau « programme » et compliquera les choses encore davantage. Ma propre expérience est que souvent, lorsque je cherche quelque chose, je ne le trouve pas. Mais dès que j'arrête de le chercher, il apparaît.

Je pense que cela s'applique également pendant le chi sao. Lorsque je veux appliquer une technique, je n’y arrive pas, et lorsque je n'y pense pas, elle « sort ». Le secret est-il donc de ne pas y penser ? La chose à faire serait d'étudier et de tester la technique jusqu'à avoir développé assez de compétences pour « programmer la situation idéale» afin de permettre l'exécution de la technique désirée.

Un autre élément important est de voir ce qui est réellement montré et d'entendre ce qui est dit, plutôt que de voir ce que l'on croit voir et d'entendre ce que l'on pense entendre. Cela arrive souvent au cours de l'apprentissage. Lorsque les informations sont régurgitées, elles sortent souvent de manière différente, et il en est de même pour les techniques. Je pense que les informations devraient être comprises clairement et les techniques personnalisées. De cette façon, les élèves ont assez d'espace pour développer leur propre génie plutôt que de devenir des clones de leur professeur.

Lorsque j'enseigne, je veux que les élèves comprennent la façon dont on m'a enseigné et comment j'interprète aujourd'hui ce que j'ai appris. Mon sifu soulignait souvent qu'il était en désaccord avec l'enseignement de ses sifus. À l'époque, je trouvais ça irrespectueux, mais aujourd'hui, je sais qu'il n'était pas du tout irrespectueux, il voulait juste faire comprendre certains points importants à ses élèves. En faisant cela, il a mis en évidence un point qui m'a conduit à dire à mes élèves de ne pas me croire mais d'écouter attentivement avant de prendre la décision d'être d'accord ou non.

Pour conclure mon analogie entre le Wing Chun et la drogue, le dealer dira que la sienne est la plus pure disponible. Le dealer de Wing Chun dira la même chose. Toute personne à la recherche de Wing Chun « pur» devra faire de nombreuses recherches et essayer avec précaution.

LE VRAI DE VRAI

Lorsqu’un nouvel élève, ou ce que j’appelle aussi une « nouvelle victime », commence, on lui demande de mémoriser la première forme. Au départ, on apprend la forme « en gros ”. Puis on la peaufine et on la règle méthodiquement, processus qui prend du temps. Pour éviter que l'élève ne s'ennuie, on lui « prescrit » des « exercices de base ». Il est extrêmement important que ces « exercices de base » ne gênent pas le développement de l’élève qui, à ce moment là, n'est pas conscient que, pour le professeur, tous ces exercices sont là uniquement pour maintenir l’intérêt et l’enthousiasme de l’élève, et pour éviter de perdre un élève/client.

Le système étant un système, il a besoin d’être fréquemment et méthodiquement « installé ». Lorsque ce système est correctement « installé » et « en état de marche », de nouveaux « outils » et d'autres « logiciels » seront alors « téléchargés ». Bien sûr, il est important d’apprendre à l’élève comment utiliser et appliquer chaque nouvel outil et logiciel tout au long de la session. C’est alors que l’élève « achève » le système et c’est uniquement à ce moment là que le « système » commence à se manifester chez l'élève qui devient alors progressivement un « maître/expert ». Il n’y a pas de période définie pour chaque « cours/session », cela dépend du « disque dur » de l’élève ou de son conditionnement précédent. Il arrive parfois que le « disque dur » de l'élève rejette les programmes, les outils et les logiciels. Un professeur expérimenté est en général capable de résoudre ces problèmes.

Lorsqu’un élève a fini d'étudier tout le système mais qu'il n'est pas passé par la case « peaufinage et réglage », la programmation sera alors dans sa forme « brute », sans qu’aucun outil ou logiciel ne soit totalement compris et appliqué. On pourrait comparer cela à une personne qui vit depuis de nombreuses années dans un pays mais qui ne parlerait toujours pas la langue, ou alors dans un style « tarzan ». Un autre cliché est celui qui dit « vous apprenez à conduire après avoir passé votre permis de conduire ». Nous savons tous qu'il y a des personnes qui ont eu leur permis de conduire il y a quelques années déjà mais qui ne savent toujours pas conduire. Ce qui rend ces personnes dangereuses c'est qu'elles pensent savoir conduire.

Il y a également le cas des personnes qui ont en effet « achevé» tout le système, qui ne sont pas passé par la case « peaufinage et réglage » et qui, en plus, ont attrapé de nombreux virus sur leur chemin. Le Wing Chun est un système très complet et très évolué mais, à cause du manque d'appréciation, il a plutôt mauvaise réputation. J'enseigne depuis de nombreuses années, et beaucoup de personnes sont venues puis reparties de mes cours. Certaines ont leur propre salle d’entraînement, leurs écoles ou leurs académies. Si vous voulez connaître l'authenticité d'un instructeur, n'hésitez pas à m'appeler pour avoir mon opinion.

L’instructeur est dans une position très délicate et risque très probablement de voir son ego gonflé à cause de la croyance populaire qui veut que le « maître de kung fu » a le « savoir » et la « sagesse ». Cela tient du fait que la « nouvelle victime » est en admiration totale devant l’instructeur/le maître. J’ai remarqué cette attitude chez moi lorsque j'ai rencontré pour la première fois mon sifu, Wong Shun Leung, et aujourd'hui encore il me bouleverse. J’ai également remarqué cette attitude parmi mes « nouvelles victimes » et même parmi mes élèves plus expérimentés. C’est mon travail de leur faire comprendre que ce n’est qu’un état d’esprit et une phase qu'ils sont en train de traverser et qu'ils devraient être admiratif du système qu’ils apprennent. Je dois leur rappeler que j'ai commencé le kung fu à cause de mon manque de confiance en moi et c'est uniquement après quelques années de pratique que la curiosité et l'intérêt se sont développés. Ceux-ci m'ont aidé, à leur tour, à comprendre et à développer plus tard un profond respect pour mon professeur en tant qu'être humain et pour le système pour sa complexité et sa sagesse.

Puis il y a la personne « classique » qui, comme tout le monde, est en admiration devant son professeur et qui commence à répéter comme un perroquet à ses amis tout ce que le professeur lui a dit, et les amis sont alors en admiration devant cet « individu ». Cette personne devient alors professeur en copiant et en répétant ce que son professeur dit et fait. Cela continue jusqu’à ce que cette personne imite à la perfection son professeur. Ses élèves pensent qu’il est le « vrai de vrai », l’original, l’authentique. Pour maintenir cette image, les élèves ne doivent jamais voir ni rencontrer son professeur ou la mèche sera vendue et le « maître » se retrouvera alors dans une situation très embarrassante. Il a désormais la tâche très peu enviable de devoir empêcher ses « élèves/victimes » de voir ou de rencontrer « le vrai de vrai ».

Selon moi, il y a quatre catégories principales de pratiquants. Il y a ceux qui ont terminé le système, qui n'enseignent pas mais qui pratiquent toujours, soit en allant dans une salle d'entraînement, soit en rencontrant régulièrement d'autres pratiquants. Il y a ceux qui ont fini le système et qui ont leur propre salle d'entraînement où ils enseignent et où ils s'entraînent. Il y a ceux qui n'ont pas terminé le système mais qui enseignent à un petit groupe et qui entretiennent « l'outil de révision » et qui continuent d’apprendre avec leur sifu/professeur. Enfin, il y a ceux qui enseignent à plein temps sans avoir terminé le système et qui n’en ont pas l’intention.

J’ai arrêté de donner des « certificats » en 1993. J’écris tout simplement une lettre à l’élève en question où je parle du temps qu'il/elle a passé avec moi, où je décris ce que nous avons fait et également ce qu'il reste à faire pour terminer ou achever le programme que nous avons commencé. Ces lettres sont des lettres personnelles qui peuvent bien évidemment être utilisées comme témoignage de l’entraînement passé et des différents domaines couverts. Cette lettre ne doit pas être considérée comme un « certificat » autorisant l'élève à enseigner. Toute personne qui dit avoir appris la totalité du système avec moi doit avoir en sa possession une lettre de ma part. Si cette lettre est utilisée comme « preuve », il est important que vous lisiez le contenu en détail. Là aussi, n’hésitez pas à me contacter pour avoir mon avis sur la personne en question.