1. Stabilité et robustesse

Stabilité et robustesse des systèmes non-linéaires interconnectés

Deux propriétés fondamentales des systèmes non-linéaires sont la stabilité et la convergence. La première vise à assurer que des variations des conditions initiales du système ont un impact raisonnable sur son comportement. La seconde traduit le fait que l'écart entre le comportement désiré et le comportement observé tend vers zéro avec le temps, ou tout ou moins vers une erreur résiduelle acceptable. Si ces deux concepts sont intimement liés pour les systèmes LTI, il sont décorrélés pour les systèmes non-linéaires et on appelle stabilité globale asymptotique (GAS) la combinaison de la stabilité et de la convergence vers zéro de toutes les solutions. En présence de non-linéarités, il est bien connu que des interconnexions aussi élémentaires que la mise en cascade ne préservent pas, en général, la GAS. Il va sans dire que des systèmes résultants d'interconnexions plus élaborées, telle que la mise en feedback de deux systèmes ou l'interconnexion de plusieurs sous-systèmes, requièrent d'autant plus d'attention.

Un outil fondamental pour l'analyse des systèmes non-linéaires interconnectés est la stabilité entrée-état (ISS). Cette notion, introduite à la fin des années 80, permet de garantir des propriétés intéressantes au système considéré en présence d'un signal exogène pouvant représenter une perturbation, une erreur de modélisation, une incertitude paramétrique, une erreur de mesure, etc. Ces propriétés incluent en particulier la bornitude des solutions si le signal exogène est borné, et la convergence des solutions vers zéro si le signal exogène converge lui-même vers zéro. D'une manière générale, l'ISS assure la GAS en l'absence du signal exogène et la convergence vers un voisinage de zéro dont la taille est ''proportionnelle'' à l'amplitude du signal d'entrée. Ces propriétés sont naturellement vérifiées par tout LTI dont la dynamique interne est asymptotiquement stable. C'est loin d'être le cas dans le domaine non-linéaire: nombre de systèmes non-linéaires, même simples, sont par exemple déstabilisables par une entrée bornée.

Malgré l'indéniable succès rencontré par l'ISS pour des applications de commande, elle reste une propriété très contraignante en pratique. Le fait, en particulier, que les solutions soient bornées si le signal exogène est lui-même borné (même de grande amplitude), reste utopique pour de nombreuses applications. Une alternative intéressante, garantissant tout de même une certaine robustesse aux signaux exogènes, a été introduite à la fin des années 90: la stabilité intégrale entrée-état (iISS). Contrairement à l'ISS qui lie l'erreur en régime permanent à l'amplitude du signal exogène, l'iISS mesure l'impact de l'énergie apportée au système par le signal d'entrée. Il est aisé de montrer que tout système ISS est iISS; l'iISS est en réalité nettement moins restrictive que l'ISS.

Contrairement à l'ISS, l'iISS n'est pas naturellement préservée sous l'interconnexion cascade. Une de nos contributions a été d'établir des conditions suffisantes sous lesquelles la cascade de deux systèmes iISS est elle-même iISS [RI.6]. En ce qui concerne les interconnexions feedback, des conditions ont été données dans la littérature pour garantir la stabilité de deux (ou plus) systèmes iISS interconnectés. Notre contribution à ce domaine a été d'une part l'interprétation du théorème de petit gain pour les systèmes iISS comme l'existence d'un régime transitoire suivi d'un régime semblable à un comportement ISS [RI.12], et d'autre part la démonstration que le compromis intrinsèque existants pour les systèmes LTI en boucle fermée se généralise aux systèmes iISS [CI.26].

Si l'ISS est souvent trop restrictive, l'iISS apparait au contraire comme une propriété trop faible dans bien des cas. En effet, l'iISS ne garantit aucune robustesse vis-à-vis de signaux persistants, même d'amplitudes très faibles. Ainsi, certains systèmes iISS peuvent être déstabilisés par une perturbation constante infinitésimale. En pratique, de nombreux systèmes continuent de présenter un comportement acceptable en présence de perturbations d'amplitude ``raisonnable'', même s'ils peuvent être déstabilisés par des perturbations plus importantes. Nous avons donc récemment introduit une propriété intermédiaire, à mi-chemin entre iISS et ISS. Cette notion, appelée iISS Forte, garantit non seulement l'iISS, mais également l'ISS vis-à-vis de signaux exogènes dont l'amplitude est sous un seuil donné. Nous avons proposé des outils, basés sur les fonctions de Lyapunov, permettant de tester aisément cette propriété en pratique et nous avons montré que, comme l'ISS, l'iISS forte se trouve être naturellement préservée sous l'interconnexion cascade [CI.30].

Bien que l'ISS et ses déclinaisons soient d'un intérêt crucial pour l'analyse des systèmes non-linéaires interconnectés, leur genèse prend ses sources dans une volonté de garantir une certaine robustesse du système considéré vis-à-vis d'imperfections, de signaux exogènes et d'erreurs en tout genre. Ainsi, l'ISS garantit une certaine robustesse vis-à-vis de tout signal d'entrée borné, l'iISS forte ne garantit cette propriété que pour des signaux d'amplitude ``raisonnable'', tandis que l'iISS n'assure de robustesse que vis-à-vis de signaux dont l'énergie est bornée. Certains travaux récents ont cherché à étendre la classe des signaux vis-à-vis desquels des systèmes ISS sont robustes. Notre contribution dans ce sens a été démontrer que l'erreur en régime permanent d'un système ISS est liée non seulement à l'amplitude du signal d'entrée, mais aussi à sa valeur moyenne sur un horizon glissant. Cette observation permet, notamment, d'obtenir une estimée plus fine du comportement en régime permanent sous l'action de signaux présentant des pics d'intensités rapides, tout en ayant une valeur moyenne relativement faible [CI.17].

Dans bien des cas, lorsque le système étudié est commandé en boucle fermée, le réglage adéquat de certains gains de la loi de commande permet de limiter l'erreur en régime permanent à loisir, ou tout au moins dans les limites des capacités de l'actionneur. On parle alors de stabilité pratique. De la même manière, le domaine à partir duquel les solutions convergent (le domaine d'attraction) peut parfois être agrandir à loisir en choisissant convenablement certains paramètres. C'est ce que l'on appelle la stabilité semiglobale. Nous avons développé des caractérisations de type Lyapunov pour chacune de ces notions, et obtenu des conditions sous lesquelles ces propriétés sont préservées sous l'interconnexion en cascade [RI.1], [RI.2], [RI.5].

Plusieurs de ces travaux ont donné lieu à des développements applicatifs. La stabilité semiglobale pratique ainsi que la robustesse des systèmes ISS vis-à-vis de signaux d'amplitude moyenne bornée ont été utilisées pour étudier le comportement de satellites en formation [BC.4], [RI.7], de navires lors du ravitaillement en pleine mer [BC.2], et de robots [RI.4].