2. Automatique et neurosciences

Automatique et neurosciences

La synchronisation neuronale joue un rôle central dans le fonctionnement du cerveau. Elle est par exemple impliquée dans les mécanismes de mémoire, de cognition et de génération de mouvement. A l'inverse, une synchronisation intempestive de certaines zones cérébrales peut conduire à des états pathologiques tels que la maladie de Parkinson, le tremblement essentiel, l'épilepsie ou le symptôme d'akinésie. La stimulation cérébrale profonde (DBS) est un traitement symptomatique de plusieurs pathologies neurologiques liées à la synchronisation neuronale. Elle consiste à stimuler électriquement des zones profondes du cerveau par l'intermédiaire d'électrodes implantées de manière permanente.

Bien que la DBS soit un traitement performant et banalisé de la maladie de Parkinson, elle souffre encore de limitations considérables. Dans la plupart des techniques DBS existantes, la stimulation est un signal carré dont les paramètres doivent être déduits par essais successifs pour chaque patient. Elle fonctionne en boucle ouverte: aucune information cérébrale ni modèle des dynamiques impliquées ne sont généralement utilisés. Ceci conduit à une stimulation disproportionnée des zones cérébrales visées, ainsi qu'à la stimulation d'autres zones par diffusion électrique dans le tissu. Ces phénomènes ont un impact important en termes d'effets secondaires et de consommation énergétique, et empêchent l'optimisation du traitement. De plus, les mécanismes impliqués dans la synchronisation cérébrale, et par conséquent dans ses dysfonctionnements, ne sont encore que partiellement connus.

Les travaux que nous avons lancés sur ce thème visent à une étude analytique des phénomènes impliqués dans la synchronisation neuronale, ainsi qu'au développement de lois de commande réalistes permettant d'altérer les oscillations cérébrales pathologiques au moyen d'un signal de stimulation électrique. A cette fin, plutôt que d'utiliser un signal boucle ouverte pour la DBS, nous proposons d'élaborer un signal de stimulation, plus adapté et plus respectueux, à partir de l'activité cérébrale instantanée du patient.

D'un point de vue théorie de la commande, cet objectif pose de nombreux défis. Les contraintes suivantes empêche l'usage des techniques de commande traditionnelles:

    • Grande dimension et complexité: du fait du nombre considérable de neurones impliqués, de leur hétérogénéité, de leur dynamique propre et de leur interconnexion

    • Non-linéarités: du fait de la nature même des neurones et des modèles qui les représentent

    • Contraintes d'actionnement: du fait du nombre réduit d'électrodes de stimulations pouvant être introduites dans les zones cibles

    • Contraintes d'observation: car le comportement individuel de chaque neurone ne peut être mesuré, seule la somme de leur potentiels membranaires (champ moyen local) est accessible à la mesure.

Au delà de ces défis, l'objectif même de la DBS n'est pas des plus classiques d'un point de vue Automatique. Des mesures expérimentales sur des malades parkinsoniens révèlent une suractivité et une synchronisation de certaines zones profondes du cerveau, notamment le noyau sous-thalamique (STN) qui est la cible privilégiée de la DBS. Cette synchronisation n'est pas présente chez les patients sains. Elle constitue donc un phénomène pathologique que la DBS semble contrer. Cette altération peut se faire de plusieurs manières: soit en désynchronisant les cellules neuronales concernées, soit en inhibant leur action, soit encore en modifiant la fréquence de synchronisation vers un domaine fréquentiel ne donnant pas naissance aux symptômes. Les travaux que nous avons menés exploitent les deux premières hypothèses. En termes automaticiens, si l'inhibition peut se traduire en termes de stabilisation d'un point d'équilibre, l'objectif de la désynchronisation ne correspond pas aux objectifs classiques de la théorie de la commande puisqu'il ne s'agit ni de stabiliser un point de fonctionnement donné ou une trajectoire, ni de synchroniser des comportements dynamiques, mais bien d'altérer la corrélation entre les neurones.

Les travaux que nous avons conduits dans ce domaine se sont principalement intéressés à l'étude du comportement de populations neuronales sons l'action d'un signal de stimulation proportionnel à leur champ moyen local. Cette commande a l'avantage de se baser sur un signal aisément mesurable et de ne requérir que peu de puissance de calcul pour son implémentation. Nous avons à cette fin modélisé le comportement d'oscillateurs de phase lorsqu'un tel signal de stimulation leur est appliqué et montré que la synchronisation exacte est empêchée par l'application du signal DBS choisi, pour la plupart des graphes d'interconnexion entre les neurones. Bien qu'encourageant, ce résultat n'est cependant pas satisfaisant d'un point de vue pratique puisque cette synchronisation est en fait robuste à des signaux de stimulation trop faibles: même si la synchronisation exacte est empêchée, le rythme des neurones risque donc de rester très corrélé si le signal de stimulation n'est pas suffisant. Nous avons donc proposé des valeurs du gain proportionnel assurant soir la désynchronisation effective des neurones [RI.10] soit leur inhibition [RI.11].

Les travaux que nous envisageons prochainement sur ce thème reposent principalement sur le développement récent d'une technique expérimentale révolutionnaire pour l'analyse et l'identification des dynamiques neuronales in vivo, à savoir l'optogénétique. Cette technique consiste à rendre des neurones ciblés photo-sensibles, puis à les stimuler par fibres optiques tout en mesurant leur impact par des techniques d'électrophysiologie classique. Cette technique promet des données expérimentales dont la précision est sans commune mesure avec les données existantes. Notre travail dans cette direction pourra se faire à l'échelle des populations neuronales impliqués dans la maladie de Parkinson (ganglions de la base).