Boris Taslitzky, un homme de conviction et d’action au travers de l’art
Nous avons découvert la fresque de Boris Taslitzky grâce à diverses recherches internet. En effet, c’est en lisant l’article intitulé L'art dans les camps publiés par France TV Info que nous avons pu visualiser plusieurs œuvres tels que des dessins, des peintures, des gravures témoignant de l'horreur des camps. Parmi elles, figurait la fresque de l'artiste Boris Taslitzky que nous avons choisi d’analyser plus en détail. Pour cela, nous avons contacté le Musée de la Résistance et de la Déportation de la Haute-Garonne pour obtenir des renseignements plus précis sur l'artiste, l'œuvre et son lieu.
Notre choix s’est porté vers la fresque de Boris Taslitzky car nous voulions une œuvre insolite qui dénonce à la fois la déportation en France mais également la résistance face à cette déportation au travers d'une manière atypique, qui est l’art de la peinture.
Cette œuvre nous a sensibilisé car elle est attachée à nos racines. En effet, elle est localisée à Saint-Sulpice-la-Pointe en Occitanie. Elle met en lumière notre territoire.
De plus, nous avons choisi cette fresque car il s'agit d’une œuvre engagée qui reflète véritablement l’expérience personnelle de l'artiste lors de cette guerre. Elle reflète aussi la souffrance humaine durant cette période ainsi que la résistance contre l'oppression allemande.
Par ailleurs, la représentation des personnages enchaînés utilisée par Boris Taslitzky nous a énormément émus. En effet, elle nous semble être un témoignage puissant de cette quête de liberté afin d’échapper à l’occupation nazie.
Enfin, nous avons sélectionné cette fresque en raison de son pouvoir évocateur mais également de sa capacité à transmettre les émotions de la résistance au public.
La vie de Boris Taslitzky :
Boris Taslitzky fait partie de ceux qui étaient à la fois artiste et militant. Il est né en 1911 à Paris et décédé dans cette même ville, où il a toujours vécu. Il est issu de parents juifs russes, qui ont émigrés suite à l’échec de la Révolution de 1905. Son père, ingénieur, décède dans les tranchées durant la Première Guerre, en tant qu’engagé volontaire. C’est de lui qu’il va hériter cette volonté d’engagement, l’amenant ainsi à s’impliquer dans des causes qui lui tiennent à cœur en les exprimant notamment au travers de son art. En effet, Boris Taslitzky est un peintre et dessinateur français dont son art s’inscrit dans le réalisme socialiste. Il commence à peindre à seulement quinze ans en s’inspirant des grands maîtres, tels que Rubens ou Delacroix, puis il entre en 1928 à l'École des beaux-arts à Paris.
Portrait de Boris Taslitzky, janvier 1991
Son engagement :
Dès 1935, il adhère au Parti Communiste et participe très tôt au mouvement de résistance « Front National de lutte pour la libération et l'indépendance de la France ». Au camp de Saint-Sulpice-la-Pointe dans le Tarn, il réalise une série de fresques d'inspiration révolutionnaire sur les cloisons en bois du camp. Ceci fut possible grâce à l'archevêque de Toulouse, le cardinal Jules-Géraud Saliège, qui fournissait la peinture. Le religieux avait mis en place un réseau de soutien aux Juifs de son diocèse. Boris Taslitzky est arrêté à plusieurs reprises, principalement pour ses peintures engagées à caractère politique et est fait prisonnier en juin 1940. Durant sa déportation en juillet 1944 vers le camp de concentration nazi de Buchenwald, Boris Taslitzky réalise près de 200 croquis, dessins et plusieurs aquarelles avec l'aide des groupes solidarité et de résistance clandestine. En 1946, Aragon publie l'album “111 dessins faits à Buchenwald”, un ouvrage dans lequel figurent les dessins de Boris Taslitzky, qui a été enrichi et réédité par Biro en 2009.
La reconnaissance de l’artiste :
Les fresques, aujourd’hui disparues, ont été photographiées en octobre 1944 par Germaine Chaumel, artiste toulousaine. Quelques photographies de ses fresques sont en exposition permanente au Musée de la résistance à Toulouse.
Plan du camp des Pescayres, à Saint-Sulpice-la-Pointe (Tarn)
Pour la petite histoire …
Le camp des Pescayres, à Saint-Sulpice-la-Pointe (Tarn), a été l'un des camps politiques les plus importants de la zone Sud pendant la seconde guerre mondiale. Son histoire démarre en 1939. Le gouvernement français réquisitionne des terrains en anticipant l'arrivée de futurs réfugiés du conflit. Parmi ces terrains : trois hectares sur la commune de Saint-Sulpice-La-Pointe, au lieu-dit Les Pescayres. Un an plus tard, le gouvernement de Vichy arrive au pouvoir. Le régime utilise le camp tarnais pour interner ceux qu'il considère comme indésirables : des révoltés mais aussi des communistes, des syndicalistes et des anarchistes. Au total, 4.600 personnes ont transité dans le camp de Saint-Sulpice-La-Pointe entre le 16 août 1940 et le 23 août 1944, dont Boris Taslitzky. Parmi eux, près de 800 résistants et juifs seront déportés.
Photographie de la fresque de Boris Taslitzky
L’œuvre :
Trois jours après la réalisation de sa première fresque, l’artiste peint sur le mur une nouvelle fresque sur laquelle figure quatre personnages enchaînés dont trois hommes à droite et une femme à gauche. Il inscrit au-dessus d’eux ces mots empruntés à Victor Hugo : « Mes fils soyez contents, l’honneur est où vous êtes ».
Par ailleurs, il faut savoir que les femmes, telle que Marie-Rose Gineste, ont joué un rôle important dans la résistance puisqu'elles ont remplacé les hommes dans les usines afin de maintenir l'économie du pays. Marie-Rose Gineste a contribué à la diffusion de la lettre de Monseigneur Théas, évêque de Montauban. Cette missive est un symbole de la désobéissance civile et appelle aux réveils des conscience de chacun. Marie-Rose Gineste a notamment œuvré à la propagation de cette lettre en l'amenant à bicyclette à tous les curés de la paroisse du département du Tarn et Garonne afin qu'elle soit lue à toutes les messes. Elles avaient également la responsabilité d'héberger les évadés ainsi que de distribuer, à vélo, les tracts et articles de journaux clandestins pour lutter contre l'oppression allemande. D'autres femmes ont fait le choix de s'engager dans les Forces Françaises Libres (FFL). Le 7 Novembre 1940, le général de Gaulle institua le Corps féminin, la première unité féminine de l'armée française qui rassembla les volontaires françaises dans divers services (infirmières, ambulancières, secrétaires administratives, …).
Lettre de Monseigneur l’Évêque de Montauban,
sur le respect de la personne humaine
Le 26 août 1942
Mes biens chers Frères,
Des scènes douloureuses et parfois horribles se déroulent en France, sans que la France en soit responsable.
À Paris, par dizaines de milliers, des Juifs ont été traités avec la plus barbare sauvagerie. Et voici que dans nos régions on assiste à un spectacle navrant ; des familles sont disloquées ; des hommes et des femmes sont traités comme un vil troupeau, et envoyés vers une destination inconnue, avec la perspective des plus graves dangers.
Je fais entendre la protestation indignée de la conscience chrétienne et je proclame que tous les hommes, aryens ou non aryens1, sont frères parce que créés par le même Dieu ; que les hommes, quelle que soit leur race ou leur religion, ont droit au respect des individus et des États.
La symbolique des personnages enchaînées utilisée par l’artiste permet de dénoncer les agissements du régime nazi durant l’occupation allemande, qui cherchait à embrigader les populations et à “emprisonner” les esprits afin d’imposer une unique idéologie. De plus, les quelques mots inscrits au-dessus de la fresque permettent de souligner une certaine fierté de l’artiste de pouvoir se considérer comme un Homme digne, respectant les principes moraux et éthiques, contrairement aux Hommes qui ont fait le choix de collaborer, acceptant alors une part de déshumanisation de la part des nazis.
En réalisant cette fresque, l’artiste cherchait à exprimer à sa manière sa résistance à la déportation au sein du Camp des Pescayres, à Saint-Sulpice-la-Pointe. Pour un résistant, le transfert et l’enfermement dans un camp ne signifie pas nécessairement l’arrêt de la lutte. Au contraire, ce fut l’occasion pour Boris Taslitzky d’exprimer à travers l’art ce qu’il ressentait face à l’oppression allemande et à la répression exercée. L’artiste, par le biais de cette œuvre, affirme ainsi son refus d’abdiquer face à la barbarie nazie.
Sources textes :
Marion Bothorel, À Saint-Sulpice-La-Pointe, on commémore le camp des Pescayres, France Bleu, 4 septembre 2021, https://www.francebleu.fr/infos/societe/a-saint-sulpice-la-pointe-commemore-le-camp-des-pescayre-1630681526
Ministère des Armées, Le Camp d'internement de Saint-Sulpice-la-Pointe, Tarn, Service Historique de la Défense, https://www.servicehistorique.sga.defense.gouv.fr/ark/490425
Musée d'art et d'histoire du judaïsme, 111 dessins de Boris Taslitzky faits à Buchenwald, mahJ, https://www.mahj.org/fr/decouvrir-collections-betsalel/111-dessins-de-boris-taslitzky-faits-buchenwald-28599
Anne Doustaly, Boris Taslitzky, résistant et peintre de la déportation, Lumni Enseignement, https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000001726/boris-taslitzky-resistant-et-peintre-de-la-deportation.html
Ministère des armées, Les femmes dans la résistance, Chemins de Mémoire, https://www.cheminsdememoire.gouv.fr/fr/les-femmes-dans-la-resistance
Cercle d'étude de la Déportation et de la Shoah, Lettre pastorale de Mgr Théas et commentaire, Cercle Shoah, https://www.cercleshoah.org/spip.php?article581
Sources images :
Photographie de Boris Taslitzky de I. Rollin-Royer
Plan du camp des Pescayres à Saint-Sulpice-la-Pointe (Tarn) : Wikipédia (domaine public)
Photographie Fresque Boris Taslitzky : https://www.francetvinfo.fr/culture/arts-expos/peinture/l-art-dans-les-camps-creer-pour-resister-face-a-l-horreur_3352507.html