Il ne faut jamais rester adosser à son mur de certitudes. Il faut constamment se poser des questions sur ce que l’on écrit, sur ce que l’on voit, revenir dix fois plutôt qu’une sur les mêmes documents, traquer ce que l’on ne voit pas, ne pas oublier l’adage inexistant « un essai de plus n’est jamais un essai de trop ». Ainsi hier soir, je visionne des captures d’écrans concernant Tadla, une photographie parue dans Excelsior du 14 juin 1913 s’affiche (Source, retronews.fr), et je vois ce que je n’avais jamais vu. Après la deuxième prise de la casbah de Tadla, le 07 avril 1913, les troupes françaises décident de faire de Kasba-Tadla, un poste militaire. L’aménagement de la casbah commence.
Charles de Foucauld dans sa description historique de cette casbah en 1883 parlait d’une double enceinte. Un ami tadlaoui m’affirmait que cette double enceinte appartenait au domaine de l’affabulation, Charles de Foucauld n’avait ni vu la mosquée sahélienne, ni Al Manzah, et il inventait une double enceinte avec entre les deux, une « rue ».
Que montre cette photographie reprise dans L'Afrique du Nord illustrée : journal hebdomadaire d'actualités nord-africaines : Algérie, Tunisie, Maroc, du 21 juin 1913 (Source, gallica.bnf.fr / BnF) ? Une photographie légendée, « une explosion opérée pour l’aménagement de la casbah de Tadla ». Cette photographie, déjà publiée sur des sites consacrés à Kasba-Tadla, montre le minaret de la mosquée almohade, de la fumée - l’explosion. Elle est prise de l’espace entre les deux mosquées, le rempart Nord est visible sur la gauche de la photographie. Entre le rempart Nord et le minaret, un haut mur, inexistant aujourd’hui. À Meknès ce type de double enceinte existe. Ce haut mur doublant le rempart extérieur, séparé de lui par une « rue » représente peut-être une preuve que Charles de Foucauld n’inventait pas. La partie de la casbah de Tadla, où s’aventure Charles de Foucauld en 1883, possédait une « double enceinte » sur une portion dont le périmètre reste à délimiter. Les transformations de la casbah s’étalèrent sur des dizaines d’années ; la casbah ne fut vidée de ses habitants (militaires) qu’au cours des années 2000.
Les aménagements de 1913 générèrent des tonnes de gravats qui durent prendre un temps considérable pour être évacués ; par quels moyens et où furent-ils « stockés » ?
© Copyleft Q.T. 07 octobre 2025
On pense le temps des surprises, des découvertes, terminé. On part d’un pas guilleret le long de la rive droite de l’Oum er-Rbia au niveau du Nouveau Pont. On se retourne pour le photographier. 18°C, vent du Sud brassant un air frais tempérant un peu l’ardeur solaire. On suit au plus près l’oued, vieilles maisons, rues pavées, une fontaine fonctionnelle. Une femme étend du linge, un jeune homme arrive à la fontaine avec une bassine et des vêtements, il entame sa lessive. Un cheval noir mâchouille à proximité. On poursuit vers Sidi Boukil où le futur jardin s’organise, déjà beaucoup de bancs coulés. Oued en pause depuis notre arrivée. Chaque jour depuis les fameuses premières pluies de 2025 le niveau de réserve des barrages marocains baisse, ou s’il remonte (fonte du peu de neige tombée) pour le Bassin de l’oum er-Rbia, cela reste cosmétique. On franchit le barrage avant de grimper la raide pente aboutissant à Sidi Mohammed el Bouhali ou Sidi Ahmed el Bouhali selon les documents. Magnifique point de vue sur la face Ouest de la casbah, le Pont portugais, l’Oum er-Rbia et le barrage. On pénètre dans l’enceinte en piteux état de la casbah par une tour effondrée en face Sud. On soupçonne des travaux de déblaiement en cours mais intermittents (traces d’engins de chantier) ; de même les tuiles vernissées vertes explosées qui jonchaient la « cour » de la mosquée Almohade ont été enlevées. On s’aventure dans de nouveaux recoins, on photographie, on recompte les silos (18) dont les plus proches des accès sont souillés de détritus, etc. On voit que la porte d’accès murée au minaret de la mosquée Almohade est déjà en partie ouverte, défoncée. On se dit que les plans, les descriptions précédemment vus clochent, tellement les rajouts en parpaings, qui semblent moins résister que les murs en « pisés » d’origine, défigurent le site et en rendent l’interprétation complexe. On découvre comme une trace de porte sur la muraille Est. On dérange des chats dans une tour de la muraille Sud et on s’aperçoit que le chemin de ronde déjà peu large se réduit de moitié au niveau des tours. On se demande combien de temps faudra-t-il attendre pour une réhabilitation complète du site, et combien de millions de dirhams faudra-t-il sortir ? Cela devra commencer par un nettoyage intégral du site, tant certains secteurs évoquent une décharge. Et dans le même temps, on se dit que tout cela suit le cours de l’Histoire, que toutes ces murailles en caillasses et terre compactée retrouveront inexorablement le chemin du sol, c’est leur chemin, comme le notre se termine par le cimetière.
Album photos, ici
© Copyleft Q.T. 16 janvier 2025
Depuis plusieurs années une seule porte permet d’accéder à l’enceinte de la casbah, celle située à l’extrémité Ouest des remparts Nord, boulevard Ahmed El Hansali (le tueur du Tadla, voir par ailleurs). L’état de certaines parties de la casbah rend la visite dangereuse. La présence d’éboulements instables, d’étrons humains, d’éclats de bouteilles de verre demandent d’être vigilant.e aux placements des pieds. Le tour des murailles par l’extérieur exige également de l’attention, présence semble-t-il de scorpions le long des remparts Sud et Ouest.
Ceci écrit, il faut y entrer maintenant avant que les autorités locales décident de murer l’accès à certaines parties, voire à la totalité du site, pour raisons légitimes de sécurité.
Il faut bien avoir conscience que architecture initiale remaniée par l’occupant, dès 1913, puis par les familles qui y logèrent jusqu’au début des années 2000, n’apparaît bien souvent pas. Mohamed Choukri consacra une partie de son mémoire de fin d’étude à cette casbah (mémoire non disponible sur Internet ou en bibliothèque). Choukri Mohamed, Qasba Tadla : Étude des monuments historiques, Mémoire de fin d’études de 2ème année du IIème cycle de l’Institut National des Sciences de l’Archéologie et du Patrimoine (INSAP), Rabat, 1992 (deux volumes).
Les silos : ils se déploient à l’extrémité Ouest de la casbah ; 18 silos qui servirent peut-être lors de la colonisation de prison, du moins c’est ce que racontent beaucoup de tadlaouis rencontrés sur place. Leurs dimensions impressionnent (mesures personnelles sur un silo ; tous les silos semblent identiques) : 3,70 mètres de large ; 7,60 mètres de long ; 4,35 mètres de haut, soit un volume approximatif de 110 m³ ; au sommet des voûtes les orifices de ventilation circulaires que l’on peut observer plus précisément en montant, avec prudence, sur le toit des silos. (A sur la photographie satellitaire)
Mosquée sahélienne : c’est la grande mosquée, construite par un des fils de Moulay Ismaïl, Moulay Ahmed Al-Dahabi ; accès interdit aux non- musulman.es ; ouverture (comme toutes les mosquées tadlaouïas) au moment des prières) en faire le tour, admirer son architecture ; Charles de Foucauld ne la mentionna pas, ne la vit pas. Elle eut de multiples fonctions (hôpital, T.S.F., infirmerie) durant la période coloniale avant de retrouver son statut de mosquée et d’être restaurée au début des années 2010. (B sur la photographie satellitaire)
Vues sur l’oued depuis les remparts Sud : franchir une porte et avancer en zigzaguant entres les divers détritus vers la pièce qui domine l’oued et le barrage de dérivation ; très belle vue. (C sur la photographie satellitaire)
Vue plongeante sur le redan et accès à une portion du chemin de ronde : un escalier en béton permet d’accéder à un toit où le redan qui plonge vers l’oued se révèle, magnifique ; la légende veut qu’une échappatoire existait permettant de s’extraire de la citadelle par un souterrain débouchant rive gauche de l’oued. Ne pas oublier de se retourner pour admirer la casbah. Le même escalier donne accès, à gauche en montant, à une portion du chemin de ronde, avec ses meurtrières. (D sur la photographie satellitaire)
Prison : son entrée avec escalier est recouvert d’une dalle de béton. (E sur la photographie satellitaire)
Dar el-Maghzen : de plus en plus délabrée, effondrée, son accès sera probablement bientôt obstrué. Avancer avec grande prudence, admirer les solives des très hauts plafonds, le patio défiguré par les constructions « modernes », un escalier permet de se retrouver sur les toits où il est assez imprudent de s’aventurer trop loin. (F sur la photographie satellitaire)
Mosquée almohade : construite par Moulay Ismaïl ; restaurer au début des années 2010, elle subit les assauts des vandales (tags), des pigeons, et du temps car, probablement, les travaux de restaurations furent cosmétiques ; une porte en bois donnait accès à l’escalier pour grimper quasiment en haut du minaret de cette mosquée, mais suite à un accident mortel, parait-il, cette porte est dorénavant obstruée par des parpaings mais les vandales agissent déjà … ; très belle architecture. (G sur la photographie satellitaire)
Poste de garde de l’entrée originelle : au niveau de la porte originelle qui apparaît sur des photographies, dès 1913 ; porte empruntée par Charles de Foucauld. (H sur la photographie satellitaire)
« Rue » cité par Charles de Foucauld : la fameuse « rue » de Charles de Foucauld, moins large qu’annoncée (6 à 8 mètres pour Charles de Foucauld), qui est en réalité un espace entre l’enceinte (pas de double enceinte dans la casbah) et une partie des constructions ; dans l’angle Sud-Est une porte ouvragée donnait accès à la tour Sud-Est (I sur la photographie satellitaire)
Tour Sud-Est : très délabrée, impossible d’y monter (escalier bétonné en partie détruit) ; son mur Sud est stabilisé par des rails en ferraille maintenant des plaques de béton (J sur la photographie satellitaire)
Écuries : « porte » encombrée de gravas pour y pénétrer, là aussi la prudence est de rigueur (K sur la photographie satellitaire)
Tours de la casbah : il peut s’effectuer soit au plus près avec les précautions mentionnées en introduction ou distancié pour avoir des vues élargies sur l’édifice, vues depuis le pont portugais, le barrage (rive gauche de l’Oum er-Rbia). (voir itinéraires sur photographies satellitaires)
Tour avec points de vue (description sommaire) : démarrer à l’extrémité Sud de la Place de la Liberté (ex Place de France), longer la muraille Est de la casbah, traverser l’ancienne place du souk – grande mosquée de Zraïb, à gauche –, point de vue sur le Monument, l’Oum er-Rbia et le quartier el-Mers, à côté d’une fontaine ; prendre la rue goudronnée qui descend et longer l’Oum er-Rbia jusqu’au nouveau pont et le franchir pour longer, par un chemin passant à proximité d’un terrain de foot, l’Oum er-Rbia sur sa rive gauche, en contre-bas du quartier el-Mers ; un chemin bien marqué sur une vire dominant l’oued aboutit à proximité du barrage – points de vue sur la casbah qui se reflète sur l’eau ; retourner sur ses pas et prendre une sente aérienne très visible, qui franchit un minuscule ressaut rocheux en s’élevant au dessus de l’oued – attention à ne pas glisser ; longer vers l’Ouest un grillage, en face le camp Sud – « caserne des skieurs » (photographier un camp militaire est interdit), on arrive sur la route qui descend vers le pont portugais ; avant le pont une ouverture dans le grillage permet de descendre via un « jardin » poussiéreux jusqu’à l’Oum er-Rbia ; franchir le pont portugais ; retrouver la rive droite de l’oued, grimper rudement vers un marabout – point de vue sur la casbah –, redescendre, franchir le barrage au pied du redan (escaliers) ; à droite « jardin » et Sidi Boukil, remonter tranquillement par une rue avec des murs peints pour retrouver l’ancienne place du souk.
Bonne visite
Photographies, ici
© Copyleft Q.T. 21 juillet 2024
« La Qaçba proprement dite, bien conservée, est de beaucoup ce que j'ai vu de mieux au Maroc, comme forteresse. Voici de quoi elle se compose : 1° d'une enceinte extérieure, en murs de pisé de 1,2 m d'épaisseur et de 10 à 12 mètres de haut ; elle est crénelée sur tout son pourtour, avec une banquette le long des créneaux ; de grosses tours la flanquent ; 2° d'une enceinte intérieure, séparée de la première par une rue de 6 à 8 mètres de large. La muraille qui la forme est en pisé, de 1,5 m d'épaisseur ; elle est presque aussi haute que l'autre, mais n'a point de créneaux. Ces deux enceintes sont en bon état : point de brèche à la première ; la seconde n'en a qu'une, large, il est vrai : elle s'ouvre sur une place qui divise la qaçba en deux parties : à l'est, sont la mosquée et dar el makhzen ; à l'ouest, les demeures des habitants : les unes et les autres tombent en ruine et paraissent désertes. » Charles de Foucauld à Kasba-Tadla, 17 et 18 septembre 1883 (Reconnaissance au Maroc (1883-1884), (livre personnel, LES INTROUVABLES, ÉDITIONS D'AUJOURD'HUI, mars 1985, également disponible sur gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France) (reconnaissance OCR avec corrections manuelles, orthographe des noms propres respectée)
Depuis le passage de Charles de Foucauld, guides livres articles reprennent cette description sans en vérifier l'exactitude, et pourtant ... l'extension Ouest avec les silos ne figure pas sur son plan. « elle est crénelée sur tout son pourtour » sauf au niveau de la porte d'entrée originelle (porte 2) que de Foucauld localise de façon inexacte : cette porte est située au niveau d'une « tour ». La double enceinte résulte d'une observation partielle de la casbah. S'il s'avère exact que la proximité avec les remparts, de constructions comme Dar el Maghzen, donne le sentiment de l'existence d'une deuxième enceinte séparée de la première par une rue moins large que ce qu'avance de Foucauld, cette deuxième enceinte au sens strict n'a jamais existé, les premières photographies, 1913, de l'intérieur de la casbah, prises du haut du minaret de la mosquée almohade ou aériennes, le démontrent. L'existence d'une séparation entre les parties Est et Ouest est probable, les mêmes photographies, évoquées ci-dessus en suggère l'existence.
« murs de pisé » dit de Foucauld. Actuellement les remparts (côté Sud et Ouest) qui n'ont pas subis la « réfection », l'embellissement de 2008/2009, affichent plutôt une composition proche d'un conglomérat avec de grosses pierres, même si la technique utilisée pour leur édification fût probablement celle du pisé. La réfection du rempart Nord avec des briques en pisé au sens strict est loin d'être une réussite. Aujourd'hui, une tour est totalement effondrée sur le rempart Sud, une autre partiellement effondrée rempart Nord en 2018, (les gravas mirent longtemps à être enlevés) et la partie Ouest est en très mauvais état. Des fentes, annonciatrices de désordres futurs, zèbrent remparts et tours ; on observera également sur la face Sud de la tour du coin Sud-Est le soutènement en béton réalisé en 2019.
« une banquette le long des créneaux », cette banquette à laquelle on peut accéder au niveau du redan, est étroite, 70 à 80 centimètres de large, cela se voit bien sur d'anciennes cartes postales où des soldats sont assis sur cette banquette.
Extrait d'un article disponible sur Internet, LE MATIN du 02 juin 2019
L'abandon par les autorités des sites archéologiques de Tadla-Zayane menace la mémoire de la région
« La mémoire historique de la région de Béni Mellal-Khénifra est exposée au risque de disparition si les responsables n'agissent pas pour remédier à cette situation et réhabiliter ces sites à travers des projets intégrés dans le développement local, régional et national », a affirmé l'historien et chercheur El Mustapha Ben Khalifa Arbouche, estimant qu'il est inconcevable qu'un touriste traverse la distance séparant Fès et Marrakech sans trouver les infrastructures et les conditions nécessaires pour le développement d'un tourisme culturel et naturel à même de transformer la région. Ce potentiel civilisationnel, étant une pierre angulaire du développement économique et un pilier essentiel du développement durable de la région, nécessite d'être inclus dans les programmes et les projets de tourisme culturel, de sorte à faire de ce potentiel un lieu d'attraction touristique et culturelle, a-t-il indiqué. « À travers la restauration des sites du patrimoine, ainsi que la mise en place d'installations de base et d'infrastructures de services comme les hôtels, les parcs, les espaces publics, les restaurants, etc., le développement du tourisme culturel dans la région aura un impact positif sur les plans économique et social et permettra de valoriser et de réhabiliter le patrimoine de la région en tant que composante de l'identité marocaine », a estimé M. Arbouche.
Commentaire : On attend avec impatience une restauration pérenne de la casbah ; l'altération, au sens géologique du terme, comme la rouille, ne dort jamais. Le jardin ALKASBA le long du rempart Nord réalisé en 2010 reste agréable, mais on voit bien que lentement les aménagements (bancs par exemple) se dégradent.
© Copyleft Q.T. 13 avril 2023
La consultation d'un dictionnaire indique citadelle comme équivalent français d'une casbah, le même dictionnaire Larousse donne comme définition de citadelle : ouvrage fortifié indépendant servant autrefois de réduit pour la défense d'une place importante.
La description de Kasba-Tadla par Charles de Foucauld en septembre 1883, description reconnue comme fiable, et pourtant, ainsi que le plan qu'il esquissa de la localité permettent de classer la casbah de Tadla dans la case citadelle, au sens du Larousse.
Le numéro « spécial » du journal L'ÉCONOMISTE, de novembre 2010 (disponible sur Internet) et sous-titré UNE DYNASTIE, UN RÈGNE, BÂTIR UN ROYAUME, propose un article, page 20, instructif (copie d'écran, puis reconnaissance OCR avec corrections manuelles et respect de l'orthographe des noms propres) :
Comment construire une bonne kasbah (1) ?
Urbaine ou rurale, la kasbah possède des caractéristiques distinctes qui en font un édifice unique.
Tout d'abord, celle-ci est constituée de murs d'enceinte en pisé. Ceux-ci peuvent atteindre une épaisseur de 1m70 (2). Si ces murailles sont fragiles en apparence, le mélange de terre, de chaux et de paille qui les constitue leur donne une très grande résistance, notamment du fait d'une méthode de tassage particulière. En atteste la muraille de la ville de Rabat. Une muraille qui a causé bien des soucis au protectorat français. En effet, une fois la ville soumise, il fut décidé d'ouvrir des passages à travers les murs d'enceinte, près de Bab el Hed, notamment. On pensa qu'il suffisait de taper dessus ... sans succès. Au final, il a fallu truffer le mur de dynamites.
Autres caractéristiques des kasbahs, celles-ci ont une forme carrée ou rectangulaire et sont flanquées de tours aux quatre coins de l'édifice. Cependant, selon la longueur du mur, le bâtiment peut être doté de 4, 9 ou 16 tours ... voire plus (3).
La kasbah ne doit avoir qu'une seule et unique porte. Pour des raisons militaires évidentes.
Par ailleurs, ces édifices devaient impérativement être autonomes pour ce qui est de l'approvisionnement en eau. De fait, ceux-ci se trouvent généralement près de cours d'eau ou de fleuves. Autrement, des puits sont creusés à l'intérieur, pour soutenir de longs sièges sans avoir besoin d'être approvisionnés en eau de l'extérieur.
1 : CASBAH ou KASBAH nom féminin (arabe qasba, forteresse). Palais, principal édifice d'une ville. Dans l'Afrique du Nord, citadelle et palais d'un souverain, et, aussi, parties hautes et fortifiées d'une ville : Qu'on s'éloigne ou que vienne le soir, et le magique Orient refait aussitôt ses prestiges sur la kasbah des Oudayas (Tharaud). Populaire : Maison. (Grand Larousse Encyclopédique en dix volumes, années 1950, exemplaire de mon père scanné, reconnaissance OCR avec corrections manuelles).
2 : 1m20 pour l'enceinte extérieure et 1m50 pour l'enceinte intérieure de la casbah de Tadla selon Charles de Foucauld.
3 : 20 tours pour la casbah de Tadla ; sur son plan de QAÇBA TADLA Charles de Foucauld en figure 17.
Commentaires :
« La kasbah ne doit avoir qu'une seule et unique porte. », précision importante qui confirme mon sentiment que le terme casbah, du moins dans certains cas – casbah de Tadla par exemple –, équivaut à un château-fort médiéval, une structure défensive, plus qu'à une citadelle. En toute logique la casbah de Tadla ne devait posséder à l'origine qu'une seule entrée, comme sur le plan dressé par Charles de Foucauld – même si la formulation utilisée sur son plan invite au doute.
Aujourd'hui, on note la présence de, au moins (1), sept ouvertures : deux au niveau des remparts Nord, deux au niveau du rempart Est, trois pour le rempart Sud ; une seule reste ouverte, celle de l'extrémité Ouest du rempart Nord, avenue Ahmed El Hansali.
« Par ailleurs, ces édifices devaient impérativement être autonomes pour ce qui est de l'approvisionnement en eau. ». C'est, probablement, le cas de la casbah de Tadla avec son redan qui plonge vers l'Oum er-Rbia contrôlant ainsi la circulation le long de l'oued, circulation importante attestée par de nombreuses anciennes cartes postales et assurant plausiblement un approvisionnement en eau sécurisé, mais ce dernier point demande vérification et étude archéologique approfondie – mais peut-être que cela a déjà été mené.
Aujourd'hui, l'état de délabrement des remparts, avec deux effondrements majeurs (remparts Sud et Est), permet d'accéder à l'enceinte de la casbah sans emprunter les portes. Ceci étant écrit la présence de ces nombreuses ouvertures a dû nécessiter un travail important comme le signale l'article de L'ÉCONOMISTE.
Charles de Foucauld présente un plan de QAÇBA TADLA, avec une casbah à une porte, « porte principale de la première enceinte » - légende lourde d'implicites, peut-être -, la porte 2 (voir ci-dessous), mais par ailleurs son plan est faux car la casbah possède 20 tours le long des remparts et Charles de Foucauld en zappe 3, comme il shunte l'extension étroite de la casbah, vers l'ouest, les « silos » ; si à ces erreurs on rajoute la non observation de la mosquée sahélienne, la figuration d'une double enceinte imaginaire sur l'ensemble de la casbah, ces approximations jettent un sérieux doute sur la fiabilité de certaines descriptions faites par Charles de Foucauld sur Kasba-Tadla et le reste de son périple marocain. Et dans le même temps je le comprends. Souvent nous focalisons sur un point d'un ensemble, sans voir d'autres détails, comme si l'image de ces derniers arrivait sur le point aveugle de la rétine ; ainsi j'ai failli ne pas voir la porte 5, et en 2021 sorti pour photographier la porte 3 je vis pour la première fois la porte 4, murée ; voir aussi note 1 ci-dessous. Preuve que souvent on voit que ce que l'on cherche à voir, piège cognitif dans lequel nous enferment les guides touristiques, ainsi on consacre du temps à chercher ce qu'on nous dit qu'il faut impérativement voir, sans voir le reste, immense, voire plus important.
1 : une photographie personnelle d'octobre 2014, le long du rempart Sud, montre les traces d'une porte murée qui ne correspond pas du tout à la porte 5 ; et une photographie de 2022 montre quelques mètres à gauche de la porte 5 murée, une autre ouverture, la 6, (porte en bois, linteau en bois).
Porte 1 : La photographie A (écrite le 28 janvier 1916) évoque par la présence d'un chemin, l'existence de la porte située à l'extrémité Ouest du rempart Nord (flèche rouge) ; porte visible en 1922 (LE MONDE ILLUSTRÉ, n° 3376, samedi 02 septembre 1922) (Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France), photographie C, dont la légende « la grande Porte » suggère l'existence d'au moins une autre porte ; porte également visible sur des cartes postales du « cimetière français », parfois datées de 1916, photographie E. Par contre sur la photographie B qui semble antérieure à la A du fait de la présence de nombreuses ruines au premier plan, aucune porte ne semble visible au niveau des tours de la muraille Nord. De plus les premières photographies de l'intérieur de l'enceinte (1913) montre au niveau de la porte 1, un amoncellement de constructions qui semble incompatible avec la présence d'une porte « monumentale », photographie D. La porte 1, seule porte d'entrée, aujourd'hui.
Tout cela suggère une ouverture de la porte 1 entre la prise de la casbah le 07 avril 1913 et fin 1915.
Porte 2 : Probablement la porte originelle de la casbah, celle que l'on retrouve sur les premières photographies de la casbah avec, par exemple, la légende « COLONNE TADLA – Juin 1913 – Entrée de la Casbah Tadla » Porte murée depuis au moins 2016. On peut y voir dans la tour qui l'abrite, côté enceinte, ce qui semble être les restes architecturaux d'un poste de garde.
Les photographies disponibles sur le site Gallica de la Bibliothèque Nationale de France, celles attribuées à Raymond Lavagne, 1913, présentent une résolution remarquable et la fonction « zoom » permet de visualiser des détails (nombre de boutons d'une vareuse par exemple ...) ; téléchargées, ces images perdent une grande partie de leurs potentialités.
Porte datant de la « construction officielle » (1) par Moulay Ismaïl vers1687 et son fils Ahmed Ed Dehbi vers 1700, de la casbah.
1 : officielle, car souvent, l'histoire officielle marocaine démarre avec la dynastie alaouite ; d'autres sources attestent de la présence d'une place forte au Tadla avant l'arrivée au pouvoir des Alaouites.
Porte 3 : Sur le rempart Est, dont on note la présence sur une carte postale écrite le 08 septembre 1938 (au verso « Faisons un très veau voyage, très intéressant. Le temps est magnifique, pas trop chaud. Nous partons d'ici pour Marrakech où nous resterons 2 ou 3 jours. » - ici ne signifie pas forcément Kasba-Tadla) n'apparaît pas sur un plan de masse de la casbah en date de 1953. Quand on en parle avec des tadlaoui.e.s, ils la visualisent à peine alors qu'elle trône devant eux dans cette rue très passante et qu'à son niveau une brocante est permanente.
Les dates d'écriture de différentes cartes postales laissent penser à une ouverture de la porte 3 dans les années 1930.
Porte4 : Sur le rempart Est. Je n'ai pas trouvé de photographie ancienne avec la porte 4, permettant un calage chronologique.
Portes 5, 6 et 7 : Sur le rempart Sud. Ces trois portes sont proches (voir photographies). Comme signalé antérieurement, je découvre par hasard sur des photographies personnelles ces portes, ne les ayant pas vues au moment de photographier, le syndrome de de Foucauld. Seule la porte 6 semble être visible sur des cartes postales anciennes. Comme pour d'autres portes, les cartes postales anciennes affichant une date (tampon postal ou écriture) et sans oublier la règle, « une carte postale est toujours antérieure à sa date d'écriture ou d'envoi », permettent de dire que la porte 6 existait avant 1921.
Deux portes énigmatiques :
Une carte postale écrite en 1915 annonce : « CASBAH TADLA – Porte d'entrée de la Casbah ». Une carte quasi identique écrite en 1916 « 8 – Vue du Minaret Tadla ». Ces deux cartes présentent une photographie prise à l'intérieur de la casbah, le minaret de la mosquée almohade étant cadré à travers une « porte » qui semble avoir été, un temps, murée ; on aperçoit à gauche de la base du minaret le côté enceinte de la porte 2.
Enfin une porte identique apparaît en trois lieux différents Oued-Zem, Casbah Tadla et Bir Mezoui (12 km à l'Ouest de Oued Zem, sur la RN 12 qui file vers Khouribga et Berrechid) ; cette vue fut peut-être prise par Raymond Lavagne, sa date est quasi certaine, le 17 mars 1913 (voir le Recueil de photographies du colonel Mangin au Maroc, avec des légendes de la main de son épouse) ; étonnamment le même site sérieux et officiel (Gallica) propose pour la même photographie des lieux différents, cela doit être une performance de l'intelligence artificielle.
L'enquête continue pour essayer d'établir une chronologie plus précise de l'apparition de ces portes. Cela ne veut pas dire que je vais chercher tel un forcené, simplement au hasard d'autres découvertes, lectures, des indices apparaîtront, peut-être, confirmant ou infirmant cette brève histoire de portes.
Album photographique : ici
Ajout, avril 2023 : on peut ajouter 3 portes de factures plus récentes : une en bas du redan (coté Est), une dans l'angle formé par le rempart Sud et le redan (coté Ouest) et une au niveau d'une tour (angle rempart-tour) rempart Sud.
© Copyleft Q.T. 14 mars 2023