La recherche sur Al Manzah semblait être en pause et puis je pars traînasser sur un site, celui des archives diplomatiques, https://archivesdiplomatiques.diplomatie.gouv.fr/, et y découvre au fond d’une page, un onglet deux plans de Kasba-Tadla, datés entre octobre 1932 et octobre 1933, plans au 1/5 000° ; ces plans peuvent se rabouter pour avoir une vision complète de la partie Sud de la ville, manque la partie Nord, pour l’instant, restons optimiste comme Macron. Ces plans appartiennent situés dans, Série géographique : plaques de verre (ce qui explique certains artefacts) sont exceptionnels même si leur résolution est faible.
Sur ce plan, on distingue nettement le Pont Portugais, la casbah, le barrage de dérivation de l’Oum er-Rbia, mis en service en 1931, le Camp Sud (Camp Picard) quasiment identique à aujourd’hui en terme de surface, le cimetière israélite, le cimetière européen, un ancien cimetière rive droite de l’Oum er-Rbia au Sud de Sidi Boukil, la route qui relie Kasba-Tadla à Beni Mellal et Al Manzah.
Premièrement, la route reliant Kasba-Tadla à Beni Mellal dont je pensais qu’elle contournait par l’Ouest le Camp Sud, suivant le trajet de l’actuelle RP3211 en direction de Ouled Saïd. Le plan présenté ici montre très nettement que cette route reliant Kasba-Tadla à Beni Mellal passe à l’Est du Camp Sud, donc « loin » d’Al Manzah, ce qui peut expliquer que Prosper Ricard ne parla pas de cet édifice qu’est Al Manzah, dans le Guide Bleu de 1919, voir sur cette page, Al Manzah, une invisibilité (suite), même si Prosper Ricard précise « À la sortie du pont, la piste de droite est celle de Beni Mellal, celle de gauche conduit au camp Sud, établi sur la hauteur de la rive gauche dominant le fleuve et la kasba. », sauf à supposer, et c’est quasi improbable, qu’en 1919 la piste de Kasba-Tadla à Beni Mellal suivait un trajet différent de celui de la route de 1932/1933 entre Kasba-Tadla et Beni Mellal.
Deuxièmement, Al Manzah, apparaît ici avec des murs d’enceinte quasiment complets. Le mur A, en rouge sur le schéma, scindant l’enceinte en deux semble très hypothétique ; si les photographies satellitaires semblent montrer des traces d’anciens murs, elles ne montrent pas de traces tangibles de ce mur, mais tout reste possible.
Même si sur le plan de 1932/1933, Al Manzah n’est pas mentionné le simple fait qu’il y soit tracé est une preuve solide de son existence passée.
© Copyleft Q.T. 25 décembre 2024
En changeant les termes d'une recherche, on arrive à des résultats différents qui parfois aboutissent à de merveilleuses surprises, en voici une. Il faut ici remercier la bibliothèque municipale de Lyon qui possède quelques millions de documents, ainsi j'ai eu pour plusieurs semaines un livre savant, Jardins du Maroc. L'espoir de trouver un document ancien sur Al-Manzah s'il reste ténu n'en demeure pas moins vivace, avec cette hypothèse farfelue que ce document existe parce qu'Al-Manzah fut à un moment nommé autrement.
Jardins du Maroc, Irène MENJILI-DE CORNY, préface d'Ahmed SEFRIOUI, Le Temps Apprivoisé, Paris 1991, (document de la bibliothèque municipale de Lyon, photographié, reconnaissance OCR avec corrections manuelles, orthographe des noms propres respectée, sauf l'accentuation, clavier inadéquat)
Les belvédères ou manzah (1)
Les manzah (ou menzeh) sont des annexes d'habitation qui s'élèvent généralement au-dessus de l'ensemble d'une maison. Les gens de Fès, décrit Léon L'AFRICAIN : « ... ont coutume de faire une tour sur leur maison, où sont des chambres fort commodes et aisées, auxquelles les femmes viennent se recréer lorsqu'elles sont ennuyées du travail de l'aiguille, à cause que de la sommité d'icelles, on peut facilement découvrir tout le pourpris de la cité ».
Le manzah, pavillon d'agrément surélevé, ou belvédère, est d'autre part un élément caractéristique du riyad (2) des grandes demeures citadines du Maroc. Il s'agit de constructions en maçonnerie (parfois de kiosques en bois) réduites à un seul niveau dans les maisons bourgeoises, et pourvues d'un étage avec véranda dans les palais. Le manzah est toujours dans un contexte agreste (Dar al-Madrasa et Ksar al-Muhannasha à Meknès). D'une tout autre manière, certains kiosques peuvent être conçus comme un belvédère et se situer sur une partie haute dominant le jardin ou les environs (manzah du Jnan el-Redwan et son kiosque construits à Marrakech en 1862-1863 J.-C.).
(1) Manzah : Belvédère, pavillon surélevé.
(2) Riyad (pluriel Rawd) : Jardin intérieur clos, de plaisance, irrigué, avec des parterres fleuris.
Munya : Propriété de plaisance et de rapport dans la campagne, aux abords de la ville.
Arsa : Jardin d'agrément. A Marrakech : petit verger, potager ou jardin dans la Casbah. A Fès tous les jardins situés à l'intérieur des remparts.
Jnan (arabe dialectal) : Grand jardin ; jardin clos avec oliveraie ; jardin non arrosé, sans noria.
Masriya : Chambre haute au Maroc ; pièce à l'étage avec une entrée indépendante par un escalier ; garçonnière.
Commentaires : si on s'en tient au vocabulaire de l'autrice, le terme de menzeh pour l'édifice tadlaoui Al-Manzah semble inapproprié, nous serions plutôt en présence d'une munya, l'enceinte abritant un jnan, les oliviers étant sobres, le problème de l'apport d'eau est ainsi réglé ; on peut penser qu'au moment de son édification l'Oued Zemkil n'était pas réduit à une bande de sable argileux comme c'est le cas aujourd'hui (j'ai signalé par ailleurs que Charles de Foucauld lors de son trajet de Kasba-Tadla à Taghzirt avait dû traverser cet oued mais n'en faisait pas mention, est-il à sec en cette fin d'été 1883 ?). Cette hypothèse, munya et non menzeh, restera une hypothèse personnelle. Le livre d'Irène MENJILI-DE CORNY permet d'imaginer que l'étude archéologique déjà publiée, ne faisant pas référence à ce livre serait antérieure à 1991 et postérieure à 1988, le livre de HUET (K) et LAMAZOU (T), Sous les toits de terre, cité dans cette étude étant paru en 1988 ; mais l'auteur.rice de l'étude archéologique n'avait peut-être pas connaissance de ce livre, Jardins du Maroc.
Après discussion avec un ami tadlaoui qui me confirma ce que soupçonnais depuis quelques mois, à savoir que Mohamed Choukri est l'auteur de l'étude archéologique sur Al Manzah, et découverte d'une étude sur le Tadla (en arabe) qui fait référence à un mémoire de Mohamed Choukri, « Choukri, M., Qasba Tadla : Étude des monuments historiques, Mémoire de fin d’études de 2ème année du IIème cycle de l’Institut National des Sciences de l’Archéologie et du Patrimoine (INSAP), Rabat, 1992 (deux volumes). », l'étude archéologique publiée ici sur Al Manzah date de 1992. (ajout 01/08/2023)
Ce livre, Jardins du Maroc, sème aussi de nombreux doutes sur la nature et la fonction de l'édifice Al-Manzah, qui semble d'une banalité extrême loin des descriptions des pavillons de plaisance qui affichaient une certaine luxuriance. L'enquête se poursuit.
© Copyleft Q.T. 02 juin 2021 modifié le 01 août 2023
FEZ ou LES BOURGEOIS DE L'ISLAM par Jérôme et Jean THARAUD. Revue des deux mondes : recueil de la politique, de l'administration et des mœurs. Janvier 1930. (Source gallica.bnf.fr / BnF) (reconnaissance OCR et corrections manuelles, orthographe des noms propres respectée)
On voit encore, dans cette Fez Djédid, de grands espaces pleins de verdure et d'ombre. Là, un Fassi peut avoir son jardin, construire un de ces pavillons que l'on appelle des menzeh. On y vient, le matin, à la fraîcheur, sur sa mule ; l'esclave apporte le brasero, le charbon, le soufflet, le plateau pour le thé, voire les ragoûts et les poulets préparés à la maison ; on y passe toute la journée, on y cause avec des amis, on y fait venir la chirât (1) ; quelquefois, on y amène ses enfants et ses femmes, mais on n'y construit pas sa maison.
(1) Chanteuse.
Commentaires : les frères Tharaud qui écrivirent beaucoup sur les mœurs marocaines donnent à voir une « utilisation croustillante » du menzeh fassi.
La ville du silence, Excelsior, 29 juillet 1931. (Source gallica.bnf.fr / BnF) (reconnaissance OCR et corrections manuelles, orthographe des noms propres respectée)
Les Parisiens dont les nuits sont troublées par un bruit tenace et intense, ignorent sans doute que Le Maroc leur offre la compensation d'aller faire une cure de repos et de silence à Fez-le-Vieux, la cité antique, glorieuse et magnifique. Et s'ils ont la chance de trouver un petit manzah - pavillon entouré d'un jardin - dans le quartier d'El-Oyoun, par exemple, ils se croiront en paradis. Le jour, les autos passent au ralenti, la nuit tout bruit klaxonnant leur est interdit.
Commentaires : quel soulagement le terme « manzah » existe.
VOYAGE aux dernières citadelles de l'Islam, ÉTIENNE RICHET. Bulletin de la Société de géographie d'Anvers.1907. (Source gallica.bnf.fr / BnF) (reconnaissance OCR et corrections manuelles, orthographe des noms propres respectée)
OUEZZAN
Réveil dans l'Arsat-es-Sultan, où tous les Européens de passage à Ouezzan, reçoivent l'hospitalité du chérif. Dans un enclos planté d'arbres fruitiers, au milieu de parterres semés de fleurs et de légumes, une maison carrée ; à côté un bassin plein d'eau sur lequel s'ouvre une manzah, séparée des jardins par un mur ; c'est notre hôtellerie.
... Aussi, bien que le pavillon de l'Arsat-es-Sultan n'ait pas de plafonds resplendissants de dorures ; que les murailles ne soient pas décorées d'étoffes de soie ; qu'en guise de sofas et de moelleux coussins, nous n'ayons que nos lits de camp et nos selles, c'est là que je me cantonnerai jusqu'au départ, aussitôt après ma visite p. p. c. au chérif.
Commentaires : la consultation assidue et fatigante du site Gallica, mais aussi le hasard, aboutit à une recherche avec l'occurrence « manzah » qui offrit 1632 résultats (en réalité plus si on y intègre les multiples numéros de certaines revues) qu'il restait à visionner ; Étienne Richet utilise le terme, au féminin, de « manzah », alors que l'auteur.rice de l'étude archéologique sur Al-Manzah précise dans le premier paragraphe de cette étude « Il est désigné sous le nom d'Al-Manzah (d'al-Manazah), terme méconnu dans l'architecture locale, ce qui est déjà une importante indication. », « locale » étant entendu, ici, non comme tadlaouie mais marocaine, me semble-t-il ; « ma visite p. p. c. au chérif » demeure énigmatique.
JARDINS ET DEMEURES AU MAROC (1). Présentation du livre de Jean GALLOTTI. (Gazette des beaux-arts : courrier européen de l'art et de la curiosité. Janvier 1927. Source gallica.bnf.fr / BnF) (reconnaissance OCR et corrections manuelles, orthographe des noms propres respectée)
(1) Jean Gallotti, Le Jardin et la Maison arabes au Maroc. Deux volumes in-4°, 120 et 94 pages ; 160 figures dans le texte ; 136 planches en héliogravure. Éditions Albert Lévy, Paris [1926].
Le grand jardin qui s'étend en dehors de la cité, est, non pas un parc inutile, mais un verger et un potager, où la table du maître s'approvisionne de mets exquis, vierges de la pollution des marchés. Des légumes divers et, au-dessus, des arbres fruitiers, oliviers, orangers, citronniers, grenadiers, figuiers, y remplissent des carrés réguliers, que l'on irrigue à tour de rôle et que séparent des chemins, à la fois digues et chaussées. Mais, dans les limites qui lui sont assignées, toute cette verdure croit sans contrainte, échappant à la tyrannie du cordeau et du sécateur, répandant autour d'elle l'ombre et le frais. Sur les chemins mêmes, des tonnelles, que tapisse la vigne, jettent parfois leurs rangées d'arceaux. À Marrakech, de vastes bassins, qui servent à l'irrigation, forment d'éclatants miroirs d'argent. Un pavillon, le menzeh, c'est-à-dire « le lieu agréable », est un pied-à-terre, où l'on vient se délasser, souvent en folâtre compagnie. Là, plus de gène. Tandis que la maison de ville s'enferme dans ses murailles, le menzeh, avec ses fenêtres, ses balcons, ses loggias, ses portiques extérieurs, s'ouvre largement à la lumière, aux bienfaisants courants d'air, au spectacle du foisonnement des arbres, aux grands horizons inondés de soleil.
M. Gallolti nous fait ainsi parcourir un cycle de joies sensuelles, délicatement choisies parmi celles que la morale peut juger sans trop de sévérité.
STÉPHANE GSELL
Commentaires : « où l'on vient se délasser, souvent en folâtre compagnie », « un cycle de joies sensuelles, délicatement choisies parmi celles que la morale peut juger sans trop de sévérité », comme avec les frères Tharaud, on reste dans l'émoustillant moral ; quelle morale d'ailleurs ?
Quelques définitions glanées (sources : divers documents de la BnF consultables sur https://gallica.bnf.fr/ et livres disponibles sur https://archive.org/)
A : Menzeh, en arabe, désignerait un point élevé d'où la vue s'étend au loin - belvédère.
Menzher, arabe, pluriel menazhir, belvédère ; éminence, point qui domine les alentours.
B : Menzeh (arabe) (singulier masculin), Pavillon d'agrément dans un jardin. Mirador établi sur la terrasse d'une habitation, et dominant les alentours.
C : Lmenzeh, masculin. lemnazeh = mirador. Lieu agréable. Lieu où l'on peut se promener.
D : Menzeh, pluriel menazeh, appartement qui donne sur une terrasse.
E : Chambre haute. il existe encore une autre pièce, réservée exclusivement au maître dans les plus riches demeures. On la trouve, soit à l'étage, occupant un endroit isolé et tranquille bien éclairé et aéré, tel que l'encorbellement qui surplombe l'entrée avec sa fenêtre exceptionnellement ouverte sur la rue, soit, au niveau des terrasses, dominant le patio et les quartiers qui l'entourent. Cette chambre haute (kshuk) connaîtra, croyons-nous, sa plus grande vogue aux siècles suivants. C'est le lieu le plus retiré et le plus calme d'une luxueuse habitation, non le moins agréable ; ses nombreuses fenêtres ouvrant au Sud et à l'Est découvrent une vue étendue, depuis les terrasses étagées de la Médina, jusqu'au Bahira, aux collines de Sidi Bel-Hassen et de Sidi Bou-Saïd. L'aménagement intérieur de cette pièce intime y révèle autant de raffinement que dans le salon de réception auquel il emprunte ses divans, son décor mural de faïence et de stuc, son plafond et ses étagères de bois peint. Nul doute que le maître ne se réfugie dans cette retraite lorsqu'il désire se libérer des contraintes d'un entourage familial et domestique assez bruyant - mais que le poste d'observation constitué par le kshuk lui permet de surveiller aisément - Lieu de repos, de méditation, de lecture ou de divertissement rappelant ces pavillons que l'on élevait autrefois le plus haut possible dans les palais ou que l'on isolait au milieu des jardins (1).
(1) Palais et jardins hafsides de Ras al-Tabiya et d'Abou-Fihr ; à Alger un goût semblable se manifeste, à la même époque, pour l'édification de chambres hautes au-dessus des terrasses. Cf. G. Marçais, op. cit. En outre, les maisons de plaisance marocaines (menzeh) possèdent leurs pavillons élevés dans les jardins. Cf. 6° Cahier des Arts et Techniques ; J. Gallotti, op. cit.
F : Le nza ou le menzeh est le tas de pierres qui marque l'endroit où un homme est mort ; ces pierres sont tabou et ne peuvent être enlevées. On les trouve surtout là où un homme est mort de mort violente ou tragique ; chaque passant y porte sa pierre. Il y a des défilés mal famés où de nombreux kerkoûr commémorent des assassinats. L'usage (très répandu à toutes les époques) de jeter une pierre en passant sur un kerkour est ainsi expliqué par les Marocains : l'âme du mort hante le lieu du trépas et menace les passants ; il faut la chasser en jetant une pierre, comme on chasse un chien.
G : Menza, de mème que Rorfa, sont des expressions arabes fréquemment appliquées aux ruines romaines : le premier de ces mots se dit ici des chambres qui sont sur la terrasse d'une maison, et l'autre de celles qui sont entre la terrasse et le-rez-de-chaussée.
H : Menzah, arabe, logette, appartement sur une terrasse, belvédère ; se dit aussi, mais improprement, de la chambre qui se trouve au haut d'un édifice en ruines. Variantes : Menzèk, Menza.
Menzeha (El-), arabe, même signification que le précédent (Menzah).
I : Menzeh, observatoire, pavillon surélevé ; chambre des étages supérieurs
Commentaires : on devine la difficulté de traduire, d'écrire en caractères latins certains termes arabes et l'incertitude dans laquelle cela nous laisse, reste que menzeh semble systématiquement associé à « jardin » , à « horizon dégagé » et plaisirs sensoriels dont le « plaisir des yeux » si souvent entendu dans les souks de Marrakech.
© Copyleft Q.T. 26 avril 2021
La Géographie. Numéros 1-2, Tome XLVI, Juillet-Août 1926 (Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France) (reconnaissance OCR, corrections manuelles avec respect de l'orthographe des noms propres) (extraits)
ACTES DE LA SOCIÉTÉ DE GEOGRAPHIE - - - PROGÈS-VERBAUX DES SÉANCES
Séance du 22 janvier 1926. Présidence de M. le Général GOURAUD, Gouverneur militaire de Paris, Membre de la Commission centrale.
Sous la présidence de M. le général Gouraud, aux côtés duquel avaient pris place MM. Rodocanachi, de l'Institut, le professeur Gsell le professeur Augustin Bernard, MM. Barrère, Neveu-Lemaire, le colonel Sadi-Carnot, le Secrétaire général, etc. ; les Membres de le Société se sont réunis pour entendre une belle conférence de M. Jean GALLOTTI, inspecteur des Beaux-Arts au Maroc, hors cadre, Attaché au Commissariat général de l'Exposition des Arts décoratifs, sur JARDINS ET MAISONS DU MAROC.
Nous sommes heureux de reproduire ci-après le texte de cette conférence qu'illustrait une magnifique série de photographies. (1)
Les pavillons et les kiosques
En suivant, étape par étape, les progrès de la maison Marocaine issue du groupement de tentes pour aboutir au riad, nous en voyons l'évolution dominée par l'influence constante d'un même souci : la défense contre ce qui vient du dehors. De là, la cour et le jardin clos, le mur sans fenêtres et la riche décoration intérieure. La réclusion des femmes, cause de biens des particularités dans l'architecture, n'est elle-même qu'une conséquence de cette préoccupation.
Imaginons maintenant que les dangers s'écartent. Plus de voleurs, ni d'indiscrets ; plus de campagne sans bord, ni de rues tortueuses favorisant la fuite des esclaves ou l'approche des amants furtifs ; plus d'essaims de mouches à repousser. Qu'arrivera-t-il ? Le plan changera-t-il ? Ce mur aveugle, élément essentiel de la maison s'ouvrira-t-il enfin ?
Il s'ouvrira en effet.
Dans les capitales du Maroc, surtout à Marrakech et à Rabat, les remparts s'allongent pendant des lieues, entourant de vastes territoires dont les quartiers bâtis n'occupent qu'une faible partie. Des vergers, des arsats, ont pu croître dans ces enceintes, souvent protégés encore par des murs intérieurs.
Là, règne la sécurité, la fraîcheur, le silence. Et le plan de la maison s'y transforme naturellement. Il s'ouvre au vent, à la lumière; il cherche les échappées sur les grands horizons ; parfois même il s'invertit, mettant une pièce centrale à la place de la cour et s'entourant d'un portique extérieur. L'habitation est alors conçue selon les principes qui régissent la disposition de nos maisons d'Europe. Elle devient un pavillon : un Menzeh.
Mais avant d'étudier cette forme nouvelle d'habitation, il faut parler de ces jardins qui l'encadrent, l'abritent et, en quelque manière, la créent.
Les arsats sont des plantations de rapport ; conquête de l'irrigation, elles reçoivent la vie non de l'eau qui tombe du ciel mais de celle qui sort de terre.
Aussi les appareils hydrauliques y tiennent une grande place.
À Fez, ce sont de grandes roues à palettes qui trouvent, dans une rivière, à la fois la force qui les meut et l'eau qu'elles élèvent.
À Rabat et à Salé, ce sont des manèges de bois, des norias, tournés par un âne ou un mulet.
À Marrakech, c'est dans d'immenses pièces d'eau soutenues par des digues que viennent se vider les retharas, où l'on draine les nappes souterraines du pied de la montagne.
À l'Aguedal plantation de 15 kilomètres de tour, on en compte six, il y en a deux qui ont près de 200 mètres de côté et 4 mètres de profondeur. Mais la plus remarquable se trouve à l'oliveraie de la Ménara.
Ces arsats, ne ressemblent en rien à nos jardins d'agrément. Pour l'indigène, les orangers, les citronniers, les oliviers, les grenadiers que ça et là quelques palmiers semblent bénir, sont assez riches en boules d'or ou en fleurs de feu, en parfums et en chants d'oiseaux pour qu'il n'ait pas à y mêler des essences inutiles.
Entre les arbres, il sème de l'orge, des piments, des courgettes. Au-dessus des allées, il construit, avec des faisceaux de roseaux, des treilles, que la vigne couvre vite et fait lentement crouler.
Rien de plus. Mais il laisse l'oranger se ramifier en troncs multiples, mêler ses branches aux branches voisines et répandre une ombre épaisse ; il n'en fait pas comme nous un bilboquet. Il laisse l'olivier, libre aussi, se diviser, s'élancer, s'élever aussi haut qu'un chêne et devenir le plus beau des arbres, au lieu de rester, comme en Provence, un maigre rameau au bout d'un bâton. Parfois le long des canaux il plante des safsafs, peupliers argentés, qui frémissent et miroitent sans cesse. Et il sait, puisque la beauté accompagne toujours ce qui est sainement utile, que, tel quel, son jardin sera la plus fidèle image de celui dont il est écrit, dans le Coran : « ils y trouveront toutes sortes de fruits, des ruisseaux de miel pur et le pardon des pêches. »
Je vais maintenant faire passer sous vos yeux des photographies de Menzehs. (1) Elles vous permettront mieux que toutes les explications d'en comprendre l'architecture.
Le plan intérieur de tous ces pavillons est à peu près le même. Au rez-de-chaussée, un large passage reliant deux entrées principales et séparant de petites pièces obscures. Au premier étage, une grande salle, largement éclairée par deux baies se faisant vis-à-vis ; quatre cabinets dans les angles ou deux pièces latérales. (2)
Il me reste à expliquer à quel usage les indigènes destinent ces petits édifices.
Ils correspondent à peu près à ce qu'autrefois nous nommions une folie. C'en est, je crois la meilleure définition.
En effet, le terme « Maison de campagne » n'en donnerait pas une idée assez juste. La maison de campagne, chez nous, est vraiment un lieu d'habitat. On y passe des étés entiers, parfois même on délaisse la ville pour y chercher un confort plus large et plus sain ; on y vient achever ses jours, Le menzeh, au contraire, n'est jamais, pour le musulman, qu'un pied à terre, qui s'offre à proximité de la maison urbaine, pour de passagers délassements. Des tapis, quelques coussins, un réchaud, une théière, un plateau de cuivre, tel en est souvent le mobilier. C'est un léger bagage qu'on mène et remporte avec soi, sur un âne ou sur un mulet, quand, l'hiver, le soleil, réapparu après un jour de pluie, vous convie à venir voir où en sont les oranges et à boire une tasse de thé devant les neiges de la montagne, ou bien lorsque, l'été, les exhalaisons des rues chaudes font rêver à l'océan et à la brise vivifiante.
La maison de campagne, en outre, évoque presque toujours, pour nous, des images paisibles de vie familiale. Elle est honnête et elle est bourgeoise. Le menzeh, lui, évoque surtout des idées de plaisir.
C'est, quelquefois, l'asile élu pour abriter le renouveau d'amour promis par une nouvelle épouse qu'on ne veut pas brusquement introduire au foyer. C'est, plus souvent encore, un lieu de rendez-vous, propice à des joies moins licites. On s'y retrouve avec des danseuses ; on y scande, en tapant des mains, la musique du violon, du luth et du tambourin. On y boit d'abord du thé, en causant et en riant, puis du champagne et des liqueurs, en perdant peu à peu l'habituelle décence de tenue, dont le musulman n'ôte le masque que dans la plus stricte intimité.
Cette complaisance à abriter des plaisirs plus ou moins secrets est si conforme au caractère des menzehs, qu'il en est où les propriétaires ne vont jamais et où chacun peut se rendre en joyeuse compagnie, s'il sait s'en procurer la clef, moyennant un pain de sucre, une livre de thé ou un paquet de bougies.
C'est un peu le cas du pavillon de la Ménara à Marrakech, qui, bien qu'appartenant au Makhzen, résonne presque toujours d'un gai concert de voix et d'instruments et ressemble, au bout de son grand bassin calme, à une boîte à musique qui jetterait sans cesse, sur l'eau, des notes comme des ricochets.
Les kiosques. Je ne veux pas oublier de parler des kiosques. Les kiosques sont aux menzehs ce que les menzehs sont aux maisons. Plus agrestes encore, ils font partie des jardins même. Leur silhouette délicate et leurs couleurs, ne sont souvent qu'un accent dans l'architecture des massifs, un but à la perspective des allées.
Ils présentent tous, sous des différences de détail, un caractère commun : ils sont composés essentiellement d'une coupole centrale à toit pyramidal et d'une galerie circulaire, dont la couverture, moins en pente que le toit, continue celui-ci un peu comme les larges bord d'un chapeau.
La plupart de ces édicules sont gracieux de lignes et de proportions, agrémentés de peintures vives et de fines colonnades.
Commentaires :
(1) Où dorment ces photographies ?
(2) On retrouve dans cette description des éléments du menzeh de Kasba-Tadla, Al-Manzah ; voir plan déjà publié.
Jean Gallotti nous donne à voir des menzehs, les jardins, arsats, qui les abritent ; il nous éclaire sur le rôle que l'on soupçonnait de ces édifices.
En suivant les traces de Jean Gallotti, on devine dans l'enceinte d'Al-Manzah, des arbres chargés de fruits, un puits, au loin la musique. Il est étonnant que l'auteur.rice du document archéologique, présenté par ailleurs, sur Al-Manzah, n'évoque pas plus le rôle des menzehs, malgré l'emploi du mot « réjouissance », Paul Pascon parlant de pavillon de plaisance ; on rejoint ainsi Jean Gallotti, menzeh rimant avec plaisir licite ou pas.
© Copyleft Q.T. 18 avril 2021
GUIDE BLEU MAROC, rédigé par Prosper RICARD Inspecteur des Arts indigènes à Fès, sous la direction de Marcel Monmarché avec un autographe du général Lyautey, Paris Librairie Hachette 1919 (exemplaire de University of Toronto, disponible sur le site https://archive.org ; reconnaissance OCR avec corrections manuelles, orthographe des noms propres respectées)
À la sortie du pont, la piste de droite est celle de Beni Mellal, celle de gaucheconduit au camp Sud, établi sur la hauteur de la rive gauche dominant le fleuve et la kasba.
DE KASBA TADLA A BENI MELLAL (32 kilomètres, Sud ; piste aménagée, autocyclable par beau temps ; une autorisation spéciale du commandant d'armes de Tadla est indispensable). Le trajet s'effectue en tribu Aït Roboa.
14 kilomètres, Ouled Youssef, village à 800 mètres à l'Ouest de la piste.
18 kilomètres, Gué de l'oued Derna ; à peu de distance en amont, pont en ruines.
19 kilomètres, Sidi Slimane.
22 kilomètres, Tagranit, kasba en ruines.
23 kilomètres, Gué de l'oued Boukhari.
28 kilomètres, Ponceau sur l'oued Deï.
32 kilomètres, Kasba Beni Mellal, aussi appelée Kasba Bel Kouch, s'élève au pied du Djebel Beni Mellal, sur une côte qui joint celui-ci à la plaine. Elle est entourée d'une agglomération d'environ 3 000 habitants, dont 300 israélites, occupée par les troupes françaises depuis 1916 ; actuellement centre du commandement d'un cercle. Quoique restaurée par Moulay Slimane au XIXe siècle, la kasba est en ruines. Un marché hebdomadaire se tient au centre du bourg. De superbes jardins et des vergers peuplés d'oliviers, de mûriers et de peupliers s'étendent jusqu'à la falaise d'où jaillissent des eaux abondantes et pures. À proximité, zaouïa de Sidi Mohammed Bel Kassem, au milieu de vergers. Au Sud, vue sur l'Atlas dont les premiers somme sont couverts de broussailles, pendant que les hautes cimes sont exemptes de végétation. Un grand couloir venant de la montagne est défendu par deux blockhaus. De Foucault* passa à Beni Mellal avant de franchir les montagnes du Moyen Atlas.
De Beni Mellal, on peut aller à (23 kilomètres, Sud) Ouaouizert, par (6 kilomètres) la source de Foum Oudi et le village de Timoulilt. Ouaouizert est un village des Aït Atta d'Amalou, de 1 100 habitants, avec mellah ; marché le vendredi.
Commentaires :
- * De Foucauld, c'est bizarre cet automatisme de remplacer systématiquement le « d » final par un « t » ;
- cette description correspond exactement à la route (RP 3211) qui après le franchissement du pont « portugais » part sur la droite, franchit l'Oued Zemkil, grimpe sur le plateau, frôle Al-Manzah, et file, aujourd'hui, vers Oulad Saïd (voir carte américaine de 1942, copie d'une carte française de 1932 et carte française de 1924) ; mon étonnement grandit à chaque fois que je lis cet itinéraire où Al-Manzah demeure invisible ;
- dans l'étude « archéologique », déjà publiée, l'auteur.rice inconnu.e écrit « Il parait que la prospérité des habitants de la ville de Sebta était derrière la création d'un grand nombre de "munias" où ils partaient pour profiter de leurs loisirs. Belyounech ou la munia de Sebta était presque une ville, mais les manzahs se réduisent à une maison de plaisance d'un roi ou d'une riche personne. » ; au hasard d'une lecture j'ai trouvé un autre terme Mûnyas, probablement plus proche de la réalité que Munias : « Mûnya. Littéralement, « rêve ». Résidence campagnarde des califes et des nobles, probablement apparue en Andalousie sous le règne des dynasties princières de Cordoue (X° siècle). » Malek Chebel, 3 minutes pour comprendre les 50 notions-clés de l'islam, (Paris le Courrier du livre 2016) ; cette précision ne résout en rien l'énigme d'Al-Manzah mais permet d'avancer un peu.
© Copyleft Q.T. 23 février 2021
Le 13 avril 2019, A.D.me confia un « document » photocopié, pour photocopie ; 10 pages dont 8 (numérotées de 51 à 58) de texte, pages issues manifestement d'une étude plus vaste ; la typographie, la reliure de type spirale plastique, des références sommaires suggèrent un mémoire de fin de cycle universitaire probablement écrit sur ordinateur mais sans correcteur orthographique, qu'on peut difficilement dater (1992, voir AL MANZAH, Précisions incertaines 02) ; les deux dernières pages non numérotées correspondent à des plans : un plan de masse de l'enceinte et de l'édifice résidentiel, sans référence, l'autre avec l'indication « Plan XIV Al-Manzah Ech. 1/200 », ces deux pages portent en bas à droite un tampon « Conservateur de monuments historiques et de sites archéologiques Mohamed CHOUKRI » et je me demande si elles proviennent du même document que les huit premières ; le texte comporte de très nombreuses coquilles, erreurs d'orthographe et d'accord, les noms propres sont parfois sans majuscule avec des orthographes variables ; j'ai essayé de corriger au maximum le texte après une reconnaissance OCR, mais certaines propositions initiales demeurent obscures. Les * sont personnels et renvoient à la première partie des commentaires ; la numérotation des paragraphes est également personnelle pour faciliter les commentaires qui s'effectueront en deux temps. (source : document écrit en français par X, extrait de Y, de 1992, transmis par A.D., reconnaissance OCR avec corrections manuelles partielles ; les mots corrigés sont en gras, la proposition d'origine est entre parenthèses ; la copie du document au format PDF est disponible sur demande)
3.4 - Al-Manzah :
1 Ce monument n'est signalé dans aucune source historique mais la tradition orale attribue sa construction à Moulay Ismaïl (Mûlay Isma'il). Il est désigné sous le nom d'Al-Manzah (d'al-Manazah), terme méconnu dans l'architecture locale, ce qui est déjà une importante indication.
2 Dans la tradition marocaine al-Manzah est une résidence de réjouissance où l'on vient « boire une tasse de (du) thé devant les neiges des montagnes, ou bien lorsque, l'été, les exhalaisons des rues chaudes font rêver à l'océan (ocean) ». À Fès (Fes) « il domine la vallée où la ville torrentueuse et sombre, roule, en un lit étroit jusqu'à (jusqu'àu) la plaine du Sebou (sebon). À Meknès ils regardent le massif du Zerhoun (zerhoun), baigné (baigné) de soleil, avec ses villages roses et ses orangers (orangiers) et oliviers.
3 À Rabat et à Salé (a salé) il cherche l'océan (ocean) » (10).
4 Ces résidences de plaisances qui évoquent, presque toujours, des images paisibles (paisaibles) de vie de luxe peuvent être vastes (vaste) et intégrées (integrés) dans des palais comme elles (ils) peuvent être une simple propriété d'une riche personne.
5 À Fès (Fes) al-Manzah de Dar Dmana n'est qu'une tour abritant une chambre d'où l'on peut profiter d'une vue qui s'étend sur l'ensemble des quartiers de la médina (11).
6 L'architecture des Manzahs s'échelonne entre les édifices richement décorés et dotés de jardins (Jardins), de kiosques et de vasques comme Jnan ar-Rudroan*, la Mamounia à Marrakech et d'autres Manzahs des villes impériales, ensuite (en suite) on trouve des Manzahs qui se réduisent à une maison avec des dimensions et une architecture moins importantes. Il peut être annexé (annexée) à une grande résidence ou une maison de campagne (Ex : Menzeh Berk-El-lil à Rabat) (12). Le troisième type de Manzah est celui aménagé dans des tours comme celui de Dar Dmana cité ci-dessus.
7 Ces édifices dits Manzahs et qui sont des maisons de réjouissance sont connus au Maroc depuis l'aube de son histoire Islamique. Au Xième siècle la ville de Belyounech (Belyaounech) fut le lieu de plaisance des habitants de Sebta (13). Les maisons de réjouissance de cette époque était appelées "munias" ; elles étaient bâties (baties) au milieu des jardins et des vergers. Il parait que la prospérité des habitants de la ville de Sebta était derrière (dérierre) la création d'un grand nombre de "munias" où ils partaient pour profiter de leurs loisirs. Belyounech ou la munia de Sebta était presque une ville, mais les manzahs se réduisent à une maison de plaisance d'un roi ou d'une riche personne.
8 Le monument dit al-Manzah situé à 1.500 m (km) au Sud-Ouest de la casbah (qasba) Ismaïlienne et à une distance de 400 m de la rive gauche (droite)* du fleuve Oum er Rbia (de l'umm al-Rabi). Il est construit dans un paysage où le champ de vision (vue) s'étend jusqu'à l'horizon. À l'Ouest (Est) du monument comme au Nord (à son Sud) le terrain est en pente ; par contre (entre) à l'Est (Ouest) et au Sud (Sud-Ouest) il est plus ou moins plat. Al-Manzah se compose d'une enceinte rectangulaire qui renferme un rempart, de même nature, entourant les chambres du monument (monuments).
Étude descriptive et analytique :
L'enceinte : (plan II)
9 L'enceinte forme une circonférence rectangulaire large de 107 m et longue de 144 m. Ce qui en subsiste est une partie du flanc Nord-Ouest (Nord) et aussi la quasi-totalité (quasitotalité) du flanc Sud-Ouest (ouest) (planche VIIa). Cette enceinte est dépourvue de tout élément architectural militaire. En effet elle est large de 0,80 m et haute de 3,00 m. Son aspect ne reflète aucun souci de défense. Les travaux de labour à l'intérieur et à l'extérieur du pourtour de l'enceinte ont contribué (attribué) à son ensevelissement sur plusieurs niveaux (niveau) ; raison pour laquelle la localisation de la porte d'enceinte devient impossible, par la simple observation sur le terrain.
L'édifice résidentiel (résidenciel) : (plan XIV)
10 Les deux parties de cet édifice forment un seul bloc rectangulaire large de 21,40m et long de 49,00 m. Elles sont séparées par un couloir qui s'ouvre au Nord-Est (sud) par une porte (de) rectangulaire.
La partie Nord-Ouest (Nord) :
11 Son entrée coudée (coudé) donne (donnée) sur une cour sub-rectangulaire (13,60 m x 13, 00 m) autour de laquelle s'organisent toutes les chambres. Les murs d'enface* de la plupart des chambres sont en partie détruits. Seul (Seule) le mur de la chambre n°1 est en bon état de conservation mais les briques de jambage (Jambage) de sa porte sont toutes enlevées. Les murs d'enface* des autres chambres sont détruits à partir d'une hauteur de 1,00 m à 2,00 m et les blocs de ces murs sont jonchés (Jonchés) dans la cour. Le terrain de cette dernière forme, à son milieu un effondrement circulaire (circulair) d'un diamètre de 8,00 m environ ce qui est un probable affaissement d'une citerne ou d'un grenier.
12 Les entrées des deux chambres n°3 et n°5 sont couvertes par les décombres de leurs murs complètement détruits, il est probable qu'elles se trouvaient à leur milieu (leurs milieux). Les chambres sont toutes rectangulaires et leur largeur (leurs largeurs) diffère (différent) d'un côté à l'autre. La largeur des chambres est de 2,20 m au Nord*, 2,60 m au Sud* et à l'Est* et de 2,80 à l'Ouest*. Les chambres occupant les angles devaient être plus sombres (sombre) que toutes les autres et pouvaient (pourraient) être utilisées comme magasins (magazins). Toutes les chambres avaient une toiture plate dont les solives laissent encore leurs traces dans les murs. La terrasse a été entourée d'un parapet haut de 1,50 m.
La partie Sud-Est (Sud) :
13 Cette partie a une entrée coudée large de 3,90 m et donne sur une cour flanquée de deux chambres au Nord-Est (à l'Est) et au Sud-Ouest (à l'Ouest). Ces chambres, dont les dimensions sont égales, sont larges de 3,40 m et longues de 11,40 m.
14 À l'angle Nord (Nord-Est), le mur Nord-Est (Nord) de la chambre de ce côté est surmonté par les restes d'un mur qui pourraient (pourrait) être les vestiges d'une tour de garde dont la base serait la terrasse de l'enclos compris entre la chambre Nord-Est (Est) et le couloir (planche VIIb). Au niveau de cette partie le rempart a été couronné (courronné) par une couvertine en tuiles (un fruit de tuiles) vernissées dont il ne reste que les formes moulées (des moulurations) tracées dans le pisé.
15 Un ramassage de surface effectué à l'intérieur (l'intérieure) de cette partie a livré un grand nombre de carreaux de céramique émaillée de différentes couleurs et de deux dimensions (planche VIIIa). Les carreaux de 1,8 cm de côté portent un émail marron, noir blanc, vert, jaune, bleu et milado*. Les carreaux de 4,8 cm de côté portent un émail marron, milado*, vert et bleu. Les petits carreaux devaient revêtir les murs de cette partie et les grands carreaux devaient (devait) être utilisés pour le pavage du sol en composition avec ceux petits ou isolement.
16 Plusieurs éléments architecturaux mettent en évidence la grande différence existante (e final manuscrit) entre les deux parties du monument. Tout d'abord, les murs de cloisonnement des deux parties ne sont pas de la même épaisseur : leur base (leurs bases) est de 1,20 m au Nord* et de 1,60 m au Sud*. L'élargissement de ces derniers assure une meilleur isolation thermique. Donc à l'automne comme à l'été on profiterait dans les chambres de la partie Sud (Nord*) d'un climat plus tempéré, en plus elles sont plus spacieuses que celles de la partie Nord (Sud*).
17 D'autre part le rempart de ces deux parties diffère (differt) au niveau de son couronnement au Nord et au Sud. En effet ce couronnement, comme c'est déjà signalé, est une couvertine en tuiles (un fuit de tuiles) au Sud et d'un parapet au Nord. Ces différences démontrent que la partie Sud (sud) était plus luxueuse et qu'elle était une résidence de premier ordre d'importance. Or c'est dans cette demeure spacieuse où l'on se (le l'on) réjouissait des séjours de plaisance. Par contre, la partie Nord devait abriter les soldats et les serviteurs.
18 Cet édifice appartient au deuxième type des Manzahs. Quoiqu'il soit entouré par une grande enceinte ses éléments architecturaux ne peuvent le qualifier pour atteindre la luxuriance (luxuosité) des premiers types de Manzahs (Manazah). Certes (certe) il est construit sur une hauteur permettant une longue vue mais il est dépourvu d'étage qui est, normalement, la partie la plus réjouissante d'un Manzah. Son plan n'est que celui de la maison marocaine traditionnelle qui n'a fait ici que s'amplifier selon le besoin de séparation entre les domestiques et les notables. Pas de fenêtres ouvrant sur la campagne (compagne) cherchant l'horizon lointain et les ouvertures sont toutes orientées vers le centre.
3.5 - Matériaux de construction :
19 Les murs d'enceinte et de cloisonnement de ces édifices sont tous montés en pisé. Les premiers ont, en général, une épaisseur de 1,20 m et les seconds sont construits sur une base de 0,90 m à 1,00 m, mais ceux de la partie Nord du Manzah atteignent une épaisseur de 1,40 m. Les murs extérieurs du bordj sont, en partie, élargis (élargies) (2,20 m). Ainsi ils forment, au niveau du premier étage, deux allées à l'Est et au Sud et celui Ouest sert de base pour la resserre qui surmonte son sommet. Ils sont tous composés d'un mélange de terre gravillonneuse (gravileuse) et de chaux et les moellons qui y sont encastrés sont de faibles (faible) dimensions. Les couches d'enduit qui les couvrent sont plus soignées à l'intérieur des édifices qu'à leur extérieur.
20 Vue l'importance qu'on accorde à ces monuments résidentiels on y atteste une importante utilisation de la brique. En effet les arcades et les piliers des galeries, les jambages des portes et des fenêtres sont tous à base d'une maçonnerie de briques liées par un mortier de chaux et d'argile fine.
21 Les lits de briques encastrés dans les murs de pisé qu'on atteste à la casbah (qasba) de Tadla font défaut au Manzah malgré (malgrè) l'importance de leur rôle de renforcement. Dans ce monument on constate une importante utilisation de la brique sous forme de lits déposés au fond du dernier coffrage. Par cette technique la brique empêche l'infiltration des eaux à (a) travers la hauteur totale des murs.
22 La technique de parement des murs est attestée au palais, notamment au niveau du mur latéral gauche du couloir menant aux escaliers (planche XIIIb). Ce parement est sous forme d'une alternance de lits de briques en épi, en obliques et horizontaux. Pour surélever le flanc Sud de ce monument on a eu recours à la construction de lits de briques en épi surmontés par trois lits de briques horizontaux (horizentaux) sur lesquels on a monté un mur de pisé (planche IXb). Dans la cour du même monument la construction des murs de façade est reprise(reprises) en briques dès leurs premières saillies.
23 Les voûtes (voutes) du palais et de son dwiriya ainsi que la coupole de l'entrée Ouest donnant sur l'annexe Ouest (ouest) sont construites à base de maçonnerie de brique.
24 Pour recevoir les charpentes la construction des murs de pisé est reprise à leur (leurs) sommet par une maçonnerie de briques qui fait saillie sur les deux côtés de sa base.
NOTES :
1. REVAULT (J), GOLVIN (L) et AMAHAN (A), palais et demeures de Fès époque alawite (alaouite) I (XVII et XVIIIième siècles (siècle)). ed. C.N.R.S, Paris, 1985-1989 (1989). p 361
2. HASSAR-BENSLIMANE (HASSAR BENSLIMANE) : Recherche archéologique à Salé : étude d'un quartier (essai de méthodologie de recherche) ; Doctorat de troisième cycle, Paris IV, sorbonne, 1987 (1978). p 191
3. GALLOTI (J) : le Jardin et la maison arabe du Maroc. 2 vol. Albert Lévy (levy), ed. Paris, 1926. p 12
4. Encyclopédie de l'islam T.I nouvelle édition, G.P. Maisonneuve & la rose. S.A, paris, 1978. p 1355.
5. TERRASSE (TERRASS) (M) : Recherches archéologiques d'époque Islamique en Afrique du Nord in Académie des Inscriptions (inscription) & Belles-lettres Année 1976, pp 590-611 (569), ed. Klincksick, Paris 1976. p 606.
6. BARRUCAND (M) : Structures et décors des charpentes 'alawides (alouite). À partir d'exemples (d'exemple) de Meknès, in B.A.M., XI 1979 (1978), pp 115-156.
7. HUET (K) et LAMAZOU (T) : Sous les toits de terre. Éléments (éléments) d'architecture traditionnelle et décoration picturale dans l'habitat berbère des hautes vallées. Edition Belvisi Publi-Action (Belvisé-publi-Action ed.), Casablanca (casablanca), 1988, p 80 ;
8. op.cit, p 22
9. HASSAR-BENSLIMANE (J) : op.cit, p 104
10. GALLOTI (J) : op.cit, p 49
11. REVAULT (REUAULT) (J), GOLVIN (GOVIN) (L) et AMAHAN (A), op.cit, p 183
12. GALLOTI (J) op.cit, p 46
13. TERRASSE (TERASSE) (M) op.cit, p 602
Commentaires :
1) J'hésite à commenter cette étude archéologique anonyme, pour l'instant, sur Al-Manzah, tant elle apporte d'informations parfois précises, parfois obscures, tant les erreurs de frappe sont nombreuses, même dans les notes, tant certaines informations au premier abord simples sont confuses et semblent totalement hypothétiques ; que l'auteur de cette contribution à l'Histoire tadlaouïa soit remercié, car au-delà des premiers mots acerbes de ce commentaire, ces dix pages rares sont les seules, à ma connaissance, aujourd'hui consacrées entièrement à un édifice invisible par ailleurs ; plusieurs fois j'ai posté sur des pages Internet « connaissez-vous Al-Manzah ? » comme un ballon emporté par le chergui ... sans aucun retour ; alors encore une fois, CONNAISSEZ-VOUS AL-MANZAH ?
2)
* Jnan ar-Rudroan : Internet reste muet
* gauche (droite) : rives droite et gauche se déterminent ainsi : « Il suffit de regarder dans quel sens coule l'eau d'un fleuve. Si, par rapport au lieu d'observation, l'eau coule de gauche à droite, vous êtes sur la rive droite, si elle coule de droite à gauche, vous êtes sur la rive gauche. »
* enface : on peut penser que l'auteur parle des murs donnant sur la cour intérieure
* les directions géographiques demeurent imprécises d'autant plus que le plan d'origine de l'édifice résidentiel (Plan XIV) est inversé, comme regardé dans un miroir, j'ai corrigé celles dont je pense qu'elles sont inexactes, les autres restent à l'appréciation des lecteur.rices ; durant mes quarante années d'enseignement j'ai rencontré plusieurs fois des élèves qui dessinaient l'objet présent devant eux comme s'ils le voyaient dans un miroir, inversant droite et gauche
* milado : dictionnaires et Internet muets
3) Paragraphes 1 à 7. Il est étonnant que l'auteur nomment systématiquement les MENZEH, manzahs ; Jean GALLOTI, le Jardin et la maison arabe du Maroc [Gallotti, Jean (1881-1972), Le jardin et la maison arabes au Maroc avec 160 dessins de Albert Laprade et 136 planches en héliogravure d'après les photographies de Lucien Vogel, Félix, Vve P. R. Schmitt, G. Fauré et Canu ; lettre-préface de M. le maréchal Lyautey, Paris : Lévy, 1926] ; disponibilité partielle sur Internet et complète pour le tome 1 sur https://www.cemaroc.com/), traduit menzeh par « lieu agréable », « le pavillon de campagne, un peu ce qu'autrefois nous appelions une folie et qu'ils nomment un menzeh » ; combien de lieux (villes, quartiers, hôtels, Riads), au Maroc, arborent dans leur nom El-Menzeh, pour nous attirer vers des endroits présentés comme paradisiaques ?
4) La publication citée en note 5 est disponible sur Internet ; cette publication parle de Belyounech comme l'extrait d'un article, Belyounech : Un petit paradis méconnu, par Dounia Chaouki paru le 21/07/2017 sur le site https://leseco.ma/, « L'histoire du village est également liée à celle de la ville islamique de Ceuta, pour laquelle Belyounech représentait un haut lieu de plaisance au Moyen âge, et permettait ainsi à ses habitants de faire de bien belles escapades non loin de leur ville. Le célèbre juge et théologien Caddi Ayyad, avait comparé Belyounech par sa beauté et sa difficulté d'accès au Paradis. Le géographe andalou El Idrissi quant à lui, la décrivait comme « vallée où fruits, citrons et mêmes cannes à sucre s'y produisaient en abondance et où l'eau coulait partout et les pâturages étaient excellents ». Saisi par la beauté du site, un calife andalou du Xième siècle s'y fit même bâtir une grande demeure où il aimait se retirer de temps à autre. »
5) À part le plan XIV et peut-être le plan II qui correspond éventuellement au « plan de masse », je ne dispose pas des autres plans ou planches cités dans cette étude archéologique et je ne les ai jamais vus.
6) Paragraphe 9. Il me semblait logique de penser que labour et altération éolienne de la meseta avaient plutôt tendance à exhumer qu'à ensevelir ; Pompéi après avoir été ensevelie sous les produits volcaniques de l'éruption du Vésuve en 79 avant J.C., fut lentement exhumée par les effets de l'altération naturelle des terrains avant que les Hommes achèvent ce déterrement. Partant du constat de Pompéi et à la vue de l'absence d'une grande partie de l'enceinte extérieure, ainsi que des labours qui ont sapé la base de ce mur (sape visible sur les photographies satellitaires où le côté Sud-Est de l'enceinte est devenu champ), il paraît normal qu'au fil du temps les traces d'une « porte » s'estompent ; il semble inévitable qu'avec la poursuite des labours, même la trace, encore visible du ciel, de l'enceinte disparaisse totalement, alors seules quelques photographies et cette étude archéologique témoigneront du passé.
7) Paragraphes 10 à 13. L'édifice résidentiel est séparé en deux parties par un « couloir » s'ouvrant au Nord-Est, pourtant l'auteur de l'étude situe les entrées des deux parties sur les murs « extérieur » aux coins Nord et Sud, le couloir ne comportant aucune « porte » vers l'intérieur de l'édifice résidentiel, quel est le rôle d'un couloir ne desservant pas de pièces ? Il est à noter que l'enceinte extérieure et le mur extérieur Nord-Ouest du pavillon résidentiel sont indépendants, un espace de moins d'un mètre les sépare (observation sur le terrain et plan de masse), comment les « soldats et les serviteurs » y pénétraient ? À l'égyptienne ?
8) Paragraphe 14 et 16 à 18. L'auteur écrit « vestiges d'une tour de garde » pour un mur situé au dessus de la partie Sud-Est alors qu'il attribue cette partie aux « propriétaires » des lieux en signalant des éléments de décoration, l'aspect spacieux des deux chambres et l'épaisseur des murs ; pourquoi ne pas imaginer un menzeh de type trois avec une tour offrant sur la plaine, la ville de Kasba-Tadla et le Moyen Atlas enneigé une vue plaisante (comme la Tour-résidence de Belyounech) ?
9) Paragraphes 19 à 24. Plus on avance vers la fin de cette étude, moins cela devient compréhensible (l'absence des planches auxquelles l'auteur fait référence ainsi que les confusions sur les directions géographiques altèrent le propos) ; on a le sentiment qu'il fallait finir l'étude archéologique dans l'urgence et que les phrases finales furent plaquées sans relecture ni structuration claire.
10) Les références au livre de K. HUET et T. LAMAZOU (pages 80 et 22) sont, du moins pour la page 80, énigmatiques (voire photographies jointes de ces deux pages de l'exemplaire de ce livre que je possède, même année d'édition que celle mentionnée) ; pour l'architecture en pisé entre autres, l'Agence Urbaine de Beni-Mellal a mis sur Internet (aubm.ma), au format pdf un très beau document, « Charte Architecturale du haut-Atlas Central »
© Copyleft Q.T. 06 puis le 18 novembre 2020 modifié le 01 février 2024
Les perceptions ne sont pas simplement là. C'est par le biais d'un processus dynamique et sélectif que l'on perçoit quelque chose comme une réalité. Il y a une différence entre « percevoir » (percipere) et « s'apercevoir » (appercipere). Lorsqu'elles nous parviennent, nos perceptions sensorielles sont triées, filtrées, elles sont structurées, organisées et mémorisées selon différents contextes, les perceptions sont comparées avec des couches de savoir plus anciennes, interprétées selon des concepts et des chaînes d'association déjà présentes en nous jusqu'à ce que nous nous en « apercevions », que notre conscience les saisisse et les accepte. Carolin Emcke, Quand je dis oui ... (Seuil, 2019)
Une enceinte de 144 mètres sur 107, en grande partie détruite, le mur « sud » dresse ses trois mètres sur une centaine de mètres de long, l'édifice résidentiel de 44 mètres sur 21 reste imposant, l'ensemble demeure invisible.
Raccompagnant des amis à la campagne en octobre 2017, j'aperçus à gauche de la petite route qui conduit à leur ferme, juste après la sortie de Kasba-Tadla, un édifice en pisé en ruines ; avais-je déjà emprunté cette route au début des années 1980 et rien vu alors qu'Al Manzah trône à environ 200 mètres de la route ? L'édifice alors sans nom resta dans un coin de ma cervelle.
Lors de séjours suivants je circulais de nouveau sur cette route, allant chercher ou raccompagnant ces amis, regardant l'édifice, m'apercevant qu'à peine 2 kilomètres de goudron le séparait de Kasba-Tadla.
Le 27 novembre 2018, je trottais jusqu'aux ruines, les photographiais. De retour à la maison, plongée dans les cartes topographiques, les vieilles cartes postales stockées dans l'ordinateur, rien de visible, aucune trace, un objet invisible, innommé.
Le 13 avril 2019 alors que nous allions quitter Kadla-Tadla, je rencontrais un ancien élève, A.D., bibliothécaire ; après une accolade chaleureuse, nous discutâmes et je lui parlais de ces ruines énigmatiques. Il m'éclaira, me prêta la copie d'une étude archéologique de 10 pages, issue de ?, rédigée par ?, le mystère semblait résolu, toujours invisible mais définitivement nommé, AL MANZAH.
De retour à Lyon, je continuais de chercher sur ces ruines ; Al-Manzah peut se traduire par « résidence de réjouissance », « pavillon de plaisance » ; les palais de Fès, Meknès, Rabat en possédaient, mais aussi des notables, de riches propriétaires ; généralement isolé, placé en hauteur avec vue dégagée sur la mer ou les montagnes enneigées, avec un jardin ; les VIP d'antan s'y détendaient réjouis du spectacle de la nature câlinant leur iris.
L'invisibilité s'épaissit au fur et à mesure que mon acuité attentionnelle sur Internet, seul lieu où des informations sur Al-Manzah pouvaient se trouver, augmentait ; sur Internet, les ruines sont inexistantes sauf, à ma connaissance, sur un blog en français sous le nom de « Al Manzah à Zemkil » (sans photos, ni localisation, ni explications), Zemkil étant le nom de l'oued qui « coule/coulait » à proximité des ruines, et un blog en arabe avec des photographies datées de 2005 des ruines.
Je sortis le livre de Charles de Foucauld et relu les passages concernant Kasba-Tadla. (Reconnaissance au Maroc (1883-1884), livre personnel, LES INTROUVABLES, ÉDITIONS D'AUJOURD'HUI, mars 1985, également disponible sur gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France). Charles de Foucauld séjourna à Kasba-Tadla les 17 et 18 septembre 1883, venant de Boujad ; il décrit la casbah avec des inexactitudes importantes - le minaret de type « sahélien » dans la partie ouest de la casbah qu'il décrit comme étant en ruine lui est invisible ; étonnamment 27 ans après, le capitaine Maurice Cuny, à Kasba-Tadla entre le 18 et le 20 juin 1910 (Carnet de route de 4e goum à cheval par le capitaine Maurice Cuny, Colonne du Tadla, 16 juin-1er juillet 1910, Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France), schématisa la ville quasiment comme le fit de Foucauld ; Cuny ne mentionnant pas, lui aussi, la deuxième mosquée de type « sahélien » ; la mosquée invisible en 1883 et en 1910, devint visible sur les premières photographies de Kasba-Tadla en 1913 après la prise de la citadelle par le colonel Mangin -, mais ne parla pas d'Al-Manzah.
Charles de Foucauld arriva à Kasba-Tadla le 17 septembre 1883 à 07 heures, c'est-à-dire au moment du lever du soleil ; il décrit le ciel ainsi : « très pur » avec un indice nuageux de 0 durant tout son séjour à Kasba-Tadla, sauf le 18 septembre à 19 heures où l'indice est de 3 ; sur son croquis de Kasba-Tadla pris du chemin de Boujad (il est probable que Charles de Foucauld ne fit pas son croquis lors de l'arrivée à Kasba-Tadla mais plus tard dans la journée du 17 ou celle du 18 septembre 1883), il aurait dû apercevoir Al-Manzah situé à seulement 1,5 km au sud de Kasba-Tadla, en hauteur, donc sur la droite de son croquis ; Al-Manzah est parfaitement visible de la partie ouest de la ville actuelle de Kasba-Tadla, c'est-à-dire d'où venait Charles de Foucauld. De Foucauld étant muet sur son séjour de deux jours à Kasba-Tadla, on est en droit de se demander ce qu'il fit pour occuper ses journées dans une bourgade aussi petite, à l'époque ...
Albert COUSIN et Daniel SAURIN dans Maroc, Paris, Librairie du Figaro, 1905 (Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France) décrivent ainsi Kasba-Tadla :
« Kasbah Tadla. Cette forteresse fut construite par le Sultan Moulay-Ismaïl pour défendre le pont de 10 arches, jeté sur l'Oum-Er-Rebia. Elle a l'aspect d'un château fort du moyen âge assez bien conservé. Ses 2 000 habitants se livrent à l'exploitation des riches mines de sel des environs »
Dans Reconnaissance au Maroc (1883-1884), Charles de Foucauld, recense la communauté israélite au Maroc et indique pour (orthographe respectée) « le Bassin de l'Ouad Oumm er rebia, très peu d'établissements israélites sur la rive droite du fleuve ; un grand nombre sur les affluents de gauche qui prennent leur source dans le Grand Atlas. Les principaux sont : Tadla, -Bou el Djad 50 familles, - Qaçba Tâdla 30 familles, - Qaçba Beni Mellal 75 familles. », mais combien d'habitants dans ces trois villes ?
Comme la mosquée « sahélienne », Al-Manzah demeura invisible pour de Foucauld. On peut le comprendre. Al-Manzah est visible depuis de nombreux points autour de Kasba-Tadla, en particulier de la nationale reliant la ville à Beni Mellal, nationale empruntée par moi des centaines de fois depuis 1981, et je n'ai jamais aperçu Al-Manzah avant novembre 2017, l'édifice m'était invisible ; l'hypothèse de la présence d'eucalyptus le long de cette nationale jusqu'à très récemment explique-t-elle cette invisibilité ? ; la fenêtre de visibilité est courte et si le regard reste fixé sur le goudron, Al-Manzah reste invisible ; ne négligeons pas l'aspect « con jeune » qui me caractérisait à l'époque, état rendant aveugle et sourd à son environnement ; enfin, n'oublions pas que, souvent, on observe bien que ce que l'on cherche.
L'invisibilité augmenta à la découverte d'une carte parue dans l'Illustration du 21 juin 1913 sur laquelle apparaît Kasbet El Menzeh ? (numérisation de basse qualité) en lieu et place de Al-Manzah. La découverte de nombreuses autres cartes françaises et américaines mentionnant Al-Manzah, cartes dressées entre 1912 et 1956, confirma l'existence d'Al-Manzah, même si son invisibilité augmentait. Sur les cartes topographiques de Kasba-Tadla, de 1975 et 1998, Al-Manzah est gommé, il réapparaît en 2006 sur un plan urbain de Kasba-Tadla, tel qu'on le voit aujourd'hui. Un intervalle d'invisibilité inexpliqué mais logique dans la mesure où sur la carte de 1975, le camp militaire sud, le camp « Picard » devenu la « caserne des skieurs », est absent alors que sa construction débuta à la fin de l'hiver 1916/1917 (en février ou mars 1917) ; ce camp est juste en « dessous » d'Al-Manzah et je n'ai pas trouvé de textes d'anciens militaires en poste au Maroc évoquant cet édifice.
Le premier Guide Bleu Hachette de 1919 (Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France), décrit méticuleusement le trajet Kasba-Tadla - Beni-Mellal (32 kilomètres), itinéraire empruntant la petite route (l'actuelle RP3211), alors piste, passant à 200 mètres d'Al-Manzah et l'auteur, Prosper Ricard inspecteur des Arts Indigènes à Fès, ne voit pas (est-il sur cette piste ? Dans le véhicule ?) les ruines, alors qu'il évoque un pont puis une casbah en ruines, un peu plus loin en bordure de piste. Invisibilité tenace.
Visionnant plusieurs fois des photographies anciennes de Kasba-Tadla, Al-Manzah apparu, me semble-t-il, au second plan, sur trois d'entre elles, seul l'objet photographié étant alors mentionné dans le titre de la carte, Al-Manzah restant invisible. Un peu de trigonométrie et la probable position des photographes fut déterminée ; Al-Manzah leurs resta invisible car ils ne réglaient pas leur focale dessus, ne le voyant pas, l'ôtant de leur champ visuel, comme moi durant quarante ans.
Il restait à écrire un texte avec photos, à taper aux bonnes portes et l'invisible deviendrait visible ou du moins lisible. Le fichier a été transmis à une architecte et anthropologue marocaine spécialiste des casbahs, un historien de Beni Mellal, un autre en France et ... attente ; questions également posées au « guichet du savoir » de la bibliothèque de Lyon, attente de deux jours pour une réponse en forme de non-réponse avec dégagement vers d'autres structures, leur réponse se basant sur un travail de recherche sur Internet ; j'attends toujours la réponse des historiens ... je sais qu'ils en savent moins que A.D. et moi ; quelle notoriété apporte une ruine perdue au milieu de la mesata ?
Aujourd'hui je me demande si les questions posées à ces personnes ne sont pas secondaires par rapport à l'invisibilité du monument, disparu de la mémoire des tadlaoui.as au point de ne pas être vu, connu, sauf des gens qui habitent à proximité, qui le nomment tout en ne connaissant ni sa fonction, ni sa date d'édification ; la cousine de mon épouse née à Kasba-Tadla, enseignante, si elle connaît le terme El-Menzeh, ne connaît ni cet édifice, AL Manzah, ni sa localisation ; beaucoup de tadlaoui.as n'ont jamais pénétré.es dans la casbah, alors marcher jusqu'à Al-Manzah ; comment les objets visibles s'évaporent aussi facilement, ne suscitent pas d'interrogations ? Le pisé comme la mémoire s'altère, redeviendra terre et cailloux.
Lien vers mon premier voyage à Al-Manzah le 27 novembre 2018, ici
© Copyleft Q.T. 30 octobre 2020 modifié le 01 février 2024